Cours d'extraction et de protection de l'information [EVALUATION

Il est tôt lorsque je pénètre dans ma salle de classe. Aujourd'hui est un jour important. Un jour d'évaluation pour deux spécialités qui n'ont pas eu le même nombre de cours jusqu'à lors. Cette hétérogénéité me convient très bien ainsi. Je pose mes affaires sur mon bureau et entame la préparation de la salle pour la journée que je vais passer avec les enrôlés. J'ai disposé trois tables tout en longueur devant mon estrade, avec une quantité impressionnante de matériaux diverses qui seront laissé à leur disposition. Je suis prête plus d'une heure avant le début du cours, et je m'installe à mon bureau en attendant qu'ils arrivent tous. J'en profite pour revoir les derniers détails.

Dans un premier temps, les épreuves que j'ai prévu permettront d'évaluer à la fois leur ingéniosité, leur débrouillardise, leurs capacités à travailler dans l'urgence tout en restant efficace ainsi que la manière dont ils interagissent entre eux. Nous verrons ensuite ce qu'ils ont retenu de mes cours précédents, et ce qu'ils peuvent en tirer sur la pratique. Puisque, si la théorie est primordiale, il ne faut pas oublier que le but final est qu'ils soient prêts à affronter le monde extérieur, et les situations les plus critiques dans leur vie.

Les premiers étudiants commencent rapidement à arriver et je salue chacune d'entre eux par leur nom avec un grand sourire. Les enrôlés en intelligence sont ceux qui ont connu le plus de mes cours. Ils ont déjà une bonne base théorique, et ils ont été confrontés à des travaux pratiques plus ou moins désagréables. On n'extrait malheureusement pas des informations en faisant des bisous à sa cible. Les médics ont aussi une base théorique, mais moins poussée que les premiers. J'ai privilégié la pratique - comme pour les intelligences, mais puisqu'ils ont plus de temps, l'équilibre entre pratique et théorie est plus simple à maintenir.

Lorsque l'heure de début du cours sonne, je me lève et fais face à tous les étudiants. Je les regarde un à un, cherchant à prendre la température et à connaître l'état d'esprit de chacun. Après quelques seconde de silence, je fais un mouvement du poignet. La porte au fond de la classe se ferme en un claquement. Je souris alors aux jeunes gens.

- Bien. Bonjour à tous, et bienvenue. J'espère que vous avez tous bien déjeuné ce matin et que vous vous êtes préparés moralement à ce que nous passions toute une journée ensemble.

Je marque une légère pause, toujours souriante, et je prends le temps de balayer une nouvelle fois la salle du regard.

- Vous avez été répartis par binômes composés d'un enrôlé spécialisé médic et d'un enrôlé en intelligence. Lorsque j'aurais terminé mes explications, je ferai apparaître le nom de votre binôme devant vous et vous pourrez commencer.

Je quitte ma place pour aller m'asseoir sur mon bureau, et je sors ma baguette en visant le tableau noir.

- La journée va se dérouler en trois étapes. Premièrement, chaque binôme devra trouver une manière d'extraire et de protéger une information grâce à une potion, une plante, ou un sortilège. Vous devrez choisir deux moyens différents parmi les trois cités. Lorsque ce sera fait, vous viendrez me présenter ces deux moyens, en me donnant les informations que vous avez pu recueillir à leurs sujets. Je vous donnerai alors mon accord ou non. Bien évidemment, tout ce que nous avons déjà vu en cours ne sera pas accepté.

Pendant que je parle, la craie note les points importants sur le tableau.

- Deuxièmement, chaque binôme devra trouver, fabriquer ou apprendre les deux moyens choisis. Dans le cadre d'une potion qui serait trop longue à fabriquer ou d'une plante que vous n'auriez pas trouvé dans les serres, il suffira de venir me voir et je vous dirai quoi faire.

Je marque une pause et les regarde.

