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Zones d'ombre
Ven 1 Mai - 22:41
Odysseus
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Le monde est anthracite, avec cette impression de béton et, quoi qu'on touche, la sensation d'un mauvais enduit des années 80, piquant, irritant, qui ne retient rien que de la poussière.

Dans ce paysage désolé, les nuages se confondent à l'herbe sèche cassée par le vent hurlant dans les plaines. Des arbres morts servent de support a des oiseaux noirs, silencieux, immobiles au point qu'on les croirait sculptés dans du basalte. Le soleil, rond blanc, brillant, douloureux et froid apparaît et disparaît au rythme de la brume poussée par une atmosphère lourde mais déterminée. A perte de vue, vide et désolation et, où que l'on se tourne, le plein est, ou ouest car il est difficile de savoir si l'on est le matin ou l'après-midi. Un papillon solitaire, se fait ballotter par le souffle. Il souffre pour rester stationnaire. J'ai beau le voir de loin, je sais que c'est de moi qu'il s'agit et je soupire, relâchant une mini tornade qui égaye un peu les oiseaux sur son passage. Un mirage. En un quart de seconde, ils ont repris leur place. Je donnerais n'importe quoi pour fuir mon propre esprit, me perdre dans celui d'un autre mais depuis la disparition de Monsieur le Directeur, je n'ai plus la force d'aller prospecter au loin. J'attends donc. Je sais que les rêves des jeunes seront remplis de souvenirs du bal et je ne veux pas m'en rappeler. La douleur qui a été réveillée ne s'est pas encore rendormie.

Le monde autour de moi change, comme souvent les rêves. L'horizon se barre d'un rouge sang qui coule sur le ciel, gouttant d'un nuage à l'autre. Je détourne les yeux sans pouvoir pour autant échapper à la vision qui m'étreint. Je cherche une porte. Désespérément. Une falaise où replier mes ailes jusqu'à ce que la sensation de chute me réveille. Le sol se soulève, se brise et je vois au loin une mer d'encre à l'écume rosâtre qui frappe des rochers aux airs de monstres. Sous la surface, on imagine des horreurs tournantes, dont les ailerons rompent parfois les vagues. J'essaie d'approcher. Le vent me repousse. Encore, et encore, et encore.

J'abandonne. Je me laisse transporter. Je m'envole, je monte jusqu'à ce que le manque d'oxygène fasse voler des points verts devant mes antennes. Je tombe, je ne me réveille pas. L'air marin me transporte jusqu'à une île de sable gris clair ne contenant qu'un seul palmier cendre en son centre. Ce palmier est vivant, il n'est pas à sa place. Je le sais immédiatement. Cela réveille une conscience en moi. Je ne suis plus papillon. Je suis Ombre Chinoise, pas vraiment un homme, pas vraiment réel. Les rêves sont mon royaume, surtout les miens et je me demande qui est cette personne qui a ouvert - probablement sans le vouloir - la porte de l'horreur. Je ne veux pas la blesser, encore moins la repousser, seulement je ne peux pas l'ignorer non plus. Les nirimages ont le pouvoir de modifier les rêves d'autrui pour communiquer. Une part de moi aimerait, évidemment, échapper à cette vision d'horreur, seulement je sais qu'on ne peut pas fuir son inconscient inconsidérément. De la mer sort une sorte de sirène, moitié poisson, moitié oiseau, moitié ma femme. Son cri est celui de la douleur qui a saisi les instruments au milieu du bal. Je ferme les yeux, bande ma volonté. La voix semble venir du fin fond de l'océan et porter en elle les larmes du monde.

"Tu ne devrais pas être ici. Tu risques de te blesser..."

Un peu d'écume s'élève, et se pose avec douceur sur les racines de l'arbre.
Re: Zones d'ombre
Mar 5 Mai - 0:08
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« Tu ne devrais pas être ici. Tu risques de te blesser.. »

Cette voix. Elle semble venir de tout et de rien à la fois. Rauque et abyssale, on dirait que c'est le vide qui lui parle. Un vide familier, fait d'ombres, de ténèbres et de rien.
Le vide est vide.
Cette pensée lui semble incongrue.

Ici.
Elle cligne des yeux.
Ici ? Où est-ce que ?
Elle baisse le menton. Ses orteils nus se confondent en racines, ils s'enfoncent dans le sable chaud. Les grains roulent contre sa peau brunie d'écorces, ils sont balayés par l'écume qui vient lécher ses chevilles. Le vent fouette ses cheveux noirs. Ils sont détachés, ils bruissent comme des feuilles charriées. Le vent, il lui brûle ses narines d'un air iodié, et sa peau est poisseuse d'une baignade salée imaginaire, imaginée. Elle se sent toute collante.
La mer. Ou bien était--ce l'océan ?
Elle attarde un regard derrière elle, vers le ressac qui hypnotise son ouïe.
Le remous est doux, voilé d'écume, l'étendue marine est d'un calme tropical.
Ennuyant.
Elle a toujours préféré la nature agitée, vivante et libérée. Quand les éléments se déchaînent, elle se sent transportée. Elle est rien et puis tout à la fois, de son petit mètre soixante dix, existence négligeable, elle devient partie d'un tout. Son essence même se confond avec la puissance de forces incontrôlables, et là enfin, elle se sent appartenir à quelque chose.
Mais pas maintenant.
Là, tout est calme, maîtrisé, rien qui la transporte.
Elle n'est pas rien. Elle est.
Étrangère, indésirable, enracinée. Un cachalot échoué sur une plage privatisée. Violation de propriété privée.

En effet.
Elle ne devrait pas être ici.

La culpabilité lui saisit soudainement le cœur. C'est comme un étau, elle lui comprime la poitrine, lui coupe le souffle. Et le sel lui brûle la gorge, la trachée. Mais ce n'est pas comme si elle venait d'avaler une soupe trop chaude. Non. On dirait de la poix brûlante, appliquée comme un cataplasme, ça la fait hurler à l'intérieur.
Elle aimerait s'évaporer pour diluer cette sensation qui lui meurtrit l'âme, elle aimerait s'endormir.

Son corps ne répond pas, c'est comme s'il ne lui appartenait pas. Elle n'arrive pas à fermer les yeux, elle n'arrive pas à dormir, disparaitre.
Il ne répond pas.
Il bouge tout seul.
Et c'est pire.
Elle a l'impression d'être une marionnette.
Et ses yeux cherchent, cherchent, cherchent. Et l'angoisse s'instille dans les fêlures de sa culpabilité.

