Le dortoir se remplit petit à petit, la salle commune aussi. Moi j’explore, je me balade, je papote un peu, je prends la température, bref je me familiarise avec mon nouvel environnement et je fouine l’air de rien, en quête des baguettes et des autres petites choses qu’on nous cache. Oh bien sûr je reste dans les zones strictement autorisées, j’ai pas envie de passer pour une espionne non plus, mais la moindre petite pièce fait partie du grand puzzle qu’est cet endroit. Bon, c’était pas moi la spécialiste en puzzle dans le groupe, moi je partais surtout à la pêche aux pièces et c’était les autres qui s’occupaient du casse-tête, alors pour l’instant j’ai pas compris grand-chose de plus que quand je suis arrivée et que j’ai discuté avec Odysseus, mais je continue l’air de rien. Va bien finir par y avoir des liens qui vont se faire.

Et puis un beau jour j’ai eu un parchemin impliquant de se lever tôt et d’aller passer une visite médicale. Le 22. Je suis arrivée le 18. Moi c’est la première chose que j’aurais faite, une visite médicale, j’aurais eu largement le temps de contaminer tout le domaine dix fois si j’avais eu la tuberculose ou… ou Ebola tiens. Même pour des sorciers ça fait du dégât cette saleté.

Bref, mercredi 22 mai, 8h30, visite médicale, disait le parchemin.

Jour dit, huit heures vingt-huit, me voici devant la porte de l’infirmerie. J’attends l’heure dite pour frapper à la porte. L’exactitude est la politesse des rois, et même si je suis pas reine je vais pas faire moins que le roi, mh ?

Visite médicale. Bis repetita.

Ça ne fait même pas deux jours. Il n’a aucun droit de se plaindre quand c’est précisément ce pourquoi il est là, ce pourquoi il a accepté de vivre à nouveau après être passé si près de la mort. Voir même, complètement en tête-à-tête avec cette dernière, qui avait été assez polie pour payer l’addition et le laisser partir, cela dit. D’ailleurs, aucune protestation n’était sortie de sa bouche lorsqu’on lui avait signalé la nécessité de rencontrer tous les enrôlés et de leur faire effectuer les tests de rigueur pour vérifier leurs aptitudes, honnêteté, et ces petits tracas qui viendraient bien vite gêner son travail et celui des autres instructeurs.

En apparence, Lancelot disait rarement quelque chose lorsqu’on lui demander de faire ce qu’il avait à faire.

“Inutile de grogner. Je suis aussi peu enjoué que toi.” Il souffla tout de même ce matin là en buvant sa tasse de tête. Le fauve tapis sur sa peau la parcourait incessamment en battant de la queue, peu satisfait d’être encore enfermé pour une journée entière sans pouvoir parcourir le peu de territoire qu’il avait réussit à s’octroyer dans les serres. Représentatif de l’humeur du médicomage, sans doute, agacé mais faisant bonne figure, caché derrière un masque poli de rigueur.

Le coup à la porte lui fit comprendre que sa première visite était arrivée. Il jeta un coup d’oeil à sa feuille qu’il avait à peine lue, et qui lui était inutile sur le même concept qu’il appliquait depuis le début: il préférait apprendre les informations de la bouche des enrôlés plutôt que du dossier qui avait été constitué sur eux. Comme on avait frappé, la porte se fendit d’une question pour demander à Lancelot s’il souhaitait laisser entrer le visiteur, question auquel Lancelot répondit par l’affirmative avec la politesse de rigueur lorsqu’on s’adressait au mobilier du Domaine.

(L’un des établis de la serre l’avait mordu pour l’avoir frappé du poing lorsque la frustration s’était trop fait sentir dans les premiers jours. Depuis, il avait appris sa leçon et ne frappait plus les tables, ni les portes, ni quoi que ce soit, et se contentait de jurer profusément.)

“Entre. Assieds-toi.” Il indiqua à la (très jolie, une part distante de son cerveau lui dit) jeune femme qui se tenait devant l’infirmerie, n’ayant lancé qu’un regard bref dans sa direction alors qu’il lui désignait le fauteuil en face de son bureau. Il attendit qu’elle eut pris place pour parler de nouveau. “Souhaites-tu boire du thé, ou un café, quelque chose?” Il sirotait lui-même sa tasse, il était tôt, ils allaient passer une heure ensemble, autant le faire dans de bonnes conditions.

