Lundi 28 octobre, 16h, fin du cours de survie et de soin.

Sitelle rassemblait ses affaires. Il restait encore un cours, dans trente minutes, sur les potions et les antidotes. Si ce matin là qui était son deuxième jour au domaine, et son premier jour de cours, il avait eu des doutes quand aux enseignements, il n’en avait maintenant plus.

Sa chemise bleutée fermée jusqu’au col, ses cheveux parfaitement soignés, ses gants toujours sur lui et sa baguette rangée dans son étui de cuisse, Sitelle rassemblait les notes qu’il avait prise. Il avait réussi à apprendre de nouvelles choses alors qu’il en avait douté. Même si la plupart de ce qui avait été présenté était valable pour des bipèdes, Lancelot, leur instructeur, avait intelligemment glissé des méthodes que Sitelle pouvait aussi utiliser. D’ailleurs, il avait compris que c’était auprès de lui qu’il allait pouvoir demander de quoi se soigner de temps en temps, avec quelques plantes de cannabis. Et si possible, peut être en faire pousser lui-même ? Il avait gardé en tête d’aller le voir après la journée de cours, étant donné qu’il avait peu de temps avant le cours suivant. Sachant qu’il ne savait pas encore où aller et qu’il allait certainement devoir attendre que tout le monde ait fini de monter les marches pour pouvoir les modifier, il devait prévoir du temps en plus pour s’y rendre.

Sortant de la salle en réfléchissant au prochain lieu où allait être le cours, il avait à peine sorti une roue de la salle que tout son fauteuil se mit à trembler. Il en recula un peu dans la salle en observant le corps devant lui, qui lui avait littéralement foncé dessus. Probablement que les yeux qui appartenait à ce corps n’avaient pas pris la peine de descendre jusqu’à lui pour le voir…

Sitelle qui ne sentait rien aux jambes, releva la tête et demanda immédiatement à la jeune femme qui lui faisait face

- Est-ce que tout va bien ?

Ses livres étaient tombés et d’un coup de baguettes, il les fit voler pour les remettre sur ses genoux.

Pour le coup, il recula un peu, pour la laisser entrer dans la salle si elle le voulait…Après tout, ils n’allaient pas se regarder dans le blanc des yeux indéfiniment…

Le cours de survie du lundi après-midi était les deux seules heures qu'elle avait avec Lancelot. Écume ne voulait pas en perdre la moindre miette. Elle avait donc pris l'habitude, quand ils étaient à leur tables, de s’asseoir au deuxième rang - s'installer au premier ayant été une manœuvre bien trop évidente -, légèrement en diagonale pour avoir l'instructeur en permanence à portée de vue et, surtout, qu'il l'ait elle dans son champs de vision. Lorsque le cours nécessitait qu'ils se regroupent pour une démonstration ou qu'ils pratiquent, elle se débrouillait, là encore, pour rester à proximité sans que ce ne soit manifeste.

Une fois n'étant pas coutume, elle n'avait pris aucune note. Sa posture relevait somme toute plutôt du charme naturel avec le hâle de ses cuisses exposé sous un short court en jean délavé et déchiré malgré l'air qui tendait à fraîchir. Elle portait pour se réchauffer un débardeur framboise crocheté, délicatement ajouré, des chaussettes hautes en laine fine de couleur parme et des bottes de fourrure blanche. Un châle anthracite en coton épais était plié sur son dossier ou étendu sur ses épaules selon la nature du cours. Ses lèvres s'étirait en un sourire galant sous la caresse de son pouce et ses yeux brillaient avec intérêt. Cela aurait pu laisser à penser qu'Écume s'intéressait à l'instructeur physiquement plus qu'intellectuellement et que ce qu'il pouvait bien raconter lui passait loin au-dessus de la tête.

Pourtant, à ceux qui savait observer il se devinait que la belle n'avait pas rien manqué des enseignements reçus et, si elle n'avait pas écrit, elle avait néanmoins tout enregistré. On pouvait deviner que la lueur de son regard n'était pas empreint de désir pour le professeur mais d'une passion pour le sujet du cours et ce qu'elle y apprenait. Son esprit était en ébullition constante, intégrant les nouvelles connaissances, les mêlant aux anciennes pour générer des voies encore inexplorées qui la fascinaient. Par ailleurs, elle se montrait investie et passionnée lors des exercices, cherchant à percer les énigmes, à trouver des solutions optimales. Avec légèreté, toujours, sans aucune agressivité ou pression sur ses camarades, mais animée d'une vive envie de réussir.

A la fin du cours, elle était sortie avec le reste des enrôlés afin de profiter de la salle commune Selkie avant son cours d'étiquette qui se trouvait dans le même bâtiment. Mais, à peine fut-elle arrivée à la porte Zouwu qu'elle réalisa qu'elle n'avait même pas remercié l'instructeur pour le cours du jour. Or elle tenait à entretenir de bonnes relations avec ses professeurs, et en particulier ceux dont la matière l'intéressait autant. Elle fit quelques foulées rapides pour être sûr que Lancelot ne se serait pas déjà envolé vers ses appartement, la serre ou peu importe où il avait l'habitude de traîner. Malheureusement, en arrivant à la salle de cours, elle percuta un obstacle inattendu.

Son pied libre s'avança pour tenter d'équilibrer le poids de son corps projeté en avant mais en vain. Elle ne pu se rattraper qu'à genoux et se retourna, fesses au sol pour vérifier l'état de sa jambe blessée tout en entendant vaguement une question qui lui semblait lointaine tant elle était occupée à savoir comment elle allait - ironique, quand on sait que c'est justement l'objet de la demande. Quelques éraflures rougies au tibia mais qui guériraient vite et un trou dans la laine de sa chaussette. Elle souffla, contrariée, avant de daigner répondre à l'obstacle qui, manifestement, était doué de parole. Elle leva la tête et réalisa qu'il s'agissait du jeune homme de la  réception, l'éclopé de l'estrade, celui dont elle ne savait pas ce qu'il pouvait bien faire là. En réalité, vu le nombre de fleurs délicates et de précieux vaniteux dont cette soit-disant armée était composée, ce n'était pas vraiment un cul-de-jatte qui causerait leur perte. Elle plia sa seconde jambe afin qu'il puisse passer et inspira afin de ne pas laisser la colère répondre pour elle. "Oui... Enfin ça ira.", dit-elle en se relevant. "Heu et toi ?" Quelle idée aussi de traîner dans la salle de cours après tout le monde !

