A trop tirer sur la corde, on finit par faire perdre son équilibre au funambule qui se promène dessus. Cormoran ignorait si l'araignée qu'il avait parfois l'impression d'avoir au plafond pouvait être qualifiée de funambule, mais si elle aussi perdait l'équilibre alors il ne serait plus bon à rien. A contrecœur, il avait fini par se rendre à l'infirmerie. Son corps et son esprit lui avaient envoyé de nombreux signes pour lui dire qu'il avait besoin d'aide.

Les premiers, c'était à l'époque de sa planque chez les moldus. Il avait fait l'erreur de se soigner à leur manière. Il ne la commettrait plus jamais. Lors de son arrivée au Domaine, tout avait été mieux, pendant un moment du moins. Puis, peu à peu, les insomnies étaient revenues. D'abord anecdotiques et facilement gérées, elles s'étaient faites plus fréquentes. Son sommeil, lorsqu'il était au rendez-vous, s'emplissait de cauchemars. Mais il avait tenu bon, fort face à l'adversité même si elle venait de lui-même. Il avait tenu bon jusqu'au jour où il avait craqué devant Jaguar et Cendre en entraînement. Il avait tout fait pour se ressaisir par la suite, mais force était d'admettre qu'il peinait à retrouver l'enthousiasme pour tout ce qui avait jadis compté pour lui. Il se surprenait même à se sentir trop fatigué pour aller voir les hippogriffes ou aller ennuyer les chevaux ailés dans la prairie. S'il continuait sur cette voie, il deviendrait pareil à un inferius. Et si la résistance avait eu besoin d'inferi, elle ne l'aurait pas recruté vivant.

Sa "tête de mule" avait fini par admettre qu'il avait un problème. Mais d'autres raisons lui faisaient redouter l'infirmerie. D'abord, il doutait que Lancelot se montre compréhensif face à ce genre de problème. Il l'imaginait sans peine l'accuser de lui faire perdre son temps avec des broutilles alors que de vrais blessés avaient besoin de soins. Et il était même plutôt d'accord avec ça, à vrai dire. Et il y avait aussi Andromeda, devant qui il ne voulait pas apparaître faible de peur qu'elle ne l'ignore pour de bon. Il avait toujours honte de la manière dont il l'avait laissée derrière lui au bal. Mais avec un peu de chance il serait reçu par quelqu'un d'autre.

Il avait essayé d'attendre assis sur une chaise, mais il ne tenait pas en place. Il faisait les cent pas devant l'infirmerie en traînant les pieds. Ses cernes ne s'arrangeaient pas, et il avait attaché sa tignasse sans même la peigner. Ses cheveux ressemblaient à un fagot de foin noir. Lorsqu'il vit enfin quelqu'un arriver, il comprit que la chance était de son côté. Il reconnut Turaco, celui que Jaguar venait régulièrement voir dans le bâtiment Occamy. S'il était consciencieux, il ne lui raconterait rien de ce qu'il allait lui dire. Ne restait qu'à espérer qu'il le soit.

C'est pas pour une urgence que je viens, annonça Cormoran en forçant un sourire. J'ai...des soucis pour dormir, et pour avoir autre chose que du fouillis dans ma tête en ce moment. Y'a des trucs qu'on peut faire?

"Ca tombe bien, je suis pas pressé" que je réponds avec un sourire à Cormo qui me dit qu'il est pas là pour une urgence. Et je lui fais signe d'entrer et de s'asseoir pendant que je me retourne pour faire semblant de faire autre chose. Ca aide les gens à parler de pas les fixer façon psy en faisant hum hum. Et il continue. Ben tiens qu'il a du mal à dormir. J'aurais pas deviné avec ses yeux panda et sa crinière pleine de foin. S'il continue, il risque de virer végé et de se détruire en bouffant que du bambou l'idiot. Au moins il est venu consulter. C'est bien. Pas comme certains qui se voilent la face en mode nan mais j'dors le jour. Genre. Dormir le jour c'est PAS PAREIL. Foutez-vous ça dans le crâne ou dans le cul, je sais pas, celui qui écoute le mieux.

"Pour dormir je pourrais te filer une potion de sommeil, c'est certain. Ca éteint ton cerveau et tu roupilles. Mais j'pense pas que ce soit ce qu'il te faut, de ce que tu me dis. Quand tu as un lion en cage qui tourne en rond, tu peux l'assommer, ouais, mais tu peux aussi le libérer et si tu le fais correctement dans un endroit en sécurité, et bien il est content et toi aussi. Alors que l'assommer, dès qu'il se réveille, il recommence et en plus il est vénère parce qu'il se doute bien qu'il y a un truc louche. Ben les pensées c'est pareil. Tu permets, je vais t'examiner rapido."