Peut-être qu'un jour je m'habituerai à entendre les portes parler ou donner des coups aux gens mais j'avoue que pour l'instant j'ai encore du mal. Dans le doute je suis polie avec tout ce que je croise, même si a priori c'est pas vivant, et j'évite les contre-emplois du style utiliser un coussin comme cale-porte ou essayer d'enchanter un truc sans (le) prévenir avant.

Quand ça s’ouvre je rentre, curieuse de savoir sur qui je vais tomber. Un grand Blanc barbu, moustachu, vaguement négligé et ronchon qui me salue pas et me regarde à peine avant de me faire asseoir. Se lever pour m’accueillir ? Pour quoi faire ? Ca commence bien, tiens.

"Bonjour Docteur." je salue donc en rentrant, avec un joli sourire.

J’obéis et j’effleure un bras du fauteuil en face de lui avant de m’y asseoir, sans me priver pour les détailler lui, son bureau, sa tasse et le reste de la pièce. J’ai pas souvent vu de docteur, ça coûtait trop cher, et le médicomage du groupe de Kinshasa avait autre chose à faire que m’ausculter moi, genre soigner les blessés ou soigner d’autres gens de façon parfaitement légale – et en plus c’était un connard m’enfin passons –, alors je suis curieuse. Et j’espère bien que c’est pas un connard, lui, même si j’ai l’impression qu’il a oublié son amabilité au pays. L’invitation à boire quelque chose me surprend un peu, je suis pas sûre que ça soit très habituel quand on va voir un docteur mais après tout… il veut sûrement juste pouvoir finir sa tasse à lui en toute bonne conscience. Dans tous les cas il remonte un peu dans mon estime.

"Je veux bien un café s’il vous plaît." je réponds donc, toujours polie, gentille, mignonne. J’aime bien le café.

Pour le reste, j’attends de voir s’il compte m’en dire un peu plus ou si je vais encore devoir poser toutes les questions.

Pour la plupart des enrôlés, il s'agissait de leur première rencontre avec le médicomage. Bien entendu, il en avait croisé certains au détour d'un couloir, dans leur lieu de vie, près des serres pour ceux qui souhaitaient explorer les lieux. Les cours n'ayant pas débuté, chacun pouvait se familiariser comme ils le souhaitaient; Lancelot n'était cependant pas du genre à se mêler au groupe et à entamer la discussion. C'était autant par manque d'intérêt - un peu comme le respect, il considèrait que son attention se mériterait si les enrôlés en étaient méritants - que par manque de temps. Organiser l'infirmerie, soigner les maux des instructeurs qui avaient finis ici dans un état plus que problématique, gérer la mise en place des serres également, autant d'activités qui prenaient trop de temps pour s'accorder une sociabilité quelconque, à l'exception des quelques personnes qui avaient déjà croisé son chemin.

Et retenu son intérêt, donc.

Il chassa ses pensées de son esprit assez rapidement pour se concentrer sur la jeune femme qui lui fait face, lui adressant un simple sourire poli alors qu'il pointa sa baguette vers le nécessaire laissé par les Elfes ce matin là contenant un récipient de café chaud (et restant chaud grâce à un ingénieux système dont seuls les Elfes avaient le secret) qu'il transversa dans une tasse venant flotter vers sa patiente du moment. Il attendit qu'elle ait eu le temps de prendre une gorgée avant d'enchaîner. Il ne parlait pas vite, ne cherchait pas à aller vite, et cette fois-ci, la regardait pour de bon. "Puisque nous ne nous sommes jamais rencontrés encore, je vais me présenter en premier. Je m'appelle Lancelot, je suis l'Instructeur en soin et survie en milieu naturel mais surtout, je suis le médicomage du Domaine. Nous serons amenés à nous revoir si tu te blesses pendant les cours ou en dehors, même si j'espère que ça ne sera pas trop souvent. Si tu pouvais me donner ton nom, ta brigade et ta spécialité?"

Sourire poli, à nouveau. "La visite d'aujourd'hui a pour but de déterminer ton état de santé général, les complications qui pourraient nécessiter des soins et quelques tests d'aptitude qui permettront aux autres instructeurs et à moi-même d'adapter nos cours et ton entraînement. Plus honnête tu seras avec moi, plus il me sera facile de te soigner par la suite." Il insistait souvent sur ce point car c'était pour lui le plus important; les enrôlés n'auraient pas de secrets, à la longue. Il était voué à en connaître beaucoup sur eux, et lui mentir auraient des conséquences graves sur leurs propres personnes. Ce n'était pas dans leur intérêt, et il espérait que tous comprenait cela. Et savait que ce ne serait pas le cas. Comme toujours. Il lui tendit une feuille ainsi qu'une plume et de l'encre.

