Il garda son attention sur ses fioles par professionnalisme et afin de ne pas l’épier, de ne pas la mettre mal à l’aise. Il savait que le chemin pour lui permettre d’aller mieux ne se ferait pas en un instant et qu’à trop insister, il pourrait risquer de la braquer. Qu’elle ne se confie plus à lui, même s’il savait bien qu’il était loin d’etre son confidant, mais qu’elle le fuit peut-être. Ce qu’il ne voulait pas. Elle sans doute plus que les autres, chassant la pensée le moment où elle lui traversa l’esprit. Ce n’etait ni le moment, ni le lieu. Le fauve sur sa peau poussa un grognement, traduit par une série de vibrations, intimant au medicomage de se concentrer; il n’avait pas besoin du rappel, mais il comprenait le sentiment derrière celui-ci.

La question lui fit relever la tête, un fin sourire sur son visage. Conversation d’usage. Il ne se questionna pas sur l’intere qu’Aubépine portait à sa question; il la savait maintenant assez intelligente pour ne pas s’embarasser de sujets qu’elle jugerait complètement inutiles. En parler ne le dérangeait pas non plus. « Mes tâches n’etaient pas les mêmes, oui. » Il expliqua donc avec un hochement de tête avant de fermer soigneusement les fioles pour que les mélanges agissent. « J’etais plus souvent sollicité sur des blessures graves et des infections que sur des examens de suivis. Des naissances et des décès, également. Ceux avec qui je partageais la jungle était parfois très méfiant de ma présence parmis eux, surtout les moldues. Les poches de résistants également au gré des traîtrises qu’ils subissaient. »

Il retourna à son bureau, s’y adossant avec sa posture habituelle, nonchalante à souhait. Attendant tranquillement qu’elle se rétablisse pour continuer sur le test d’effort et de stress qu’il savait fatiguant, d’autant plus après la prise de sang qu’il venait d’effectuer. Bien que fait exprès pour forcer le corps des enrôlés dans certains retranchements, il se montrait néanmoins prudent. Et patient. « Comment te sens tu? Est-ce que tu peux te lever et faire quelques pas dans la pièce? »

Elle l’écouta. Cela faisait partie de ce qu’on lui avait enseigné, écouter un homme comme s’il était la huitième merveille du monde et elle le faisait sans y penser, sans le regarder, sirotant son thé alors que son esprit rationnel, sous le masque, enregistrait les informations. Elle appréciait le faire parler de la jungle. Elle avait l’impression qu’il l’emmenait avec elle dans ce lieu loin du Domaine, une sorte d’enclave irréelle où ils n’étaient que tous les deux. Et c’était agréable. Même si elle n’avait aucune idée de ce que cela avait pu être à vivre. Même si elle se plaisait ici. Même si c’était un peu stupide, au fond, comme pensée. Au moins cela coupait le silence et jamais personne ne s’ennuyait à parler de lui. Ca, c’était une leçon de salon qu’elle n’oublierait jamais. Les gens aimaient partager leurs mondes. Même les plus secrets devaient s’en empêcher. Alors, la meilleure façon de se faire oublier, ce n’était pas d’être silencieux, non, c’était de s’intéresser aux autres. Et elle avait l’impression que cela fonctionnait. Qu’il ne pensait plus à son poids. Elle termina la tasse, levant les yeux pour le vois adossé à son bureau comme il l’était souvent contre la serre ou un arbre. Elle ne pu s’empêcher de sourire. Le morceau de fruit, à peine à demi-grignoté gisait là, entre eux. Il eut la délicatesse de ne rien dire, reprenant simplement sur la routine de l’examen.

« Je me sens bien, merci. » Elle avait la chance d’être jeune et en relativement bonne santé, poids mis à part et ce n’étaient pas ses premières prises de sang. Elle sourit doucement, réellement, pour le rassurer, se leva, fit les quelques pas demandés, puis une volte en pointes, juste pour le plaisir, regrettant une nouvelle fois d’être en jean et non en jupe. Elle termina par une profonde révérence et un nouveau sourire, un peu mutin. « Et je suis à votre service, Messire. » Pour la suite de la visite exclusivement. Cela allait clairement sans dire.

Il avait constaté le bout de fruit à peine grignoté, mais la tasse d'Aubépine semblait partiellement vidée, assez pour qu'un peu du miel sucré ait pu la requinquer quelque peu. Même s'il aurait espéré qu'elle ait mangé plus, il savait que la réprimander à ce sujet ne servirait à rien pour le moment. Et puis, que pouvait-il vraiment lui arriver de pire pendant le temps de sa visite? Qu'elle s'évanouisse? Ce n'est pas comme si Lancelot n'avait pas les réflexes pour la rattraper avant qu'elle ne touche le sol et qu'il ne serait pas capable de l'aider si c'était le cas.