Ses yeux cherchent quelque chose, elle ne sait pas quoi. Une forme, une silhouette, quelqu'un. Il faut mettre un visage sur la voix, rationaliser les hallucinations.
Il le faut.
Son attention glisse sur les vagues sans les voir, sur l'horizon brumeux qui se confond avec le ciel, et sur les rochers qui percent l'infini bleu nuit. Son palpitant frappe, martèle cette sensation qu'elle ne devrait pas être là, mais elle cherche, cherche encore, indifférente de cet instinct anesthésié qui lui crie de partir.

Il se tient là. Celui qui a parlé. Elle le voit finalement. Tout seul, au milieu d'un désert de sable charrié par un océan insensible. Ou bien est-ce la mer.
Il est là, mais pas vraiment là. Un peu dilué, lui aussi, comme un tableau souillé par une averse.
Curieusement, ça ne l'étonne pas.

« C'est toi qui est blessé. On dirait que tu as chaviré. »

Elle penche imperceptiblement la tête. Sa langue a parlé pour elle. Maman disait de la tourner sept fois dans sa bouche avant de dire un mot, elle le disait en frappant sur ses doigts maigrichons, squelettiques.
La douleur ne vient pas. Les mots qui ont parlé pour elle prennent sens, elle constate leur pertinence.
L'homme devant elle a vraiment l'air d'un naufragé. Pas vraiment là, pas vraiment consistant. Durant une seconde, elle a la sensation de parler à un fantôme.
Mais elle sait que ce n'est pas un fantôme.

Elle ne devrait pas être là.
Elle baisse les yeux. Sa jambe plie, sa cheville prisonnière percute l'écorce qui la séquestre. Elle recommence, force sur la croûte d'échardes qui cède. Et son pied redevient son pied.
Elle approche. La culpabilité s'envole, libérée par l'arbre duquel elle s'est extirpée.
Vu de près, il a l'air encore plus naufragé.
Elle constate alors, avec une candeur que seuls les rêves peuvent crédibiliser :

« Tes ailes sont toutes tordues. »


Re: Zones d'ombre
Mar 12 Mai - 13:25
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Chaviré. La réalisation fait tourner le monde sur le côté puis à sa place comme une boule de neige que l'on aurait renversée. Des flocons de cendre, friables, descendent et se délitent sous un vent voilé de particules à peine plus claires avant de se mêler au sable de perles grises dont le calcaire crisse doucement sous le mouvement des vagues. Un battement sourd se fait entendre, coeur arythmique se débattant derrière l'armure d'écorce sombre, faisant trembler les feuilles d'acier, retomber l'écume rose pâle dont le blanc se mêle et se fait avaler par la grisaille ambiante. Un pied en sort, indifférent à l'encre de chine de la sève de la chrysalide de bois qui l'a contenu. Une fille dont les mots sculptent le monde autour. L'ombre que je suis se voit pousser une barbe noire tressée d'algue sombre, un torse décharné incrusté de crustacés aux carapaces métalliques de fer, d'argent, de zinc. L'odeur iodée se fait rouille, comme ces larmes qui marquent les joues blanches du souvenir que je voudrais de devenir.

Cendre n'a jamais aussi bien porté son nom. Je crois voir dans son sillage, la Désolation qui court souvent derrière les images de ce mot. Pompeï apparait à l'horizon. J'ignore cette nouvelle marionnette de mon propre esprit abîmé. Elle s'est approchée. Ses yeux m'examinent alors que des ailes translucides, nageoires teintes d'un caramel désaturé et jouant avec les rayons pâles d'un soleil blanc apparaissent dans mon dos. Je les fais bouger par réflexe. Quelques gouttes rosées s'écrasent au sol comme autant de tâches d'un sang dilué de mélancolie.

"C'est vrai."

Je ferme les yeux dans le rêve, pour n'y voir qu'une lumière forte qui me brûle les rétines. Lorsque je les rouvre, un filtre cotonneux déforme également les couleurs maussades de l'endroit. Je ne peux pas m'échapper, pas cette nuit, pas cette fois. Au dessus de nous, de nouveaux nuages anthracites dessinent sur un ciel souris les motifs d'un immense filet qui nous aurait pêchés. Je vois les corbeaux qui sont devenus poissons et pourtant toujours corvidés. Leur croassement silencieux me perce les oreilles et le coeur.

"Cette prison est mienne ce soir. Tu as le choix de t'en échapper, Cendre. Inutile que nous soyons deux à être abîmés par la tempête qui se prépare."

Le vent s'accélère évidemment et l'on peut voir au loin naître une tornade dont je sais qu'elle nous tombera dessus dès que je la laisserais partir. Mais elle est moi et il me reste bien assez de pouvoir sur moi-même pour protéger les impossibles invités surprise. Un orchestre accompagne les éléments qui se regroupent avant l'attaque. Je ne vois aucune cabane à l'horizon, aucun abri qui pourrait aider la jeune femme à traverser la tourmente. Son arbre était la seule issue possible. Je me concentre, forme une porte dans le trou du palmier. Mes ailes se sont également développées, en plumes et écailles qui me descendent jusqu'aux pieds, cape organique d'un noir que l'on ne peut voir qu'aux confins de l'espace, là où toute lumière est irrémédiablement perdue. Je les ouvre et mes bras avec pour lui proposer ma faible protection. C'est sincère, elle a le choix. Si elle est ce que je pense maintenant qu'elle est, elle peut aussi se protéger seule, à condition qu'elle ait eu l'entraînement nécessaire. Ici, de l'autre côté que l'on appelle le Domaine, nous sommes plus nombreux à avoir le Pouvoir de marcher dans les portes des rêves et il est logique qu'un jour, l'un d'entre nous visite un camarade. Je secoue la tête. La logique est mon pire ennemi ici. Si j'y ajoute encore un peu de mon conscient, j'ai peur avant tout de détruire nos consciences.

Mes bras sont ouverts. La porte du palmier aussi. Je sens confusément qu'ils sont deux chemins vers autre chose, quelque chose que j'espère moins sombre. Et pourtant, ce n'est pas moi qui ait le contrôle, ici.

"Choisit."