- Troisièmement, l'efficacité de votre travail sera appréciée par des essais pratiques, sous forme de jeux de rôles. Vous serez désigné au hasard pour passer dans le rôle de l'extracteur ou dans le rôle du protecteur. Un secret sera alors remis au protecteur. A l'aide de vos préparations et de vos connaissances, l'extracteur devra découvrir le secret que garde le protecteur, et le protecteur devra tout faire pour qu'il n'y arrive pas. Si tout est clair pour vous, nous n'allons pas perdre davantage de temps.

Je me relève range ma baguette et m'avance vers eux.

- Je veux voir de l'originalité, de l'entraide, du travail d'équipe et de l'ingéniosité ! Et n'oubliez pas...

Mon sourire se fait plus dur. Le silence plane un instant.

- Si vous trichez, je le saurais.

Je claque dans mes mains et mon sourire se fait lumineux à nouveau.

- Bonne chance à tous, et je reste à votre disposition si vous avez besoin d'aide !

Déroulement du cours:

J’ai déjà eu plusieur cours avec Miss Morrigan, même si je sais que mes camarades dans l’Intelligence la voient bien plus souvent. J’aime sa façon d’enseigner, même si la matière qu’elle enseigne me donne parfois du fil à retordre - je n’aime pas faire souffrir, mais cela est parfois nécessaire pour extraire des informations. Ainsi, j’anticipais toujours un peu les cours pratiques, de peur que je doive torturer quelqu’un d’une façon ou d’une autre. J’anticipais aussi le fait que si je refusais d’employer des moyens plus violents, j’allais être recalée.

J’arrive dans la salle de cours la première. Je murmure mes salutations à l’enseignante et attends debout au milieu de la salle de cours que les autres arrivent, puisque nous ne savons pas encore à quelle table nous allions nous asseoir. Les autres arrivent peu de temps après moi, et Miss Morrigan se met donc à parler.

Je porte toute mon attention sur ce qu’elle dit, hochant la tête de temps à autre pour appuyer le fait que je comprends ce qu’elle attends de nous. Le cours promet d’être intéressant, mais la partie pratique m’effraie un peu. J’espère que la personne avec laquelle je serais mise en groupe n’aura pas d’idées sadiques pour notre choix de sortilège. J’étais à peu près sûre de pouvoir être responsable de la potion ou de la plante que nous allions choisir, donc cela m’intimidait moins. J’étais bonne en herbologie et en réalisation de potions, alors j’ai hâte de pouvoir me rendre utile. En revanche la troisième étape… J’en frissonne d’avance. Je n’ai vraiment pas hâte d’y être, cependant je sais que je ferais de mon mieux pour y arriver. J’espère juste ne pas avoir à blesser l’un de mes camarades dans le processus.

En regardant autours de moi, je jauge les autrs élèves. La seule que je connais est Aubépine. Même si nous ne nous connaissions que depuis quelques jours, j’espère que nous seront mises en paire, je pense qu’on pourrait bien bosser ensemble. Alors que Morrigan annonce le début du cours, le nom d’Aubépine apparaît en face de moi, et un sourire s’étale sur les lèvres. Parfait, je n’ai pas besoin de rencontrer quelqu’un de nouveau, et je peux sauter la case embarrassante des présentation et me mettre au travail directement. C’est un véritable soulagement. Je me mets donc en marche vers la brune et lui sourit poliment. “Hey. On dirait qu’on va travailler ensemble aujourd’hui. J’espère que ça te va.” Je suis quand même timide et un peu bizarre; mais beaucoup moins que si c’était un total inconnu.

C’est un matin comme les autres, ensoleillé, calme. Après un début dans les serres comme c’est devenu une habitude, Aubépine a joué avec son bol de céréales et bu deux bonnes tasses de thé noir bien chaud pour se réveiller de l’intérieur. Aujourd’hui, il y a un léger changement dans la routine du Domaine. Aujourd’hui, elle n’aura pas de petit moment dans les bras de son frère comme elle en a pourtant tous les jours depuis le début des cours. Les jumeaux n’en sont pas ravis, ils n’aiment pas se quitter, mais ce sont les ordres et ils savent bien que protester ne leur vaudrait que plus d’ennuis. Doucement, Aubépine serre la main de son frère dans la sienne. Même séparés, ils sont toujours ensemble, après tout. Elle attrape un morceau de toast, en grignote le coin puis, avec un soupir, se lève.

