Écume semble très intéressée par le cours de survie. Et, à en juger par ses suggestions, Cormoran se dit qu'elle sera très douée pour cette matière. Il ne se souvient plus si ce sujet est une majeure de l'intelligence. Si elle s'y intéresse tant, il lui faudrait changer de spécialité pour rejoindre celle qui l'étudie beaucoup. Le changement de spécialité est-il seulement possible? N'ayant aucune envie de changer la sienne, Cormoran ne s'est jamais posé la question.

Bien vu! Je ferai ça la prochaine fois

La discrétion peut se révéler cruciale pour sa spécialité. Même s'il avait tendance à penser que l'infanterie n'était pas là pour faire dans la dentelle, les attaques surprises reposaient sur la furtivité. Et s'il décidait de ruiner ladite furtivité, il enverrait beaucoup de monde vers une mort certaine, lui compris.Quant au sort qu'il avait tant espéré qu'elle connaisse déjà, il n'y avait plus d'échappatoire. Il lui fallait maintenant tenir sa parole. Il soupira, regarda autour de lui, et expliqua:

Par contre, pour les mêmes raisons que celles qui font que l'explosion du rocher était une mauvaise idée...
Il gratta l'arrière de son crâne, vérifiant rapidement que la phrase maladroite qu'il venait de prononcer avait bien un sens
...il vaudrait mieux aller dans la salle de duel chez les Selkie. Ou alors...
Non, pas le bâtiment Selkie. Andromeda est Selkie. Et si elle les voit...Mais d'ailleurs, quand bien même elle les verrait, qu'y aurait-il de mal? Il ne faisait rien d'ambigu avec Écume, il allait simplement lui montrer un sort. Personne n'aurait rien à en redire, et même si c'était le cas, il n'aurait qu'à les envoyer paître. Depuis quand se préoccupait-il tant de ce que d'autres pensaient de la manière dont il menait sa vie?
...sinon on peut trouver un truc pour tester à l'extérieur plus loin...
Il s'en préoccupait depuis qu'il s'était retrouvé à discuter avec une jeune femme qui l'avait d'abord franchement allumé, avant de faire marche arrière puis de le regarder avec des yeux indescriptibles. Non, toute réflexion faite, une expression de ses anciens collègues moldus décrivait parfaitement le regard d'Ecume: les yeux qui crient "braguette".
...mais on va plutôt aller dans la salle de duels. J'aurais pas envie de déranger des animaux avec le sort. Déjà que j'ai délogé pas mal de gnomes à force de piétiner l'herbe avec mes gros sabots...
Cormoran s'efforça de supprimer tout le côté ambigu de la situation afin de l'examiner d'un regard objectif: il avait proposé son aide à une enrôlée, elle avait accepté. Elle l'attirait, mais il n'avait pas l'intention de faire quoi que ce soit. Ses yeux criaient des choses, mais leur propriétaire, elle, n'avait rien dit. Tout était donc clair et il n'était nullement nécessaire de fuir le bâtiment Selkie.

On y va?

La belle était fière d'avoir convaincue la bête et, plus encore, d'avoir semble-t-il résolu l'exercice avec succès. Voilà même qu'elle développait un bulbe de sympathie pour un instructeur. Il allait falloir qu'elle reste vigilante et qu'elle n'en oublie pas pour autant ce qu'il est ! Bénéficier de son savoir, l'absorber pour l'utiliser à ses fins, oui, se laisser charmer par son intelligence, jamais. Non, Écume valait mieux que cela ! Du moins en était-elle convaincue. Du moins... voulait-elle s'en convaincre... Ce midinet négligé, arrogant, toisant le monde de son égo ? Pff, il n'avait aucune chance de l'attendrir ! C'est elle qui le charmerait afin d'extraire toute sa connaissance, qui travaillerait jusqu'à devenir sa favorite, rirait à ses blagues, se pavoiserait devant son talent jusqu'à le soumettre par la faille de l’orgueil. Voilà une perspective qui la ravissait. Dommage qu'elle n'ait pas plus d'heure de cours avec Lancelot. Le directeur ne semblait pas penser que cette matière était vitale pour sa spécialité. Tant pis, elle se ferait autoriser des leçons particulières !

Mais revenons à nos moutons, ou plutôt à notre buffle qui venait d'accepter de nous montrer le sort et de nous le montrer maintenant ! La jolie brune n'en attendait pas tant, elle était ravie d'un tel succès auprès du colosse chevelu. Celui-ci lui proposait d'aller dans le dojo Selkie ou de s'isoler tous les deux dans la plaine. Voilà qui ressemblait presque à un stratagème pour se retrouver seule avec elle. Un stratagème bien alambiqué ! Quelle idée de s'isoler quand il suffisait de demander ? Ce n'était pas vraiment rassurant... Qu'avait -il derrière la tête qui nécessite de se soustraire à la vue de témoins ? Étrange. Venant d'un expert en magie offensive, qui plus est ! Dangereux. Mais enfin, qu'avait-elle en tête ? Elle n'allait tout de même pas prendre de tels risques !? Pas qu'elle ne puisse pas les surmonter, mais pour autant, était-ce une raison pour chercher les ennuis ? Clairement, le dojo semblait une option bien plus sûre que la plaine. Plus fréquentée.

Ce n'est pas qu'Écume ne se préoccupait pas de déranger la faune locale, bien au contraire. Elle vouait un profond respect à la nature dont elle savait n'être qu'un élément et ne se serait jamais permise d'en perturber l'harmonie. Mais quand il s'agissait de sa sécurité, tous ses sens se mettaient en alerte pour la préserver, quitte à bousculer le sens de ses priorités, réviser ses valeurs ou négocier avec la morale. En l’occurrence, dans ce cas précis, valeurs morales et intérêts personnels coïncidaient, une chance !