Re: Zones d'ombre
Mer 13 Mai - 23:31
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« Cette prison est mienne ce soir. Tu as le choix de t'en échapper, Cendre. Inutile que nous soyons deux à être abîmés par la tempête qui se prépare. »

Elle la sent soudain. La tempête. C'est comme si le mot en lui même lui avait donné sa consistance, sa force et son vent. Elle l'aperçoit à l'horizon, dans le ciel qui n'est plus un ciel, et la mer qui n'est plus la mer. Ou bien est-ce l'océan. Le bleu marine devient bleu céruléen, et le bleu céruléen devient bleu cobalt. Le ciel bleu azur devient d'un bleu acier, plus tranchant que le métal, et le bleu acier devient bleu turquin. C'est petit à petit un bleu gris qui vient barbouiller l'horizon, du bleu horizon.
Elle ne voit plus la mer, elle ne voit plus le ciel. Il n'y a plus qu'une couleur, des couleurs et ses nuances, que le vent porte pour venir décolorer le ressac. Il se fait plus impétueux sous le joug d'un vent qui se lève, lourd d'orage. Gris orage. Une bourrasque fouette son visage, la gorge d’effluves salées.
Elle sourit. Gris souris. C'est un doux sourire, un triste sourire. Un peu timide, beaucoup sincère. Discret, qui tire sur le coin de sa lippe alors que ses yeux trop brun, trop bistre, se perdent dans les vagues à fleur d'horizon. Le cachou pourrait sembler se diluer, là à fixer les éléments qui se confondent en dégradés d'orages, de nuages, c'est son âme tout entière qui voudrait se mêler à l'eau qui frémit, s'y perdre, s'y diluer. Faire un avec le flot, se laisser avaler par l'abîme.
Elle secoue doucement la tête, et ses cheveux anthracite dansent dans son dos.

« Tu te trompes. On est déjà abîmés. »

Elle tourne la tête dans sa direction. Son regard coule jusqu'aux bras qui s'ouvrent dans une invitation, et aux ailes de plumes et d'écailles qui tombent jusqu'à caresser le sable. Elles sont tristes et mornes malgré le noir impénétrable. Ce n'est pas un noir corbeau, il n'y a pas ces reflets bleus a la lumière, ce n'est pas un noir obsidienne, c'est plus que ça. Ça pourrait être beau. Ces ailes, elle aimerait les voir s'étendre, gigantesques et puissantes, elle aimerait les voir battre l'air et s'élever au dessus de l'atmosphère.
Elle se détourne. Ces bras ne sont pas suffisamment accueillants, et elle se fiche de la porte qui brille dans le coin de son champ de vision. Elle préfère s'asseoir, là dans le sable. Attendre que la mer l'avale. Bientôt, quand la tempête approchera, elle pourra se dissoudre. Comme un gros bloc de sel. Assise, ses genoux remontés pour défier le ciel, son regard obstiné affronté les prémices d'un typhon, déterminée à le vaincre sans esquisser un geste.

Elle reste ainsi, plusieurs secondes sans qu'il ne se passe rien d'autre que des rafales qui font gémir les palmiers. Rien, et c'est insuffisant.
Elle finit par tourner un regard déterminé vers lui, comme pour défier sa couardise.

« Je ne compte pas fuir. Et tu devrais en faire autant.  »

Elle ne devrait pas fuir.
En fait, elle ne devrait même pas être là. Assise, passive.
Elle en a assez d'être spectatrice.
Elle se redresse soudainement.

Elle a du sable plein sa robe. C'est une robe noire qui lui tombe jusqu'aux chevilles, fendue, comme déchirée au couteau, une robe qui n'est pas de circonstance d'ailleurs. Elle la gêne dans ses mouvements, elle aimerait l'enlever mais une voix lui dit que ce n'est pas décent.

Elle approche de l'homme. Elle voit le vent qui malmène ses boucles blondes, en colle quelques unes à son front, une de chaque côté. C'est comme si, de mettre sa tête entre boucle, la tempête souhaitait mettre son esprit entre guillemets.
Il le faudrait. Parfois c'est mieux de ne pas penser. De ne pas s'inquiéter.

Une fois devant lui, c'est à elle de lui proposer son bras. Pas d'étreinte, il pourrait l'avaler tout entière.
Juste un bras.
Ses longs doigts frôlent sa peau incrustée de coquillages. Ses phalanges frôlent l'os de son poignet un peu trop maigre, coupant comme du corail. Sans s'imposer, jamais elle ne s'imposera, elle propose d'un geste qu'il l'accompagne.

« Fermes les yeux. »
Re: Zones d'ombre
Ven 15 Mai - 15:22
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J'ai un rire. Léger, petit, impossible. Il est accompagné de gouttes de rosées qui se déversent du ciel devenu filet. Il a le goût des larmes. J'aimerais me tromper, j'aimerai voir l'innocence, l'inexpérience, l'enfance triompher. Les feuilles du palmier deviennent soudain une chevelure rousse qui joue avec le vent, portant mon rire, l'accompagnant d'un autre, cristallin, enfui, enfoui. Je ne supporte pas ce son, dernier souvenir de ma soeur fauchée trop tôt, je détourne les yeux. Je n'ai plus envie de rire. Je n'ai plus envie de rien. Au loin, le tonnerre se transforme en bruit abrupts de coup de feu, de coup de sorts. Les éclairs, d'un vert-argenté rappellent peut-être le bal mais me remontent d'encore plus vieux souvenirs. Le vent se pare du bruit affreux des instruments qui jouaient ma peine lors de la soirée du 19 septembre. Il n'est rien qui ne soit plus brisé qu'un souvenir au milieu d'un rêve.

Je ne dis rien, je n'ai rien à dire. Elle apprendra assez vite qu'on n’est jamais assez abîmé qu'on puisse l'être encore plus. Elle apprendra la réelle résilience de l'être humain qui ne fait jamais que se relever, même sans but, même sans vie, même sans envie, marionnette manipulée par un coeur qui bat toujours quels que soient le nombre de morceaux qu'il comporte. Et l'âme qui suit, immortelle, déchirée, enchaînée. Cendre ne dit rien non plus. Elle s'assied dans le sable, rocher de détermination qui n'attend que de se faire éroder par le temps et l'expérience. Ses yeux affrontent la tempête en silence. Y voit-elle quelque chose qui n'appartient qu'à elle ? Je l'ignore. Je préfère ne pas savoir, pour ne pas froisser sa vie interne. Il n'est rien qui ne soit plus brisé qu'un souvenir au milieu d'un rêve.