Pour l’examen de Protection des Informations, la jeune femme ne se prépare pas spécialement. Elle a pu admirer, au cours des heures passées avec elle au moins de juin, l’intelligence et la psychologie de Morrigan. Une femme qui sait ce qu’elle fait, et pourquoi. La plupart des instructeurs sont ainsi, bien différents des intellectuels et des chercheurs qu’elle a fréquentés jusque-là. Cela lui plait. Elle aussi sait ce qu’elle fait et pourquoi. Et si elle n’est pas foncièrement douée en botanique ou en potion, elle sait garder un secret, elle sait la dose de vérité qu’il faut mettre dans un mensonge et son amour des langues et des énigmes lui permet facilement de coder des informations. On ne passe pas sa vie à regarder par-dessus son épaule sans apprendre deux ou trois choses. Elle attrape son nécessaire à écrire non-enchanté (ainsi on ne pourra pas détourner sa plume pour connaître ses derniers gribouillages), un livre, elle attache ses cheveux en une tresse de côté qu’elle termine par un élastique brun, vérifie que sa longue jupe en lin rouge et son chemisier blanc tombent correctement, et, sac besace sur l’épaule, elle se glisse dans la masse de ses camarades de spécialité. Elle ne salue personne, personne ne la salue, les « intelligence » ne sont pas parmi les enrôlés les plus sociable. Malgré tout, elle salue de la tête son instructrice, toujours polie, le masque sur son visage ne laissant passer que l’indifférence qui lui est habituelle. Tranquillement, elle se trouve un coin, près d’un mur sur lequel elle pose son dos, quitte à devoir tourner la tête. Sans son frère, jamais elle ne s’expose à découvert. C’est devenu naturel, chez elle.

Elle observe ses camarades. Médics et Intelligence enfermés dans la même salle pour huit heures de rang, les plus sûrs d’entre eux affichant un sourire condescendant envers les moins formés. Stupide, l’instructrice connait les différences de niveau et trouvera un moyen de les aplanir. Sans se soucis davantage de ses camarades, elle attrapa sa plume, un support, un parchemin et commença à noter les consignes. Travail en binôme hein. Elle regarda autour d’elle. Aucun miracle, son frère n’était toujours pas là. Elle soupira. Dans ces conditions, le nom de la personne avec laquelle elle serait lui était bien égal. Elle hocha la tête, potion, botanique ou sort hein. Dans son cas, c’était vite fait. Malgré les connaissances que Lancelot lui distillait parfois à son corps défendant durant leurs discussions aurorales, elle restait peu douée en botanique, et moins encore en potions. C’était ainsi. Cependant, les médics, eux, étaient censés l’être alors autant en profiter.

Pourvu qu’on ne la colle pas avec un membre du fan club du médicomage, ça allait l’agacer ça.

Pourvu qu’on ne la colle pas avec Althariaa. Ce serait encore pire.

Elle soupira, remettant une mèche de cheveux derrière son oreille. L’annonce de Pluie la soulagea plutôt. Elles ne se connaissaient que peu mais la snidget était intelligente une fois son manque de confiance en elle oublié. D’ailleurs, la voilà qui s’approchait d’elle, souriante.

