"Ah, chouette ! Il était où, par terre ?"

- Il s'était coincé à la vis de la chaise.

Un coup d'oeil à la chaise fautive. La vis qui dépasse du siège est fourbe. Quelques millimètres. Invisible ou presque. Elle est juste à peine trop desserrée pour ne pas être remarquée, mais à peine trop c'est trop. Elle plante ses crocs dans les collants des dames quand elles s'asseyent, pince les cuisses nues quand elles se relèvent. Elle s'accroche aux pantalons et y fait des accrocs sans scrupule. C'est plus mesquin qu'un pied de table.
Cendre se penche de nouveau dessus. Une seconde plus tard, la vis est resserrée. Ça évitera que d'autres ne s'en plaignent.

Puis le collier.

- Reparo.

Les fragiles maillons de la chaîne se ressoudent. Elle la passe à son cou pour éviter de la perdre de nouveau, en prenant soin de faire glisser le long pendentif sous son tee-shirt. Le métal est glacé contre son sternum.
De nouveau, elle se penche sur la recherche du briquet. Plus le temps passe, plus elle se convainc qu'elles ne trouveront rien de plus ici, et peut-être nulle part ailleurs. Pas au sol du moins, quelqu'un a du le ramasser. fouiller vainement le réfectoire le leur confirme.

- Allons aux panneaux.

La Blanche ne devait-elle pas partir se coucher après ça ? Enfin qu'importe.
Cendre lui tient la porte, puis ferme derrière elles. Ça soulève un courant d'air frais qui lui hérisse l'échine. Dans le couloir, elle réfléchit à la meilleure manière de laisser un mot aux elfes de maison. Un bout de papier abandonné sur une table, à la portée de tous, serait à la portée de tous. De toutes les mains maladroites, les curieuses et les mesquines, qui pourraient chaparder le message, le modifier, le brûler, ou n'importe quoi d'autres, faites marcher votre imagination.
Punaiser son annonce au panneau ? C'est un projecteur qu'elle dirige sur sa propre personne, une lumière pour faire fuir les ombres dans lesquelles elle se tapie. Ça la tente moyen.
Elle ira peut-être toquer aux cuisines. Là bas, les enrôlés ne s'attardent pas, ou moins. Ils n'ont pas grand chose à y faire, tandis que les elfes de maison, si. Ca ne vaut pas la certitude de les croiser à leur village, mais ça lui assurera au moins de ne pas finir aux cachots. Les chaînes et les barreaux ne l'ont jamais fait rêver.

Le silence accompagne leurs pas. Ce n'est pas pour la déranger, ainsi elle a tout le loisir de réfléchir. La nuit lui a toujours apporté un réconfort qu'aucune étreinte n'a jamais su concurrencer, un réconfort bercé d'angoisses, car du néant les pires pensées émergent toujours. Ce sont des requins qui viennent sillonner une mer de songes paisibles, une nageoire acérée qui en déchire la surface inerte.

Le panneaux est vide, ou presque. Trois objets perdus qui datent certainement de l'avant guerre et des instructions adressées aux nouveaux enrôlés. Rien d'intéressant.

Une récompense ?
Cendre laisse ses sourcils se froncer imperceptiblement. Arcades sensibles que la désapprobation rend loquaces.
Elle n'a jamais aimé ce principe. Se reposer sur l'avarice des uns plutôt que de la bienveillance des autres, alimenter ce comportement en le récompensant. C'est la dure réalité de ce monde, elle en a conscience, mais ça la débecte. Les initiatives désintéressées, ça devient plus rare qu'un Boutefeu Catalan.
Hors de question qu'elle y participe. Mettre un prix sur un souvenir, c'est impensable. Elle préfère encore céder à un chantage imposé que proposer de son gré d'en être la victime. Et encore, elle a tendance à expédier les dits chantages de manières quelques peu .. pétrifiantes.
Elle secoue la tête brièvement pour indiquer son refus.