J'lui met un lumos façon lampe torche dans les yeux, je regarde l'état de ses cernes, ma main prend son pouls à son poignet sans y penser. Bon.

"Déjà  y a plusieurs sortes d'insomnie. Y a ceux qui n'arrivent pas à s'endormir, ceux qui se réveillent en sursaut au milieu, ceux qui font des cauchemars, ceux qui n'ont pas sommeil et ceux qui sont décalés et dorment le jour. Ensuite, pour le fouillis dans la tête, ça peut être corrélé avec le manque de sommeil mais pas forcément, ça peut être un autre symptôme. Mais je fais les choses dans le désordre. Déjà faut que tu saches que personne d'autre que Lancelot ne saura ce que tu me racontes là. Lui j'suis obligé parce qu'il a besoin de savoir si jamais t'as un souci en mission mais pour le reste, c'est secret médical. Faut aussi que tu saches que si j'ai l'impression que tu es un danger pour toi ou les autres en mission, je vais devoir prévenir Lancelot, ouais toujours lui et qu'il peut décider que tu partes pas. On n'a pas encore de mission mais je veux pas que tu penses que je te prends en traître. Assied-toi sur le lit, tu veux ?"

S'il n'est pas parti c'est qu'il est d'accord avec ce que je lui ai dit, je décide.

"Donc, on va commencer par le rassurant et le factuel. Quel genre d'insomnie as-tu ? Tu peux en avoir plusieurs mélangées. Depuis quand est-c que ça a commencé et est-ce que c'est la première fois que ça t'arrive ou bien est ce que ça t'es déjà arrivé et dans quelles circonstances." Je m'assied sur le bureau, attrapant un paquet d'étiquettes et une plume. "Ca t'ennuie pas si je labelle mes flacons en même temps ?" Je n'en ai pas besoin mais une fois encore, je sais bien que je vais devoir faire parler le bidet de lui-même et je me dis que ce sera plus facile pour lui s'il pense que je ne l'écoute pas attentivement.

Oh non, pas encore la potion de sommeil! Ce truc risquait de lui faire rater les entraînements du matin! Mais heureusement Turaco partait sur une autre piste. Il commençait à filer une espèce de métaphore au sujet des pensées. Sa métaphore tenait étrangement debout, mais avec des tréteaux et quelques échafaudages par sécurité. Et sans réaliser ce qui lui arrivait, Cormoran subit un éclat de lumière dans les yeux qu'il fit cligner. Son champ de vision se retrouva décoré par des taches brillantes qui s'estompèrent lentement.

Puis Turaco expliqua les différents types d'insomnie. Ne pas réussir à s'endormir? C'est ce qu'il vivait depuis que ses problèmes de sommeil avaient repris du service. Se réveiller en sursaut et faire des cauchemars? Ça, c'était ce qu'il vivait depuis plusieurs années. Ses cauchemars ne changeaient pas beaucoup, mais parvenaient étrangement toujours à le faire revenir d'entre les dormeurs. Le décalage de dormir le jour au lieu de la nuit, il ne connaissait pas.

Mais à peine avait-il eu le temps de réfléchir à ce sujet que Turaco enchaînait, dans le désordre selon sa propre admission, sur la confidentialité, les missions, Lancelot, et assieds toi sur le lit veux-tu? Cormoran, hébété, s'exécuta. Turaco posa des questions auxquelles il ne laissait pas le temps de répondre. Cormoran réprima un rire à l'idée que son collègue de brigade puisse être aussi bavard lors de ses séances de galipettes avec Jaguar. Elle avait peut-être trouvé un moyen de le faire taire. Peut-être en fourrant sa tête entre...

Euh non, vas-y avec tes flacons y'a pas de problème.
Le temps de remettre ses idées en ordre, Cormoran s'installa plus confortablement sur le lit. Il ramena ses jambes pour s'asseoir en tailleur dessus et se pencha légèrement.
En fait j'ai des cauchemars depuis bien avant mon arrivée ici. Et du coup des réveils en pleine nuit, sur plusieurs années. Et depuis mon arrivée ici, j'ai passé un bon mois sans problèmes et maintenant j'ai du mal à m'endormir. Comme plein de monde dans la brigade, on dirait
A part lui, il y avait Cendre, Sycomore, Vyasa, et peut-être encore d'autres.
Avant d'arriver ici je vivais chez les moldus. Et j'ai été suivi par un psy pour moldus parce que j'étais planqué. Du coup, il m'a donné des médicaments. J'en ai changé pas mal, et euh...disons que j'ai pas été très réglo avec les traitements.
C'était le moins qu'on puisse dire. De plus, son départ pour Rementor avait provoqué un sevrage brutal qui lui avait causé quelques vertiges qu'il avait pris pour un effet indésirable du portoloin.
Et ces derniers temps ça empire. Depuis...
Il fronça les sourcils, tentant de calculer la durée de cette résurgence des cauchemars. Mais il y avait un moyen plus simple de donner cette indication.
...depuis le bal, en fait. C'est depuis ce temps là que c'est de pire en pire