« Ca ira. » répondit-elle avec un sourire poli, légèrement amusé par la tournure de phrase utilisée par sa camarade. Pourquoi est-ce que ça la dérangerait ? Ce n’était pas comme si elle avait le choix, et d’une, ni qu’elle la détestait, et de deux. « Pour commencer, je te propose qu’on s’éloigne de cette table, qu’on se trouve un coin pour travailler et qu’on se fasse une bulle d’insonorisation. Ces « idées » sont des pièges, cela montre qu’on n’a pas su trouver toutes seules et puis de toute façon, tout le monde va les prendre. On vaut mieux que ça. Tu me suis ? » Elle lui montre un endroit dans un coin au fond libéré alors que la foule se presse vers la table ou commence à échanger des gentillesse avec son binôme. Le bruit est d’ailleurs un peu gênant. Bah. D’un geste de sa baguette et d’un sort murmuré, la jeune femme comme entre elles trois tables et s’assied en tailleurs sur l’une d’elle. Toujours dos au mur. On ne se refait pas. Elle laisse Pluie la rejoindre et lance le sort les isolant du monde extérieur.

« Tu as des idées ? »

J’arrive pas à décider si j’aime les cours et Morrigan, ou si je les déteste de tout mon cœur. Y a des jours j’y vais à reculons, des jours où j’y vais en sautillant. Aujourd’hui c’est plutôt un jour sans. J’ai peur de ce qui va nous tomber sur la gueule cette fois-ci. Je devrais pas, ici on est en sécurité après tout. C’est pas comme si elle allait vraiment utiliser les informations qu’elle arrive à récupérer et nous tuer ensuite, heureusement, par contre les Doloris on se les prend vraiment dans la gueule. Je déteste ça. C’est pas fait pour qu’on aime, remarque. En plus aujourd’hui c’est une évaluation, qui sait ce qu’elle a prévu…

La préparation morale meh, on va dire que ça va malgré tout, mais prendre un petit-déjeuner avant les cours de Morrigan ? La blague. C’est toujours l’horreur ses cours, ils sont toujours trop près d’un repas, tu sais jamais si tu dois manger et ensuite dégobiller, ou pas manger et tomber dans les pommes. Et quand tu commences la journée sur un Doloris – après une heure à cracher tes poumons au sport histoire de te mettre en condition, encore heureux j’ai des exercices adaptés à ma condition physique en carton – bon courage pour suivre jusqu’au soir. Enfin. Il faut. En face si on se fait choper ils nous renverront pas à la maison pour le goûter. Et puis en vrai… j’exagère. On s’habitue. Pas au Doloris, pas encore en tout cas, mais aux cours d’extra-pro. J’ai eu mon lot de dégueulasseries au pays, après tout.

Je salue Morrigan d’un sourire, et j’écoute les consignes. Je sais qu’en arrière-plan, ça commence déjà à réfléchir.

J’aime pas les binômes, j’aime pas introduire une variable de plus, un traître potentiel, un maillon faible qui me fera défaut, un maillon fort qui se mettra en danger pour moi. Il faut aussi que j’apprenne à faire confiance. De toute façon, on a le choix ? Non. Alors je bronche pas et je continue à écouter.

Extraire et protéger. Extraire ou protéger. La seule chose certaine dans tout ça pour l’instant c’est que je prendrai le sortilège. Définitivement. Les potions j’en connais pas des masses hors des cours, et la plupart je serais bien embêtée si je devais les préparer, et les plantes… à part celle qui a failli bouffer Ortie et qui est pas très adaptée à de l’extraction d’information… nope. Peut-être de l’acide remarque, selon lequel c’est ça pourrait être assez dégueulasse pour donner envie de parler. Mais je vais éviter la botanique si je peux faire autrement, vraiment. J’aurais bien tenté mon charme naturel, il était plutôt efficace à Lubumbashi et à Kinshasa, mais ça m’étonnerait que ça compte comme un sortilège. Et puis faut encore que mon binôme soit intéressé par les filles et plus particulièrement par les Pivoine, et ça vu le nombre de filles et de Sangs-purs de la salle… pas gagné. Statistiquement.

Sortilège, sortilège… j’ai une panoplie de sorts de charme large comme le bras où je pourrais piocher, pour extraire surtout mais aussi pour protéger. Des illusions pour donner plus de crédibilité à une fausse information arrachée avant le point de rupture. Une métamorphose pour fuir, pour empêcher l’ennemi d’extraire l’information. Pour extraire aussi, quelque chose de lent, de douloureux, de visuellement horrible et de pas trop incapacitant. Ca doit pouvoir se trouver.

