Les premiers jours au domaine n'ont pas été particulièrement difficiles. Je me suis toujours très vite adaptée aux situations nouvelles. Bien souvent, le temps me manque cruellement lorsqu'il s'agit de tergiverser ou d'hésiter. Alors je me plonge corps et âme dans les missions qui me sont données, et je fonctionne très bien ainsi. Être instructive est un défi. Un défi que j'ai envie de relever. Je n'ai jamais enseigné auparavant, et je n'ai même jamais réellement pensé le faire. Maintenant que j'en ai l'occasion, je pense que je vais aimer ça. Même si la mission que l'on nous a donné est tout sauf simple et agréable. Apprendre à extraire et protéger les informations n'est pas une partie de plaisir, et ne le sera jamais.

Je ne tergiverse pas lorsque je reçois les ordres de me rendre dans la salle commune. J'abandonne momentanément ce que je suis en train de faire, et me met en marche. Ils ont été clairs. Je ne suis pas du genre à discuter, et je ne suis pas inquiète non plus. Je suis habillée d'une longue robe noire évasée élégante qui découvre mes bras depuis mes épaules. Le col est montant sans être étouffant. Mes cheveux sont détachés mais pas négligés. J'ai pris le soin de maquiller mes lèvres et mon regard, avant de rejoindre la salle commune à notre brigade. Je suis sereine, et j'arrive parmi les premiers à l'heure fixée pour le rendez-vous.

Il fait bon, dans la salle. Non pas que l'inverse eût été dérangeant. Je ne suis pas très sensible aux températures, qu'elles soient fortes ou basses. J'ai vécu les deux extrêmes, et si ce n'est pas agréable, ce n'est plus un problème. Heureusement, cette salle-là n'a rien à voir avec celles que j'ai pu connaître à de trop nombreuses reprises. L'ambiance y est déjà chaleureuse, et nous ferons en sorte de poursuivre sur cette voie. Je souris, détendue, et salue mes futurs étudiants - et enrôlés sous ma responsabilité. Je m'avance jusqu'aux consignes laissées près de la cheminée. Une fois que j'en ai pris connaissance, j'attends sur l'un des fauteuils, assise les jambes croisés près de la cheminée.

Mon sourire ne fait que s'accroître lorsque j'entends le bruit de la serrure que l'on verrouille. Ça ressemble à une sorte de défi. Ça me plaît. Si la décoration des dortoirs ne me concerne pas, j'ai mon mot à dire pour le reste, et je le ferai avec joie. Il m'apparaît important que tout le monde puisse se sentir à son aise dans ce nouvel environnement, et il est certain que je vais agir en ce sens. Chose qui ne s'annonce d'ailleurs pas aisée. Nous sommes tous de provenances différentes, et nos passés n'ont en commun qu'un seul élément : ils sont teintés d'évènements tragiques qui se lisent parfois sans mal dans le regard de mes enrôlés.

C'est là une raison de plus pour que nous fassions de ce lieu un endroit convivial et chaleureux, dans lequel tout le monde se sentira chez lui. Oui, c'est ça. Tout le monde doit se sentir chez lui. Nous ne sommes pas réellement chez nous, je crois que le directeur nous l'a bien fait savoir. Mais c'est ici que nous habitons pour le moment, et nous n'avons plus rien au-dehors. Ni proches, ni familles, ni vie. Nous sommes morts, nous n'existons plus. Nous ne sommes que des fantômes, en quelque sorte. Cette pensée ne me rend ni triste ni nostalgique. Au contraire. C'est un nouveau départ qui s'ouvre à nous, une chance inouïe que je compte bien saisir du mieux que je le pourrais. Je suis vivante. Nous sommes tous vivants. Et notre combat continue.

Notre combat continue, et c'est ainsi qu'il commence. Par une réunion, un premier contact entre nous tous. Peut-être resterons-nous ici pour des jours, des semaines, des mois ou des années. Qu'importe. J'ai dédié toute ma vie à combattre l'injustice, et la Cause est devenue ma Cause. Je m'autorise à fermer les yeux un instant, ce sourire éclatant toujours sur mes lèvres, mon être tout entier rayonnant de sa propre chaleur, et d'une joie qui ne saurait être feinte.