Le Grand Bal

Il n'avait pas particulièrement cherché à être discret alors qu'il avait observé Jaguar. Il n'avait pas de raisons de se cacher, n'avait pas forcément honte, la colère sourde qui prenait le dessus quand la jeune femme était concernée étant presque un réflexe à présent, même s'il souhaitait forcément montrer à sa partenaire le respect et l'attention qu'il lui portait et qu'elle méritait. Son regard avait été furtif, mais Aubépine était attentive et lorsque sa remarque fusa, le regard de Lancelot prit une teinte à la fois contrite et amusée. Elle n'avait rien laissé paraître, son visage était restée de marbre, sa posture toujours aussi concentrée sur les pas de danse qu'ils effectuaient. Peut-être s'était-elle légèrement raidie, mais cette tension s'était perdue dans le moment alors qu'ils tournoyaient à nouveau. Et Lancelot, bien qu'il aurait dû être repentant, ne pouvait s'empêcher de sourire.

Avant qu'il ne puisse répondre, la musique se modula pour indiquer la fin de cette deuxième danse. Son sourire ne se départit pas.

Il s'inclina, bien que n'ayant absolument aucune intention de laisser Aubépine s'éloigner, sauf si elle concédait que sa compagnie lui était soudainement insupportable et qu'il ne pouvait vraiment rien faire pour se racheter. "M'accorderais-tu une seconde danse pour me faire pardonner?" Le rythme qui commençait semblait plus lent et plus intimiste, sans doute pour permettre aux danseurs les moins expérimentés de tenter quelques pas sur la piste. Plus proche d'un slow mais pouvant tout de même garder les mesures d'une valse, pas encore proche des sonorités que Lancelot affectionnait tout particulièrement, mais Odysseus l'ayant promis, il plaçait toute sa confiance en son fiancé pour que ces danses arrivent plus tard dans la soirée. "Je pense que les danses plus rythmées arriveront un peu plus tard, mais celle-ci reste un bon échauffement."

Danser au milieu pour être moins visible? Voilà qui lui semble contre-productif. Ne risquent-ils pas, au contraire, d'être au centre de l'attention? Mais alors qu'il suit Jaguar, la logique de la situation lui devient évidente. Ils sont protégés par le mur circulaire de danseurs, qui les protègent des regards extérieurs. C'est si évident qu'il se sent idiot de ne pas l'avoir compris tout de suite.

Jaguar le guide pour la danse comme elle aurait manipulé une poupée de chiffon à taille humaine. Il la suit de son mieux, s'adaptant à la musique, aux pas de sa partenaire, rassuré par les autres couples de danseurs mal à l'aise du centre de la piste. Il ne pourrait de toute façon pas être pire danseur que le grand enrôlé de la brigade Occamy, aux mouvements aussi raides que ceux d'un Inferi.

Rester moi-même? Eh bien...d'accord. De toute manière, mon choix vestimentaire à huit pattes m'aurait trahi, quelle que soit l'apparence que j'aurais pu choisir

Il suit les indications de l'enrôlée, et comprend assez vite le principe de la danse. Chaque enchaînement de pas répété était comme une figure géométrique transformée, déplacée. Les pas des danseurs devaient dessiner de jolies figures sur le sol. S'il avait seulement pensé à effectuer un sortilège qui aurait répliqué les empreintes des pas sur un parchemin! Il était certain qu'il aurait pu découvrir de nombreuses propriétés d'arithmancie. D'ailleurs, le sol était recouvert de symboles. Etait-ce là le plan du Directeur, qui n'était toujours pas là? Utiliser les danses et les pas pour produire un sortilège à l'insu de tous?

Il réalisa que ses réflexions l'avaient plongé dans un silence qu'il jugea fort peu respectueux pour sa partenaire de danse. Heureusement, cette dernière semblait peu accoutumée aux usages des danses de salon. Ceci dit, elle l'était sans doute plus que lui, puisqu'elle lui apprenait à danser.

Cette danse n'est pas si compliquée, finalement. Je suis heureux d'avoir appris quelque chose ce soir!

Et la danse s'acheva. Autour d'eux, des couples se séparaient, d'autres se déplaçaient juste et se préparaient à entamer la deuxième danse. Soumaworo s'inclina devant Jaguar.

Je vous remercie pour cette danse! Et si vous souhaitez à présent accorder une danse à un de vos collègues qui attendent leur tour, je serai ravi de vous libérer de ma toile...
Les araignées réapparurent l'espace d'une demi-seconde sur son visage.
...et d'aller importuner quelqu'un d'autre. Si j'allais offrir de jolies pâtisseries roses à Vyasa pour le dérider un peu?
Il paraissait si sérieux, en posant cette question, qu'on ne pouvait que comprendre qu'il blaguait.

Son sourire contrit avait quelque chose du chiot partagé entre la vague certitude d’avoir fait une bêtise et la joie de voir ses maîtres bien aimés revenir. Il effaçait tout, et, avec lui, la musique arriva à conclusion. Répondant à l’inclination de son cavalier par une révérence très basse qui faisait honneur à ses années de maintien, elle ne put empêcher ses iris sombre s’illuminer d’amusement tandis qu’il l’invitait à nouveau. Elle posa légèrement sa main sur la sienne pour manifester son consentement silencieux.

« Vous savez, j’espère, que vous n’êtes pas obligé de m’offenser à répétition pour qu’à chaque danse vous vous fassiez pardonner. Je vous espère assez courageux pour tenter, une fois au moins, de m’inviter sans rien me devoir, afin que je puisse accepter sans rien n’avoir à vous offrir. » Son ton était sans aucun reproche, léger, amusé, badin. Exactement dans l’esprit des bêtises que l’on dit aux bals et qui sont oubliées le lendemain. Des petits riens, qui ne prêtent pas à conséquence et en sont d’autant plus précieux. Elle se rapprocha un peu plus. Pas assez cependant pour qu’on se méprenne sur ses intentions. C’était une danse, rien de plus. Sans réfléchir, elle avait pris le bon rythme et suivait son cavalier avec sa légèreté habituelle.