Il va sans dire que j'ai pas attendu sa permission pour m'occuper de mes flacons, tout en laissant mon attention dériver. C'est ce qu'on appelle l'écoute flottante. Le cerveau se positionne de lui-même entre ce qui est important et ce qui ne l'est pas; Une forme de méditation. Je note les cauchemars depuis des années, probablement dûs à un traumatisme plus ou moins récent. Ils avaient tous eu des difficultés, c'était normal, c'était ce qu(il fallait pour questionner l'ordre établi au point de prendre les armes contre lui. Je connaissais ma chance d'être né dans la rébellion, de ne pas avoir eu le choix. Pour moi, c'était rien qu'une question d survie alors je n'avais pas de question à me poser et mon inconscient me laissait tranquille. N'empêche, c'était cool d'entendre qu'il était allé voir un psy. J'étais en train de me demander vaguement s'il s'agissait d'un cologue, chiatre ou chanalyste quand il parla lui-même de médicaments ce qui me fit dresser une oreille. Tu m'étonnes que le sevrage ait été brutal s'il en avait pas parlé à la visite médicale ! C'était charger la mule, avec mauvais jeu de mot assumé.

N'empêche, pendant qu'il cause, je ne dis rien, je mets mes labels sur mes bouteilles en verre, preuve que je sais la fermer parfois, ou presque parce que je me surprenais parfois à murmurer ce que j'écrivais histoire de ne pas noter à la place ce qu'il me disait. J'laissais même un petit silence à la fin pour être sûr qu'il avait terminé puis je repris.

"Bah tiens, faut surtout pas les arrêter brusquement. Déjà que c'est pas sérieux de les prendre de façon erratique... C'était quoi, des hypnotiques, des anxiolytiques, des anti-dep ? Et si c'est les derniers tu te souviendrais du nom de la molécule ? Ca pourrait m'indiquer ce que le psy en question pensait que tu avais. La neuro et associés sont pas mes forte mais j'me débrouille, faut bien. Sinon, il te faisait parler le psy ou c'était "voici votre ordo, revenez le mois prochain c'est 90 euros ?" et son médoc quand tu le prenais, il fonctionnait ou pas top tu trouvais ?" On a dit qu'on lui donnerait pas de potion pour dormir et je n'ai pas changé d'avis mais savoir tout ça ça me permettrait de ne pas avoir à tâtonner de nouveau entre toutes les causes possibles.

"Cela dit, si c'est depuis le bal que tu as recommencé les insomnies c'est assez clair que le bal a réveillé en toi une sensation d'insécurité que tu n'avais plus et que tu as récupéré. Du coup, tu n'arrives pas à te détendre totalement et ton inconscient t'impose des moments d'éveils. Tu te réveilles toujours a peu près aux mêmes heures de la nuit ou c'est totalement aléatoire ou bien c'est x temps après que tu te sois endormi, tu sais ? Tu te souviens de tes rêves juste avant les réveils ? Ca se fait d'un coup genre "pof j'arrive plus à fermer les yeux" ou bien en sursaut plein de sueur, ou encore doucement que tu essaie de t'endormir mai tu ne t'en rend pas compte ? Qu'est ce que tu fais lorsque tu te réveilles ? La première chose que tu fais ?"

Les réponses, en vrai, je m'en fiche un peu. Enfin pas totalement évidemment mais l'important c'est surtout que lui y pense. Je me demande si je ne vais pas lui prescrire un cahier de sommeil, ça peut l'aider et marcher pas mal, de ce que j'ai pu lire. J'ai la chance d'avoir appris en médecine à dormir dès que possible. En garde, on ne sait jamais dans combien de temps on sera réveillé ni quand on pourra re-dormir...

"Faut surtout pas les arrêter brusquement"

Cormoran laissa échapper un rire silencieux, aussi épuisé que lui. S'il avait pu arrêter progressivement, il l'aurait fait. Mais il avait tout laissé derrière lui pour rejoindre le domaine, médicaments compris. Les pilules de moldus, c'était la vie qu'il laissait derrière lui, celle où il n'était bon qu'à se cacher et à dépérir dans un studio qu'il n'avait plus la force d'entretenir. Lorsqu'il avait pris la décision de partir, il n'avait pas jugé bon de les emmener tant il avait hâte que ces saletés quittent définitivement son corps et son esprit!