Elle se relève. D'un coup. Courant d'air ou de détermination, qui sait. Ses mots me blessent par leur vérité. Je suis lâche et je le sais. Je l'ai toujours été. Fuyant les conflits, la douleur d'une sensibilité exacerbée, vivant plus que les autres les petites piques du quotidien, incapable de me protéger, de surmonter ces douleurs, je fuis le monde, la réalité, les rêves même. Elle veut me prendre la main pour m'enseigner comment affronter ce que je m'inflige à moi-même. Ma femme faisait pareil, elle voyait en moi plus que ce que je pouvais être. Elle me donnait de sa force à elle. A moi qui n'en avait pas. Et, en sa présence, j'y croyais presque. Jusqu'à ce qu'on me l'enlève et que je m'aperçoive que j'avais perdu presque tout ce qui me faisait moi au passage. Je vois ses yeux dans les nuages. Je redescends la tête. Le bas d'une robe noire fendue. Une main sur mon bras. Je n'ose pas la regarder, j'ai peur qu'elle ait pris l'image de celle que je ne verrais plus jamais. Il n'est rien qui ne soit plus brisé qu'un souvenir au milieu d'un rêve.

Sa voix est comme son toucher. Léger mais ferme. Tentatrice, d'une certaine façon. J'ignore ce qu'elle veut de moi, ce qu'elle a en tête, si elle sait ce qu'elle fait. Je m'en fiche un peu, au fond. L'ordre est doux, il est rassurant. Je n'ai plus envie d'affronter mon monde intérieur. Je lui préfère de loin le vide que je ressens lorsque je suis éveillé. Alors, plutôt que de risquer de voir les réminiscences de ma vie d'avant s'incruster dans un paysage de désolation, j'obéis. Doucement. Mes paupières se ferment. Je relève la tête, laissant mon visage s'abîmer sous les embruns cristallins qui nous arrivent, portés par le vent. Je ne veux plus me rappeler. Il n'est rien qui ne soit plus brisé qu'un souvenir au milieu d'un rêve.

Re: Zones d'ombre
Dim 17 Mai - 15:26
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Le vent change de ton, rejoint par les cordes il gémit contre la mer furieuse une douleur qui ne lui appartient pas. C'est une plainte qui lui est familière pourtant, aiguë, qui serait déchirante si elle n'était pas si diffuse. Elle s'en souvient, sans se souvenir. Son corps a plus de mémoire que son hypothalamus, et son estomac se tord malgré elle. Il y a quelque chose de douloureux dans cette tempête, mais la douleur ne lui appartient pas.

Il n'hésite pas, ou à peine. Elle est incapable de dire s'il est confiant ou stupide, docile. Au fond d'elle, elle s'en fiche un peu. Il aurait pu faire tant d'autres choses plutôt que fermer les yeux. Il aurait pu s'envoler ou s'emmurer, il aurait pu disparaître, ou la repousser.
Mais il a fermé les yeux.
Il ne dit pas un mot. Il n'a pas l'air méfiant, et soudain elle le trouve même fragile. Comme une statue de sel offerte à l'érosion, érodée déjà, qu'une bourrasque trop puissante pourrait réduire en poussière. Risquerait-elle de l'effriter si elle le lâchait ?


« Laisses toi porter. »

Elle le tire légèrement à elle en le disant, elle même reculant à chaque pas. C'est une pente douce jusqu'à ce que les flots viennent tremper sa robe, et la merocean vient lécher leurs chevilles, et la pointe de ces ailes obsidiennes qui traînent dans l'infinie de grains de sable. Ces appendices lui apparaissent soudain plus un poids qu'un soutien. Elles ont laissé derrière lui deux traînées d'écailles noires qui, à l'instant où elle touchent le sol, deviennent d'une pâleur maladive, on aurait dit que le soleil les avait cuits.

« Encore un peu. »

Elle recule encore. Sa main gauche à imité la droite, saisissant délicatement le poignet du baguettier pour le guider à travers la houle. Ses jambes s'enfoncent dans l'écume grondante.
Avide, la mer vient et repart, elle n'est jamais repue. Elle parait plus possessive à chaque passage, à chaque grognement elle semble vouloir avaler davantage de ces corps qui la déchirent sans la blesser. On aurait un monstre affamé qui voudrait les dévorer. Cendre a toujours aimé les monstres.
Elle finit par s'arrêter. Elle a de l'eau jusqu'au bassin, et sa robe fendue à l'air de d'une grosse tentacule noire. Ses deux mains ne lâchent pas celle du baguettier, elle ne veut pas le perdre s'il oublie de rouvrir les yeux.

« Quelles sont tes options ? »

Le vent frappe plus fort contre son dos, comme pour ponctuer sa question d'un nouvel enjeu. Les éclaboussures dardent un goût iodé sur ses lèvres, c'est ses poumons tout entier qui se repaissent des éléments. Les ressent-il lui aussi ? L'air, l'eau, la terre. Le feu lui manque soudain terriblement.

Elle répète :

« Quelles sont tes options ? »

Re: Zones d'ombre
Mar 23 Juin - 16:54
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J'obéis. Me laisser porter, par les vagues, les courants, l'air, est une seconde nature chez moi. Je suis balloté par la vie, la mort, le reste. Et je laisse faire. Je ne suis pas de ceux qui se battent contre les forces de la nature. Je laisse ça à la vaste majorité des personnalités qui ont été sélectionnées sur le Domaine. Et puis je suis dans un rêve. Une part de moi sait qu'il ne pourra rien m'arriver que de me retrouver en face de mes propres démons. Que si je m'effritais enfin dans la tempête, je ne ferais que me réveiller dans mon lit.

Nous arrivons près de l'écume et je sens le poids de l'eau prendre le tissu qui couvre mes chevilles, jouant avec les trous de mes ailes abîmées. Je n'ai pas relevé les paupières, l'on ne m'a pas dit de le faire. Elle m'encourage. Encore un peu. Soit. Si elle le désire. Docilement, je me laisse guider à travers la houle. L'eau n’est ni froide ni chaude et l'on ne ressent sa présence que parce qu'elle est liquide et nous entoure. Sa légère densité nous porte un peu. Les corps flottent. Ils sont plein d'air. Moi surtout. Elle pose une question qui se perd dans les éléments. La mer ou Cendre, les deux se confondent dans l'obscurité de mes propres pensées. Les mots se répètent, plus insistants soudain. J'ai envie de hausser les épaules. Je ne sais pas pourquoi je me retiens.