Elle sourit. Il ne savait pas pourquoi mais le fait que l'air contrarié de tout à l'heure ait disparu des traits de son visage était suffisant. Et ce fut à son tour de sourire alors qu'elle se levait et tournoyait sur elle-même avec toute la grâce d'une danseuse. Qu'il supposait qu'elle était, maintenant qu'il la percevait un peu mieux, de son maintien aux poses qu'elle prenait parfois lorsque son corps se relâchait de façon toute relative. Le sourire de Lancelot était brillant, rieur, à nouveau aussi familier que lors de leurs matins.

"Let's put that to the test then, shall we?" Anglais pur car l'expression était celle qui se rapprochait le plus de la suite des exercices, qu'il savait qu'elle comprendrait même sans les pâtisseries leur permettant de converser sans souci. Il lui fit signe de la suivre jusqu'à un endroit dégagé de la pièce où se trouvait au sol un simple tapis. Il avait l'air plutôt ancien, légèrement ouvragé, pas poussiéreux pour autant. "Il te suffit de te placer au centre. Il fonctionne sur le même principe qu'un tapis de course moldu. Je vais te demander de commencer à marcher à ton rythme et d'essayer de suivre lorsque le tapis accélère ou ralentis. Il ira forcément au-delà de ta limite, et le but n'est pas que tu t'écroules ou que tu te pousses au-delà de tes forces. Je souhaites surtout connaître cette limite. Et bien entendu, si tu te sens mal à n'importe quel moment, on s'arrête. D'accord?"

Elle aimait son anglais véritable, celui qu’il utilisait avec un accent parce que c’était le sien et pas celui de la pâte de fruit. Lors de leurs matins, de leurs moments, elle lui avait parlé tour à tour français, anglais, russe, et même une fois arabe. Les livres en gaélique, en turc et en tchèque étaient plus rares, plus durs à trouver. Quant au Mandarin, elle ne le pratiquait pas assez bien, encore, pour tenter une lecture. Un jour peut-être, elle s’amuserait à déclamer du Cicéron dans le texte, rien que pour le voir sourire ainsi, avec cette chaleur pleine de lumière qui, d’un coup, semblait chasser des nuages sur son visage. Elle était contente que la gêne se soit dissipée. Contente mais toujours assez inquiète tout de même de la suite des opérations. Les tests d’effort, elle n’en avait jamais fait. Elle savait qu’elle avait un cardio assez bon. La danse ne lui posait pas de problème et elle veillait à faire de l’exercice physique régulièrement, ou du moins aussi régulièrement que possible au vu de son emploi du temps et de sa corpulence trop lourde qui l’empêchait d’arriver à ses fins.

« Oui Messire. »

Docile cependant, elle posa ses pieds nus sur la laine rêche du vieux tapis et commença. Elle n’aimait pas courir sur deux pattes. L’animal en elle se demandait ce qui les poursuivait et l’humaine trouvait l’exercice particulièrement assommant. Quand on court c’est qu’il est déjà trop tard. Au début, elle suivit cependant sans se plaindre les changements de rythme et de difficulté aléatoire. Rapidement, trop rapidement, son souffle se fit court. Et pourtant son pouls restait stable. Elle continua. Montée, descente. Elle avait déjà des gouttes de sueur sur le front mais quand même, elle ne pouvait pas arrêter maintenant. C’était simplement une question d’habitude, elle allait trouver son second souffle. Elle allait pouvoir continuer. Et puis, d’un coup, sa jambe arrêta de fonctionner. Ses yeux devinrent noir. Enfin ça devint noir autour. Ne pas tomber. Elle prit sur elle, encore. Pathétique. Elle était certaine que son résultat était pathétique. Elle espérait qu’il mettrait ça sur le compte de la prise de sang et pas sur la paresse parce que, vraiment, sincèrement, elle avait fait de son mieux.

« Je dois arrêter. »

Elle fit ce qu’elle put pour descendre de l’objet, ignorante de ce maintien qu’elle avait encore, qu’elle avait toujours et qui l’épuisait au passage. Elle ne comprenait pas pourquoi sa jambe ne voulait plus obéir, trop perdue pour sentir la douleur pourtant lancinante de la crampe. Elle déglutit, voulu se rapprocher encore de la chaise mais quelque chose devint noir.