Après un petit rire mélodieux à l'image du bovin massif qui parcourait les hautes herbes de ses sabots et dénichait des créatures magiques en grattant la terre de ses cornes, Écume acquiesça à la question d'un signe de tête franc accompagné d'un sourire et répondit "Je te suis !". Elle avait complètement perdu la notion du temps et n'avait pas la moindre idée de combien de temps la leçon prendrait puisqu'elle ne connaissait pas du tout ce sort. Elle espérait qu'ils auraient le temps avant son cours d'Étiquette. Non pas que le sujet la passionne, bien au contraire ! Elle aurait d'ailleurs volontiers échangé deux heures de cette mineure contre deux de survie... Néanmoins, elle tenait à se montrer respectueuse envers l'instructrice. C'est pourquoi, elle demanda tout de même "Tu as l'heure s'il te plait ?"

Ils se dirigèrent donc vers le bâtiment Selkie et sa salle de duels, où l'on pouvait sans problème faire exploser des objets sans qu'ils ne manquent à quiconque. Ils étaient même là pour ça! Cependant, Ecume lui demanda l'heure et il se sentit bête. Depuis son arrivée au Domaine, il n'avait plus de montre sur lui et s'appuyait uniquement sur les horloges qui croisaient son chemin. Avant, il avait ce bidule moldu qui tenait dans sa poche et permettait aussi de parler aux gens. Les moldus s'en servaient aussi pour jouer à des jeux à base de bonbons et d'oiseaux à lancer sur des forteresses, pour prendre des photos et les enlaidir avec des filtres, et pour se moquer d'inconnus en s'envoyant des blagues dont il ne saisissait jamais les références. Mais aussi étrange puisse être cet objet rectangulaire, au moins il donnait l'heure.

Il demanda donc l'heure au premier propriétaire de montre qu'il vit passer. Ce dernier les renseigna avant de partir, pressé.
On a encore vingt bonnes minutes avant le cours suivant. Ça devrait le faire mais on va pas trop traîner. T'as quoi après?
Son prochain cours, c'était l'extraction des informations. Heureusement que Morrigan était une instructrice sympathique, Cormoran détesterait apprendre à obtenir des informations de quelqu'un auprès de quelqu'un qui semblerait aimer un peu trop ça! Il lui faudrait en revanche se dépêcher d'aller dans le bâtiment Occamy pour ne pas être en retard. Effectivement, mieux valait ne pas traîner.

La salle de duels était presque vide. Cormoran y trouva rapidement une de ses cibles préférées: un mannequin de bois qu'il avait affectueusement surnommé "Jean-Granit". Il ne disait plus ce nom à voix haute depuis la disparition du véritable Granit. Il est de mauvais goût de rire de se moquer d'un disparu, aussi détestable fût-il, mieux vaut attendre que ladite disparition soit suffisamment ancienne pour que les peur liées à l'évènement se soient toutes dissipées.
Je te présente mon partenaire de TP! expliqua-t-il en présentant fièrement le mannequin abîmé. On va lui faire deux-trois cratères, alors je te conseille de lui donner le nom de quelqu'un que tu n'aimes pas. C'est super pour se motiver
Il le plaça dos au mur, de manière à ce qu'aucun "tir ami" ne puisse toucher par erreur quelqu'un qui passerait derrière. Il expliqua ensuite à Ecume comment faire pour lancer le sort: il suffisait simplement de pointer la cible en prononçant le mot "bombarda"
Il faut juste y aller un peu sèchement, comme si l'explosion partait de ton bras pour se projeter par ta baguette. Du genre...bombarda

Le sort provoqua une petite détonation, sèche comme un pétard qui claque. L'écho de la salle amplifia le bruit, et Cormoran plissa brièvement les yeux, surpris par le volume sonore. Un peu de fumée sortait du torse de Jean-Granit, autour d'un creux du diamètre d'une boule de pétanque évidé dans le bois.
Et maintenant, je pense que tu as compris pourquoi je me suis fait engueuler pendant le cours de survie! plaisanta-t-il. Tu veux essayer?

La jolie brune suivait son professeur éphémère bien qu'elle pu tout aussi bien mener la marche puisqu'ils se dirigeaient vers son propre bâtiment. Peut-être eut-ce été plus convenable de sa part de prendre les devants ? Le volatile semblait tenir à lui servir d'escorte. Une manière, sans doute, de conforter son rôle de prétendu chevalier servant. Soit. Elle n'allait sûrement pas se permettre de le contrarier alors même qu'elle cherchait à l'asservir. Elle prit donc sa suite, sagement, et contourna le corps de ferme pour se diriger vers le dojo à l'arrière. En une semaine, depuis son arrivée, elle avait déjà visité l'endroit. Avide de découvrir ce domaine qui l’accueillait et se proposait de lui servir de foyer. Pour autant, et même si elle s'y était installée plusieurs fois, à regarder les enrôlés s'entraîner, elle n'avait encore jamais utilisé le matériel magique à disposition. Elle ne tenait pas à exposer ses entraînements à la vue de ses camarades qui ne manqueraient pas de noter ses difficultés pour les utiliser ensuite à son insu. Elle préférait pratiquer à l'abri des regards et ne s'aventurait à lancer un sort dans le dojo qu'à condition d'être sûre de le maîtriser déjà. Cette visite avec Cormoran relevait donc bien de l'inauguration pour l’Écume.

Le fait qu'il ne possède pas de montre lui non plus la rassura. Elle se senti moins misérable. Ou plutôt moins seule dans sa misère. Elle admira presque l'assurance, la simplicité, avec lesquelles le rustre demanda l'information à un brigadier qui passait. Émerveillement qui ne tarda pas à passer quand M. Muscle trouva nécessaire de calculer pour elle le temps qu'il leur restait avant le cours suivant. Elle retint une remarque acerbe qu'elle troqua pour un sourire obligé.

Lorsque Cormoran lui présenta Jean-Granit, qu'il se garda de nommer, elle fut assez déstabilisée par la familiarité dont il faisait preuve à l'égard du mannequin de bois. A se demander s'il avait bien conscience que cette chose n'était pas vivante. Et, en même temps, il était presque triste d'imaginer que le pantin puisse être le seul ami de la bestiole chevelue. Un ami qu'il détestait en plus, manifestement.