« Pas de récompenses. »

Elle tire sur le pan de sa veste pour remonter la laine sur son épaule. Vêtement trop grand, délavé. Lui aussi, il a fait la guerre. Il est rêche, un peu distendu, les coutures des manches ont lâché et il y a une brûlure de cigarette vers la poche trop large. Elle aurait pu en changer quinze fois. Les elfes peuvent leur fournir d'autres vêtements, elle aurait même pu s'en procurer avant de venir. Mais non. Pour ça aussi, l'idée ne lui a pas traversé l'esprit. Il y a des choses nécessaires, qui méritent un investissement conséquent. Une baguette fiable, une potion explosive, un artefact discret. Des clopes. Le reste, c'est accessoire. Elle se suffit de peu, elle fait avec, et elle s'adapte. Si elle ne retrouve pas son briquet, eh bien advienne que pourra. Elle fera son deuil, puis cherchera auprès de Cloporte s'il ne pourrait pas lui en trouver un autre. Même si elle ne peut plus fumer -elle sait qu'elle va devoir arrêter incessamment sous peu- jouer avec la zippo la détend. Sauf quand ça agace ceux qui l'entourent, et qu'on le lui reproche, à coup de claquement de langue agacés, de "tss" impératifs et d'injonctions frustrées. Plus que le mouvement de son pouce qui fait basculer le couvercle, c'est la flamme qui jaillit qui l'apaise.

- Je peux m'occuper de Snidget et Zouwu aussi. Ne t'ennuies pas davantage avec cette histoire.

Pourquoi le ferait-elle d'ailleurs ?
Bienveillance ? Pourquoi ? D'accord, la bienveillance existe encore, oui. Mais pourquoi c'est elle qui devrait en être bénéficiaire ? L'occamy n'a rien fait pour. Et puis elle n'aime pas ça. Après, elle se sent redevable. Si elle est redevable, elle rend service, elle y met du coeur, puis de l'affection. Autant s'arracher le palpitant tout de suit, en tant de guerre c'est du pareil au même.

Ses jambes se remettent en mouvement. Rien au panneau, direction la sortie pour rejoindre les dortoirs. La fatigue ne se fait toujours pas ressentir, elle aura une raison de poursuivre ses recherches. Elle ne peut pas en dire de même de flocon de neige. Elle la sent se lasser, normal. Elle n'a rien à faire là, et Cendre à l'impression de tirer sur l'élastique de son élan de générosité. Avec ça, la studieuse sorcière blanche en aura même oublié ses dernières leçons, dommage quand on sait que le sommeil, après une lecture, permet une mémorisation bien plus conséquente que si le cerveau avait eu l'occasion de réfléchir à autre chose entre temps.
Plus elle y pense, plus la sorcière à la sensation que la note s'allonge. Encore un café, et elle paiera double tarif. Pour une aide dont elle aurait pu se passer, finalement.

Pensée honteuse qu'elle chasse.

« Je vais faire les Snidget. »

C'est une affirmation. Dans ses yeux, dans sa voix. Flocon-de-Neige devient inflexible, sans être autoritaire. À croire que ses branches sont peut-être un peu aiguisées, finalement. L'idée que Morceau-de-Coton ne soit pas juste un morceau de coton la rendrait presque moins inintéressante.

« Je les enlèverai moi-même. »

Oui. D'accord. Merci. Cesse de t'obstiner, tu en as déjà fait beaucoup, et puis je peux me débrouiller. Je préfère me dérouiller.
Tout ça, c'est contenu dans ces cinq mots. C'est toutefois en les prononçant qu'elle prend conscience que la dernière proposition seule sera interprétée.
Parfois, elle déteste l'esprit humain, étriqué dans son analyse sommaire d'un échange pourtant si complexe.
Après un bref silence à jauger s'il valait mieux qu'elle précise le fond de sa pensée ou non, la snidget reprend la parole, coupant alors toute possibilité de clarification.
Un "au revoir", et puis un "prend soin de toi", enfin un truc qui veut dire tout pareil, qui lui semble incongru. A-t-elle si mauvaise mine qu'il faille lui conseiller de se reposer ? C'est la blanche qui s'abimait les yeux sur les lignes serrées d'un ouvrage aussi grand qu'elle au beau milieu de la nuit après tout, elle, elle essayait de dormir.

« Je peux te retourner la politesse. »

Son ton est plus monocorde que ce qu'elle pensait. À ses oreilles, sa "politesse" semble hostile, et cette sensation d'ingratitude revient lui pincer le poumon. Cette fois-ci, elle essaie de se rattraper.

« Mais oui. Je t'informerai. Bonne nuit. »

C'est tout. C'est suffisant.
L'occamy pousse la porte du hall. Le froid d'une nuit trop avancée s'engouffre dans son gilet.