« Je n’en doute pas. J’espère cependant que ce ne sera pas la suivante car je ne la danserais pas. » Si peu nombreux étaient les gens qui connaissaient le point d’étiquette sur le nombres d’invitation acceptable en public, elle savait que trois d’affilée feraient jaser. Monsieur le Directeur semblait tenir à la relation entre Lancelot et Odysseus. Il avait beau ne pas être physiquement présent, il avait certainement des yeux dans la salle et il valait mieux rester prudente.

Prudente ne voulant pas dire silencieuse, elle réfléchit à quelque chose pour relancer la conversation. Avec un inconnu, elle aurait parlé de la salle, du nombre de couples ou du buffet. Dans un autre contexte elle n’aurait pas réfléchi et aurait continué ses pensées sur l’absence remarquée du Maître des Lieux. « Votre compagnon ne danse pas ? » Au lieu de cela, elle choisit un sujet quelque part entre les deux. En effet, elle venait de remarquer l’instructeur aux artefacts en discussion avec Cendre, près de l’estrade.

Le compliment de Vyāsa lui vaut un rire de la part de Morrigan qu’il accueil avec une certaine satisfaction. Il ne se sent pourtant pas de rajouter quoi que ce soit, se contentant d’un hochement de tête lorsqu’elle lui explique ce qui lui plaît dans ce type d’événement. Et la réponse…

N’en est pas vraiment une pour lui, même s’il ne s’acharne pas à demander de précisions. Ce qui sort de l’ordinaire ? Vraiment ? Oh, un bal à tout pour sortir de l’ordinaire, mais d’une façon qui n’enchante guère l’ancien dompteur de dragons. Il préfère définitivement les animaux et autres créatures aux humains et leur intérêt pour ce… type de « divertissement ». Oh, bien sûr, il a de l’affection ou tout du moins du respect pour plusieurs humains, mais il ne s’en pas engager il y a longtemps sur la voie de la magizoologie pour rien.

Ce n’est pas pour autant qu’il traitera la réponse de sa chère collègue avec dédain. Ils sont fondamentalement opposés et c’est peut-être pour ça qu’ils s’entendent si bien, un peu comme s’ils se complétaient, mais Vyāsa n’appréciant guère ce genre de dérives narrative, nous ne nous y attarderont pas.

« Est-ce que tu aimes aussi ce qui a trait à l’ordinaire ? » qu’il rétorque, l’instructeur, curieux de voir ce que sa vive interlocutrice trouvera a y répondre. Probablement trouve-t-elle du bon dans tout, comme si habitué à voir l’ombre, elle savait y trouver les miettes de lumière qui la rende possible.

L’homme n’a pas ce positivisme. Ce n’est pas en lui. Il est retors, la critique plus facile que le compliment, plus apte à voir l’ombre dans la lumière que le contraire, tout homme bon qu’il puisse être au final. Les deux comparses montre qu’un même combat ne se mène guerre avec un seul type de personne, que la lumière se contraste de milles et une teinte et que de ce fait, les ombres ne sauraient exister sans leur part de lumière.

Enfin, pour le moment, Vyāsa entraîne sa collègue sur la piste de danse, adresse un sourire en coin à Morrigan alors qu’elle consent à épargner ses orteils pour cette fois.

« Je te remercie de cette prévenance. »

Ils forment un drôle de duo, en dehors des stéréotypes habituels, mais l’instructeur n’en a que faire. Tout comme il n’a que faire des regards ou des commentaires. Il se laisse en partie absorber par la valse, dansant avec sa partenaire qui n’a rien de maladroite, au final. Nul doute que si un pied est écrasé, ce serait fort volontairement.

« Visiblement, nous nous débrouillant de façon fort louable, » fait-il remarquer, avant d’éviter de justesse un couple maladroit bien partie pour les percuter. « Si personne ne vient nous écraser les orteils, bien entendu. »

Pas de grand sourire. Ce n’est pas désagréable. C’est un peu doux amer, ça cherche à tirailler quelques cordes nostalgiques, mais le Pakistanais ne se laisse pas couler vers ces eaux-là. La valse se termine et il s’arrête lentement, sans mouvements secs, levant les yeux vers sa compagne du moment.

« Est-ce que tu voudrais enchaîner avec une seconde danse ? »

Autant dire qu’il aura très vite son compte.

Bien entendu, Cassio sentit immédiatement le rouge lui peindre les joues à la question qui lui était posée. Ce n'était pas quelque chose de si extraordinaire - lorsqu'elle n'y prêtait pas attention, lorsqu'elle ne se forçait pas à apparaître neutre et immobile, à se fondre dans le décor, ses émotions étaient toujours visibles. Et elle n'avait pas envie de se fondre dans le décor lorsqu'elle parlait avec Arcturus. Elle avait envie d'exister. Sans pour autant lâcher la main de l'Officier, elle replaça une mèche de ses cheveux derrière son oreille pour se donner une contenance alors que son regard fuyait vers le sol.

C'était idiot. Elle avait été tellement prise par ce qu'elle disait qu'elle n'avait pas réalisé de quoi elle parlait, et voilà qu'elle était incapable de répondre à une simple question qui était somme toute justifiée; si la plupart des sang-purs craignaient plus que tout que leurs filles acquièrent une mauvaise réputation et ne puisse plus être présentée au plus offrant par la suite, elle savait bien que ces préceptes n'étaient pas appliqués partout. Qui plus est, elle-même avait eu la chance de ne jamais avoir à craindre que cela n'arrive, son père ne l'ayant de toutes façons pas sociabilisé assez pour considérer une stratagème de ce genre, même pour sa propre survie.

"Et bien..." Elle commença doucement, se mordillant la lèvre à nouveau par réflexe, un léger froncement de sourcils sur ses traits. "Ça-, ça serait assez mal vu, oui. Généralement, les filles sang-purs ne sont pas vraiment autorisées à côtoyer des garçons autre que ceux choisis par leur famille ou-, des frères, des oncles, des cousins. Même si- pour les cousins, ça dépend aussi de la famille. Les Haut Sang-Purs cherchent à préserver leurs filles à tout prix pour... pouvoir les marier, et la plupart des évènements sont chaperonnés- justement pour éviter que des couples... s'isolent." Elle esquissa un petit sourire gênée.