Un papier apparaît devant moi, je baisse les yeux. Andromeda. La tatouée du Nord qui parle aux oiseaux, une Selkie aussi. Elle est bizarre. Je lui ai pas beaucoup parlé. C’est la seule à être presque aussi blanche que moi je crois, mais je crois pas qu’elle soit métisse elle aussi. On va oublier les sorts de charme. Certains. D’autres sont plus fourbes… plus universels, on va dire.

On s’arrangera.

Je me lève, je la rejoins avec un sourire avenant. Même si je sais déjà que soit elle soit moi on va infliger des horreurs à l’autre. Ainsi va la vie avec Morrigan.

"Hey. Ca va ?" Et je sais pas ce qu’il vaut mieux rajouter en premier, en deuxième ou en jamais, alors je dis juste : "J’ai pas un super niveau en botanique et en potions, tu te sens de gérer un des deux ? Je peux m'occuper des sortilèges si ça te va."

Efficacité. La journée va être courte.

La journée va être longue.

Je n'aime pas la salle de cours d'extraction et de protection de l'information. Ou l'inverse, qu'importe. Je n'aime pas cette salle de cours. Elle est lugubre, froide, humide. L'on s'y sent aisément à l'étroit, et je suffoque avant même d'y avoir mis un pied. Je suis enfermée, comme un oiseau en cage. Mon attention est aussi volatile qu'incertaine. Mes yeux balaient la salle, et je tâche de demeurer maîtresse de moi-même, alors que les prairies au-dehors m'appellent - à moins que ce ne soit les chants des oiseaux qui ne quittent plus mon imagination. Je voudrais les entendre près de moi. Cela m'apaiserait certainement. Quoi qu'il serait malheureux de les savoir enfermés dans un tel endroit, si loin du ciel et de sa beauté !

J'arrive parmi les derniers. J'entre dans la pièce juste au moment où la professeure commence son cours. J'ai profité du dehors jusqu'au dernier moment, et je suis partie juste au moment où je n'avais pas encore besoin de courir pour arriver dans les temps jusqu'à notre salle. Mes talons hauts ne sont pas très confortables pour l'exercice physique. Les escaliers ont déjà été laborieux.

Je n'écoute qu'à demi les instructions de la professeure. Je comprends que nous allons devoir souffrir ou faire souffrir. Cela ne m'enchante pas. Je pourrais me prélasser au soleil, je pourrais soigner ou apprendre à le faire mieux encore, et voilà que je suis obligée de faire ce contre quoi je me bats. J'espère au moins que je serai celle qui devra se protéger. Des deux fonctions, c'est sans nul doute celle qui me coûte le moins.

Je n'entends pas la partie où Morrigan explique que nous sommes en binôme. Je découvre avec surprise le petit bout de papier qui apparaît devant moi lorsqu'elle termine, et le nom de Pivoine s'y affiche. Je ne sais pas qui elle est. Je n'associe pas les noms aux visages, et je ne pourrais pas dire que je parle à beaucoup d'êtres humains dans les environs. Heureusement, elle s'approche de moi et entame la conversation. Je la détaille du regard, note la pâleur de sa peau, de son regard et l'étrange beauté qui émane d'elle.

- Je suis douée en botanique. Et je préfèrerai travailler dans le défensif. Mais je trouverai aussi des idées pour l'offensif, si jamais tu n'en as pas.

Je la quitte du regard pour regarder mes ongles parfaitement limés et peint avec des motifs d'oiseaux qui bougent.

Ouais non définitivement elle est bizarre cette fille. Il faut de tout, tout ça. Ca a l'air de lui convenir alors je hoche la tête. Autant annoncer la couleur tout de suite.