(Elle avait perdu pendant quelques secondes le contrôle de ses gestes. Se retrouvant soit assise par terre, soit dans les bras de Lancelot si celui-ci a été assez rapide pour la rattraper. La perte de connaissance a été extrêmement courte, le temps d’un battement de cœur.)

L'intérêt de l'exercice étant de laisser les patients déterminer eux-mêmes lorsque leur limite était atteinte, Lancelot savait qu'il ne pourrait intervenir à moins qu'elle montre des signes de détresse évidente qui pouvait lui faire penser qu'elle risquait de se faire mal. Des signes d'épuisement étaient présents, un souffle court, sa pâleur, la sueur sur son front. Ses gestes étaient étrangement coordonnés - il pense à la danse - mais son rythme irrégulier. Il la soupçonnait de ne pas se rendre compte de l'énergie demandée par ces simples gestes qu'elle effectuait ou tout du moins, de fausser la donne. Plusieurs fois, il dû se retenir de lui demander de ralentir ou d'arrêter l'exercice. Les autres s'arrêteraient d'eux-mêmes, et il devait effectuer le test dans son entièreté pour avoir les résultats qu'il souhaitait. Il serra la mâchoire et attendit.

Finalement, les mots qu'il avait attendu bien avant le temps et la vitesse qu'elle avait atteint alors qu'elle descendit du tapis sur des jambes très clairement impactées par l'effort qu'elle venait de fournir. Il était resté sur le côté à surveiller ses signes vitaux et son avancement, il la rattrapa alors qu'elle manquait de trébucher et de s'écrouler, juste à temps pour accompagner le mouvement et l'empêcher de se blesser d'avantage. Un désarroi presque trop puissant le prenant à la gorge alors qu'il l'aidait doucement à s’asseoir sur la chaise, forçant son visage à rester neutre pour ne pas laisser entrevoir la peine qu'il ressentait, la colère sourde aussi, latente, qu'elle puisse s'être privée ainsi pendant si longtemps sans que quelqu'un n'essaie de l'aider.

Il se dit qu'il aurait réagit de la même façon pour d'autres. Il avait tort et raison à la fois.

"Reste assise pour le moment." Il lui indiqua doucement, posant par réflexe sa main sur le côté de sa nuque pour l'aider à rester droite et repoussant une mèche de ses longs cheveux qui lui tombait sur le visage, ne la relâchant que lorsqu'elle semblait revenue à elle-même. "Tu t'es bien débrouillée. Il aurait fallut t'arrêter un peu plus tôt, cependant. Est-ce que tu as mal quelque part?"

Elle rougit. L’effort, la fatigue. Sûrement. Peut-être aussi la gêne d’avoir dû être rattrapée, alors qu’elle menaçait de s’effondrer comme le gros tas de graisse qu’elle était devenue en Irlande. Elle s’efforça de reprendre son souffle, d’ordonner à ses poumons d’arrêter de pomper comme un pompier devant un ruisseau et de comprendre que ça irait, maintenant. Le test était terminé, ils pouvaient reprendre une activité normale. Il la relâcha presque trop tôt à son goût. Durant tout ce temps, elle avait gardé les yeux baissés, comme il convenait à une jeune femme de son rang lorsqu’un homme se trouvait si prêt, et qu’il ne fallait rien faire d’inconvenant. Comme toujours, l’éducation avait pris le dessus. La marionnette avait été docile, sage. Elle inspira profondément, tendant la main pour attraper le reste de thé dans la tasse. Elle se sentait déshydratée. Entre l’effort et le sang perdu, c’était normal. Boire calma un peu la chamade de son cœur. Elle réfléchit, faisant l’inventaire des signaux qu’elle arrivait à percevoir. Toujours honnête. « Ma jambe droite. » Elle retint un « je suis désolée » qui s’entendit, pensa-t-elle, dans le silence embarrassé qui suivit. Ce n’était qu’une crampe, cela partirait avec du repos. Allons, un peu d’effort. Elle n’en faisait pas assez et passait son temps à s’apitoyer sur son sort. Elle releva la tête, affichant un sourire on ne pouvait plus poli et aimable. Avec rien d’autre derrière que sa détermination habituelle, comme toujours.