"Normalement-, si l'événement était vraiment officiel, je ne devrais pas danser plus de trois danses avec toi. Au cas où. Pour éviter que d'autres personne se... Fassent des idées." Malgré la difficulté qu'elle avait à parler de ce sujet, un sujet qu'on évoquait rarement à haute voix, qui était presque toujours sous-entendu, Cassiopeia réussit à se fendre d'un léger sourire alors que la musique se modulait, signifiant le début d'une nouvelle danse. "Mais... On peut déjà commencer par celle-ci. Je ne pense pas que quelqu'un viendra nous le reprocher." Elle réussit à plaisanter, replaçant à nouveau sa mèche avant d'entraîner Arcturus vers la piste, assez loin du cercle des spectateurs pour ne pas être scrutés et leur permettre de danser sans devoir tout le temps faire attention aux mouvements des autres.

"Il faut que tu-, que tu mettes ta main dans mon dos." Elle indiqua, en ramenant doucement la main qu'elle tenait à hauteur de ses omoplates. "Et ensuite, il me faut ta deuxième main, et c'est un carré très simple. Tu avances, je recule, un pas sur le côté, tu recules, et j'avance."

La musique se termine. J’entends sa fin dans le mouvement qui s’amorce. Les danseurs, eux, semblent très peu à l’avoir sentie. Et pourtant, dans l’atmosphère règne soudain quelque chose de moins studieux. Musicien à tout jamais, j’écoute les pas, les bruits des étoffes qui se frôlent, les rythmes des conversations qui se mêlent sans que je cherche à en saisir les mots. Ces derniers ne m’intéressent pas s’ils ne viennent pas de ma partenaire du moment. Laquelle s’est plongée dans un océan de pensées dont je me garde bien de la tirer. Il est important parfois de côtoyer les abysses pour comprendre la lumière. La danse arrive à sa fin. Les couples les plus éduqués se saluent. Je ne suis pas surpris de voir que c’est le cas de mon compagnon et de sa cavalière. D’autres s’écartent soudain, l’atmosphère permissive s’étant dissipé et la réalité brûlant d’un coup la proximité qu’ils avaient laissé s’installer. D’autres encore rêvent à des musiques infinies. Presque tous parlent. Aucun ne prend le temps de savourer la mélodie qui sépare deux morceaux et dont la durée est souvent aussi finement étudiée que le reste de la pièce. Car tout concert est un théâtre dont les entractes, les respirations et les tombées de rideaux font partie de la scène.

La prochaine musique est un peu bâtarde. Un mélange de valse et de slow, quelque chose pour que les duos qui se rapprochent depuis deux danses puissent prendre le temps d’un tout dernier moment partagé. Ensuite, un rock est prévu pour réveiller ceux du fond et détacher de l’alcool les quelques excités qui auraient commencé de bonne heure. Ce que je peux les envier. J’ai besoin d’oublier. De me perdre. De voir les merveilles artificielles des sensations induites. A une époque, j’avais trouvé un cocktail qui me donnait l’illusion de voir les sons en bande de couleur autour de moi. Je pouvais alors passer des heures juste là, à vivre dans la musique, jamais seul, toujours émerveillé. Ma femme avait la capacité de me produire cet effet naturellement. Lorsque je l’écoutais me parler de ses combats, de ses passions, elle effaçait un monde trop gris et le remplissait de principes. Je ne l’aimais jamais autant qu’à ces moment-là. Ma femme n’était plus. Et jamais notre fille n’apprendrait à réveiller ce sentiment de merveilles chez les autres. Je baissais les yeux, Cendre reprit la parole et je me forçais à la suivre pour ne pas laisser la mélancolie me prendre trop tôt.

« Les deux sont possibles. Quelqu’un supposait qu’il s’agissait de mon union avec Lancelot. Si c’est le cas, personne ne m’a rien dit. Je sais que d’autres sont persuadés qu’un désastre est programmé. Ne serait-il pas plus intelligent encore de ne rien faire, de laisser les émotions et l’inquiétude monter tout au long de la soirée, terminer par une déception et lancer une attaque durant le quotidien suivant ? »

Je l’ignore. Je ne suis pas un stratège et les émotions me font horreur. N’espérant rien, ne croyant en rien, je ne m’attends pas à être surpris. Tout au plus à souffrir mais encore, quelle importance. Aucune douleur physique ne vaut celle que je supporte chaque jour rien qu’en respirant. J’ai presque envie que ça arrive. Que je puisse enfin fermer les yeux pour de bon. Ne pas avoir à affronter le monde. Pourtant, je sais déjà qu’en cas d’attaque, je me protégerais. Je l’ai promis. Ma vie appartient à la Cause à présent. Elle est soumise au Domaine et à Monsieur le Directeur.

Lancelot a recommencé à tourner. Il a l’air heureux. J’essaie de me raccrocher à cette idée, de me dire qu’au moins, lui aura eu un moment de joie pure. C’est agréable de le voir ainsi et cela me réconcilie un peu plus avec la soirée. J’hésite à relancer la conversation. Décide que non. Cendre me connaît à présent. C’est une fille que je respecte. Elle mérite mieux que de creuses politesses. Si elle veut me parler, elle le fera. Si non, elle partira. Ils partent tous, un jour ou l’autre.

Arcturus ne s’attendait guère à faire monter le rouge au visage de sa partenaire avec cette simple question. Ce n’est pas comme s’il avait pensé à… S’isoler avec Cassiopeia pour… Non. Il valait mieux ne pas y penser là.

Le Norvégien attend avec patience la réponse de la jeune sorcière, intrigué par ce qu’elle lui racontera et il ne peut s’empêcher d’être quelque peu perplexe devant ce qu’elle lui sort. Il a l’impression d’être face à un système aussi archaïque que peu regardant des envies et libertés des femmes. Il veut bien croire que le seigneur des ténèbres à prit le contrôle du monde, mais ce n’est pas pour autant qu’il faudrait s’entêter dans certaines voies qui ne font pas de sens.