"J'ai quelques idées de sorts offensifs, mais je sais pas si je pourrai les trouver et les maîtriser. Ca risque de puer la magie noire. Pour changer."

Quitte à fouiller dans les tréfonds des cloaques du monde sorcier, autant y aller à pleines mains. De toute façon, en face ils se gêneront pas. C'est un peu dérangeant au début mais... on s'y fait. Ou on crève, je crois. J'ai encore vu personne disparaître mais si on utilise pas toutes les armes à notre disposition on crèvera dehors de toute façon.

Bref.

Je cherche un bouquin généraliste, je cherche l'index, je cherche les titres des chapitres, je fouille dans les parties les plus ignobles. Je note quelques pistes, je réfléchis, j'en prends rapidement un autre pour vérifier quelque chose. Quelques livres plus tard je trouve une mention de quelque chose de bien dégueulasse, qui me donne une idée. Je la note sur un parchemin. Il se passe bien une heure ou deux de recherches, certains bouquins sont en exemplaire unique en plus. Mes notes s'allongent. De temps en temps je trouve des mentions de plantes, qui conjureraient des sorts ou qui serviraient de protection contre certains maléfices, j'en parle à Andromeda même si je pense qu'elle connaît déjà - mais moi je connais pas et j'ai même aucune foutue idée de la tête que ça pourrait avoir, alors dans le doute...

"Je vais sans doute partir sur un sort dégénératif." j'explique à ma binôme entre deux notes. "Pour l'effet psychologique. Mais il faut un truc... pas juste visuel. Douloureux aussi. J'ai quelques pistes." J'ai un petit rire amer. "C'est pas contre toi, j'ai une chance sur deux de me le prendre et ça m'enchante pas plus que ça de préparer mon propre supplice."

A force de chercher, je finis par trouver un bouquin qui pourrait m'apporter quelque chose de probant. Enfin... je trouve son nom. Je sais pas s'il y en a un exemplaire ici. Et j'ai un peu peur de sa reliure, en quoi elle pourra bien être, est-ce qu'il y aura du sang dessus ou est-ce qu'elle lancera un sort sur l'utilisateur - ça fait partie des trucs qui arrivent. Je vais fouiller dans les livres mis à disposition, je le vois pas, je passe prévenir Morrigan puis Andromeda que je file à la bibliothèque. Pou Andromeda, je précise que ma piste principale est un sort de nécrose, et l'alternative un sort de putréfaction. Je cours pas pour pas faire de malaise en route, mais je trottine bien. J'espère qu'ils l'ont. Pas que j'aie envie de l'apprendre, m'enfin.

Il me faut bien une demi-heure pour mettre la main sur quelque chose qui pourrait être ça. Il est dans une boîte. Il part en morceaux, il a tellement l'air vieux et fragile, on dirait presque un grand-père... mais le genre de grand-père ancien milicien qui t'engueule tu sais pas pourquoi et qui essaierait possiblement de te bouffer la tête quand tu veux lui parler. Un être charmant donc, poétique et parfaitement fréquentable.

Berk.

J'ouvre la boîte, et je commence à tourner les pages délicatement avec Choupette. Je me demande si elle est curieuse elle aussi, si elle en pense quelque chose ou si elle s'en fout. Tant qu'elle abîme pas le bouquin. Et oui, curieuse. Une curiosité malsaine, masochiste quelque part, parce que j'ai toujours pas oublié que cette horreur je vais devoir soit la lancer, donc avec une conviction que là tout de suite j'ai pas, soit me la prendre, donc douiller.

Pfff.

Je finis par trouver. Je crois. C'est écrit dans une langue vaguement latine que je connais pas. Un sort de traduction plus tard, j'y vois plus clair. Bingo. C'est même suspicieusement clair. Ca menace des pires supplices évidemment, mais les précautions oratoires et autres menaces creuses sont courantes dans ces bouquins. Ils ont dit. Je note le nom du sort, le nom du contresort, les effets - dégueulasses, étonnamment - et je trottine à nouveau vers la salle de cours.