Elle sourit, comme toujours, entre amusée par la situation et déroutée en répondant "Si c'est un partenaire, je peux lui donner le nom d'une personne de confiance, non ? Il ne devrait pas trop m'en vouloir que l'on s'exerce ensemble."

Et alors commença la démonstration. Écume écouta attentivement les consignes. "Y aller un peu sèchement" ne serait pas le plus difficile. Après tout, elle avait bien réussi à perforer l'esprit de ses amies à l'époque. Et cela avait demandé pas mal de volonté et de brutalité. Elle braqua son regard sur le colossal oiseau marin pour ne pas perdre le moindre détail de sa posture, de son intonation, de sa prise sur la baguette ni du mouvement qu'ils dessinaient ensemble. Alors le sort fusa. Elle eut d'ailleurs à peine le temps de reculer en le voyant amorcer le tir. Par sécurité.

Elle plissa les yeux, comme si cela pouvait protéger ses tympans de la violence soudaine provoquée par la détonation avant de les écarquiller devant le résultat. Impressionnant. Elle dévisagea son responsable, le scannant de bas en haut avec un regard nouveau. Surprise. Presque inquiète. Clairement, il ne fallait pas avoir de Cormoran dans le camp adverse, ni mettre celui-ci en colère.

"Wow. Je... Wow", commenta-t-elle, ébahie. "Impressionnant." Elle n'était pas sûre de pouvoir en faire autant. Même presque certaine de l'inverse. Elle s'approcha du buste de bois, ou plutôt de la fumée qui s'échappait de ce qui fut auparavant un torse et caressa les pourtours du cratère creusé par magie. Elle ne réussirait jamais à atteindre le quart de la moitié de la puissance de frappe à laquelle elle venait d'assister. Elle allait se ridiculiser, et devant témoins ! Non, il fallait qu'elle s'entraîne, avant de pouvoir présenter un tel sort. C'était sûr. Elle se retourna donc vers Cormoran pour répondre sa question, avec une expression mutine et déterminée dans le regard. "Non", qu'elle adoucit d'un "merci".

Donner le nom d'une personne de confiance à un pantin fait pour recevoir des sorts offensifs? Cormoran haussa un sourcil.
Mais non enfin! Il sert à se faire maltraiter par des sorts offensifs, 'faut pas lui donner de nom de gens que t'apprécies! Sinon t'as plus envie de lancer tes sorts dessus
Si d'aventure quelqu'un lui disait que le pantin de bois représentait une de ses soeurs, cela lui couperait tous ses moyens, il en était certain. Pour cette raison, il avait toujours des difficultés à lancer des sorts sur des créatures qui n'attaquaient les humains que pour se nourrir ou défendre leur territoire. Comment pouvait-il en vouloir à un animal de protéger son nid ou sa tanière contre des intrus? Les gens, en revanche, particulièrement ceux qu'il appelait "les bouffeurs de leurs morts", méritaient bien plus souvent de recevoir des sorts en pleine figure qu'une acromantula par exemple.

Pour que les sorts réussissent, la conviction est importante, expliqua-t-il. Donc si tu veux lancer des sorts offensifs efficaces, il vaut mieux vouloir nuire à ta cible. Et ça peut paraître méchant dit comme ça, mais il vaut quand même mieux se défouler sur un truc en bois que sur des gens, pas vrai?

Il avait cessé de "minauder" devant la jolie Selkie, et avait retrouvé l'attitude de l'entraîneur de quidditch. Il ne réagit pas lorsqu'Ecume le complimenta sur l'effet de son sort. Il n'était pas là pour se faire mousser, après tout, mais pour expliquer et montrer comment effectuer ce sort afin que la jeune femme puisse en faire autant. Si elle y parvenait, alors seulement il serait en droit de pavoiser un peu. Mais la jeune femme, celle-là même qui avait voulu qu'il lui montre "son sort préféré" afin de travailler un peu ses sorts qui semblaient être son point de difficulté principal, refusait d'essayer à son tour. Que se passait-il, qui puisse justifier d'un tel revirement de situation? Cormoran voulut insister, car après tout comment pourrait-elle s'améliorer si elle ne s'entraînait pas? Mais le ton tranchant avec lequel Ecume avait asséné son "non" lui fit comprendre que quelque chose l'avait braquée, et que plus il insistait moins il aurait de chance de la convaincre.

Comme tu veux, dit-il. Mais si tu n'essaies pas tu ne pourras jamais t'améliorer! Et en plus je suis certain que tu as envie de te défouler un peu en pensant à quelqu'un qui mérite des claques.
Il sourit et ajouta:
Tu peux même essayer en imaginant ma tête, promis je t'en voudrai pas! Mais si tu as peur d'être en retard pour la suite, on arrête tout...

Écume ne pu retenir un rire, bref mais frais, presque enfantin, face au Cormoran qui s'indignait de son choix de nom. Néanmoins, elle restait fermement convaincue qu'il valait mieux que son partenaire d'entraînement soit quelqu'un en qui l'on se fie qu'un illustre inconnu ou, pire, un adversaire. De toutes façons, si elle lui donnait le nom d'une personne de son passé, que celui-ci éveille les meilleurs ou les pires souvenirs de l'africaine ne changerait rien pour l'oiseau. Il ne serait pas en mesure de faire la différence. Alors qu'importe.