C’est ridicule que les sangs purs méprisent autant les moldus tout en gardant vivace certaines façons de faire complètement désuètes que les moldus eux-mêmes ont abandonné depuis belle lurette. Toutefois, l’envie de faire un procès aux sang purs n’animait guère Arcturus qui évitait globalement les amalgames et ne tenait rancœur que pour les gens qui s’affichaient pleinement et avec bon gré partisan de Vous-Savez-Qui.

Cassiopeia n’en faisait clairement pas partie. Personne ici, n’en faisait partie et Arcturus n’avait jamais un mot de travers pour ses collègues qui venaient de tels milieux. Personne ne choisissait où il naissait ou dans quelle condition. Et si ils étaient tous ici, au Domaine de Rementor, il y avait bien une raison et le norvégien respectait ça.

« Je ne suis pas très familier avec tout cela, aussi, j’espère ne pas être déplacé. N’hésites pas à me le dire si ça arrive, d’accord ? »

Il ne voudrait l’embarrasser de quelque manière que ce soit. Et encore moins si le regard des autres sangs-purs la rend ensuite mal à l’aise. Et même si parfois, les règles te semble simplement… Trois danses ? Pour l’enrôlé qui ne sait pas s’il en tiendra une seule, ça semble énorme.

Et même si ça semble l’avoir gêné, Cassiopeia à la gentillesse de lui expliquer, un avec petite sourire aux lèvres. Il hoche la tête avec un sourire quand elle lui propose de déjà commencer avec la musique qui débute tout juste. L’homme accompagne la demoiselle, non sans remarquer qu’ils se place de façon à être le plus loin possible des spectateurs, ce qui lui semble loin d’être bête, s’ils ne veulent pas trop affronter les regards où risquer de percuter quelqu’un.

« Je ne pense pas qu’on soit aussi regardant ici. »

L’animagus voit mal un de ses instructeurs se présenter à leur côté pour leur dire que leurs trois danses sont terminées et qu’il faut maintenant se séparer.

Une fois à leur place, Cassio entreprend d’expliquer à Arcturus comment se placer pour danser ensemble et il se retrouve bientôt avec une main contre son dos, l’autre tenant sa main et il hésite une seconde avant de tenter d’effectuer ce que la jeune femme vient de lui décrire. Ça semble si simple à dire, mais en réalité c’est autre chose.

Il avance, un peu. Un pas sur le côté, un peu maladroit, puis il recule. Les gestes manquent d’ampleur, mais le blond ne compte pas se décourager pour si peu, enchaînant les pas que lui a expliqué Cassiopeia. Il a envie de réussir pour elle et qu’elle soit simplement… Heureuse du moment.

« C’est comme ça ? »

Le rythme est lent, plus lent que les valses auxquelles elle est habituée mais justement parfait pour montrer à Arcturus les premiers pas de cette danse. Elle sourit alors qu'il s'exécute en essayant tant bien que mal de reproduire les pas, et en réussissant plutôt bien. Même s'il venait à lui marcher sur les pieds par inadvertance, Cassiopeia ne se plaindrait pas de toutes façons; elle sait qu'il fait des efforts, et c'est le plus important. Pour elle. Parce qu'elle lui a demandé, parce qu'elle avait envie de danser. Peut-être par obligation, parce qu'il est son cavalier, ou plus simplement parce qu'il veut lui faire plaisir. Elle sait que si elle répète ces mots trop de fois dans sa tête, elle va sourire comme une idiote, un sourire bien trop sincère, bien trop visible, et elle ne peut se le permettre. Ça ne serait pas correct.

Elle n'arrive cependant pas à trouver une raison de se prêter attention aux convenances alors qu'ils bougent ainsi doucement, un pas après l'autre. Alors elle sourit, le cachant derrière son regard pour le moment porté vers leurs pieds, suivant aisément la cadence, avant de relever la tête. Et le sourire est là, peut-être un peu plus maîtrisé, mais joyeux tout de même.

"C'est un bon début." Ses yeux pétillent, elle doit se rapprocher pour que ses mots, trop doux et trop faibles, passent au dessus de la musique. Elle ne dirige pas vraiment, le laissant poser la cadence même si elle est bancale ou imparfaite, suivant les pas facilement. Les mouvements mériteraient d'être plus amples, oui, ils sont trop proches, ses propres bras ne sont pas assez rigides alors qu'elle s'efforce de se concentrer sur la valse et de ne pas l'observer et plonger dans son regard comme elle ose rarement le faire. Elle voudrait le regarder, elle sait que dans cet espace elle en a le droit, elle sait aussi qu'elle rougirait bien trop vite, et tout ça s’emmêle avec le reste.

Au moins, elle ne laisse pour une fois pas trop de son trouble paraître. Ce n'est pas tant que danser lui est plus naturel que converser, mais la danse reste une discipline qu'elle a dû maîtriser, un autre masque à utiliser, à porter à la perfection. On ne s'est pas embêté à lui apprendre à mener une conversation avec quelqu'un qu'elle aime bien. Le Domaine ou le Bal n'étaient pas vraiment dans les plans d'origine; apprécier la compagnie d'un jeune homme, encore moins. "Essaie de-, de plier un peu les genoux en avançant et reculant, tes pas seront plus fluides. Normalement, les valses sont plus-, disons légèrement plus rapides, sur trois temps. Un pour avancer, un pour le pas de côté, et un pour reculer."

Alors que leurs enjambées se font plus sûres et plus fluides, et sans se départir de son sourire, la jeune femme rebondit légèrement sur le commentaire précèdent d'Arcturus. On lui a appris que c'est à elle de fournir le sujet de conversation, bien ironiquement, mais discuter avec Arcturus lui est bien moins difficile qu'avant. "Je ne sas pas si... Si le thème imposée de la soirée signifie qu'ils espèrent nous apprendre à suivre les mêmes règles que les Sang-Purs, comme un exercice de-, d'infiltration." Elle explique en se rapprochant légèrement à nouveau, perdue dans ses pensées pendant un moment. "Ou si quelque chose d'autre risque de se passer. Quelque chose de plus dangereux."