Par les couilles de Cléopâtre, j'ai vraiment pas envie d'utiliser ce sort. Et encore moins de me le prendre dans la gueule. Je suis horrible. Ce cours est horrible. Ce qu'on nous fait faire est horrible. Et pourtant y a quelque part ce sentiment qu'à force, je pourrais presque aimer être du bon côté de la baguette. C'est ça je crois le plus horrible. Arriver à faire les choses, à les vouloir, à les faire bien, et à continuer à pas aimer les faire... c'est le plus dur.

"Andromeda. J'ai le sort de nécrose." Je lui montre mes notes. "Le contresort est là, mais à prendre avec des pincettes. Les effets là." J'indique à chaque fois du bout du doigt. "Comment ça se passe de ton côté ?"

Quand tout est réglé et qu'elle est prête, on va voir Morrigan. J'ai mes notes à la main, je les lis pas.

"Putrefacis tarde." j'énonce d'une voix égale. "Ce geste." j'indique en le traçant du doigt, sans baguette évidemment. "Inventé par Botezariu au XVIIe siècle en Roumanie, pendant la troisième guerre entre les elfes et les gobelins. Poser la baguette sur la cible et énoncer la formule. Nécrose lente des tissus, à partir du point de contact. Très douloureux. Progression variable, de quelques millimètres par heure à plusieurs centimètres par minute. Très difficile à soigner quand les organes internes sont atteints. Contresort proposé par l'auteur, Renovo." Une pause. "Au cas où." J'inspire. "Probables risques de septicémie si le traitement dure trop longtemps. Je pense partir sur un rythme assez lent, à accélérer ponctuellement si la cible résiste."

Parce que clairement, la cible va résister. Et tout aussi clairement, j'ai très peur de la tuer, la cible. Ou de me faire tuer moi.

Accord et informations sur le contresort botanique obtenu, je fais un sourire d'encouragement à Andromeda, pour me rassurer aussi un peu, et je vais m'entraîner dans un des box, sur un panier de légumes. Les pauvres.

J'ai pas cent ans pour m'apitoyer. Le but de l'examen c'est aussi d'apprendre à les lancer sans scrupules, ces sorts. Je sort une aubergine, je la pose sur le bureau.

"Putrefacis tarde."

Il se passe rien. Surprenamment. Je recommence. Encore. Et encore. Et comme parfois, le monde rétrécit, c'est entre cette aubergine et moi que ça se passe. Cette aubergine est mon ennemie. Elle a des informations. Que je dois récupérer. Pour la Cause. Pour la Liberté. Pour Vivre. Et je hais cette aubergine alors elle peut bien crier, hurler, supplier et pourrir, tant qu'elle m'aura pas donné l'information je vais continuer.

J'ai beau haïr l'aubergine, elle bronche pas, et tout ce que j'arrive à faire c'est un trou à force d'appuyer Choupette dessus.

Je sors avec agacement de mon box, prendre l'air deux minutes. Quand je reviens, je vais plutôt ramasser un bon gros morceau de viande non identifiée, et je retourne dans mon box. On sait pas, des fois que ça fasse pas pourrir les légumes.

"Putrefacis tarde."

Ah. C'était moins noir tout à l'heure je crois. On avance.

Je jette un coup d'oeil à l'aubergine et... ah. Wow. Elle est en train de se décomposer paisiblement.

Quelle horreur.

HRP:

Elles ne mirent pas longtemps à trouver un endroit un peu à l’écart où discuter calmement. Rapidement, Aubépine se rendit compte que la plupart de ses idées demandaient du temps mais surtout étaient totalement moldues. Et pourtant, c’était selon elle le plus efficace. Il s’agissait de laisser le témoin dans la plus parfaite isolation, dans le noir, seul, avec des repas aléatoires, si possible un petit bruit ennuyant pour bien le déconcentrer, quelque chose d’arythmique, cela empêche qu’on l’oublie. On laisse passer du temps, et puis on va le voir, on le baigne, on le traite bien, on lui donne un bon repas, on se met face à lui, poli, et on dit tout gentiment qu’on est bien ennuyé parce qu’entre temps on a capturé quelqu’un de plus haut placé qui a tout balancé du coup on n’a pas besoin de lui donc on va le tuer, désolé hein, c’est pas de bol, sans rancune. Pluie semblait accepter l’idée – malgré tout ce qu’elle avait de profondément sadique, la jeune femme en était consciente mais pas dérangée pour autant – posant la seule question réelle de leur plan. Quels sorts et/ou potion/plante pouvait-on utiliser pour ce faire.

Pendant quelques temps, la slave n’eut rien à répondre. Sa tête avait beau chercher, c’était le blanc total. Et puis, doucement, elle se rappela du test de stress de la visite médicale et de l’artefact qu’utilisait Lancelot. La panique était arrivée en quelques secondes à peine lorsqu’elle avait perdu tous ses sens, tous ses repères. Il avait fallu qu’elle se rappelle où elle était, ce qu’elle faisait pour réussir à reprendre partiellement le contrôle de ses nerfs.

C’était une bonne base de départ.

Sauf qu’en sachant qu’on portait un casque, ou un masque, l’on pouvait se raccrocher au réel. Un sort de bulle serait plus approprié. Elle se souvenait avoir lu quelque chose à ce sujet pour une immersion prolongée sous l’eau. Elle fit venir à elle un premier volume.

Deuxième point faible du sort, lorsque l’on n’entend rien, on panique certes mais trop fort et trop vite. L’idée est de confondre l’esprit adverse, pas de le briser. Le plus simple serait un sort de confusion, évidemment, sauf que l’on voulait des informations fiables, pas mélangées. Il convenait donc d’insérer dans le sort de bulle des bruits arythmiques en arrière plan, déjà, et aussi des informations de lumière pour faire croire au passage de plusieurs jours avec des moments d’inconscience pour que l’ennemi pense avoir dormi. Pareil, les repas devraient sembler plus copieux qu’ils n’étaient pour préserver la faim.

Finalement, c’était un véritable cinéma. Enchanter un objet pour créer la bulle serait plus pratique. Quelque chose d’anodin comme une bille sur le sol ou l’ampoule au plafond qui s’occuperait d’enchanter toute la cellule.

Ca devenait compliqué.

Alors que Pluie réfléchissait à des moyens de contrer une telle chose, les grimoires s’accumulaient devant la jeune femme. Combiner deux sorts n’était pas sorcier, mais plusieurs et dans un objet, c’était déjà plus complexe. Elle attrapa un crayon, délimita une zone d’1m² autour d’elle – elle n’avait pas accès à toute une salle pour le moment et ne voyait pas l’intérêt de fabriquer un artefact à plusieurs utilisations, d’autant plus qu’elle préférait de loin l’enchantement à la création.

Une explosion de lumière suivie de ténèbres profondes dérangèrent ses camarades. Elle ne s’excusa pas. Rétablissant les lieux. Raté. Normal. Elle n’allait pas réussir que un geste rapide et deux petits mots chantonnés. Elle inspira, se tournant vers sa camarade.

« Tu es douée en potions ? J’aurais besoin de quelque chose qui simule la satiété pendant un temps et qui se dissipe. » La nourriture, de toute façon, c’était surfait. Et tant pis pour ceux qui ne pensaient qu’à ça.

Allez. Encore un effort. Deux, trois, quatre tentatives. Cinq. Dix. Aubépine était têtue. Certes, elle serait dans les dernières à proposer son « astuce » mais au moins, ce serait aussi parfait que possible. Onze. Quatorze. Ah. Du mieux. Dix-huit. C’était bon. Elle était épuisée mais c’était fait. Ils avaient même trois utilisations au lieu d’une. On ne savait jamais, les professeurs étaient bien souvent des êtres vicieux.

Le crayon, devenu noir, scintilla d’un air sinistre. Presque en réponse….