"Les mêmes que pour tout être vivant. Se battre ou abandonner." Suis-je vivant seulement ? Le Domaine à quelque chose d'un purgatoire ou d'un Olympe. J'avais décidé, en arrivant, de ne pas me poser la question. Je la remise donc sagement au fond de mon esprit, là où, éveillé, je sais que je n'irais pas la trouver. Mes options.

"Je pourrais subir, attendre la masse d'eau, laisser ce monde être la proie des vents et des flammes. Je pourrais décider d'abandonner et continuer à avancer dans la houle jusqu'à ce que la mer m'avale. Je pourrais faire un bouclier et sauvegarder mon petit univers personnel. Je pourrais aussi changer le monde. Le rendre beau et riant. Faire étinceler le soleil sur des restes de brume, éclore les fleurs, créer la vie. Je pourrais tordre mon rêve, lui donner un air de carte postale, faire croire à tous que c'est la photo de mon esprit."

Je rouvre les yeux. Autour de nous, destruction, désolation, démesure. C'est ce que je suis et je n'ai pas envie de le cacher. Je sais que nier ce que l'on est, que cacher sous prétexte qu'on ne veut pas voir, est pire que tout dans l'esprit d'un homme. Mon rêve est un message que moi seul pourrait décoder si je m'en donnais la peine. Je n'ai pas envie. A quoi bon.

"Je pourrais ouvrir une porte et te suivre dans un autre esprit, envahir une autre histoire. Voir la tienne. Je pourrais trouver un moyen pour ne plus jamais être conscient de mes rêves. M'enfuir et oublier." ça avait longtemps été ma réponse, d'ailleurs. Et même si les méthodes conventionnelles de fuite m'étaient ici interdites, je n'avais jamais vraiment cherché à contourner cette règle.

"Et toi, Cendre. Quelles sont tes options ?"

Un visiteur a toujours plus de pouvoir sur un rêve que le dormeur. Plus de pouvoir conscient je veux dire, car l'inconscient, lui, se bat avec des armes redoutables...
Re: Zones d'ombre
Mer 24 Juin - 12:32
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Cette énumération d'alternatives ne lui semble être rien de plus qu'une série d'abandons, confessés un à un à chaque ponctuation comme autant de répétitions d'un motif informulé. "Je pourrais, mais non." "J'en ai conscience, mais je le ne souhaite pas." C'est tout ce qu'elle entend, des  démissions qui se succèdent, martelées d'implicites, des abandons à la chaîne, une silencieuse mais officielle abdication.

Pourtant il a tort.

Elle ne sait pas pourquoi il est résigné à ce point. Qui, quand, comment. Rien à foutre. Elle ne pourrait rien y changer, sa marge de manœuvre, supposé qu'elle en ai une, ne remonterait pas le temps. Ce qui importe, ce sont ses options, actuelles, et il en oublie une.

« Je pourrais tordre mon rêve, lui donner un air de carte postale, faire croire à tous que c'est la photo de mon esprit. »

Cette option là n'était pas prévue.

Une vague se fracasse contre la falaise dans un choc assourdissant. Elle a la sensation que c'est contre ses os que les flots éclatent avec une force abrutissante.

Son rêve.

Elle se sent clignoter, comme une ampoule. Présente. Absente. Absente. Présente. Chaque égard est un nouvel éclat de conscience, et à la conscience se mêlent de virulentes émotions, la culpabilité se tisse dans l'angoisse qu'une horreur à ranimé soudain, et la peur éclipse tout le bien que quelques mots pourraient dispenser.

«Je pourrais ouvrir une porte et te suivre dans un autre esprit, envahir une autre histoire. Voir la tienne. Je pourrais trouver un moyen pour ne plus jamais être conscient de mes rêves. M'enfuir et oublier. »

Hors de question. Elle ne pousse plus de portes, jamais. Elle ne devrait pas être ici. Elle doit partir.

Une nouvelle vague déferle sur la côte, poussée par un vent qui se débride. La carte postale se déchaîne, et ça ne peut que venir de lui. Elle n'a jamais su influencer les rêves, uniquement se les approprier.

Ses doigts lui font mal. Elle a soudainement conscience de leur raideur, ils sont crispés sur les poignets déchirés de coquillages du baguettier. Elle veut croire que c'est parce que la merocéan a manqué de la déséquilibrer, tout comme elle ose espérer que la masse qui obstrue sa trachée se perdra dans le vent qui étouffera sa voix.
Elle ne peut pas partir comme ça, ça pourrait causer des dégâts. Elle a déjà dû en provoquer suffisamment en venant.

Lui d'abord, toi après.
Se concentrer.
Revenir au sujet initial.

Elle ramasse ses idées dispersées par une toute autre tempête, les rassemble grossièrement pour en tirer la conclusion qu'elle n'a pas eu le temps de prononcer.

« Tu as conscience que l'un n'empêche pas l'autre ? Et qu'ils ne se suffisent pas à eux même ? »

Quel est le rapport avec le rêve déjà ? Les portes, la carte postale, la mer, ah oui.
"Se battre ou abandonner." Comme si la partition n'était composée que de ces deux parties incompatibles. Il manque des événements à son univers pour compléter ceux qui sont mal définis. Ou bien il ne lui dit pas tout.

Son regard s'accroche aux appendices qui coulent du dos d'Odysseus, qu'elle devine plus qu'elle voit, et dont le souvenir perlé de rosé semble laisser supposer qu'il a, plus d'une fois, cherché à affronter la tempête avant d'être renvoyé se fracasser contre les coraux. Depuis combien de temps se bat-il sans l'avouer, se l'avouer ?
Rien n'assure pourtant que la voie des airs soit la solution, bien qu'il s'y obstine. S'y obstine-t-il vraiment ? L'idée qu'il subisse plus qu'il ne combatte s'impose. Il est vent, pour autant il se laisse malmener par une tempête, plutôt que de s'y mêler, de la contrôler. Est-ce une façon de faire pénitence ? Ou se l'inflige-t-il ?

Finalement, elle ne sait rien, comment pourrait-elle seulement l'aider ?