La conviction, évoqua-t-il. Moundrani le leur en avait parlé lors de ses leçons-contes. Elle leur avait narré l'histoire de Sénéla, la jeune mage qui s'était éprise d'un marchand itinérant allant de villages en villages pour vendre les nouveautés de la ville. Dépitée lorsqu'elle comprit que le cœur du vagabond ne souffrait aucune attache, elle avait passé des journées entières à préparer un philtre d'amour avec sa meilleure amie. Elles avaient suivi à la lettre les instructions copiées en douce dans le manuel de son grand frère. Et avaient dû recommencer maintes fois avant de trouver les bons ingrédients, la méthode de découpe ou de préparation attendue, la manière exacte de les mélanger et d'obtenir, enfin, une liqueur correspondant à la description du livre. Alors, Sénéla s'était rendu à l'étale pour acheter une breloque porte-bonheur. Sans doute factice mais jolie. Et peu chère. Elle avait surjoué sa joie pour le persuader en retour de goûter le karakandji qu'elle avait soit-disant préparé le matin-même. Suspendue aux lèvres du garçon, empressée de voir enfin son destin se sceller, rien ne se passa. Et le garçon parti. Seuls les bras de Cali apaisèrent sa peine. Le soir venue, elles partirent toutes deux, mains dans la mains, marcher dans la plaine alentour. Elles regardèrent les étoiles, refirent le monde et, surtout, rebâtirent le futur anéanti de Sénéla. Ce n'est qu'à la nuit tombée, quand la pulpe charnue des lèvres de Cali vinrent caresser celle la jeune sorcière, qu'elle compris pourquoi le philtre n'avait pas fonctionné. On n'avait beau vouloir une chose de toute notre force. Être convaincue de la nécessité d'y parvenir. Tant que notre cœur ne le désirait pas lui-même, nous n'avions aucune chance de réussite.

Écume avait d'ailleurs apprise concrètement la leçon en tentant de percer l'esprit de Néka. Le fait que sa partenaire soit conciliante simplifiait la tâche mais convaincre son cœur de blesser une amie n'avait pas été chose aisée. Elle l'avait constaté à l'instant où elle avait utilisé ce même sort contre ses bourreaux. La lame invisible s'était formée plus aisément, animée par la haine, et avait creusé sans peine les esprits de ses cibles endormies.

Écume sourit ensuite au commentaire de Cormoran sur le fait de se défouler sur de vraies personnes. Elle même préférait largement cela. C'était efficace au moins, contrairement aux sculptures de bois. "Oui, c'est sûr que c'est mieux", répondit-elle cependant avec sérieux. Mentant aussi facilement qu'elle respirait. "Si on peut éviter de faire vraiment du mal à quelqu'un, autant s'en priver ! Enfin, sauf s'il la mérité, j'imagine", ajouta-t-elle tout de même. Après tout, ils étaient là pour former une armée, pas un jardin d'enfants ! "Quel nom tu lui donnes, toi, à ton partenaire ?" Demanda-t-elle en désignant la victime d'un signe de tête, une lueur curieuse s'allumant au fond de son regard. Qui le Cormoran pouvait-il bien haïr au point de vouloir creuser son buste de cratère ? Et pourquoi ?

Écume montra de l'intérêt pour le volatile à double titre. Tout d'abord, évidemment, afin d'obtenir des informations sur son entourage et mieux les comprendre. Pouvoir ainsi les manipuler dans son propre intérêt. Ensuite, Cormoran s'était comme... refermé. Il était tout d'un coup plus raide. Plus froid. Elle avait pourtant cru s'être creusée une brèche dans l’intérêt de la Montagne. Celle-ci semblait à présent disparue. Elle ne comprenait pas ce qu'elle avait bien pu faire pour cela. Tout simplement parce qu'elle n'était pour rien dans ce revirement mais ne s'en doutait pas.


Quand il sourit de nouveau, elle l'imita. Rassurée. Et amusée à l'idée de se défouler sur un simili Cormoran. Ainsi que par le fait qu'il le propose. "Tu ne viens pas de dire qu'il valait mieux penser à quelqu'un qu'on déteste ? Ça ne pourrait pas marcher avec toi", répondit-elle avec un regard équivoque. "Et je compte bien m'entraîner, ne t'en fais pas pour ça", ajouta-t-elle déterminée. Simplement pas devant témoins.

Effectivement, si l'autre l'a mérité, c'est pas pareil.

Lui qui avait rejoint l'infanterie était bien placé pour le savoir. S'il s'entraînait autant, c'était bien pour être capable de neutraliser les ennemis, quoi qu'il en coûte. Il n'avait jamais eu besoin d'utiliser les sorts offensifs en situation réelle. Il avait pratiqué les duels magiques, avait utilisé une potion de force pour secouer un trafiquant de baguettes, mais n'avait jamais blessé volontairement quelqu'un, encore moins tué. S'en sortirait-il aussi bien face à l'ennemi? Serait-il capable d'appliquer ses propres conseils?

Mais les gens qui le méritent, ils sont pas ici. Enfin, normalement...

Le sujet du sobriquet dont il avait affublé le mannequin qu'il aimait malmener revenait à l'ordre du jour. Sans réfléchir, Cormoran répondit simplement:
Jean-Granit
L'aspect ridicule de ce surnom lui apparut clairement au moment où il s'entendit le prononcer. Il expliqua alors:
Jean, parce que c'est le nom d'un connard avec qui ma sœur traînait à une époque. C'est lui qui lui a présenté son nouveau groupe d'amis. C'était toujours Jean-ceci, Jean-cela, Jean m'a invitée à une soirée trop géniale, on a parlé de trucs, ça m'a appris tellement de choses, et blablabla...
Cormoran se garda bien de répéter les autres choses que disait Chloé au fur et à mesure de ses moments passés avec Jean et sa clique. Lui-même ne voulait pas se souvenir de toutes les horreurs qu'elle répétait comme un perroquet bien dressé au sujet des nés moldus et des hybrides. Des horreurs qu'elle avait parfois prononcées alors que leur père, né moldu, pouvait les entendre.
Et à cause de lui et de sa bande de nazes, ma sœur ne veut plus nous voir.
C'était un résumé de la situation tellement concis qu'il en devenait presque inexact. Mais il ne voulait pas en dire plus. De toute façon, le fait que sa sœur soit passée à l'ennemi n'était pas un secret, et si Écume voulait le savoir, elle le saurait bien assez tôt.
Quant à Granit, c'est le nom d'un abruti de chez Selkie. On l'a pas vu depuis un moment mais il s'est vanté d'avoir emmerdé une nana de chez Snidget parce qu'elle aime les nanas. J'aime pas ce genre de type. Ça se croit viril parce que ça rabaisse les autres mais quand faut affronter plus grand que soi y'a plus personne.