Ce n’était pas la première fois, et cela ne serait certainement pas la dernière fois que quelqu’un lui fonçait dedans. Sitelle secoua doucement la tête à la question de la jeune femme qui venait de se relever. Il se souvenait d’elle. Elle faisait parti des regards mauvais qui avaient pesés sur lui à son arrivée. Avait-elle fait exprès de lui rentrer dedans ? Il la fixait, comme à son habitude de fixer les gens, de détailler leurs traits pour les mémoriser. Puis, d’analyser leurs postures, leurs tiques de langages, leurs mimiques, la direction de leurs regards.
Clairement, dans celui de la jeune femme, il y avait de la maîtrise et quelque chose qui se rapprochait du reproche ou du mépris. Sitelle se contint pour éviter de tout faire voler en éclat, sachant que la question était plutôt neutre. Il pouvait lui reprocher son manque d’observation, mais il ne le sentait pas. C’était mettre de la poudre au feu, donner un bâton pour se faire battre, vu l’aura que dégageait la jeune femme. Mais jouer les victimes n’étaient pas non plus une option qu’il avait envie là, tout de suite, de faire.
Aussi, il hocha doucement la tête et désigna ses jambes.

- Je ne sens plus rien depuis longtemps. Donc tu ne m’as fait aucun mal.

Etant donné qu’il était le dernier à sortir du cours, il jeta un coup d’œil intrigué à la jeune femme. Il repassa rapidement en revu les noms évoqués par Lancelot au cours de la leçon. Il mit quelques secondes avant de retrouver celui par lequel il avait appelé celle en face de lui.

- Ecume c’est ça ? Tu n’es pas de chez les Occamy il me semble. Tu veux accéder à la salle ? Il n’y a plus personne…

Peut être avait-elle simplement oublié quelque chose, mais comme à son habitude, Sitelle avait passé la pièce au peigne fin pour s’assurer qu’il ne pouvait pas récupérer quelque chose afin que quelqu’un lui doive un service en retour, ou simplement avoir une meilleure opinion de lui. Si elle était comme lui enrôlé, ce qui était normalement le cas vu qu’elle avait suivi le cours, alors elle devait avoir un autre cours. Et comme il ne restait plus rien, elle s’était dépêchée pour retrouver quelqu’un. Mais il n’y avait plus personne et personne n’avait semblé attendre après le cours. Ou du moins, voir que Sitelle attendait et se décider à attendre aussi ou à annuler son attente. Sitelle était donc curieux de savoir les raisons, le pourquoi du comment Ecume s’était précipité dans la salle.

- Au fait, demanda-t-il en laissant sa phrase quelques secondes en suspension, sais-tu où est le cours pour les potions et antidotes ?

Il avait encore un peu de temps pour trouver son chemin, mais si elle pouvait le renseigner, c’était quand même bien plus pratique…

Adossée au mur du couloir, Écume roula de manière à poser son épaule sur le cadre de la porte afin de voir l'intérieur de la salle. A la réponse de l'oisillon, elle baissa les yeux vers lui, l'ayant presque oublié entre temps. "Tant mieux", commenta-t-elle simplement, avant de recoller son dos au mur. Soupirant, déçue. Il n'y avait effectivement plus personne. Malheureusement. Elle pris un temps pour digérer sa déconvenue avant de répondre. Encore quelqu'un qui connaissait son nom avant même qu'elle ne se soit présentée. Comment se faisait-il que tout le monde le retienne ? Était-elle si remarquable ? Se passaient-ils le mot ? Parlaient-ils d'elle à son insu ? Mais alors, que pouvaient-ils bien dire ? Complotaient-ils ? Le domaine ne serait qu'une mascarade qui la viserait ? Non, elle n'en valait toute de même pas la peine. Certes, elle avait traficoté dans des réseaux illégaux mais de là à fomenter un traquenard si colossal, c'était quelque peu démesuré. A moins qu'elle ne soit pas la seule visée, qu'ils se répartissent entre victimes et bourreaux, intelligemment mélangés. Pour mieux se dissimuler parmi leur proie. Semer la confusion.

Cet endroit allait la rendre folle à force de méfiance et de doute ! Peu importe la supercherie à la source de Rementor, elle finirait par être l'artisane de sa propre déchéance si elle ne retrouvait pas un peu de stabilité rapidement.

"Écume, oui, c'est ça", répondit-elle d'un ton laconique. "Je dors avec les Selkies." C'était la réponse la plus proche de la vérité. Elle ne pouvait pas vraiment dire qu'elle vivait avec eux plus qu'avec les autres brigades, puisqu'ils prenaient leur repas et avaient leurs cours ensemble. Elle ne pouvait pas non plus prétendre faire partie de la brigade alors qu'elle s'en sentait si lointaine.

"Je cherchais le professeur", daigna-t-elle enfin expliquer. "Mais j'ai dû le manquer." Sa voix était neutre et elle fixait le mur opposé du couloir. Elle n'avait pas adressé un seul regard à Sitelle depuis qu'elle s'était retournée. D'aucun pourrait s'en offusquer. Pourtant, ce n'était pas spécialement à charge, ni contre lui, ni contre son invalidité. Plutôt un relent de fierté, après s'être retrouvée en grotesque posture devant lui. Presque vulnérable même. Et tout ça pour un fichu fauteuil et un léger empressement ? Ridicule ! L'épuisement aussi. La lutte constante contre d'impalpables ennemis. La lassitude de ne pas savoir ce qu'elle faisait là et de laisser filer les jours loin de ceux qui avaient besoin d'elle.

Elle pencha finalement la tête vers son interlocuteur quand celui-ci repris la parole, le regardant presque sans le voir. "Le cours de poison ? C'est celui de Zhurong." Le nom des instructeurs, ça elle avait assez vite retenu. Par respect. Et par intérêt. "C'est la salle à côté" qu'elle lui montra de l'index au bout d'un bras tendu. Elle poursuivit ce mouvement, baissant le bras, et se retourna, lui faisant ainsi désormais face. Elle plongea alors son regard dans le sien. Pour la première fois. Un regard pénétrant. Intense. Elle resta un moment à le scruter ainsi. Non pas son accoutrement, sa posture ou ses mimiques, mais son intime, son intérieur. Elle ne pouvait sans doute pas percevoir plus que le stoïcisme de l'éclopé mais c'était une réponse comme une autre. Elle sourit, poliment. Sobrement. Et demanda "Et toi ? Je n'ai pas le plaisir de connaître ton nom je crois. Lequel t'es-tu choisi ?"