Les mots restent coincés dans sa gorge. C'était si limpide un instant plus tôt. Intuitif. Ses idées étaient claires, ses mots n'avaient aucune importance, ils ne faisaient que draper des pensées que sa volonté seule suffisait à véhiculer, aucune question ne risquait de venir faire vaciller ses convictions. Pas d’incompréhension, aucun quiproquo. Désormais, ils lui semblent n'être plus que des voiles opaques qui troubleraient ses volontés, les dénatureraient pour blesser plus mortellement encore en frappant dans le vif d'un inconscient fragile.

Se réveiller redevient un besoin si impérieux que, lorsqu'une nouvelle vague plus puissante s'engouffre dans la baie en un rouleau faucheur, qu'elle les frappe tous deux pour les emporter et que sous ses doigts, elle sent les mains du sorcier lui échapper, elle hésite entre s'y agripper ou les lâcher.

Les flots pourraient bien être leur solution à tous les deux.

Re: Zones d'ombre
Dim 19 Juil - 0:01
Odysseus
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Il n'y a d'abord pas de réponse. Je n'en attendais pas d'immédiate. Silencieux, pensif au milieu de la tourmente, les yeux perdus dans le vent, je laisse les vagues me frapper de plein fouet, titubant parfois sous l'impact mais toujours debout. Les doigts serrés de la jeune femme autour de mon poignet sont une chaîne qui me relie à l'ancre de la conscience du nirimage, cet état étrange, entre éveil et sommeil. J'ai tout le temps du monde, ici ou ailleurs. Dans les sanglots du vent, je sens ma propre peine et la douleur qui pulse en moi à chaque battement de coeur, chaque seconde de ma vie, sans échappatoire autre que les paradis artificiels dont je suis privé ici. Parfois, le manque est tellement fort que je me sens capable de tout pour juste oublier un moment la peine qui est la mienne. Entouré de destruction et de regrets, je ne ressens pas ce besoin. Il y a quelque chose de fascinant à sentir la nature se déchaîner autour de nous, une impression de vie qui ne peut venir que de la peur de la mort. Instinct de survie, peut-être. Quelle drôle d'idée. J'aimerais me perdre dans ce vent, dans cette violence, et la laisser m'emmener vers des rives qui n'existent pas. Parce qu'elle est là, je ne peux pas. Je ne veux pas griffer son inconscient de la culpabilité de ma disparition, même onirique. Cendre. Ce qui reste quand tout a brûlé. Carbone pur, parfois porté par le vent, que l'on peut confondre avec la neige et qui en est l'antithèse. Elle parle enfin et ses mots sont coupant comme du verre.

Conscience. Je pose mon regard sur l'horizon bouché de nuages menaçants. Qu'est-ce que la conscience, qu'est-ce que l'empêchement. J'avais toujours aimé la philosophie. Ses contradictions. Le pouvoir des mots.

J'attends une suite qui ne vient pas. Cela me surprend cette fois. Elle n'avait que commencé. Cela ne lui ressemblait pas de ne pas continuer. Je l'attire à nouveau à moi. La prend contre mon torse que je sais froid, lisse comme du marbre dans ce monde étrange. J'aimerais la protéger, bien-sûr. Je voudrais tous les protéger. Si sûrs d'eux. Si jeunes. Si plein de sève. Si vivants. Ils se croient blessés par le monde, la vie, la dictature. Ils sont trop jeunes pour l'être réellement. Quoi qu'ils aient vécu, et je sais que beaucoup ont eu une vie bien plus terrible que la mienne, ils ont la jeunesse de le surmonter, ou ils n'auraient pas été élus pour nous rejoindre. Je ne suis pas là pour les protéger mais pour leur fournir des armes et les envoyer au devant du danger. Celui que ma génération n'a pas su éviter.

"La conscience blesse."

L'inconscience est un cadeau des cieux. Je ne peux, pourtant, lui faire subir mon addiction. Elle mérite mieux. Le soleil sur ses cheveux corbeau et la brise qui joue avec elle, la caresse. Je recule d'un pas.

"Viens."

Je m'élève sans peine grâce à mes ailes. Nous sommes dans mon rêve alors je sais qu'elle pourra voler aussi, quelle que soit la façon dont elle choisit de matérialiser ce pouvoir. Je ne la regarde pas. Je m'élève. Perce les nuages de larmes dont chacune contient une parcelle de l'amour que j'avais eu pour mon épouse. Au dessus, l'on attend le ciel bleu, le soleil. C'est une forêt émeraude, peuplée de chants d'oiseaux qui se répondent. Il y fait frais, silencieux. L'air à une odeur riche et astringente de terre et de pourriture. Les troncs, couverts de lianes, de lierre, font tomber des morceaux d'écorce au passage d'animaux invisble courant sur le bois. La vie y est foisonnante. Invisible. Autour de nous, une immobilité étrange après le hurlement de la tempête. Pourtant, la mort y est aussi présente qu'en bas. Et la douleur, bien qu'étouffée, n'a pas cessé de s'y répandre. C'est le même rêve, sous une autre forme. J'atterris. Le sol crisse sous mes pieds. Mes ailes disparaissent. Je suis soigné de mes blessures marines. Je lui tends la main. Pour l'aider.

"Un rêve peut prendre bien des formes. La conscience aussi. On qualifie le sommeil d'inconscience car il nous coupe de l'extérieur. C'est un mensonge. Nous ne sommes jamais plus conscients que lorsque nous regardons nos rêves en face."

Re: Zones d'ombre
Mar 21 Juil - 11:47
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Les flots pourraient bien être leur solution à tous les deux.

Toute sa vérité tenait en cette supposition. Être happés, voilà qui les aurait sauvés. À milles lieux sous les mers, Odysseus aurait été protégé, à l'abri du vent et des vagues qui l'auraient fauché, brisé contre les rochers ; au centre du typhon, protégé. Quant à elle, elle se serait noyée, réveillée. 
La solution était dans les flots. Et la vague aurait dû les emporter.
Un instant plus tard, elle est toujours là. Un piquet ébène qui fend l'écume, qui ploie et bascule. Il a dégagé ses poignets et elle s'accroche, saisie d'un instinct de survie absurde. 
Ne pas chavirer, c'est le réflexe qui contredit ses idées.