Elle est soucieuse à l'idée de devoir se battre, soucieuse à l'idée que d'autres puissent être blessés. Presque par réflexe, ses yeux cherchent brièvement les Selkies disséminés dans la salle avant de lever ses yeux vers Arcturus, forçant à nouveau le léger sourire sur son visage. "Désolée. Je ne devrais pas... Ce n'est pas vraiment un sujet de conversation agréable."

Arcturus s’en voudrait profondément de marcher sur les petits pieds délicats de sa partenaire du soir. C’est potentiellement une inquiétude qui contribue à le rendre maladroit alors qu’il tente de maîtriser les pas qu’elle lui a enseigné et ce n’est peut-être pas trop loupé, puisqu’elle lui dit que c’est un bon début. Et même si ce n’était pas un si bon début, son regard et son expression lui disent qu’elle apprécie le moment et ça vaut largement la peine de montrer à tout le monde qu’il galère dans l’exercice. Cassiopeia lui donne toutefois des conseils qu’il s’emploie à suivre. Plier les genoux, plus de fluidité. Il en fronce les sourcils de concentration, travaille ses gestes, pêche un peu d’exemple à travers les autres danseurs qu’il entrevoit. Et doucement, ça donne des résultats, ce n'est pas bon, mais c’est moins mauvais, même que c’est sûrement pas mal pour une première tentative, sans doute qu’il se sera vu des cas plus désespéré.

« C’est pratique si celle-ci est plus lente. La prochaine ne la sera probablement pas. »

Après quelques pas, la jeune femme reprend la parole et le norvégien l’écoute attentivement. C’est un sujet qui pourrait les faire discuter longtemps.

« Je ne sais pas. Et je me demande si quelqu’un ici en a la moindre idée, en fait. Je… Ne sais pas si faire aussi vite une sorte de test d’infiltration si tôt soit une bonne idée. Mais peut-être va-t-on nous mettre à l’épreuve d’une autre façon. »

Il a sa baguette sur lui, parce que ça serait fou de ne pas l’avoir, parce que même s’il est ici, c’est difficile de donner simplement… Toute sa confiance. Il sait qu’il pourrait la sortir de sa cachette en une fraction de seconde, qu’il pourrait protéger Cassio plus aisément en l’ayant ainsi auprès de lui. Il sait qu’il le ferait, mais pas parce qu’il ne la croit pas capable de se défendre, simplement parce qu’il l’apprécie beaucoup et qu’il ne veut plus perdre personne.

C’est probablement impossible dans ce contexte, mais il fera tout son possible et peut-être même un peu de l’impossible pour y arriver.

« Ne t’excuses pas. Ce n’est pas non plus désagréable. Ça pourrait même passer pour intriguant. Tout le monde doit se demander à quoi sert ce bal. Et où est passé le directeur. »

Mais elle ne part pas.
L'idée ne lui traverse même pas l'esprit. La valse la berce, cordes frottées, cordes pincées et instruments à vent s'harmonisent pour transporter les sorciers, sans distinction de sexe, de sang ou d'ethnie. C'est une magie universelle qui les touche tous. Les danseurs la suivent, les plus doués le font sans s'en rendre compte, les plus gauches essaient maladroitement de garder le rythme, tandis que les autres, ceux qui ont choisi les places assises stratégiques, où la proximité du buffet, se laissent involontairement porter. Un doigt tapote contre le verre les temps, une tête se balance en rythme quand d'autres, entre deux discussion, sifflent l'air qui les entoure.
Cendre en profite de sa position. En retrait du cœur palpitant de la soirée, à l'écart des paroles et aux premières places d'un concert philharmonique, elle savoure le silence d'un orchestre ininterrompu.

Odysseus n'a pas besoin de parler. Le mutisme lui convient bien. À lui, à elle. C'est un refuge dans lequel elle se blottit, l'intimité d'une bulle qu'elle concède à lui partager. Sans craintes, ou presque, l'occamy s'autorise à penser sans appréhensions. Sans regrets, elle y passe une minute, deux. C'est lui qui pourrait se lever, partir, après tout. Si elle même voit ses possibilités de passer une soirée pas trop désagréable sans la présence - ou l'absence - d'une poignée de rebelles, assez maigres, elle soupçonne qu'il ai d'avantage d'alternatives. Curieux d'ailleurs que personne n'ai encore profité de l'interruption de leur échange pour accaparer son attention.

Le regard de Cendre, jusqu'alors perdu dans la foule, glisse d'une tête à une autre, se contrefout des danseurs, des amoureux, des groupes sinon de ceux qui laissent l'un des membres s'ennuyer. Il est toujours difficile d'intégrer tout le monde, l'un fini toujours par tourner le menton, le regard au loin, à la recherche d'une compagnie qui saura ne pas le délaisser.
Elle voit Jaguar et Soumaworo à l'instant où ils approchent de la piste, Lancelot et Aubépine partis pour une troisième valse, Pivoine, plus loin, qui semble décliner une invitation. Un flocon de neige qui fait tâche au milieu de l'arc en ciel d'étoffes. Peut-être aurait-elle préféré une autre compagnie que celle de son verre, le baguettier qui lui donne des cours privilégiés, peut-être. Cendre les a croisés une fois, où elle avait passé la porte de la salle de musique trop tôt, ou qu'ils étaient partis trop tard. Elle s'était bien abstenue de tirer la moindre conclusion, même d'y songer une seconde, les affaires de coeur elle s'en fiche plutôt, ce qui par ailleurs se montre assez agaçant ce soir où la passion dégueule de tous les pores.

La sorcière détourne les yeux de la Blanche pour se glisser sur l'instructeur assis à sa droite. Il a toujours cette tête, comme s'il était emmuré dans son propre esprit, là sans être là, qui laisse surtout supposer qu'il n'a pas envie d'être là.
Elle l'a déjà remarqué, un peu plus tôt. Elle a posé la question sans obtenir de réponse, la discussion ne s'y prêtait pas, à moins qu'il ai volontairement esquivé. S'il ne souhaite pas répondre, autant le dire clairement.

- Vous ne m'avez pas répondu tout à l'heure. Pas vraiment. Cette fête n'a pas l'air de vous ravir.