Ne jamais croire ce que les autres disent, toujours vérifier. C’était un peu le mantra de Sitelle aussi, donc voir qu’Ecume regardait dans la pièce malgré l’information qu’il n’y avait plus personne, ne choqua absolument pas Sitelle. En revanche, au vu de la réaction d’Ecume, la personne qu’elle cherchait devait être importante, en tant que telle ou pour ce qu’elle avait à apporter, car la déconvenue était visible sur le visage de la jeune femme.

Selkie. Une des autres brigades. Sitelle ne comprenait toujours pas pourquoi ils étaient tous divisés. Sitelle hocha doucement la tête en songeant que lui-même ayant besoin de parler à Lancelot, ils allaient sûrement se recroiser après les cours ou un autre jour. En revanche, ce qui surprenait Sitelle était qu’elle était non seulement disposée à lui répondre et à lui indiquer le prochain cours, mais qu’en plus, elle ne le regardait pas directement en le fixant de manière étrange ou dérangeante. De son regard aperçu depuis l’estrade, Sitelle avait hypothétiquement pensé qu’elle ne lui aurait même pas adressé la parole… Cette jeune femme était surprenante. Sitelle se demanda pourquoi elle faisait ces efforts alors que ses réactions premières qui avaient été sûrement les plus sincères, étaient aux opposées de ce qu’il voyait maintenant…

Lorsqu’elle se tourna vers lui et le fixe, enfin, pensat-il une seconde, n’aimant pas parler sans capter le regard de ses interlocuteurs, Sitelle se demanda pourquoi elle était ainsi. Il mima son sourire et répondit aussi poliment, avec l’impression de marcher un peu sur des œufs, se demandant si elle était sincère ou simplement faux-cul.

- Je ne sais pas si c’est un plaisir de le savoir, mais je me nomme Sitelle. Ils l’ont annoncé sur l’estrade quand je suis apparu ici. Il m’a semblé te voir à cette assemblée d’ailleurs. Tu es bien la première qui n’a pas retenu mon nom. C’est… rafraichissant.

Après tout, il préférait presque qu’on ne se souvienne pas de lui, plutôt qu’on conserve son nom à cause de son apparence ou de son handicap.

- J’imagine qu’on sera amené à se revoir. Peut être qu’on pourra échanger un peu plus. Etant nouveau ici, je ne connais presque personne ni les lieux. Donc je suis preneur de toute information.

D’ailleurs il n’avait pas idée de savoir si elle avait ou non cours avec lui, ce qui serait alors assez maladroit comme phrase au final.

- Tu es dans quel spécialité ? fini-t-il par demander pour pouvoir la ranger dans une petite case.

"Sitelle" s'était nommé l'éclopé. Qu'était-ce encore que cela ? Sûrement pas une étoile. Pas un élément non plus. Un animal ? Plutôt un végétal vu son état... Une fleur délicate de plus parmi des brigadiers qui prétendaient former une armée. Celle fleur-là était même si gracile qu'elle s'était brisée... "La sitelle, c'est une plante ?" demanda-t-elle intéressée. Quel était l'avantage de se choisir un nom si ce dernier n'avait pas de sens ? Aucun, n'est-ce pas ? Et c'est bien de savoir ce que le mot évoquait pour celui qui l'avait sélectionné parmi une multitude d'autres qui intéressait Écume.

Est-ce qu'elle avait été à la réception ? Bien sûr ! Comment la manquer ? Les réceptions étaient toujours un tel plaisir ici... Comme tout le monde, elle était présente. Ils y avaient tous été vivement conviés. Cela aurait été étrange de manquer à l'appel, même si celui-ci n'ait pas eu lieu officiellement. Oui, elle était là-bas et avait accueilli avec une lassitude certaine - bien que contenue - la succession de nouvelles. L'arrivée du nouvel enrôlé faisait parti des annonces mais elle n'avait pas retenu son nom pour autant. Elle ne retenait pas les informations dont elle n'avait pas l'usage et elle avait rarement l'usage d'un nom avant d'en connaître le propriétaire.

"Oui, j'y étais. Comme tout le monde", ajouta-t-elle, couvrant cette remarque qui pourrait paraître acide d'un sourire poli. "Sacré accueil ! A quoi le doit-on ?" Elle choisit de ne pas répondre au fait qu'il ne lui ait pas laissé un souvenir plus marquant que cela. Elle préférait découvrir les autres plutôt que parler d'elle. Et risquer de se dévoiler. En outre, l'arrivée inhabituelle du nouveau-venu était assez intrigante. Et, s'il la trouvait si rafraîchissante, peut-être serait-il enclin à converser. C'est même lui qui le proposait. Autant en profiter ! Les hommes aimaient tellement parler d'eux-mêmes. Et plus encore lorsqu'on les y incitait.

Bien qu'estropié, la Sitelle avait conservé ses instincts de chasseur. En bon prédateur, il cherchait à accumuler toutes les informations possibles. Malheureusement, ce n'était pas auprès de l’Écume qu'il pourrait en trouver. Celle-ci était une tombe sur son passé qu'on lui avait demandé d'enterrer en rejoignant le domaine. Et pour ce qui est de son point de vue sur les lieux, elle se gardait bien de le partager avec quiconque. Trop risqué. Elle n'avait encore aucun moyen de savoir qui était fiable ou non. Et sûrement pas un dernier venu, brandit comme trophée par la nouvelle dirigeante auto-proclamée. Non, Écume s'en tiendrait aux banalités administratives, d'organisation et d'orientation. Point. "Oui, tout le monde vit ensemble ici donc on se reverra sûrement", répondit-elle néanmoins, polie, engageante. Ouvrant la porte aux propositions du jeune homme. Le laissant venir à elle. Le laissant se prendre dans la toile de ses charmes afin d'en tirer toutes les faveurs qu'elle souhaiterait. "Je suis affectée à l'intelligence". Pour l'instant. "Et toi ? Officier ?" Puisqu'il n'avait pas été en cours avec elle le matin, c'était le plus probable. Alors elle tentait sa chance.