« Si ce n’est pas abuser, je reprendrais bien un peu de votre thé. » Elle espérait vaguement qu’il ne pense pas à le sucrer au miel mais avait peu d’espoir là-dessus. Avec le sport qu’il semblait penser qu’elle avait fait, il allait forcément vouloir lui donner du sucre. Alors que son organisme dépensait si peu…et stockait tout. Elle fit un mouvement pour se relever, trouvant tout naturel de les servir tous les deux. Il n’était pas là pour jouer la maîtresse de maison et ce n’était pas grand-chose, pour une sorcière, que de verser deux tasses de liquide chaud. Normalement. Sa jambe protesta mais sa volonté lui permit de rester stable. Là. Ce n’était pas son idiot de corps qui tirait les ficelles.

Douleur probablement musculaire, une forte probabilité d'une crampe due à sa malnutrition et au fait qu'elle était déshydratée, le diagnostic s'afficha presque immédiatement dans son cerveau. Il allait lui proposer un verre d'eau, elle le devança en demandant du thé et lui fit hausser un sourcil alors qu'elle se levait d'elle-même presque immédiatement sans qu'il ne comprenne pourquoi. Ne tombait pas et réussit à se tenir droite, certes, mais le médicomage n'était pas dupe. Il se retint de placer une main sur son épaule pour l'équilibrer ou à contrario, la forcer à se rasseoir pour ne pas qu'elle s'épuise d'avantage: elle ne semblait plus sur le point de s'évanouir, mais restait tout de même trop pâle à son goût. Si c'était bien une crampe, rester immobile ne la ferait pas passer de toutes façons.

"Tu fais de la danse, si je ne me trompes?" Il dit alors, assez proche d'elle encore pour se trouver entre la chaise et le bureau. Classique au vu de son maintien, même s'il n'était pas entièrement sûr. Il avait côtoyé quelques danseurs et danseuses quand la frivolité et l'amusement lui étaient encore permis, ou lors de ses classes à Castelobruxo, et chaque style apportait une allure différente. "Si tu veux t'étirer un peu, sans te forcer, la douleur pourrait s'estomper. J'aimerais que tu le fasses, rien que pour vérifier qu'elle ne dure pas trop longtemps, en restant appuyée à la chaise si possible pour laisse ton corps récupérer. Rien d'intensif." Si la douleur ne s'estompait pas ou devenait pire, ce n'était pas une crampe et donc bien plus inquiétant. Son esprit était entraîné à sauter sur les scénarios moins plaisants, juste au-cas où, et laisser une enrôlé boiter après la visite médiale à cause d'un muscle froissé n'était pas le genre de publicité qu'il souhaitait aussi fraîchement arrivé. Ils apprendraient bien plus tard qu'il était aussi intransigeant avec leur santé que prompt à les juger s'ils la négligeaient, les forçant à trouver des solutions pour des maux simples par eux-mêmes avant d'intervenir si c'était nécessaire.

(Comme s'il se souciait de sa réputation ou pensait réellement qu'il avait quelque chose à prouver à qui que ce soit à ce sujet. Comme si c'était la raison de cet excès de zèle.)

ll se détourna donc pour lui laisser le champs libre et utiliser sa baguette à nouveau en la pointant vers la théière posée dans un coin, les herbes suivants, des gestes habituels qu'elle avait déjà constaté dans les serres puisqu'il se séparait rarement de son nécessaire de toutes façons. Deux tasses rapidement remplie, toutes les deux légèrement sucrées par habitudes et par nécessité; il ne lui avait pas laissé le choix, ils en étaient sans doute tous les deux conscients.

La question du médicomage la prit par surprise, au moins assez longuement pour qu’elle en oublie ce qu’elle était partie faire. Plus encore que la douleur qu’elle ne ressentait finalement pas tant que cela, c’étaient ces oublis qui montraient à quel point l’exercice avait épuisé son organisme. Elle n’avait pas assez de sucre pour penser dans le temps. Elle cilla, se rendant soudain compte de leur proximité mais s’interdisant d’en rougir. Elle n’était pas une adolescente en proie à des hormones mal venues, elle était simplement habituée à un plus grand espace vital, voilà tout. Elle hocha la tête. « J’en ai fait beaucoup oui, en grandissant. J’ai dû arrêter ces dernières années, ou du moins espacer les cours. »