Elle a une curieuse sensation de déjà vu. Une poignée d'instants auparavant, quelques grains de sable plus tôt dans ce gigantesque sablier, le temps de quelques grains d'éternité. Il avait écarté ses bras naufragés, et ses ailes faites de plumes et d'écailles plus noires que l'univers les avaient imité. D'un geste il l'avait invitée à se réfugier contre son corps décharné, coraux et crustacés. 
Elle avait choisi de se détourner. 
Déjà elle l'avait ressentie, cette crainte qu'une étreinte l'avale, et qu'elle disparaisse toute entier. Désormais la joue contre son pectoral, elle ne pense qu'à inspirer. 

Le contact est froid. Elle ne perçoit aucune palpitation sous cette chair de roche, aucun coeur qui vit, qui frappe et qui ressent à son approche. C'est froid, glacial contre son épiderme, et le contraste est une ancre qui brûle son dilemme. Peut-être que le froid pourrait, elle, la retenir de chavirer.

« La conscience blesse. »

Alors que faudrait-il faire ? Se voiler la face ? S’anesthésier l'esprit, cesser d'être conscient pour se prémunir de la douleur ? «Et alors ?» elle rétorque sans que ça ait la moindre importance, tout bas, trop fort ou pas assez. 

« Viens. »

Il étend les deux appendices qui coulent de son dos. Ils sont immenses, percés, déchirés, des poignées de plumes d'un noir impénétrable laissent des vides perlés d'un sang mélancolique. Pour beaucoup, la beauté se trouve dans la perfection. Ce n'est pas son avis.
Il décolle.
Elle aurait tant aimer savoir voler. S'extirper de la réalité sanglante dans laquelle elle est embourbée, s'élever au dessus des liens qui l'entravent, dépasser les ruines qui transpercent le ciel et rejoindre .. ailleurs. Qu'y a-t-il au dessus ? 
Il s'envole, et les rêves ont ça de beaux qu'ils sont irréels. Ici, elle peut le suivre. Ou elle peut partir.
Elle hésite une seconde. La porte d'écorce qui s’entrebâille du tronc du palmier attire son regard. Elle pourrait la rejoindre en un battement de cils et se réveiller.
Sur l'anthracite de l'infini, la silhouette du naufragé se fait plus petite.

D'une volonté, son corps se métamorphose, l'occamy devient cygne et l'ivoire suit la trace de l'obsidienne qui se dessine à travers la poussière, les cendres et les nuages jusqu'à une autre terre.

La forêt qui les accueille est empreinte d'une douceur triste. La mélancolie se personnifie en une flore larmoyante, les arbres pleurent un feuillage ni tout à fait vivant, ni tout à fait mort. La mélopée qui s'élève de la canopée à quelque chose de tendre et déchirant à la fois. Plus que jamais, Cendre à la sensation de pénétrer un territoire interdit. La tempête lui manque. 

D'une parole, elle remonte le temps, jusqu'à l'introduction de la leçon de l'instructeur. Faites c'que je dis, pas c'que je fais.

« La conscience blesse, oui, et d'autant plus en rêves. Ton esprit, ton cœur, toi, tu es certainement celui qui te fera le plus de mal finalement. »

S'anesthésier, c'est une alternative. Se couper du monde, s'interdire un sourire et oublier de rire, elle connait, ce sont ses stratégie. Refuser le contact et fuir les dialogues. Se battre, uniquement, pour ceux qui sauront encaisser, espérer tout bas y rester. C'est tout ce qu'elle est capable de faire. Ça ne veut pas dire qu'il s'agit d'une solution viable.

« À quoi ça te sert de les regarder en face ? De ne faire que de les regarder si tu te fais submerger ? »

Il n'y a plus de coquillage qui nouent sa barbe, de coraux qui jaillissent comme des cicatrices. Ce constat lui pince le coeur, comme s'il se refermait de nouveau, dissimulait ses blessures et la peine qui désaccordait son orchestre, ne laissant apparent que la désolation d'un monde qui se fond dans la puissance d'une tempête et la richesse d'une forêt. À l'instant plus que jamais, il est rien de plus que l'observateur -la victime ?- de forces qui le dépassent.

« Pourquoi es-tu au domaine ? »


Re: Zones d'ombre
Mar 11 Aoû - 23:55
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Pourquoi. Ce mot était décidément gravé dans le marbre du coeur de l'enrolée, entrelacé avec son être profond. Pas comment êtes-vous arrivé au Domaine. Pourquoi. Je regardais la forêt de mes démons, si paisible en apparence, au silence rempli de ces mots de regrets que l'on ne prononçait jamais. Faire face était quelque chose. Accepter, laisser l'ennemi vous entourer, devenir vous, puis passer et rester intouché était une forme de victoire. Attends au bord de la rivière et tu verras passer le cadavre de tes ennemis avait approximativement dit un sage asiatique que je n'arrivais pas à remettre. Rien de tout cela n'avait d'importance dans l'immensité du monde. Un jour, les choses se règleraient, ou non, et la vie continuerait, sur cette terre ou sur une autre. Nous ne sommes rien à l'échelle de l'univers tout comme nous sommes le monde a bien d'autres échelles.

"Nous sommes toujours nos pires ennemis. Se regarder, se connaître, se comprendre, c'est commencer à s'apprivoiser. Ne méprise pas l'inaction, elle n'est pas sans effet et, parfois, juste arrêter de fuir est une victoire."

Une qui me coûtait beaucoup. Je connaissais mes démons, seulement c'étaient eux qui m'avaient apprivoisé et je n'avais pas envie de les laisser passer et me laisser seul. Je n'avais pas envie de gagner. Pourquoi ? Avais-je seulement eu le choix ? C'était une discussion que nous avions déjà eu, dans la clairière avec les loups mais l'enseignement était un éternel recommencement semblait-il.

"Parce que je suis moi et qu'ils sont eux."

J'avais rejoint le Domaine pour elle. C'était son combat que je menais, avec mes forces et mes faiblesses, tellement moins bien qu'elle. Elle qui était l'incarnation vivante de la rébellion. Elle qui refusait de fermer les yeux. Qui ne faisait jamais que regarder, qui était incapable de ne pas agir. Parce qu'elle était elle. Je ne lui en avais jamais voulu de ce que sa rébellion avait fait à notre fille. Une enfant de feuilles mortes se forma dans un morceau de vent puis implosa. Je n'avais pas besoin d'entendre son rire pour la reconnaitre.