Sitelle secoua la tête en entendant Écume demander si l’oiseau était une plante. Il savait bien que les noms d’oiseaux n’étaient pas ceux que l’on connaissait en premier, surtout quand ils n’étaient pas communs comme pigeon ou rouge-gorge. Mais Sitelle n’avait pas eu envie de se faire appeler par ces piafs qui envahissent les rues, ni par un oiseau qui potentiellement indique qu’on attrape des rhumes tout le temps… Et une sitelle, c’est tellement plus délicat, plus joli, plus doux aussi. Plus petit, mais plus remarquable. D’ailleurs, il se demandait s’il allait pourvoir avoir un animagus de compagnie, ou encore un animal de compagnie à défaut. Enfin, une créature magique serait le mieux. Ou un chat. L’idée d’avoir un chat lui fit étirer un sourire et il répondit à Écume :

- C’est un oiseau.

Il n’ajouta pas autre chose, pour qu’elle puisse faire elle-même la découverte de l’ironie dans ce nom. Il haussa doucement les épaules pour répondre ce qui lui avait valu d’être exposé comme une bête de foire.

- Aucune idée. Tu n’es pas arrivé de la même sorte, exposé comme une sorte de bête de foire ?

On lui avait alors vraiment fait une sorte d’accueil spécial parce qu’il était en fauteuil roulant ? Ils avaient osé faire ça ? Sitelle inspira pour éviter de crisper sa mâchoire. Quiconque était derrière cette mascarade, était dorénavant blacklisté par Sitelle. Il releva le regard et se calma, cette jeune femme ne lui avait rien fait, au contraire, elle était plutôt avenante et sympathique, donc il n’avait pas à lui exprimer de mauvaises pensées.

- Oui, officier. Je n’ai rencontré de ma brigade que quelques personnes pour le moment, mais je dois avouer que je ne comprends pas encore ces histoires de séparation. J’imagine que ceux en place ici préfère la compétition pour faire monter les compétences… Tu es ici depuis combien de temps ?

Il observa l’heure et désigna le couloir

- Tu vas aussi en cours ?

Ainsi ils pourraient continuer de discuter tout en y allant. Sauf si elle devait partir ailleurs, dans ce cas-là, Sitelle avait bien l’intention de lui proposer de se revoir pour faire plus ample connaissance avec elle et ce lieu, mais aussi les brigades.

Écume prit un moment avant de répondre à Sitelle. Comme si elle avait décidé de le faire languir un peu. Elle resta silencieuse, à le regarder. L'observer. Tout d'abord parce que l'enrôlé venait de lui apprendre qu'il avait choisit un nom d'oiseau. Un oiseau ! Alors qu'il était cloué au sol. Pas de la même manière que n'importe quel humain. Car, en réalité, nous sommes bien tous cloués au sol. Non, lui n'avait même pas ses propres jambes pour se déplacer. Il était littéralement rivé sans possibilité d'avancer par ses propres moyens. Il était contraint de s'en remettre à un tas de ferraille. N'était-ce pas affligeant ? Et, malgré cela, celui qui ne pouvait sans doute même pas se servir d'un balai volant avait choisit comme code un nom d'oiseau. Mais pourquoi ?? Est-ce qu'il cherchait à compenser ? Est-ce qu'il n'avait aucune conscience de la réalité de sa situation ? Est-ce qu'il s'agissait d'un genre de symbole de sa grandeur perdue ? Quoi qu'il en soit c'était bizarre. Et Écume n'avait pas manqué de noter qu'il s'était abstenu de commenter. Elle voulu demander des explications sur ce nom. Mais quelque chose la retint. Une intuition que cela ne donnerait rien. Sitelle... Encore s'il s'était agit d'un manchot ! C'eusse été ironique, mais cohérent. Ce choix la sidérait et elle était bien déterminée à obtenir une explication un jour prochain.

De plus, son silence était dû au fait qu'elle ne sache pas réellement comment répondre car elle n'était pas certaine qu'il s'agisse de sarcasme ou non. Pensait-il que tous les enrôlés avaient droit à une cérémonie spéciale de présentation ? Après tout pourquoi pas. Elle aurait détesté cela, mais c'était possible. Peu de choses lui paraissaient impossibles ici désormais, tant elle en avaient vues d'incongrues. Pourtant Sitelle soulignait dans sa phrase l'étrangeté de cette arrivée. Était-ce donc une question réelle ? Devait-elle répondre ? "Non", finit-elle par dire avec un sourire empreint de douceur. "En tous cas ça n'a pas été le cas pour moi, ni pour ceux qui sont arrivés depuis. A part toi", précisa-t-elle. "Mais avant cela, peut-être. Qui sait ? C'est peut-être nous qui avons eu un traitement différent." Traitement, qui lui allait fort bien, d'ailleurs. Écume avait bien assez été exposée comme marchandise par le passé. Si cela devait se reproduire, ce serait avec son consentement explicite. "Tu n'aimes pas les projecteurs ?", ajouta-t-elle pour le taquiner, un sourire au coin des lèvres, car les mots du jeune homme en faisait un question quasiment rhétorique.

Elle nota son côté peu sociable. Ou solitaire. Et aurait pu se retrouver dans ce trait de caractère, elle qui ne s'était pas vraiment liée avec les membres de sa brigade. Pas plus qu'avec les autres enrôlés. Bien que les apparences puissent laisser en paraître autrement. Cependant, cette ressemblance entre eux deux n'attendrit pas la belle car elle y voyait des sources très différentes. Dans son cas à elle c'était un comportement induit par la force. Un acte de méfiance. La prudence qui était mère de sa survie. Pour lui, en tant qu'homme, il ne pouvait s'agir que d'arrogance. S'il se mêlait peu aux autres, c'est qu'il ne devait pas les trouver dignes de sa compagnie. D'autant qu'il ne mâchait pas ses mots et exprimait ses réserves avec beaucoup d'assurance.

Sans rien montrer de ces réflexions, elle sourit à sa remarque et répondit avec politesse, pour ne pas risquer de se trahir auprès de quiconque serait un traître ou un ennemi sur le domaine. "Je ne sais pas si c'est une histoire de compétition ou simplement de logistique. "Selkie" correspond au bâtiment dans lequel je dors et où je dispose d'un placard pour mes affaires. Je ne suis pas sûre qu'il faille que je les considère différemment des autres brigadiers." Mais peut-être se trompait-elle ?