Le brun de ses yeux ne le quitte pas un instant. Il scrute son visage, étudie ses traits, dissèque. Elle n'a pas peur de regarder, pas peur de poser les mauvaises questions. Parce que si elle se fou de passer une soirée exécrable, l'idée de laisser quiconque qu'elle apprécie en faire autant est contre ses principes. Alors si elle peut faire quelque chose ...

Ce constat qu'elle a énoncé, il contient autant de dits et de non-dits. 'Pourquoi ?' 'Voulez-vous en parler ?' 'Parler d'autre chose ?' 'Que l'on sorte prendre l'air ?' 'Que l'on reste à nos silences, savourer la compagnie sans la piétiner de nos mots maladroits ?'
Elle ne prononce aucune de ces questions. Mais elles se bousculent dans sa tête, comme autant de possibilités aux probabilités équivalentes. Qu'il lui reproche de ne pas parler de quoi que ce soit de plus joyeux en est une parmi d'autres, mais il sait que ce n'est pas son genre.
Finalement, les rares discussions qu'elle tient ne concernent quasiment que des confidences. Des secrets tissés entre deux soupirs, scellés par son introversion.

L'a pas l'air super-super à l'aise Spiderman, mais bon y suit. Et il suit pas trop mal j'ai l'impression même. Moi j'surveille qu'y fasse comme y faut, 'fin comme y faut pour quelqu'un qu'a jamais valsé quoi hein, la courbe de progression tout ça. C'est pas super facile à faire, surveiller les pieds les mains la tête la musique et les autres autour qui s'en sortent dix fois plus mal et cent fois mieux, mais bon faut c'qu'y faut et j'ai l'habitude d'faire gaffe. D'là à dire que j'suis faite pour êt' prof, on va ptet pas exagérer.

Bref donc on danse, ça s'passe pas si mal, y suit plutôt bien même. J'me d'mande si j'suis censée en déduire quelque chose, pis comme j'en ai rien à battre en fait ça passe et j'm'occupe des pieds. Du coup j'cause pas, mais bon j'vois pas trop quoi y dire, pis faire la papote pendant une valse... pfff. Soit j'gueule, soit j'fais comme les pupuces mignonnes et j'y susurre à l'oreille. J'suis pas sûre qu'y ait une bonne réponse. Au pire c'est l'prof d'com tout ça, y doit bien savoir utiliser sa bouche hein merde.

Pis ça dure pas si longtemps en vrai, donc on a pas l'temps d's'ennuyer. La vieille s'rait d'jà bien contente d'savoir qu'j'ai pas oublié comment on fait pour danser c'te danse de péteux.

J'me d'mande comment y vont tous.

Mauvais plan. Pis ça changera rien et tout ça. Pour l'instant j'suis là, ici, avec un type qu'a genre deux fois mon âge... d'ailleurs ça s'voit pas du tout en vrai merde, faut vraiment zoomer genre êt' à portée d'valse pour voir qu'il a plus vingt ou même trente piges... et qu'a jamais valsé d'sa vie. Qu'y dit. J'aurais presque un doute, vu qu'j'ai encore tous mes doigts d'pied quand ça finit et qu'y salue. J'fais un vague truc qui peut passer pour une révérence parce que j'ai pas envie d'me faire chier mais pas envie d'l'ignorer non plus.

"Ouais, vous gérez bien les pas, c'pas super compliqué une fois qu'on a pigé. Après y a les ronflonflons, les ragnagnas, mais pfff." Et la grimace qui va bien pour confirmer à quel point j'm'en bats les oeufs du noble cérémonial de la noble valse des nobles cours de mon cul. "Ca j'm'en fous tell'ment qu'y vaut mieux pas qu'j'en parle si vous voulez des vraies infos. Faudrait d'mander à..." A qui tiens ? J'me r'tourne, j'regarde un peu ceux qui savent danser assez bien pour avoir un balai dans l'cul. "...j'sais pas, Aubépine ptet, ou euh..." Merde c'est quoi d'jà son vrai pseudo à Pépette. "...elle, là, avec..." ...Tutu. "...l'grand blond. Officier. J'ai plus leur nom. La fille hein, Intel. Elles font tout bien comme y faut, elles pourront vous montrer."

Quand elles auront lâché leur dulciné et leurs yeux en coeur rose dégueulasse aussi. Qu'est-ce qu'elle peut bien lui trouver à l'aut' palouf bon sang... ouais il a une belle gueule m'enfin tout l'monde a une belle gueule ici plus ou moins. A part Cloporte et les migobs ptet, m'enfin on peut pas tout avoir dans la vie. Pis les standards, l'point d'vue, la bôôôté intérieure tout ça.

Ah, y veut pas la danse suivante justement. Tant mieux. J'sais pas si c'est qu'y veut pas lui, ou qu'y veut pas m'emmerder, mais j'suis pas près d'aller danser avec les gars. Quoi que. Ca dépend si y a d'autres trucs moins chiants après. Genre j'sais pas... salsa, merengue, même une cumbia...

"Z'inquiétez pas, si ça m'avait gonflée j'aurais dit non, j'me s'rais pas gênée."

Ca d'puis presque trois mois qu'y m'a en cours, l'a bien compris que j'suis pas du genre à dire oui quand j'pense non. Pis j'rigole encore quand y parle d'aller "dérider" Grincheux à coups d'pâtiss'ries roses, avec son air super sérieux.

"Ouais allez-y, j'prendrai les paris sur s'il les prend ou s'il essaie un coup d'boule !" Trop nabot pour un coup d'boule à Spiderman Vyasa, mais ça a jamais empêché personne d'essayer. "Oubliez pas les paillettes sur les gâteaux, sinon ça va faire vide."

J'sais pas si j'ai très envie d'aller m'faire charrier par les copains par contre, mais ça sert à rien d'attendre. Pis c'pas comme si y avait d'quoi, franch'ment.