Il sourit en repensant à une anecdote particulièrement amusante où un garçon du même acabit que Granit avait du affronter plus grand que lui, c'est à dire Anne, sa sœur aînée au caractère bien trempé. Voir cet imbécile tenter de garder sa dignité tout en battant en retraite devant une furie qui le dépassait aisément d'une tête, c'était comme voir son équipe de quidditch battre à plate couture une équipe rivale.
Bref, c'est Jean-Granit. Il mérite ses cratères même s'il est juste en bois!

Ecume avait décidément de jolis yeux! Même si ce qu'ils exprimaient était parfois difficile à suivre. Surjouant une expression de gratitude extrême, Cormoran posa sa main sur son cœur et s'exclama:

Tu ne me détestes pas? Mais c'est trop gentil, enfin! Et pourtant ça doit faire cinq bonnes minutes que j'étale ma science comme un gros frimeur! 

Il rit et son effet de comédie se brisa, laissant à nouveau place à la sincérité brute qui caractérisait l'enrôlé.

Mais tu as dit que tu avais des problèmes avec les sorts. Raison de plus pour s'entraîner! Sauf s'il y a quelque chose dont je ne suis pas au courant parce que c'est pas mes affaires, bien entendu. Mais si c'est le cas, il faudra régler ça. On ne va pas loin sans lancer de sorts, par ici...

Oui, il fallait espérer qu'ici personne ne le mérite. Pourquoi le Cormoran en doutait-il ? Puis elle repensa aux deux crétins dont Pivoine avait parlé. Aux garçons qui embêtaient les filles. "Normalement ?" demanda-t-elle pour en savoir plus.

Quant à Jean-Granit, cela paru un nom étrange aux oreilles d’Écume avant qu'elle comprenne qu'il s'agissait d'une composition. Elle trouva assez coquasse qu'il faille conjuguer deux personnes au chevelu pour réussir à se motiver suffisamment pour perforer sa cible. Était-il donc si peu capable de haine ? Autre point intéressant, le second nom faisait référence à un enrôlé. Quelqu'un de sa brigade qui plus est ! Peut-être un des crétins de Pivoine ? Il y avait donc des personnes ici qui méritaient d'être transpercées à coups de cratère. Plutôt fâcheux pour une prétendue armée. "Peut-être qu'il a été renvoyé ?" suggéra-t-elle à son sujet. Après tout, s'il s’était montré intolérant et avait manqué de respect à une autre brigadière, c'était l’attitude la plus logique à avoir, non ?

Écume s'amusa à imaginer le Cormoran avec sa famille, en frère protecteur et jaloux. Bien qu'elle ne supportait pas ce type de comportement. Qui était-il pour dire à sa sœur ce qu'elle devait faire, qui elle devait voir ? Pour prétendre savoir mieux qu'elle ce qu'il lui fallait ? C'est sûr que ça n'avait pas dû être agréable pour un arrogant de bonhomme de se voir remplacer par un autre dans l'estime de sa sœur. De ne plus être son favori. Qu'elle puisse en aimer d'autres, les préférer à lui. Et pour ce qui est de les voir, peut-être que cela se serait passé différemment s'il s'était montré plus ouvert, plus compréhensif. S'il l'avait laissé vivre sa vie, en somme. Mais bien entendu, Écume ne laissa rien paraître de son opinion sur le sujet. "Je suis désolée. Par rapport à ta sœur", dit-elle. "Ça a pas dû être facile de la perdre comme ça." Comparé à se faire arracher à sa famille, être violemment privée d'eux. Condamnée à ne plus jamais les revoir, les entendre, les toucher. Ça lui paraissait en réalité assez dérisoire.

Elle ne répliqua qu'un sourire à sa réaction surjouée, qu'elle interpréta comme de la timidité masquée. Elle préférait en effet se dire qu'elle ne le laissait pas indifférent. Comment pourrait-elle après tout ? Elle était jolie, douce, charmante. Elle avait du caractère mais se montrait docile. Elle était façonnée pour plaire et se plier à toutes les exigences, quelles qu'elles soient. Elle devait lui plaire. "Je trouve pas que tu frimes, non. Au contraire. Tu prends le temps de répondre à mes questions, de m'apprendre des sorts. C'est très gentil. Merci encore, d'ailleurs !"

Décidément le gros balourd était tenace. Pourquoi ne la laissait-il donc pas tranquille ? Les hommes ne savaient-ils vraiment pas entendre un non ? Avoir des "problèmes" avec les sorts était la meilleure des raisons, justement, pour ne pas tenir à se tourner en ridicule. Ce n'est pas sa petite mise en garde déplacée, ses soupçons à peine dissimulés sur la légitimité de la brune à se trouver là, qui allaient la convaincre ! Elle sourit, farouche, et répondit "Disons que quand il s'agit d'apprendre, je préfère le faire à l'abri des regards." Elle espérait que ce serait plus clair ainsi pour qu'il comprenne enfin. Sans être trop acerbe pour autant. Elle ne voulait surtout pas le vexer.

Il avait ajouté "normalement" par simple habitude. Un abus de langage parmi tant d'autres. Mais la jolie Écume ne semblait pas tolérer les abus de langages.
Ouais, "normalement". Parce que si on a des espions de l'ennemi parmi nous, c'est qu'il a réussi à passer tout ce qui fait qu'on est plutôt à l'abri par ici. C'est très improbable donc.

Si Granit avait été renvoyé, les autres enrôlés auraient été au courant. Cormoran imaginait même que certains auraient fait une fête en l'honneur de son départ. Cependant, si renvoi il y avait eu, alors Granit ne serait pas le même. On ne l'aurait jamais laissé sortir sans un récurage de sa mémoire à coups d'oubliettes.
C'est possible. En tout cas il l'aurait mérité, répondit-il simplement
Il l'aurait mérité. Le renvoi et le lavage de cerveau. Avec un peu de chance, la disparition des souvenirs concernant le Domaine aurait laissé un peu de place pour de l'humilité.