Enfin, elle répondit à sa dernière question du ton badin qu'elle semblait nécessiter "Oui, j'ai un autre cours ensuite. Étiquette." Un cours particulièrement ennuyeux. "C'est dans mon bâtiment mais j'en ai pas pour longtemps à y aller. Je dois avoir encore le temps je pense. Non ? Il est quelle heure ?" L'africaine qui ne possédait pas de montre, devait compter sur les autres pour suivre la course du temps. Elle s'installait souvent en avance et profitait des salles de cours pour s'avancer sur ses devoirs. Elle avait une notion plutôt fiable du temps qui passait et pouvait estimer si elle était en retard ou non mais n'avait aucun moyen d'en être certaine par elle-même ni d'être très précise.

Sitelle observa la jeune femme. Vu que le directeur venait de changer, c’était peu être la nouvelle manière de faire entrer les enrôlés… Il décida de prêter à l’avenir une attention particulière pour savoir s’il avait été un cas d’exemple ou non. Il ne prit pas la peine de répondre à la pseudo-question des projecteurs. Pour lui, ce n’était pas une vraie question puisqu’il avait énoncé le processus comme le transformant en bête de foire. Il plongea plutôt son regard dans le sien, l’accrochant comme une amarre de bateau. En voilà une réflexion des plus étonnantes. Il nota qu’elle ne répondait pas à la question de savoir depuis combien de temps elle était ici. La raison en intrigua le jeune homme qui nota dans un coin de demander cette information à d’autre, puisqu’elle ne voulait pas le dire. Il devait y avoir une raison derrière. Toute chose avait sa logique.
En tout cas, le fait qu’elle ne considère pas les brigades comme telles était intéressant. De ce fait, il allait pouvoir converser sans devoir penser à cette compétition cachée.

Sitelle haussa les épaules et chercha à proximité une horloge ou quelque chose pour donner l’heure.

- Je n’en ai aucune idée. En général, je vais d’un cours à l’autre en attendant un peu pour ne pas avoir à monter les marches en premier.

Il se demanda si la montre de son grand-père moldu qu’il n’avait jamais connu, et qu’il avait laissé dans son sac fonctionnait toujours. Il la gardait plus comme un souvenir que comme un objet utile. Après tout, en temps normal, l’heure était accessible partout. Mais ici, avec les cours et les timings à tenir, il avait l’impression que cette relique allait peut-être lui servir un peu plus…

- J’ai des cours d’étiquettes aussi, mais je n’en ai pas encore eu. Je pense que ce sera peut-être le cours le moins passionnant…

Puis il ajouta dans un coin de sa tête de demander à quelqu’un de sa brigade les anciens cours pour ne pas avoir besoin de suivre, en apprenant en amont, à sa manière et à sa vitesse.

- Est-ce qu’il nous sera possible d’échanger encore ? Puisque tu es arrivée avant moi, il y a sûrement des questions auxquelles tu pourras répondre. Mais je comprendrai que tu aies envie de faire autre chose que guide touristique les nouveaux.

Et il pencha à peine la tête en posant sa question. Il était toujours bien plus facile de réussir à quoique ce soit, où que ce soit, quand on avait des informations. Savoir, c’était pouvoir et surtout réfléchir pour ajuster.

- En tout cas, merci pour ton temps Écume.

C’était quand même bien rafraichissant de ne pas se faire envoyer bouler ou avec quelques sorts qui lui bloquerait les roues. Son fauteuil détestait ça et il avait ensuite la fâcheuse tendance à foncer dans celui qui avait lancé le sort jusqu’à temps de le percuter, peu importait la distance ou le temps à mettre pour le faire…

"Dans ton cas, tu es déjà arrivé, puisque ton prochain cours est la porte à côté. Quand il commencera à y avoir du monde, j'en déduirais que l'heure approche et je filerai vers mon bâtiment." Il y avait peu de personnes encore. Quelques discussions plus loin dans le couloir, des enrôlés qui passaient, mais pas de groupe suffisamment conséquent pour alerter sur l'heure. Et puis, si elle attendait suffisamment, peut-être que Lancelot reviendrait et qu'elle pourrait le remercier.

Elle ne releva pas que Sitelle "montait" des marches. Après tout, il fallait bien qu'il le fasse d'une manière ou d'une autre. Son fauteuil devait être ensorcelé pour. Elle sourit, en revanche, à la remarque du jeune homme sur l'intérêt des cours d'Ishtar. "C'est en mineure pour l'Intelligence, alors on a 4h par semaine." Puis elle se souvint. "Dont 2 avec vous, je crois. Le vendredi." Si l'oiseau sans aile témoignait de son ennui pendant la classe, cela ferait au moins une distraction pour Écume. Elle aurait même presque pu envisager de s'asseoir à ses côtés pour passer le temps mais elle n'oserait jamais discuter pendant un cours. C'était un manque de respect inadmissible à ses yeux. Même si le cours ne la passionnait pas particulièrement. Elle restait néanmoins attentive et enregistrait les informations reçu. Indifférente.

Puis elle souffla, amusée par la question de Sitelle. Qu'elle le veuille ou non, ils seraient sans doute amenés à échanger. Le domaine n'était pas si grand, ils avaient plusieurs cours ensemble et maintenant qu'elle avait fait sa connaissance, ce serait étrange de l'ignorer. "Quoi qu'il arrive, on se verra tous les lundis", répondit-elle, taquine. Une manière de dire oui tout en gardant ses distances. Un jeu auquel elle prenait aisément plaisir. Du moins quand c'est elle qui menait la danse. "On a aussi des cours en communs les mercredi, vendredi et samedi. Alors, je pense qu'on se reverra." Se revoir, disait-elle. Et non pas parler. Écume parlait quand on lui adressait la parole mais n'était pas du genre à provoquer une conversation si elle n'y était pas obligée. Sauf avec ceux qu'elle aimait, bien entendu. Mais ce n'était le cas de personne ici.

Devenir guide touristique ne l'enchantait guerre. En effet. Du moins pas présenté ainsi. Le rôle semblait ennuyant à mourir ! En revanche, répondre aux questions, tant qu'elles n'étaient pas personnelles, ne lui posait pas de problème. Au contraire. C'était une manière assez efficace de se faire apprécier. Voir de rendre redevable. Et c'est par les échanges, quels qu'ils soient, qu'on attachaient les autres à soi. Les attaches, une fois ficelées, avaient toutes sortes de pouvoir dont Écume ne se lassait pas de  bénéficier.