Turaco posait toutes ses questions en même temps. Cormoran cherchait le nom de son médicament, le regard perdu dans les lacets de ses chaussures. Sur la boîte, un nom bizarre sans aucun sens était écrit. Etait-ce celui de la molécule donc Turaco parlait? Ça commençait par un C. Cita...Cilato...Cilo...

C'était cita-quelquechose. Je me souviens pas de plus. Et c'était un antidépresseur je crois.
Oui, c'était bien un antidépresseur. Théa le lui avait confirmé à l'époque où elle passait parfois la nuit dans son studio. Elle lui avait confié en avoir déjà pris.
Nan, je crois pas: je suis sûr. Et y'avait un autre truc pour dormir, avec un nom tout bizarre genre Zolpitruc. Mais je l'ai pris qu'une fois parce que certes il me faisait dormir, mais il rendait mes cauchemars encore plus glauques.

Quant au psy, il le faisait effectivement parler. Mais Cormoran ne pouvait pas tout lui dire. S'il parlait à un moldu du mage noir qui a remplacé le Président de la République par un de ses sbires, et que lesdits sbires étaient aux trousses de sa famille depuis qu'ils avaient arrêté son père et l'avaient probablement exécuté, alors d'autres moldus seraient venus pour l'enfermer dans un hôpital pour malades mentaux. Il aurait pu s'en sortir en gardant le secret magique, mais il aurait attiré l'attention des amis de Chloé. D'ailleurs, pour ce qu'il en savait, le psy était peut-être un des leurs.
Le psy me faisait parler. Je lui ai pas dit grand chose pour autant.

A présent Turaco lui parlait d'inconscient et lui posait une question, suivie d'une autre, suivie de...Cormoran massa ses tempes et essaya de suivre le flot de paroles du médicomage. Il lui demandait s'il se réveillait toujours à la même heure, puis.... Les paroles de Turaco faisaient résonner les tympans de Cormoran, se voyaient transmises ensuite jusqu'à son cerveau qui refusait de les absorber. Il ne parvint qu'à retenir la dernière question. Il se redressa, massa cette fois ci sa nuque. Il ferma les yeux pour atténuer la sensation de picotement sur ses cornées. Il n'avait aucun risque de s'assoupir puisqu'il n'en avait aucune envie. C'était comme un peu de repos qui serait totalement vide.
La première chose que je fais en me réveillant, c'est de râler parce que c'est déjà l'heure de se lever et d'attendre que le tu-sais-quoi du matin retombe pour pouvoir foncer sous les douches sans que ça soit gênant.
Il rouvrit les yeux, soupira et regarda Turaco par dessous deux paupières à demi baissées.
Dis, tu peux aller moins vite avec les questions? Genre une à la fois si ça te va. Parce que j'arrive pas à me concentrer et j'ai oublié tout ce que t'as demandé avant.
Il fit craquer sa nuque en penchant sa tête une fois à gauche, puis une fois à droite. Crac, ses yeux s'ouvrent entièrement. Crac, il déplie ses jambes et s'assied un peu mieux.

Ils datent mes cours de psychotropes. C’comme le stage en psy. J’avais pas aimé. Les maladies de l’esprit, c’pas mon truc. Pour dire vrai, ça me fait peur. Du coup j’avais pas mal lu la psychanalyse et les approches différentes. Et autant Freud m’avait profondément gonflé, autant y avait pas que des conneries chez les autres. Heureusement, les molécules évoquées étaient plutôt fréquentes.

« Du Citalopram j’pense. C’est un ISRS, ça mange pas de pain, c’est assez large. Et le second c’est facile c’est du Zolpidem, un apparenté aux benzo. T’as eu du bol de n’avoir que des cauchemars, cette saloperie peut même filer des hallu ou du somnambulisme. Bref, c’est des coups de massue pour que tu dormes en gros. Le Zolpidem force le sommeil et le Citalopram bosse sur la sérotonine pour continuer le sommeil. Un cocktail assez classique. » Et qui ne révélait rien. Pff les psy et leurs habitudes stupides. Ils prescrivaient des benzo comme les généralistes des antibio ou les rhumato des sirops. A chacun sa drogue et on supprime les symptômes. Syndrome du bébé seiche. Si je ne vois pas la crevette, la crevette n’existe pas. Pourtant, la permanence de l’objet normalement ça s’acquiert avant trois ans hein. Bref.