"Parce que je respecte votre besoin de vous battre pour vos idéaux et je ne veux pas le poids de vous y envoyer sans armes. J'aurais préféré que vous n'ayez pas besoin de vous en servir. Que notre génération puisse venir à bout de ce chaos qu'elle a laissé s'installer. J'aurais pu fermer les yeux, bien-sûr. Comme pour le loup de la clairière, j'aurais pu passer mon chemin. Cela n'aurait pas été moi." Je soupire. "Je n'aime pas la guerre. Il n'y a pas de bon ou de mauvais camp dans un conflit. Il y aura des vies fauchées trop jeunes, des dommages collatéraux, des familles déchirées et je ne peux pas détourner le regard de leurs souffrances. On a beau dire que l'autre camp est pire, que l'on ne fait que blesser peu pour sauver beaucoup, que c'est le destin, ou encore que c'est nécessaire, je ressens chaque pleur comme une plaie de plus. C'est ce que je suis. Chaque douleur qu'une de mes baguettes aura provoqué sera ma responsabilité. Chaque jeune d'ici blessé le sera quelque part parce que je n'ai pas su le protéger." Pourquoi suis-je ici. Ai-je seulement eu le choix ? Je ne le pense pas. Le monde m'écorche à chaque pensée comme l'écorce d'un bouleau pend, penaude, suintant de sève collante.

"Au fond, quelle importance, pourquoi je suis ici. J'y suis. Tu y es. Mes démons me suivent où que j'aille, il est inutile pour moi de les fuir et pour toi de les affronter".

Re: Zones d'ombre
Sam 19 Sep - 10:36
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« Nous sommes toujours nos pires ennemis. Se regarder, se connaître, se comprendre, c'est commencer à s'apprivoiser. Ne méprise pas l'inaction, elle n'est pas sans effet et, parfois, juste arrêter de fuir est une victoire. »

Cendre ne méprise pas l'inaction, pas en elle même. L'immobilité est une nécessité dès lors que l'on s'essaie à la discrétion. Observer est plus simple depuis une position fixe qu'en mouvement, et la simple concentration perd en efficacité à l'instant où une seconde tâche cognitive entre en action simultanément, se déplacer y compris. L'inaction est nécessaire. C'est l'abandon pur et simple qu'elle désapprouve. Et dans le cas présent, elle n'est pas certaine de savoir où le baguettier se situe.

Elle rétorque en une question : 

« C'est une victoire ? Ou c'en était une ? »

Depuis combien de temps a-t-il cessé de fuir ? Astiquer son trophée jour après jour lui redonne-t-il toute sa valeur ? Ou n'est-ce qu'un moyen de se conforter dans une réussite passée sans plus oser chercher à en obtenir d'autres ? Ne se voile-t-il pas la face ? 

« Parce que je suis moi et qu'ils sont eux. »

Le vent s'agite, la mélodie des feuilles froissées attire son regard sur la petite silhouette qui s'évapore avant qu'elle n'ai eu l'occasion de lui donner un nom. Des émotions, profondes, presque douloureuses, la vrillent un instant avant de s'envoler elles aussi, emportées par une vague qu'ils ont laissé des centaines de mètres en contrebas.
Qui est-il ?
Durant une seconde, Cendre voit une grande maison vide. Des murs branlants dont les fondations ont été pulvérisées, et un arbre aux feuilles frissonnantes qui grandit en son sein, ses racines solidement ancrées dans son armature, ses branches qui poussent contre les murs et percent les vitres, ou bien essaie d'en colmater les brèches. Le vent s'infiltre, partout, et la mélodie qui en jaillit s'inspire de celle qui a saisi l'orchestre durant le bal. Qui est-il, lui ? Qui sont eux?

Odysseus poursuit. Elle voudrait froncer les sourcils. Si elle était plus expressive, si même son propre corps savait la trahir, elle aurait pu. 
Cette réponse ne lui convient pas.
Il exprime des faits. Ce sont des faits qu'elle conçoit, des idées qu'elle partage d'ailleurs, mais qui restent des faits. Comme souvent d'ailleurs, Odysseus se montre plus objectif que subjectif. C'est une qualité qu'elle lui reconnait et qu'elle apprécie, mais à cet instant, tandis qu'il se présente à elle immaculé, d'une peau de marbre intacte et sans ailes pour le transporter, ce n'est pas ce qu'elle souhaite. Un coquillage, est-ce égoïste d'en demander ? 

« Ce ne sont rien de plus que des principes. »

Qui aurait confiance en un sorcier qui se bat par principe plutôt que par envie ? Une obligation morale se respecte jusqu'au jour où la conscience se résigne, la culpabilité, usée jusque la moelle, laissera la place à une forme de tolérance apathique qui ne motivera plus aucune initiative, et les valeurs strictes concéderont à des compromis inacceptables. Que se passera-t-il lorsqu'il choisira l'inaction pour ne plus causer le moindre tort ? 
Ce n'est pas suffisant. Tout comme ce n'est pas suffisant "qu'il soit là" sans la certitude qu'il y restera. Pourtant, Cendre n'insiste pas. Une part d'elle certifie qu'elle préfère savoir qu'il lui mente - véritablement ou par omission - à elle plutôt qu'à lui même. L'autre se souvient du coquillage qu'elle aimerait voir percer à travers son épiderme, cette blessure qu'elle pourrait voir, sentir, toucher, soigner, mais qui pourtant, ne la concerne pas.

L'occamy détourne finalement les yeux, la tête.
Il n'est pas obligé de se justifier davantage. Elle s'éloigne. Le vent est plus doux en altitude, il caresse ses cheveux méchés de plumes blanches, dont le blanc s'abîme en noir pour se mêler à ses racines ébènes. L'air est moins tempétueux, pourtant la tension de l'orage semble encore étirer le rêve, comme si des serres acérées le griffaient pour essayer de le déchirer.
Devant elle, un paysage foisonnant de vie cascade en une infinité de couleurs et de sons. Il aurait pu l'emmener n'importe où, ailleurs, dans un autre rêve, la repousser dans le sien, pourtant il l'a menée jusqu'ici. Elle aimerait explorer ces bois, découvrir ce qu'il y a à voir et ce qui s'y tapit. Les monstres qui le suivent et qu'il serait inutile qu'elle affronte. 

« Et pourtant, tu m'as guidé là où tu dis regarder tes rêves en face. »

Au fond qu'attend-t-il d'elle ?

Re: Zones d'ombre
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