A Dublin elle s’était inscrite à un cours de danse classique/contemporaine, pour le plaisir et aussi pour tenter de perdre du poids mais deux fois par semaine était bien loin de son heure quotidienne de Durmstrang. Elle devait à son professeur de ne pas oublier, cependant. Car tant qu’elle danserait, la demi-vélane survivrait, quelque part. C’était tout ce qu’elle pouvait faire. Elle le faisait donc. Doucement, elle s’écarta de l’Instructeur, frôlant son torse au passage de la paume de la main tandis que l’autre restait contre la chaise. Sans réfléchir, elle attrapa le dossier comme une barre de danse, de profil, en première, l’autre bras levé au dessus de sa tête et commença quelques figures faisant travailler en douceur le membre endolori, l’étirant alors qu’elle posait son pied sur sa fesse et se cambrait en arrière, inconsciente du morceau de ventre que son chemisier dévoilait. De toute façon, il avait tout vu. Rapidement, elle se perdit dans le plaisir simple de la danse, fredonnant sans s’en rendre compte une valse de Vienne. Elle n’avait pas une voix particulière, elle était légèrement rauque, un peu grave, chantant juste mais loin de la beauté des vrais chanteurs. Comme elle ne s’intéressait pas à cet art, elle s’en fichait un peu. IL lui avait reproché une fois son « timbre de fumeuse » bien loin de l’aigu cristallin qu’il aurait voulu pour sa fille mais…ce n’était pas comme s’il elle pouvait y faire quelque chose et elle avait laissé couler, pour une fois.

Petit à petit, la gêne disparu en effet et elle redescendit, en seconde, pliant les genoux dans le salut qu’elle faisait toujours, à la salle vide, lorsqu’elle s’entraînait. Elle termina son tour de la chaise, passant par l’autre côté avant de se rasseoir et de prendre une gorgée de thé. Le gout du sucre la fit grimacer. Elle préférait le miel. Bien élevée cependant, elle ne fit aucune remarque et recommença à boire. En silence. « Dansez-vous, Sire Chevalier ? Ou êtes-vous plutôt de ceux qui observent les festivité depuis leur place à l’ombre des feuillages ? »

Il ne put que l'observer alors que le thé terminait de se préparer. À ce moment précis, il était clair que la visite avait dévié de son axe formel et usuel pour laisser place au passage de sujets de conversation en sujets de conversation qu'ils affectionaient habituellement. S'il aurait pu se forcer à suivre le cadre stritct qu'il s'était lui-même imposé, il n'en voyait pas l'intérêt. Il pouvait perdre une heure entière à la regarder danser si cela était nécessaire. Il rattraperait du temps là où il pourrait, quitte à prendre un repas rapide avant d'enchaîner par la suite. Après tout, elle démontrait une pratique sportive et récupérait de l'exercice qu'il venait de lui faire faire, et la visite était déjà bien avancée. Elle arriverait à terme bientôt, il le savait. Il la revêrrait probablement dans plusieurs jours, une fois les visites médicales terminées, si elle se rendait toujours aux serres le matin.

Elle était gracieuse, appliquée alors qu'elle commençait à s'étirer. On en oubliait presque qu'elle était trop fine, qu'elle semblait pouvoir se briser avec un seul faux mouvement. Il en oubliait presque qu'elle venait de manquer de s'écrouler et qu'il avait dû la rattraper quelques minutes auparavant. Il n'aurait pas put ne pas l'admirer en ce moment, même si ses mains étaient occupées avec le thé, même s'il prétendait ne la regarder que du coin de l'oeil.

Il sourit à la question, presque un rire. "Est-ce une pointe de moquerie dans ta voix?" Demanda-t-il en premier, les bras croisés sur son torse, la tasse de thé à la main, la même nonchalance habituelle, adossé à son bureau plutôt qu'assis. Il était resté assis trop longtemps aujourd'hui. "Je n'ai pas pris de cours au sens strict du terme, mais tout bon latin se doit de connaître quelques pas de danse pour ne pas perdre la face. Je me débrouille."

Elle n’avait pas eu conscience de ses regards, perdue qu’elle était dans son sport, dans l’exactitude de ses poses. Une danseuse devait connaître chaque mouvement à la perfection, le répéter à l’identique afin que chaque représentation soit exactement semblable à la suivante et à la précédente. Elle reprit une gorgée de thé, notant qu’il était revenu à sa place, si proche d’elle et que, finalement, cela ne la dérangeait pas vraiment. Un peu d’amusement juvénile fit briller ses yeux bruns habituellement si sérieux. Pour une fois, son sourire semblait jeune, et elle faisait son âge. « Moi ? Me moquer ? De vous ? Voyons Messire, je n’oserais pas. » En vérité, sa question avait été sincère même si elle avait eu un autre but.  Celui d’oublier de parler de sa malheureuse performance précédente. Oui, il avait dit que ce n’était pas si mal, mais il avait été gentil, voilà tout. Elle sourit à nouveau, approbatrice cette fois et intéressée quand il avoua se débrouiller. Il faudrait qu’ils dansent ensemble, se dit-elle. La pensée fut chassée à peine émise. Elle ne savait pas pourquoi elle avait pensé ça. Peut-être parce que Sycomore n’aimait pas servir de cavalier et le faisait, certes, mais sans plaisir.  « Chacha ? Tango ? Flamenco ? » Un fin sourire. « Capoeira ? » Voilà qui lui allait déjà plus mais elle ne l’imaginait pas combattant. En réalité, elle ne l’avait jamais vu vraiment faire du sport. Il semblait toujours tranquille, jamais pressé, jamais du genre à courir. Et pourtant, il avait des réflexes. Elle leva les yeux vers lui. Et sourit. Sans trop savoir pourquoi. « Vous jouez d’un instrument ? » Puisqu’ils en étaient aux confidences et qu’il semblait disposé à lui répondre, elle aurait été idiote de ne pas en profiter. Cependant, elle choisissait sciemment des sujets neutres, inintéressant. Parce qu’elle voulait apprendre à le connaitre lui, en tant qu’homme, et pas à lui soutirer elle ne savait quoi.