Oh mais, elle venait d'y penser ! "Il y a... une bibliothèque dans le bâtiment principal. Je ne sais pas si tu l'as déjà visitée ? Tu pourras y trouver des résumés des cours qui ont eu lieux avant ton arrivée." Pourquoi y avait-il des cours avant l'arrivée de tout le monde et pourquoi faudrait-il les rattraper demeurait un mystère pour la belle. Mais peut-être que Sitelle trouverait l'information utile. "Je te montrerai si tu veux. Et si t'as des questions, hésite pas." Les gens se montraient assez gentils ici, et tout le monde auraient sans doute répondu à l'estropié sans problème. Mais s'il se liait avec les autres, elle réduisait la chance de le plier à ses charmes. Pire, elle prenait le risque qu'il s'allie à d'autres contre elle. Hors de question.

"Pas de soucis", répondit-elle radieuse. "C'était un plaisir Sitelle". Écume avait compris que mimer l'attitude de son interlocuteur se révélait assez efficace pour l'amadouer. Il l'appelait par son pseudonyme, elle en faisait de même. "Je peux rester encore un peu si t'as d'autres questions. C'est normal quand on arrive."

Sitelle tourna la tête vers le couloir et la porte en question. Ecume avait une notion d’où était les choses et les personnes et cela allait lui être très utile, sauf si elle décidait de ne pas y répondre, comme pour la durée de sa présence ici. Sitelle fit une grimace aux 4h de cours d’étiquettes. Franchement, c’était vraiment disproportionné. Qui allait devoir utiliser de l’étiquette quand on sait que les mangemort se connaissent entre eux et qu’ils n’allaient certainement pas se vexer si on n’utilise pas les bons couverts pour un plat lors d’une réception… Il replongea ses yeux dans le regard d’Ecume.

- Tu as retenu les emplois du temps de tout le monde ? demanda Sitelle assez intrigué et intéressé. C’était le genre de détail qui vaut quelque chose. Savoir retenir ce genre d’information pouvait pour les rebelles être effectivement un atout. Je dois avouer que je n’ai même pas encore appris par cœur le mien. Je ne m’attendais pas à venir dans cette sorte d’école pour adulte alors que j’ai déjà fait des années dans celle de mon pays…

Il songea que ce n’était peut-être pas le cas de tout le monde, mais dans ce cas, pourquoi ne pas faire des cours particuliers et adaptés à chaque cas plutôt que de faire des cours d’étiquettes. Non, vraiment, la raison de ce cours lui échappait.

- Très volontiers. On m’a parlé de quelques endroits qui seraient intéressant à visiter alors si tu veux te joindre à moi, je suis sûr et certains qu’on pourrait y découvrir pas mal de chose. A défaut d’aller en mission ou d’être utile à la rébellion, je pourrais me familiariser avec cet environnement. Et même pour toi, je suis convaincu que découvrir des choses ici ne te serait pas trop ennuyant.

Il observait Ecume. Elle semblait ouverte et à la fois sur la réserve, ce que Sitelle appréciait. Ceux qui parlait sans s’arrêter et enchainait les discussions lui étaient insupportables.

- Tu as eu quelqu’un qui t’as expliqué aussi tout ce que tu voulais quand tu es arrivé ? Une sorte de parrain ? Ou est-ce que tu as été désigné ? Je ne m’en plains pas, au contraire, c’est juste pour savoir si je devrai faire la même chose ou si j’ai juste eu de la chance que tu tombes sur moi.

Etant donné qu’elle n’avait eu aucune réaction de pitié, il avait d’ores et déjà mis de côté cette raison pour le fait qu’elle lui réponde et qu’elle soit avenante avec lui. Mais ses raisons étaient encore obscures pour Sitelle et même si elles étaient probablement simples, liées à sa personnalité, il aimait à en savoir l’origine. Il sourit à son jeu de mot qui était à moitié volontaire, tout en guettant les quelques personnes qui ne se pressaient pas pour entrer en cours.

Écume souffla, amusée par la question de Sitelle. Aucune moquerie dans sa réaction. Elle trouva simplement cocasse qu'il s'imagine qu'elle ait pu retenir une telle information. Qu'elle ait pu le vouloir surtout ! Car elle était tout à fait capable de retenir les choses. Elle en retenait beaucoup même, puisque les informations étaient la clé de sa survie et qu'elle n'écrivait que lorsqu'elle y était contrainte. Sa mémoire était de fait redoutablement efficace et pouvait enregistrer une information au moment même où elle la percevait. A condition, seulement, de le désirer. Or elle n'avait aucun intérêt à connaître l'emploi du temps des autres spécialités. Si elle avait cherché à plaire à l'un d'entre eux en particulier, souhaitait monopoliser son attention, alors elle étudierait ses déplacements. Mais elle n'avait trouvé personne qui justifie un tel effort de sa part. Elle séduisait de-ci de-là, pour s'attirer les bonnes grâces de ses camarades et se sentir plus en sécurité mais n'avait pas de cible de prédilection. Pour le moment.

"Non, je n'ai retenu que le mien." Et c'était déjà pas mal ! "Mais certains cours sont en commun, alors à force de  revoir les mêmes têtes, je connais des morceaux de leur emploi du temps aussi." Elle sourit à l'aveu de Sitelle et le rassura. "C'est normal de ne l'avoir pas encore retenu. Mais t'as juste à repérer quelques officiers et les suivre au début. A force tu prendras l'habitude."

Elle fut surprise, cependant, du rejet de Sitelle vis à vis des cours. Et son excuse n'y changeait rien. Avoir été à l'école était une chance. Un privilège. Elle avait toujours pensé que ce devait être fabuleux mais maintenant qu'elle pouvait le vivre réellement, c'était vraiment enrichissant. Bien sûr c'était épuisant. Il y avait ces longues heures de cours, un déluge d'informations à retenir, les entraînements, les rédactions. C'était exténuant, même. Il fallait resté assis des heures durant, attentive, calme. On ne pouvait pas aller et venir comme bon nous semble. Soit. Mais malgré ces règles, Écume était libre pour la première fois. Elle n'appartenait plus à personne qu'à elle-même et pouvait décider en son propre nom. Elle avait le même statut que tous ses autres camarades, les mêmes droits. Elle recevait un enseignement et n'avait pas à se cacher ou à mentir pour cela. Les instructeurs étaient à l'écoute, la considéraient. Elle était reconnue.