Cormoran baissa les yeux lorsqu'Écume lui adressa une parole de presque condoléances concernant sa soeur. Elle savait donc déjà ce qui était arrivé. Ou employait-elle simplement le mot "perdre" dans le sens de "ne plus pouvoir revoir"? Il songea quelques secondes à expliquer ce qui était arrivé à sa famille. Mais il ne connaissait pas encore bien Écume. Elle était de son côté, mais elle pourrait croire que lui n'était pas du sien. Aussi se contenta-t-il de marmonner un "c'est sur" en éludant au mieux le sujet.

Il avait donc vu juste: quelque chose "bloquait" la jeune femme et ce "quelque chose" ressemblait à de l'angoisse ou peut-être de la honte. Dans l'équipe de quidditch qu'il avait entraînée, un joueur avait raté un lancer de souaffle facile pendant un match et s'était fait huer par le public. Il n'osait même plus remonter sur un balai alors qu'il avait été un excellent poursuiveur. Pensant le faire prendre conscience de la nécessité de "remettre le pied à l'étrier", Cormoran lui avait donné un ultimatum: soit il revenait s'entraîner, soit il quittait l'équipe. Il avait choisi la seconde option. L'enrôlé comprit qu'il obtiendrait le même résultat avec Écume en insistant trop brusquement.

C'est...comme tu veux, bredouilla-t-il.

Mais s'il ne faisait rien, il la laissait avec son problème. C'était comme s'il avait insisté, excepté que les conséquences arriveraient plus tard.

Si c'est pas indiscret, je peux te demander pourquoi? dit-il doucement, ajoutant immédiatement en levant la main en avertissement:
Si c'est indiscret, c'est pas grave. J'insisterai plus du tout, promis!

Cormoran jugeait qu'il n'y avait aucun danger. Et Écume sourit, contrite. C'était quoi son fichu problème ? Tout allait bien désormais. Elle était en sécurité ici. Plus besoin de se battre ici. Pas contre les personnes qui partageaient sa vie en tous cas. Ils se battraient ensemble, dehors. Sur le domaine elle ne risquait rien. Elle était stupide d'en douter et s'en voulait. Il y avait un protocole de recrutement strict. Aucun risque de traîtrise ou d'intrusion. Elle était tirée d'affaire, définitivement. Personne ne viendrait la chercher ici. Personne. Elle inspira. Lentement. Et souffla sur le même rythme.

Elle ne répondit rien de plus au sujet de Granit. Cormoran semblait vouloir clore le sujet qui ne méritait sans doute pas d'épilogue.  Un enrôlé s'était mal conduit et avait reçu ce qu'il méritait. Cela datait d'avant son arrivée. Elle n'avait pas eu la malchance de croiser son chemin et il semblait que cela soit pour le mieux. Soit.

Puis elle vit la montagne fléchir, et en fut étonnée. Le tableau semblait surréaliste. Comme s'il concentrait une quantité de force et de vulnérabilité incompatible. Peut-être était-ce difficile pour Cormoran d'être loin des siens ? L'africaine aussi se sentait nostalgique. Sa tribu lui manquait. Lorsqu'il marmonna pour toute réponse, elle leva la main pour la poser contre la joue du volatile en signe d'empathie. Puis se ravisa, à mi-chemin. Son interlocuteur ne lui avait pas paru particulièrement tactile et elle ne souhaitait pas se montrer intrusive envers lui. Cela ne servait nullement son objectif. Au lieu d'un geste de réconfort, en solidarité, elle resta interdite un instant. Par respect pour sa peine. Le regard fixement braqué sur lui, paraissant émue en miroir.

Elle se ralluma lorsqu'il abandonna enfin son fantasme de la voir réaliser un sort qu'elle ne connaissait pas. De croire qu'elle allait se risquer à se montrer ridicule en public. Elle était libre à présent. Plus personne ne lui dictait sa conduite. Or le Cormoran revint à la charge. Et, même si elle voulu le fusiller du regard, elle se contenta de lui adresser un air mutin qui mettait clairement en doute la sincérité de sa promesse. Après tout, comment croire un homme qui jurait ne plus jamais recommencer une faute qu'il avait déjà répété trois fois ? Certes, Écume n'accordait aucune confiance par défaut. Mais là, n'importe quelle personne censée se serait méfiée, non ?

Peut-être était-il simplement stupide. Elle avait pourtant clairement exprimé son refus à plusieurs reprises. Personne d'un tantinet cortiqué ou éduqué ne serait passé à côté du message. Mais lui si. Qu'allait-elle pouvoir inventer de plus pour se débarrasser de lui ? "C'est... indiscret", répondit-elle simplement, baissant le regard comme gênée. Après tout, il avait promis. C'était un bon moyen de tester son honnêteté. Elle le fixa ensuite de nouveau, une flamme inextinguible faisant briller l'ébène de ses yeux pour ajouter. "Je t'ai dit que j'allais m'entrainer. Je te montrerai le résultat, promis. Merci en tous cas pour la leçon", dit-elle se radoucissant. "Tu es un bon professeur" dont elle espérait tirer encore d'autres secrets. Mais elle devrait pour cela lui prouver qu'elle avait travailler dur car il était assez sûr qu'il n'allait pas vouloir lui apprendre d'autres sorts si elle ne montrait pas patte blanche.

Cormoran leva ses deux mains en signe de reddition. Il avait promis qu'il n'insisterait pas, et il avait bien l'intention de s'y tenir. Cependant, un arrière goût de défaite traînait dans sa gorge, un peu comme lorsqu'il avalait ses médicaments moldus de travers et qu'un peu de la pilule laissait son empreinte sur sa langue. Il avait voulu aider Écume et n'avait pas vraiment réussi. Ou peut-être avait-il simplement besoin d'attendre? Peut-être que ce qu'il avait fait, lui montrer un sort, lui expliquer comment le jeter, même son histoire au sujet de Jean Granit, peut-être que tout cela était pareil à une graine de plante que l'on sème: si la pousse ne sort pas tout de suite de terre, cela ne veut pas dire qu'on est un mauvais botaniste...