Je n’avais pas répondu tout à l’heure. C’était un choix délibéré de ma part, une façon d’éviter de trop parler en parlant d’autre chose. La plupart des gens se laissaient berner par le stratagème. Ils n’avaient pas vraiment envie d’avoir la réponse, ne posant la question que par politesse, écartant l’autre pour se concentrer sur eux. Dans l’atmosphère de silence qui nous avaient entourés, malgré la musique, le brouhaha des conversations et le tintement des verres, sa relance m’avait vaguement surpris. Je tournais mon regard sur elle, pensif d’abord, réfléchissant à comment amener les choses. Les secrets n’avaient jamais été mon fort. Les mots que l’on retient tournent et pourrissent l’âme. Cependant, je n’étais pas non plus du genre à me livrer et il y avait des choses que les épaules des jeunes n’étaient pas prêtes à porter. Pouvais-je décharger une partie de mon poids sur elle comme je l’avais fait avec Pivoine ? Il ne valait mieux pas. Les rappels des jours heureux étaient encore trop acides pour mon cœur. Je ne devais pas me laisser entraîner sur cette pente. Heureusement, il y avait d’autres raisons, toutes aussi vraies qui me faisait subir cette soirée plutôt que de l’apprécier.

« Je n’aime pas les bals. La musique n’y est qu’un prétexte, elle n’est jamais vraiment écoutée. Piétinée par les danseurs, utilisées pour se glisser des mots à l’oreille ou encore couverte par la conversation. On y vient pour manger, boire, danser, rencontrer du monde. Faire du social. » soupir. Je n’aime pas le social. Je n’étais pourtant pas mauvais avant. J’y allais comme au théâtre, avec un sourire, rencontrant les fans, répondant d’un air blasé aux interviews snobes d’un milieu prétentieux, je vendais mes disques, faisaient ma com. Mon agent était tout à la fois mon metteur en scène, mon scénariste et mon souffleur. Je lui ai laissé tout ce que j’avais en remerciement. Je ne pense pas lui manquer. « Pourtant, programmer une soirée demande un délicat mélange d’ambiances, de sons, de styles. En fonction de ma musique, je peux échauffer les esprits ou les endormir. Je peux énerver la foule, la rendre hystérique, inciter à la romance. Un bal, c’est le summum de la manipulation sociale. Et j’apprécie peu d’être mêlé à ça. » Les mots sont dangereux parce qu’ils sont maladroits, parce qu’ils blessent. La musique parle directement à l’âme. C’est une arme plus puissante encore car son action est toujours délibérée, pensée, voulue. Je me demande un instant ce que feraient ces gens si je mettais en sous texte des dissonances guerrières ou des expérimentations inharmoniques. Avec l’alcool, la chaleur, la crainte inspirée par l’absence de Monsieur le Directeur, cela pouvait être explosif. Je haussais les épaules.

« Ce qui est, est. Cela ne vaut pas vraiment la peine de s’attarder dessus. » et là, ce qui était, était un bal. J’avais fait la programmation au mieux pour que tous passent une bonne soirée. Je me doutais bien que plus de la moitié de mon travail ne servirait à rien – je n’étais pas plus dupe qu’un enrôlé lambda – mais au moins j’avais obéit. Fait mon devoir. Ouvert la première danse avec mon compagnon. Je résistais à l’appel de l’alcool, de mon mieux. L’envie était toujours là, évidemment. Elle ne partirait pas. Si j’arrivais à m’éclipser pas trop tard, peut-être me perdrais-je dans un travail quelconque ou les bras d’une personne esseulée. Pieu mensonge. On avait besoin de moi jusqu’au bout de la nuit. N’étais-je pas en charge de la musique ?

« Et toi ? Ne souhaites-tu pas profiter de l’occasion pour connaître mieux tes camarades ? »

Cendre n’était pas de celles qui parlent, qui sont au centre de l’attention mais j’avais remarqué qu’elle observait beaucoup. Un point commun avec Aubépine et quelques autres en Intelligence. Sans présumer lire dans ses pensées, je me demandais ce qu’elle pouvait bien penser de l’évènement. « Oublier la soirée dans l’alcool peut-être ? » J’y revenais toujours. Je baissais les yeux et les reportait sur les danseurs. « Profiter du travail des elfes de maison sur le buffet, faire des paris sur ce que sera la prochaine danse, discuter des probabilités de couples et de baisers avant la fin de la soirée, » Elle aurait fait ça. Ma femme. Avant de râler sur le patriarcat voulant que ce soient les hommes qui mènent les femmes. Ce à quoi j’aurais rétorqué l’argument de la taille et de la masse, juste pour l’échauffer et l’écouter parler, parler, parler. Moi qui aime tant le silence et l’apprécie en en présence de Cendre. Elle me manque. Comme une partition dont on aurait retiré la clef.

Le Grand Bal
Cela ne faisait que quelques jours que j'étais là, et si j'avais songé quelques instants qu'un bal serait une bonne occasion de tisser des liens, je m'étais trompé. L'ambiance était bien trop grandiose pour me convenir. J'avais passé les derniers mois dans un t-shirt plus troué qu'un filet de pêche, et voilà que je me retrouvais dans une robe de velours noire brodée de fils d'argent, la taille ceinte par une étole en soie sang-de-bœuf assortie à mon caftan sur mesure rehaussé d'un col doré de toison de Re'em. Les elfes de maison avaient faits un excellent travail, et c'était plutôt confortable à porter. C'est l'impression que ça laissait qui était étrange, voire oppressante.

Et voilà qu'une nouvelle danse se lance. Non seulement je ne connais rien aux danses de salon occidentales, mais en plus le volume sonore semble étudié pour me donner un mal de crâne que je compte bien vaincre du haut de mon poste, perché sur un tabouret près de la desserte à boissons, prêt à me resservir dès que mon verre est vide. Ça m'évitera aussi d'avoir la gorge en feu dès que j'ai à répondre à quelqu'un, ce qui ne manquera surement pas d'arriver. La gueule de bois promet d'être épique, même si la nuit est encore jeune, et le mal de gorge tapera bien fort demain, mais autant se plier aux exigences des lieux. Ce n'est pas le moment de passer pour un rabat-joie mutique.

