Cette fois-ci, il n'était plus possible de reculer: il avait suivi le portolion, rejoint un Domaine rempli de résistants et avait perdu sa baguette au passage. Il espérait que celle qu'on lui avait attribuée le servirait aussi bien que l'ancienne. En attendant, il lui fallait signer un registre dans une salle dédiée à cet usage.
Il s'était attendu à une petite pièce contenant un bureau, des registres, peut-être même un préposé à l'archivage pour tenir les documents en ordre. Il avait même imaginé un stéréotype d'archiviste, un petit monsieur chauve au crâne aplati vêtu d'un costume couleur poussière ou une petite madame au chignon blanc serré avec un gilet de laine couleur pétale fané, tous deux regardant le monde derrière de petites lunettes aux verres épais. Au lieu de cela il vit une pièce ronde bien trop spacieuse pour l'unique pupitre qu'elle paraissait contenir. Mais qu'y avait-il dans ses ténèbres? Le moment était venu de tester la fiabilité de la nouvelle baguette.
Lumos
La lumière qu'il projeta dans les ombres fondit dans l'obscurité aussi vite qu'un cheveu au contact d'une flamme. Murène soupira. Pourquoi vouloir auréoler tout ce processus d'un tel mystère? Il allait signer son engagement pour Rementor et il était assez grand pour être conscient de ce que cela signifiait. Il n'y avait nul besoin de lui enfoncer cette idée à coups d'enchantements d'obscurité et de pupitres enchantés. Car ce truc était de tout évidence chargé d'une forme de magie qui le poussait, malgré tout ce décorum qui l'agaçait au plus haut point, à s'en approcher.
Lorsqu'il s'installa pour signer le registre, la phrase à ajouter fit irruption dans ses pensées. Il soupira à nouveau. De toute évidence, ceci était une démonstration de puissance destinée à le dissuader d'une quelconque trahison. Il n'avait pas encore officialisé son engagement que déjà on le prenait pour un traître! Il n'avait certes pas été le plus engagé des hommes avant son arrivée. Il avait été du côté des puissants sans comprendre ce que cela signifiait. Il avait bénéficié de tous les privilèges de sa famille de mèche avec le Triumvirat. Il se serait sans doute trouvé suspect s'il avait été le maître des lieux et s'était vu arriver par le portoloin.
Mais il ne s'était pas présenté pour rien. On l'avait appelé ici. Et si on l'avait appelé, ce n'était pas pour le traiter comme un ennemi dès son arrivée, si?
Il commença néanmoins à inscrire la phrase consacrée:
Moi, Murène de la brigade Zouwu, je mets mon coeur
et mon âme au service de Rementor...
Cette plume drainait son propre sang et même sa magie! Il pesta. Personne ne l'avait averti de cela, et c'était inadmissible. Et s'il avait été cardiaque? S'il avait eu une maladie du sang qui lui interdirait toute transfusion? Et quand bien même: on ne touche pas à l'hémoglobine des inconnus sans leur consentement. Qui était celui qui avait conçu ce système? Un vampire? Puisqu'il avait commencé, autant en finir:
...Je jure de servir la Cause, de ne
jamais laisser échapper un mot pouvant la mettre en danger, je promets
de me conformer aux règles du Domaine, de respecter ses habitants. Je
n'oublierai pas les raisons qui m'ont fait venir ici ni la guerre qui
continue à l'extérieur. Je ne faiblirai pas, je ne reculerai pas,
j'engage ici ma vie, mon âme et mon pouvoir pour le bien commun.
Fallait-il qu'il signe en plus? Devait-il signer Murène ou devait-il utiliser son nom civil? Refusant d'accorder davantage de temps à ce rituel, il traça un M sous son petit laïus. Il était désormais membre de la résistance. Si ses parents le voyaient! Qu'ils le voient, tiens. Et qu'ils s'étouffent avec le whisky servi par leurs amis les ratonneurs de nés moldus. Tandis qu'il quittait la salle en imaginant cette scène, son visage afficha un sourire en coin tandis que ses doigts touchaient machinalement l'endroit où sa chevalière avait marqué son annulaire...