"Tu n'apprends rien ici ?" Demanda-t-elle intriguée avant de poursuivre au sujet de la bibliothèque. "Ça va être trop juste pour que je te montre maintenant" Difficile de savoir combien ses roues le ralentissaient. En tous cas, il y avait peu de chance qu'il puisse courir si besoin. Et puis, il était quasiment à la porte de son prochain cours, ce serait idiot de l'éloigner. "Mais après le cours si tu veux", ajouta-t-elle avec un sourire avenant. Il devrait avoir fini sa journée, s'il n'avait pas de sport à faire le lundi soir. Voilà qui donnerait à Écume une excuse pour sauter le dîner et éviter la foule. Elle irait se préparer un repas rapide à la réserve.

Alors, Sitelle lui proposa d'explorer le domaine en sa compagnie. Elle n'était pas experte -malgré ce que l'on pouvait penser - mais cela ressemblait bien à un rendez-vous. Elle s'enorgueillit d'avoir réussi aussi facilement à susciter l'intérêt du nouveau venu et ne se priva pas d'accepter. Après tout, comme il le soulignait, il n'y avait rien de bien palpitant ici puisqu'ils étaient privés de missions. Autant s'occuper. "On a beaucoup de travail en dehors des cours. Donc peu de temps." Et encore moins pour soi-même. "Mais l'offre est tentante. Si je ne prends pas trop de retard dans mes leçons, je t'accompagnerai avec plaisir." Elle s'abstint de confirmer que l'invitation sonnait bien officielle, pour éviter d'en briser la magie. La subtilité était un des enseignements officieux qu'elle recevait à Rementor. "Tu penses à un endroit en particulier ?"

Et pour ce qui est de son arrivée, non, elle n'avait pas eu de parrain. Est-ce que ce genre de choses se faisaient habituellement ? "On ne m'a pas vraiment expliqué, non", répondit-elle en secouant doucement la tête. "Il y a cette fille de ma brigade qui m'a montré mon lit et décrit un peu le fonctionnement." Elle ne donna pas son nom pour ne pas perdre Sitelle au profit de Pivoine. "Mais uniquement parce que je suis tombée sur elle je pense." Comme elle sur lui, aujourd'hui. Comme quoi... "Bref, tu n'auras rien à faire en retour. Tu as juste eu de la chance", ajouta-t-elle avec malice.

Sitelle nota que si Ecume avait eu le temps de noter un paterne dans les rotations des cours et voir des têtes récurrentes alors elle était là depuis déjà un certain moment.

- Si je me mets à suivre des officiers, ils risquent de se méprendre sur mes intentions, répondit Sitelle amusé. Mais je note.

Il songea quelques secondes et réfléchi à sa journée.

- Je pense que je peux apprendre dans certains cours. Mais j’aime à apprendre de moi-même donc je sais déjà que je vais prendre de l’avance sur ces cours avec la bibliothèque et les cours des brigades. Et du coup… je pense que je vais vite m’ennuyer en cours. Mais…

Il fronça les sourcils et questionna

- Beaucoup de travail en dehors des cours ? Comment ça ? Je n’ai pas d’information sur ça. Pour ma part, je pense qu’en dehors des horaires de cours, on est vraiment libre et donc que je pensais, à défaut de servir à quelque chose pour la cause, découvrir un peu le domaine. Je pensais pour les bâtiments, voir s’il existe des registres d’entrées, de missions, un plan, les archives du coup. Peut être les sous-sols et voir si on a des options de sorties en cas d’intrusion par exemple. Je n’aime pas savoir que je suis dans un endroit sans avoir différentes options de sortie. Donc… Les archives en premier et les sous-sols ensuite.

Il avait réfléchi à haute voix, toujours en l’observant. Il ne comprenait toujours pas les raisons qui poussait la jeune femme à l’aider ou à accepter de venir découvrir le domaine.

- Voici ce que je te propose, et je pense que l’offre est tentante. En échange de t’aider dans les cours si tu le souhaites, tu m’accompagnes dans les différentes recherches. En plus d’être sûr de réussir dans les matières, tu en apprendras sur le domaine et pour moi, c’est l’assurance que si deux jambes sont nécessaires, je ne serai pas bloqué. Qu’en penses-tu ?

C’était équitable et Sitelle n’avait aucune mauvaise appréhension envers Ecume. Et si contrairement à lui elle n’avait pas eu la chance d’étudier, il lui serait facile d’être équitable entre des cours particuliers et son temps.

- Je te propose de me donner la réponse après les cours du soir, si tu veux aller du côté de la bibliothèque pour voir. Je sortirai en dernier de toute façon de la salle de classe.

Il n'avait pas de sourire affiché, mais son regard était franc et amical.

Effectivement, Écume se fichait pas mal qu'on puisse se méprendre sur ses intentions. Quand il s'agissait de la méprise que Sitelle insinuait, ça ne la dérangeait même pas du tout. "Tu n'es pas obligé de suivre toujours les mêmes", répondit-elle amusée des préoccupations de l'enrôlé.

L'estropié évoquait son projet de prendre de l'avance sur les cours en lisant. Elle n'était pas particulièrement experte en livre mais n'était pas convaincue que les deux se valent. "Je sais pas si la bibliothèque suffira à t'ennuyer en cours", réagit-elle donc, dubitative. Après tout, l'intérêt de l'instructeur était d'apporter son expertise, ses connaissances personnelles pour enrichir, compléter celles des livres et les présenter de manières concrètes en classe. L'avantage aussi, c'est qu'un instructeur pouvait être questionné pour éclaircir ou approfondir certains points. La bibliothèque n'apportait rien de tout cela qu'elle sache. "Mais toi qui aime les livres, par hasard, tu ne connaîtrais pas un sort de lecture ?" En effet, après plus de 2 mois, elle avait fini par comprendre que les livres étaient omniprésents ici. Et, si elle s'en sortait très bien sans - n'en déplaise à certains - elle était lucide que certains ouvrages pourraient lui être utiles. Comme la lecture lui prenait beaucoup trop de temps pour être une activité agréable ou intéressante, elle cherchait une alternative.