Un rire court et bref, mais un rire tout de même, accompagna la dernière suggestion de la Dame et sa remarque sur son innocence. Il n'y croyait pas une seule seconde, mais c'était de bonne guerre rien que pour voir l'air malicieux qui s'affichait presque dans les yeux de la jeune femme, dans son sourire aussi. La complicité semblait s'être installée sur leur sujet de conversation. Lancelot reprit son sérieux pour répondre. "Pour la capoiera, même si la discipline est intéressante, je n'en aurais pas besoin sur le terrain et ce n'est pas le genre de danse auquel je suis habitué." Il expliqua simplement avec un petit sourire. Peu de personnes savaient réellement de quoi il était capable. Une ombre passa rapidement sur son visage alors que la pensée le traversa, même si elle avait été formulée differemment. Plus proche d'une question portant sur la réaction d'Aubépine si elle apprenait un jour l'ampleur de ce que Lancelot avait put faire il y a bien longtemps, ce qu'il pouvait encore faire puisque penser autrement était se voiler la face. Il chassa cette préoccupation de son esprit. "Pour les autres... Salsa, tango, bachata principalement. Entre autres."

Il avait appris au contact des autres, de sa famille, d'amis, de camarades de classes, d'amourettes d'un soir, de résistants aussi les rares soirées où ils tentaient tous d'oublier les horreurs de ce qui se passait autour d'eux, de ce qu'ils avaient faits. La seconde question, plus ou moins sur la même ligne, lui permit de ne pas trop penser à une personne spécifique alors que son esprit menaçait de conjurer des images plus douloureuses que plaisantes. Il secoua la tête. "Je n'ai jamais eu la patience d'apprendre à lire la musique comme certains peuvent le faire. Certains membres de ma famille se sont essayés au piano ou à la mandoline, je n'ai pas voulu leur rajouter un fardeau de plus." Ne pas penser aux longues soirées d'été passées dans la chaleur et les rires, la musique versée dans la nuit, les pas de danse esquivés, les moqueries de ses soeurs, bienveillantes alors. Il y arrivait plutôt bien, habituellement. "Et toi?"

Rires, sourires, et discussion sur des riens. Toutes ces choses qui étaient si rares dans son quotidien. A la Maison, on ne parlait pas de sujets frivoles. La plupart du temps, l’on ne parlait pas tout court à moins d’avoir directement été apostrophé par le Père. Il y avait eu des conversations avec Mère, à l’aube quand la maison était endormie. C’était surtout sur des secrets, des inquiétudes et des leçons, mais aussi sur l’amour qu’elle leur portait et qui n’avait jamais faibli. Des confidences à mi-mot, pour ne pas mettre en porte-à-faux les elfes de maison dont la loyauté allait au chef de Famille. Pour le reste, elle avait son frère. Ils discutaient du quotidien en paroles et de choses plus graves en sous-texte. Ils calculaient, débattaient, planifiaient. Ils riaient aussi, se moquaient ; d’eux, des autres, du monde qu’ils voyaient et qui ne leur convenait pas. La violence, la peur, la guerre cependant n’était jamais loin tout comme elle sentait le sujet affleurer parfois ici. La Capoeira n’était pas aussi anodine qu’il l’aurait fallu. Ses yeux se perdirent un moment dans le vague tandis qu’elle tentait de se remémorer les danses en question. Elle n’aimait pas le tango, trop figé, trop dominateur mais la salsa…elle eut une légère rougeur. La salsa elle voyait bien oui. Le Bachata allait demander de plus amples recherches. Elle regretta une nouvelle fois l’absence d’Internet sur le Domaine. 7 ans parmi les moldus laissaient des traces.