OK, je n'insiste pas! On n'en parle plus!
Elle lui assura qu'elle lui montrerait le résultat de son entraînement. Et elle le fit avec ce regard qui faisait toujours son effet, en plus de le rassurer sur le fait qu'il n'avait pas franchi de limite impardonnable. Il posa à nouveau sa main sur son cœur et esquissa une courbette respectueuse.
Ce fut un honneur! dit-il, adressant à son "élève" du jour un grand sourire et un clin d’œil discret. Ceci dit tu n'as pas besoin de me montrer de résultat! Je ne suis pas un instructeur. Je suis juste, euh...
Il pinça son menton entre son pouce et son index et tirailla sur ses poils de barbe. Ses yeux se tournèrent vers le haut, le temps qu'il trouve un qualificatif qui puisse lui convenir.
Je suis....disons, le gars de l'infanterie qui casse des trucs, et ça tombe bien car parfois c'est ça qu'on lui demande. Mais avec tout ça, je ne sais pas quelle heure il est maintenant? Ça serait bête d'arriver en retard pour le cours d'après

Il lui avait proposé ses notes. Il fouilla rapidement ses affaires et lui tendit ce qu'il avait écrit pendant le cours avec Nyamata. Son écriture était presque lisible sur ces feuilles, ce qui était une chance. D'habitude, sa prose manuscrite avait l'aspect qu'aurait le charme "muffliato" s'il s'appliquait aux paroles écrites plutôt qu'aux sons.
Tiens, comme promis!
Il lui tendit ses notes, le parchemin ployant à l'endroit où son pouce et son index le pinçaient.

Le visage hâlé de la jeune femme afficha un sourire satisfait face à la capitulation de son adversaire. Enfin. Elle marquait un point supplémentaire et signait ainsi la fin d'une éprouvante partie. En réponse à la révérence gracieuse qu'il lui fit, se mettant presque à sa hauteur se faisant, Écume se contenta d'incliner la tête. Comme en signe d'acceptation, magnanime, de sa victoire. Pour signer humblement ce succès - bien que l'humilité soit en réalité toute relative.

Elle l'écouta faire mine de n'être rien, qu'un exécutant, déversant sa modestie en un flot trop abondant pour être crédible aux yeux sombres de la belle. Pour autant, soucieuse de se montrer courtoise, celle-ci resta impassible et le laissa terminer sans l'interrompre. Quelle heure pouvait-il bien être, souleva l'Occamy ? Elle n'en avait pas la moindre idée. Cette joute oratoire visant à la contraindre à s'exposer, se ridiculiser, lui avait paru durer infiniment. La salle s'était quasiment vidée et ils pourraient tout aussi bien être déjà en retard.

A cette idée, elle laissa son regard trahir l'éclair de panique qui la traversa. Au moins, elle n'avait pas trop de trajet à parcourir puisqu'ils étaient juste derrière son bâtiment et que l'instructrice en Étiquette partageait sa brigadière. Un choix de cours bien cocasse pour se faire remarquer par une telle incivilité. Elle aurait bien du mal à se justifier correctement de cet affront.

Tu es un peu plus qu'un gars qui casse des trucs, répondit-elle néanmoins dans un clin d’œil. J'en suis convaincue. Elle n'allait quand même pas le laisser s'en tirer à bon compte d'humilité ! En tous cas tu m'as bien aidée. Je t'en remercie, ajouta la Selkie en effleurant la joue de son instructeur éphémère du bout des lèvres en un baiser aussi tendre que fugace. Je ne te retiens pas plus longtemps. Je m'en voudrais de te mettre en retard. Mais j'espère qu'on aura d'autre occasions de se revoir.

Ah, merci !, ajouta-t-elle en tendant la main pour réceptionner les notes de l'enrôlé. Ne le quittant pas des yeux cependant. Ses doigts effleurant ceux de l'homme dans un mouvement de rétractation quand elle se rendit compte qu'elle avait mal ajusté son geste et manqué le parchemin qu'elle ciblait. Ou était-ce délibéré ? Voilà mon prétexte pour te revoir, commenta-t-elle. Il faudrait bien lui retourner ce prêt prochainement. Elle jeta un œil aux gribouillis, se demandant un instant ce qu'elle allait bien pouvoir en faire. Hors de question de passer des heures à tenter de les décrypter ! Bien que Cormoran ce soit à peu près appliqué, ce n'était pas la qualité de l'écriture qui gênait Écume. Peut-être trouverait-elle un sort ou un bénévole généreux et naïf pour lui faire la lecture. Qui sait ?

Si je peux te rendre l'amabilité. De quelque manière que ce soit, précisa-t-elle. N'hésite pas ! Ce sera avec plaisir, conclu la jeune femme, faisant basculer son maigre poids d'une hanche à l'autre et profitant de ce mouvement pour se tourner vers la porte, invitant son interlocuteur à ouvrir la marche. Pour rien au monde elle ne se permettrait de lui fausser compagnie. Ce serait particulièrement impoli. Les dames ne partaient jamais les premières, au risque que l'on puisse douter de leur affection.

Il hocha la tête pour signifier à Ecume que ce n'était rien, que c'était la moindre des choses. Il n'avait pas fait grand chose, et n'avait pas réussi à la convaincre de tenter de lancer le sort ailleurs que dans un lieu "à l'abri des regards". Et si elle ne parvenait pas à s'entraîner aux sorts devant témoins, elle risquait d'avoir bien d'autres soucis à l'avenir. Et que ferait-elle face à un ennemi? Serait-elle seulement capable de se défendre?Il accepta donc ses remerciements en silence. Il n'y avait rien de plus à dire, de toute manière. Juste prendre congé, accepter que son aide avait été toute relative et repartir de son côté. S'il courait assez vite, il arriverait dans le bâtiment Occamy sans avoir eu l'air de traîner. C'était ce qu'il avait de mieux à faire.