Elle sourit aux questions du volatile sur les devoirs. Décidément, il semblait aimer connaître l'ensemble des tenants et aboutissants de son environnement. Ce qu'elle comprenait, en théorie, mais trouvait plutôt dangereux venant d'un homme. "Je vois pas qui t'en aurais parlé", répondit-elle en souriant. "C'est le genre de bonus qu'on découvre en direct. T'es libre, oui. Mais on a des exercices à faire, des devoirs à rendre et puis des examens à préparer, théoriques et pratiques. Ça prend du temps." Qui plus est quand on doit réfléchir à chaque lettre que l'on trace, aux accords, à la conjugaison, à la grammaire. Sans être jamais sûre des réponses. "Mais tu es libre de ne pas t'exercer ni rendre de devoirs, oui." C'était un comportement étrange aux yeux de la belle, irrespectueux envers les instructeurs. Mais soit. C'était sa vie et il en faisait bien ce qu'il voulait.

Par ailleurs, Écume appréciait que Sitelle parle aussi ouvertement. De nature méfiante, elle n'était pas sûre qu'il soit honnête sur ses intentions. Mais il n'avait pas peur de mépriser les cours, d'étaler ses projets de recherches sur des informations du domaine, probablement secrètes. C'est alors qu'elle eu soudain un doute. Et si Sitelle était venu la sonder sur sa fidélité à Rementor ? Au nom de la doyenne par exemple ? Si c'était un test ? Cependant, l'idée de connaître un échappatoire la séduisait bien. Elle pourrait toujours inventer une excuse, non ? Qu'elle avait suivi l'estropié pour mieux le surveiller ? Ou le protéger selon qui la questionnera. En tous cas, il semblait avoir en tête un plan bien défini. Elle y acquiesça d'un hochement.

Et puis, le mâle montra sa vraie nature de dominant arrogant. Il proposait de l'aider pour les cours, alors qu'elle n'avait rien demandé ! Supposait qu'elle en avait besoin, sans même la connaître ! Et il considérait qu'il avait un tel niveau qu'il pouvait lui assurer d'excellents résultats à ses examens. Bien qu'ils n'aient pas les mêmes cours ! Incroyable. Elle prit sur elle pour dissimuler sa colère, mais n'attendit pas plus tard pour donner sa réponse, refusant l'offre qu'elle ne trouvait en rien tentante. "C'est très gentil", dit-elle avec douceur. "Mais je n'ai pas besoin d'aide. Tu sais, je peux t'escorter dans tes recherches sans que tu ne proposes autre chose en échange. Et si c'est important pour toi, on trouvera bien quel service tu pourras me rendre", ajouta la brune avec un sourire espiègle. Elle trouverait forcément une occasion de se faire rembourser s'il tenait à avoir une dette envers elle. "Je repasse te prendre dans 2h ?" conclut-elle. Ainsi elle pourrait l'emmener visiter l'antre des livres. Elle aurait le temps de remercier Ishtar avant de revenir chercher Sitelle.

Sitelle empêcha un rire au moment où Ecume lui recommandait de ne pas toujours suivre les mêmes officiers. C’était assez évident. Mais de ce qu’il avait remarqué, il n’y avait pas tant d’officier que cela et si jamais ils restaient ensemble comme un essaim, Sitelle allait vite être repéré. En revanche, il trouva la naïveté d’Écume sur la bibliothèque presque touchante. Il émit alors l’hypothèse qu’elle n’avait jamais mis les pieds dans une véritable bibliothèque. L’une de celle qui vous fait des frissons en entrant. Où vous sentez l’âme des livres et où il y a toujours ce bibliothécaire ou cette femme qui sait parfaitement où est LE livre dont vous avez besoin. Si la bibliothèque d’ici était de ce genre, Sitelle n’aurait aucun mal à s’ennuyer en cours. Les livres… les livres racontent des faits, enferment des pensées, des réflexions, empêche l’humeur de tordre les paroles et l’assoupissement des réceptacles à mal comprendre leurs écritures. Après tout, il suffit de les lire pour comprendre. Il n’y a pas ce maudit facteur humain où il faut lire entre les lignes pour voir si le sourire apporte une ironie à la phrase.  

- Hum, je connais des sorts qui permettent à ce que les livres se lisent tout seuls. Il suffit alors d’être attentif et d’écouter. Par contre, je n’en connais pas qui permettent de transférer les écritures directement dans ton esprit.

Il écouta attentivement la jeune femme lui sous-entendre qu’une sorte de compétition aux secrets du lieu était en cours. Sitelle n’était pas pour les compétitions, mais cela impliquait que s’il voulait découvrir quelque chose, il allait devoir le faire par lui-même car personne ne lui faciliterait la tâche. Il hocha doucement la tête, sans perdre du regard les pupilles de sa vis-à-vis. La notion de devoir et des examens eu un effet presque glaçant. Se replonger dans un système scolaire alors qu’il avait passé des années à se défendre et à protéger les faibles ou les mis de côtés contre ceux qui faisaient tout pour le faire échouer… Ici ne serait pas différent. Les adultes ne sont que des gamins ayant une baguette avec plus de sortilège. Sitelle n’empêcha pas sa grimace et soupira doucement. La rébellion s’annonçait bien moins enrichissante et efficace qu’il se l’était imaginé. A compter de cet instant, il considéra cet endroit comme un vivier de chair à pâté qu’on gave de bouquin et de choses inutiles. Il allait vraiment devoir se débrouiller par lui-même pour apprendre des choses utiles à ses yeux…

- On m’a parlé de « punition » en cas de manquement, mais je n’ai vu aucun règlement, donc je suppose qu’effectivement, personne ne m’en tiendra rigueur si je ne rends pas des choses juste pour prouver que j’ai retenu des lignes d’écriture…

Il ne cachait pas son dépit. Néanmoins, il acquiesça au refus d’Écume. Il proposera de nouveau quand elle prendra du retard, comme elle l’avait mentionné plus tôt. Si elle n’avait jamais étudié, il était normal et logique qu’un moment ou un autre, elle se retrouve comme tout étudiant qui découvre les « joies » des études, submergés par des devoirs sans intérêt.

- Ce n’est qu’une proposition. Elle reste valable au besoin. On a tous un moment ou l’autre besoin d’un coup de main. J’accepte ton aide en revanche. Et si je ne te dois rien, cela me va parfaitement. Tu auras ma reconnaissance en revanche.

Sitelle acquiesça de nouveau et désigna la porte où le professeur venait de rentrer.

- Je serai au même endroit, ironisa-t-il avec un sourire.

Et il laissa son fauteuil avancer, ce dernier ayant décider qu’il lui fallait de la place et donc ne pas trainer dans les couloirs vu que le cours allait commencer ;