« J’aurais pu. Il est assez traditionnel pour les jeunes filles par chez moi d’apprendre le piano ou le violon. » Pour agrémenter les soirées de ces messieurs d’une belle silhouette faisant de la belle musique qui n’était qu’à peine écoutée puisque masquée par les propos si importants des Hommes. « Mais mes parents ont préféré que je me concentre sur l’apprentissage des langues et de la danse » et de la broderie et de la couture où elle était si mauvaise qu’il avait fallu de longues heures de rattrapage. Elle détestait faire ce genre de choses. « Jane Austen dans Orgueil et Préjugés décrivait une jeune fille accomplie comme quelqu’un qui fait du piano, chante, dessine, brode des coussins, peint des tables, et possède dans sa démarche une certaine élégance et posture. Malheureusement, je n’ai rien d’une Bennet, qu’il s’agisse de Jane, Elisabeth ou même Lydia. » Elle sourit, revenant du coup sur le sujet habituel de la lecture et des romans. « J’ai appris que les instructeurs avaient le choix de leur pseudonyme. Si vous me permettez…pourquoi Lancelot ? »

Sa réponse la laissa un instant songeuse avant qu'elle ne reprenne, se livrant un peu plus sur des sujets qu'elle avait déjà esquissé parfois, qu'il avait pu deviner. Son éducation par exemple qui transparaissait dans ses tournures de phrases, dans ses lectures, sa posture. La pureté du sang n'avait jamais compté pour lui qui n'était pas pur et à qui on avait appris que le mérite primait par dessus les anciennes fortunes. Il n'avait jamais été assez en contact avec ce monde pour en connaître les codes non plus, par volonté pure de contradiction face à des pensées souvent trop étriquées. L'image de sa soeur se brouilla dans son esprit pour repartir aussi vite, trop peu plaisante, trop douloureuse. Il l'avait perdu à ce monde qu'il jugeait néfaste, et la colère sourde qu'il ressentait encore refusait de se dissiper. Ne pas y penser était encore ce qu'il y avait de mieux à faire.

Cependant, il pouvait comprendre la pression familiale qui était évoquée ici, bien que ne l'ayant pas vraiment vécue lui-même. "Thank Merlin, not a Lydia. That would have been awfully boring and inconvenient in times like ours." Il se permit un léger sourire avant de secouer la tête. "Aurais-tu voulu faire autre chose alors?"

La question suivante le fit hésiter un instant, perdre quelque peu de cette nonchalance si habituelle. Surpris, peut-être, pris de court. Peu à l'aise avec la réponse qui s'afficha immédiatement dans son esprit, mais souriant tout de même. Un sourire un peu amer, las, mais authentique. "Par ironie, je pense." Le ton était plus cynique qu'il n'aurait dû face à la légèreté de la situation. "Lancelot est l'idéal que beaucoup de combattants aimerait à adopter. Avec un code moral strict, une volonté de protéger l'innocent. C'est... Une sorte de rappel, je suppose, de cet idéal." Un rappel nécessaire compte tenu de ce qu'il pouvait faire, de ce qu'il avait fait auparavant. Il laissa un silence planer pendant un léger moment avant de parler à nouveau. "Puis-je te retourner la question? Est-ce qu'Aubépine était un choix ou un pur hasard?"

Vouloir faire autre chose. Elle portait toujours sur le visage le sourire honnêtement amusé que lui avait invoqué l’exclamation de l’Instructeur – donc connaisseur de Jane Austen, un gage de qualité chez un homme – tandis que ses yeux devenaient songeurs, rêveurs. Elle n’était pas certaine de posséder cette capacité, celle de vouloir. Et puis quelle autre chose ? Rien ne lui vint. Elle n’avait jamais envié les autres. Elle n’avait jamais remis en question ce qu’on avait décrété pour son éducation. Elle s’était coulée dedans car elle n’avait pas le choix. Si elle voulait survivre. Si elle voulait que son frère le fasse aussi. On lui avait trop répété qu’elle n’avait pas d’existence à elle. Qu’elle était un surplus, une « surprise » non voulue. Que Sycomore était le vrai fils et qu’elle se devait de justifier sa présence en ce monde en remboursant tout ce qu’elle lui avait pris, bien malgré elle, quand elle n’était qu’un animal dénué de conscience. Toute cette nourriture, tout cet espace volé dans le ventre maternel. Et depuis, d’attention des parents. Elle n’était pas certaine de vouloir vraiment faire autre chose. Elle faisait ce qui devait être fait, depuis toujours et sans détourner le regard. Et quand il avait fallu fuir, avant qu’IL n’abîme pour toujours, détruisant son esprit comme il avait détruit son corps, elle n’avait pas pensé à ce qu’elle pouvait laisser derrière elle, elle avait réagit, comme toujours. Ils étaient rien l’un sans l’autre, deux faces de la même pièce. Penser à ce qu’elle aurait voulu d’autre…c’était quelque part penser à une vie sans lui. Et ça, ce n’était pas seulement envisageable. Son sourire se modifia légèrement pour redevenir poli, plus léger. Elle avait fait planer un silence, elle le savait, et ne voulait pas s’en excuser.