J’aurais rebondi sur le non-dialogue avec le psy si sa dernière phrase n’avait pas réveillé le professionnel en moi. Je posais mes flacons et pris ma baguette, soudain presque sérieux.

« Ah. C’est nouveau ça cette difficulté à retenir ce qu’on vient de te dire ? Tu saurais me dire si c’est la fatigue ou si c’est habituel chez toi ? » J’re-regarde ses yeux. L’a une tronche de raton laveur. Limite de panda. Manquerait plus qu’il se mette en tête d’être végé. C’est pas le moment.

Plus j’y pense, plus le carnet de sommeil me parait être une bonne idée. Si sa mémoire a court terme est impactée par le sevrage, la prise médicamenteuse, la fatigue ou autre chose, il a probablement du mal à se rendre compte de quand il dort et quand il ne dort pas. J’me dis que pour le coup, un artefact ça pourrait être cool, pour ne pas qu’écrire ne le réveille de trop. Je demanderai à Odysseus comment faire. Autant le sort de température j’peux le bosser seul, autant la technologie, moldue ou pas, c’est pas mon Nespresso.

Le jargon de Turaco était incompréhensible, et Cormoran s'y était attendu. Il comprit cependant que le médicament aurait pu le rendre somnambule, ce qui aurait été très problématique. S'il marchait en dormant, alors il aurait pu sortir de chez lui en dormant,  lancer des sorts en dormant, ou même se transformer en dormant. Un Irish Vanner dans un couloir d'appartements moldus aurait été l'équivalent d'une grande fusée de détresse lancée dans le ciel à l'attention des Bouffeurs de leurs Morts. Il aurait été mort avant même d'avoir pu démêler les noeuds dans la crinière. La remarque du docteur qui avait qualifié le somnifère de "remède de cheval" lui semblait soudain beaucoup moins drôle...

Turaco examinait ses yeux une nouvelle fois. Mais que cherchait-il à y trouver, à la fin? Ne les avait-il pas vus correctement la première fois? Ce n'est pas comme si ses yeux avaient quoi que ce soit de spécial. Ils étaient bêtement marron, lourdement cernés et ne présentaient aucun défaut de vue. Et à sa connaissance il ne lui était pas possible de garder sa forme humaine et d'avoir des yeux de cheval. De toute façon, s'il s'était mis à ne plus percevoir autant de couleurs qu'avant, il s'en serait rendu compte.

Le visage de Cormoran ne bougea pas lorsque Turaco posa sa question. Cependant, la ride qui séparait ses deux sourcils se fit un peu plus creuse, un peu plus longue. Ce changement était imperceptible, et pourtant elle changeait tout son visage. D'une expression neutre et fatiguée, l'enrôlé était passé à un regard qui aurait tout aussi bien pu crier "tu te foutrais pas un peu de ma gueule de zombie, mec?"
Je suis un ancien joueur de quidditch, expliqua-t-il d'une voix égale. Ça veut dire qu'à un moment de ma vie j'ai été capable de me concentrer sur trois types de projectiles, sachant qu'un d'entre eux était fait exprès pour nous revenir dans la gueule.
Il était de notoriété publique, au moins dans la brigade Occamy, que Cormoran avait été batteur de quiditch. Mais à qui avait-il parlé de ses anciens jobs?
J'ai aussi été coach de quidditch, pas longtemps parce que...Bref, j'ai aussi été capable de gérer toute une équipe et de leur donner des indications pendant les matches, pas de problème. C'est...plus tard que j'ai eu du mal.

Au début, la vie chez les moldus avait été facile. Puis il avait été mal, et il avait commencé à commettre des erreurs d'inattention, à oublier des trucs, à se tromper dans ses mots quand il parlait, et à confondre les gens aussi. C'était comme vivre avec le cerveau englué par de la mélasse.

J'avais l'impression d'avoir un genre de caramel collant dans le crâne. Tu sais, comme si tout ce qui fait tourner ton cerveau est grippé par une épaisse couche de caramel mou, du coup tout ce que tu fais avec devient trois fois plus fatiguant. Et plus tu t'acharnes, plus tu t'embourbes. J'ai d'abord cru que je pétais les plombs parce que j'étais loin du monde sorcier. Et quand je suis arrivé ici, ça a été vachement mieux. Je revivais presque.

Il secoua la tête, soupira et prit sa tête dans ses mains. Il se redressa et tapota son propre crâne de l'index.
Et maintenant, je redeviens comme avant, je crois. C'était pas l'isolement, c'était mon ciboulot.