Tout n'est pas négatif cela dit. J'avais toujours connu l'austérité relationnelle qui régnait entre hommes et femmes depuis la prise de pouvoir d'Abali en Tunisie, et les quelques années passées en Irlande n'avaient jamais montré le moindre coté festif. Tout ici semble si libre, ouvert. C'est un autre monde. J'étais même resté bouche bée à l'ouverture de bal, quand Lancelot et Odysseus avaient ouvert les festivités ensemble. J'étais aussi surpris qu'admiratif, peut-être même attendri, même si une part de moi est encore déstabilisée par ce qui aurait sucité un scandale là d'où je viens.

En plus de ces événements étranges mais formateurs, j'ai aussi le bénéfice de pouvoir étudier mes compagnons plus en détail. Bien que dans la masse je reconnaisse assez peu de monde, quelques visages plus familiers issus de ma brigade sortent du lot. C'est une occasion en or pour étudier leur comportement un peu plus en profondeur, et apprendre qui ils sont dans ce cadre de moins en moins formel avec les minutes qui s'égrainent. La soirée s'annonce longue, dans ce nouvel univers qui assaille autant mes sens sans aucune pitié qu'il me laisse absorbé dans mes pensées de par ses révélation sur cet endroit qui est maintenant chez moi.
Mon verre vide, je me perds à contempler quelques instants ce qui est proposé. Encore une découverte à faire.
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"Et moi qui pensait que ma méthode était infaillible, et voilà que ma cavalière me refuse une prochaine dance."

Il plaisantait, bien entendu, et son ton caustique et le sarcasme qui en découlait aurait pu être pris pour quelque chose de dur et agacé s'il avait été en compagnie de quelqu'un d'autre. Mais Aubépine le connaissait déjà bien trop pour y croire, et leurs mouvements étaient toujours aussi fluides et harmonieux. Rien de tout ce qui avait transparu jusqu'alors n'avait été volontaire, et son erreur principale, bien qu'impardonnable, ne semblait plus créer de distance entre eux.

Bien entendu, une partie de son esprit restait préoccupée par une certaine présence dans la pièce, et les conséquences d'un faux pas de la part d'Odysseus - pas pour les autres, mais pour lui-même. Bien entendu, il y avait les raisons de ce Bal qui pesaient dans la pièce et qui viendraient bien assez tôt suffoquer l'ambiance plutôt détendue et social du rassemblement. Il comprenait sans qu'elle n'ait besoin de se justifier pourquoi elle ne participerait pas à une troisième danse; quand bien même aucune raison ne se situerait derrière cette décision, elle en avait le droit et il ne la forcerait pas. Lui ferait les yeux doux pour la convaincre, peut-être, s'il n'avait pas su pourquoi, mais ce n'était pas le cas ici.

Le rythme était plus lent, et il s'adaptait sans problème à cette valse qui n'en était pas une, à la proximité rapprochée qui restait toutefois plus éloignée que leur danse dans les serres et à la conversation qui découlait de leurs pas si aisément. La question lui fit tourner la tête un instant vers son fiancé, qui discutait toujours avec Cendre. Sans verre à la main, ou du moins aucun qu'il ne vit. Il ne cacha pas le léger sourire sur son visage avant de répondre à la question de la jeune femme.

"En plus d'être bien occupé par la programmation de la soirée, Odysseus n'apprécie pas l'insulte qui est faite à sa musique, que nous écoutons à peine, et la façon dont elle est utilisée ce soir." Lance expliqua simplement. Il y avait toujours une certaine gêne à parler ainsi de son compagnon, comme s'il s'agissait de dévoiler des secrets qu'Odysseus seul devrait choisir de révéler. Il ne s'agissait pas d'avoir peur que les informations révélées soient utilisées contre lui, parce qu'elles n'étaient pas assez sensibles, parce qu'elle ne révélait au final que l'attachement d'Ody pour son art et sa musique; parce qu'il faisait confiance à Aubépine. "Il déteste surtout que l'on puisse considérer que musicien et danseur sont des termes interchangeables, ou qu'être l'un confère un talent pour l'autre alors les deux disciplines sont plus que différentes."

Le discours passionné et très sérieux du baguettier lors de leurs conversations nocturnes à ce sujet avait d'ailleurs beaucoup fait rire Lancelot, qui s'était gentiment moqué (et avait beaucoup admiré) la répartie de son ami.

Les danseurs dansaient, les buveurs buvaient, la musique musiquait et Ortie s'impatientait.

À quoi servait un bal ? L'éternel impatient qu'il était avait rongé son frein près de suffisament de pistes de danses pour avoir tout un pannel de réponses plus ou moins politiquement correctes. Un bal était une occasion de se montrer en société, de réseauter et de rencontrer ses pairs - sauf dans le cas d'un domaine à huis-clos où on les connaissait déjà. Un bal était l'occasion de se faire mousser - quand on avait quelque chose à faire mousser à part la bière et le champagne du buffet de boissons. Un bal, aurait dit les plus mutins, était même parfois prétexte à s'amuser - et cette partie-là semblait cadrer pour au moins une partie des participants.
Ne manquait toujours que le Directeur dont la vision de l'utilité d'un bal risquait d'influer sur sa suite.

L'oeil agacé, le brun scruta la foule. Il avait égaré Cassio et Arctu dans le méli-mélo de cercles de danseurs plus ou moins doués et plus ou moins dans sa ligne de mire.

Grognant, il se mit en mouvement moins avec un objectif précis en tête que par réflexe d'agité. Près des boissons, un de ses camarades d'Infanterie finissait son verre. Othello... Non, Ocelot, ou un truc du genre avec des O et un E au milieu. Attrapant une bouteille un peu au hasard, le Selkie re-remplit le verre de Moineau, celui d'Ocelot et le sien sans demander son avis à qui que ce soit, le leva pour trinquer. Il trempa cependant à peine ses lèvres dans la boisson.

"J'ai perdu de vue Cassio, si vous la voyez passer..."

Pas que son officier ait l'air du genre à faire pire que lui marcher sur les pieds par mégarde, mais bon.

"Pas tenté par la danse ?" tenta-t-il en guise de platitude de coutume vers son camarade. "Ou par une évasion ?"

Après tout, il était obligatoire de venir au bal, pas d'y rester éternellement.