« Je ne pense pas. Je ne serais pas moi alors et… » elle s’autorisa un très léger haussement d’épaule malgré la vulgarité du geste « et je le suis. Je ne vois pas tellement comment l’exprimer autrement. » Car ce n’était pas qu’elle se sentait parfaite ni même qu’elle s’aimait comme elle était. Merlin savait à quel point elle s’était espérée mieux. Mais ce qui était…était. Peut-être était-ce le pragmatisme russe qui parlait. Elle nota le changement de position, la surprise, la réponse qui lui fit hocher la tête. Cela lui ressemblait bien. Il y avait en lui une autodérision permanente qui le protégeait des attaques extérieures et qu’elle utilisait de la même façon en sa présence. On peut dire des choses terriblement sérieuses si l’on plaisante dessus, n’est-ce pas ? Sur ce sujet, au moins, elle n’eu pas besoin de réfléchir.

« J’aimais bien le mot. Aubépine, en français. Aube et épines. Avec Sycomore, nous avions décidé de rester dans le thème des arbres à baguette, les animaux étaient trop révélateurs et nous voulions une consonance magique. Et puis…en langage des fleurs, l’Aubépine signifie « il est permis d’espérer » ce que je trouvais intéressant au vu du Domaine. » Et puis c’est blanc, commun, dur au niveau du bois, frêle au niveau de la fleur, étendu en Europe, en Russie et en orient. Plus difficile de savoir d’où l’on vient ainsi. « Lancelot est un plus que le simple chevalier blanc qu’on en a fait, c’est un personnage profond et complexe mais je suppose que vous le savez ? »

Il n'eut pas à coeur de corriger légèrement sa question pour lui faire comprendre que de choisir quelque chose qu'elle aimait aurait pu ne pas la changer entièrement, que tout n'avait pas à être aussi sérieux. Pas quand il ne savait pas s'il croyait lui-même en ces mots. Il avait assez vécu la guerre pour savoir que parfois, tous les choix mis bout à bout semblaient inéluctables. Lui-même avait été bien loti en réussissant à conserver ses deux passions aussi intactes que possible, côte à côte. Les sacrifices qu'il avait dû faire au vu des circonstances du reste de sa vie avaient, somme toute, été minimes. Il avait vieilli, aussi, mûri. Il aurait aimé conserver la danse, les rires, cette insouciance qui lui avait permis d'être aussi à l'aise auprès de parfaits inconnus il y a très longtemps de ça. Ce n'était plus le cas maintenant.

Il était, lui aussi.

Il hocha donc la tête, sourit légèrement à son explication. Nota distraitement que le nom choisit révélait à ses yeux plus que si elle s'était contenté d'une race de félin quelconque, bien que conscient du fait qu'il ne pouvait le savoir que du fait de la proximité qui était née entre eux ces derniers temps. Femme de l'Aube et d'espoir, en apparence inaccessible.

"Suits you." Il dit alors avant que son sourire se fasse moins songeur et plus amusé. "J'ai passé de nombreuses heures de ma scolarité dans la librairie de Castelobruxo plutôt que d'assister aux cours qui me déplaisaient. Étonnamment, ils avaient une assez bonne sélection de romans moldus, même si certaines des traductions laissaient à désirer." Il expliqua simplement, presque malicieux. "Je ne te recommande pas de suivre mon exemple, cela dit, mes professeurs étaient sans doute plus cléments que les instructeurs du Domaine à ce sujet."

Un coup d'oeil vers son bureau le ramena à la réalité, presque à regret. Il y attrapa le bandeau opaque qui y traînait là, reprenant une posture un peu plus professionnelle. "Prête à passer au test lié à ta réaction au stress? Il ne prendra que quelques minutes et ne devrait pas te demander trop d'efforts physiques."