Puis la bise que l'enrôlée déposa sur sa joue le prit par surprise.

Il baissa les yeux, gardant son sourire idiot, puis secoua la tête pour se remettre les idées en place. Son catogan était tout défait à présent, et une mèche retombait devant son oeil droit.

Oh t'inquiètes pas! Je ne devrais pas arriver en retard, je...

Tandis qu'il bredouillait, ses mains délièrent ses cheveux et les replacèrent en cascade derrière ses épaules. Il avait l'air de quelqu'un qui a oublié de se peigner en se réveillant. C'était déjà une amélioration par rapport à l'allure de celui qui s'était endormi avec ses cheveux attachés puis réveillé en sursaut pour le cours suivant. La brigade Occamy avait assez d'un membre qui dormait en classe, ils n'avaient pas besoin d'un second Sycomore.

Et la voilà qui parlait de prétexte pour le revoir, et Cormoran sentait malgré lui du rouge lui monter aux joues. Il prit alors la mesure du pétrin dans lequel il s'était fourré. D'une manière ou d'une autre, il semblait avoir passé un message à Ecume qui contredisait celui qu'il avait donné, explicitement, à Andromeda en l'invitant au bal. Si elles parlaient toutes deux de cette histoire, elles penseraient qu'il avait joué "double jeu" pour s'amuser avec elles, et elles l'enverraient toutes les deux sur les roses. Il lui fallait remettre les choses au clair. Mais comment? Après tout, Ecume n'avait peut-être aucune idée derrière la tête. S'il refusait ouvertement ses avances alors qu'elle ne lui en avait pas fait, il passerait pour un connard égocentrique. Cormoran n'avait pas peur des attaques de dragons, des coups de serres des hippogriffes, et encore moins des duels face aux mangemorts. Mais ces situations le laissaient figé comme un boursouf dans la gueule d'un chat...

Ah mais...j'y compte bien! dit-il en s'efforçant de paraître assuré. J'ai besoin de mes notes, moi aussi!

Dans la confusion, il avait totalement oublié qu'il avait d'abord voulu les dupliquer. Il n'était même pas certain qu'il ait été capable de les dupliquer correctement dans ces conditions. Les mots écrits sur la copie de ses notes auraient ressemblé au fouillis dans sa tête.

Il fit un pas pour quitter la salle de duels et son "au revoir" de la main se figea lorsqu'il entendit la proposition pleine de sous entendus d'Ecume. Cette fois-ci, il lui semblait difficile de croire qu'elle avait pu ne pas faire exprès. Mais dans le doute, il fit semblant de ne pas avoir remarqué la potentielle proposition cachée qui n'existait peut-être que dans son interprétation.

Pas de problème

Il passa devant Ecume, ouvrit la porte et la tint ouverte comme on le lui avait appris depuis toujours afin de laisser passer la demoiselle.
Ah tiens, tu es Selkie, pas vrai? Si tu croises Andromeda, tu pourras lui passer le bonjour de ma part?
Voilà qui devrait éclaircir un peu la situation sans trop l'exposer! Mais c'était un peu trop passif-agressif. Il fallait qu'il rajoute autre chose. Qui d'autres faisait partie de cette brigade ? Ortie, mais elle avait dit ne pas le connaître. Moineau, Pivoine, Nova, Moustique, Cassiopeia...
Et si tu vois Cassiopeia, dis lui merci pour les tresses! s'entendit-il ajouter.

Sans le lâcher d'un regard doux, aimable, presque docile, Écume s'amusait intérieurement à observer les effets de ses charmes sur le colosse. Le voir se dépêtrer pour garder une contenance en manipulant maladroitement sa chevelure hirsute la régalait. Elle savourait le plaisir suave de voir son venin cheminer lentement, inéluctablement, dans les veines de sa proie.

Ses yeux obscurs lâchèrent un instant leur cible pour s'attarder sur les parchemins qu'elle tenaient toujours, faute de contenant pour les ranger, alors que Cormoran assurait devoir les retrouver rapidement. Il faudrait donc qu'elle décide promptement de ce qu'elle allait faire de ces notes. Si le cours d'étiquette manquait d'intérêt, peut-être essayerait-elle de les déchiffrer pour passer le temps. Bien que perdre son énergie à reformer péniblement avec les yeux des mots que ses oreilles avaient déjà gravés dans sa mémoire avait un intérêt tout relatif.

Peut-être les garderait-elle une journée, pour la forme, avant de les rendre à son propriétaire. Ou plus. Pour le faire languir un peu. L'idéal aurait même été de le laisser revenir vers elle. Mais son amorce n'était peut-être pas encore suffisamment stablement ancrée pour s'y fier. Il était sans doute préférable d'assurer la prise avant d'en attendre les retours. Elle devrait, de toutes façons, lui montrer le fameux sort lorsqu'elle le maîtriserait. Voilà qu'elle avait réussi à s'ajouter des devoirs alors qu'on ne pouvait pas dire qu'elle en manquait ! Mais cela lui serait profitable en définitive. Ce sort était puissant et le contrôler serait un atout certain en combat.

Elle passa la porte, puisqu'il la lui tenait, tournant la tête en passant devant le gentilhomme pour le suivre des yeux, lui adressant un sourire charmé. Elle hocha, enfin, la tête pour accepter sa demande. Bien sûr, oui, je le leur dirai, fit-elle bien qu'elle n'eut aucune intention de se plier réellement à un tel exercice, ce type de banalités la révulsant. Cela dit, elles lui donnaient l'occasion d'aborder la belle Andromeda qui l'envoûtait et se lancer en quête des secrets que camouflaient chacun des dessins ornant sa peau.

À bientôt alors, Cormoran, lui lança-t-elle en avançant d'un pas souple et tranquille vers le bâtiment qui leur faisait face. Ainsi, elle offrait à l'homme, s'il le souhaitait, tout le loisir d'observer la courbe de ses épaules, la cambrure de ses reins, le bombé de ses fesses et la ligne de ses jambes qui l'éloignaient un peu à chaque nouveau pas.