"Pour la partie la plus administrative, je vais te demander de remplir cette feuille. Les opérations que tu as pu subir, les blessures, ta tolérance à la douleur si tu la connais et peut la quantifier, tes habitudes alimentaires, de sommeil, sportives... Un bilan de santé avec tes propres mots, en somme. Nous passerons aux tests ensuite." Il récupéra sa propre tasse pour en prendre une gorgée, se rendant bien compte qu'il avait du mal à détourner le regard et fronçant légèrement les sourcils, plus pour lui-même qu'autre chose. "Prends ton temps. Si tu as la moindre remarques ou questions, des inquiétudes, des choses à approfondir, je t'écoute."

Café. Et il est bon en plus. Ca m’émerveille toujours un peu de voir des gens utiliser la magie pour des choses aussi bêtes que faire venir du café. On rationnait, nous, pour éviter d’imprégner les baguettes et de devoir les changer trop vite. Maman avait pas cheveux illimités.

Enfin il me regarde pour de vrai et il commence à m’expliquer. C’est aussi un instructeur. Bon à savoir j’imagine. Je sais plus si sa matière est une de mes mineures ou une simple initiation, mais ça change pas grand-chose, savoir soigner ça me semble important peu importe la spécialité.

"Pivoine. Selkie. Intelligence." je réponds avec une petite pause entre chaque mot pour qu’il ait le temps de l’écrire si nécessaire.

Je récolte un sourire poli et de nouvelles explications en retour. Longues. Je prends la feuille, la plume et l’encre, j’ai l’impression qu’il me trouve absolument fascinante et que ça l’énerve. Ca me fait sourire un peu plus. Lui au moins ça a l’air de lui faire quelque chose… ce qui est un peu emmerdant vu que c’est justement le seul devant lequel je vais devoir me mettre à poil. On va pas lui faire du charme et tout va bien se passer.

"D’accord, je vous dirai si j’ai des questions en cours de route." je réponds tranquillement, comme si j’avais rien remarqué.

Je commence donc à remplir le formulaire. Ca va assez vite. Opérations non, blessures… en trucs importants j’ai pas eu grand-chose mais je note ce dont je me souviens avec l’année approximative. Tolérance à la douleur je mets 7/10 même si je pense être plus près de 8 pour certains trucs et trop près de 5 pour d’autres, et puis je corrige en 6-7/10 parce que bon voilà, j’arrive pas à décider s’il vaut mieux être trop pessimiste et me faire changer de spé, ou trop optimiste et passer pour une menteuse. Habitudes alimentaires je mange pas beaucoup de viande parce que ça coûte cher mais j’ai rien contre, le reste je suis pas très difficile mais je me découvre une dent sucrée depuis que je suis là. Habitudes sportives par contre… "nulles", je marque. A tous les sens du terme. Je m’essouffle après trente mètres de course, une vraie loque. Je suis pas faite pour ça. Arrivée aux remarques je lève les yeux, j’attrape son regard. Je veux savoir comment il va réagir. Surprise, compréhension, pitié. Dégoût. Quoi que ça puisse être, je veux savoir. Je vais pas parler des points vraiment sensibles à quelqu’un qui va mal prendre le fait que j’existe.

"A quel endroit je marque que je suis à moitié Vélane ?"

Il ne pouvait s'empêcher de vouloir l'observer alors qu'elle complétait sa feuille, sensation qu'il ne pouvait nommer, auquel il n'était pas habitué. L'intérêt qu'il portait habituellement aux autres se basaient le plus souvent sur les discussions qu'il pouvait avoir avec eux, était bien trop souvent agrémenté d'une distance presque automatique. Ici donc, quelque chose de peu habituel pour lui, avec une nuance qu'il n'arrivait pas à poser. Ses yeux étaient toujours concentrés sur son bureau et la plume magique qui avait noté les informations que Pivoine lui avait donné, troublé par cet élan aussi soudain que bizarre qui remontait le long de son dos, pesait sur son cou.

Ce n'était pas tant l'impulsion que son étrangeté qui le chiffonnait à ce moment.

Lorsqu'elle parla à nouveau, un éclair de compréhension - et de soulagement - apparut brièvement sur le visage du médicomage. Il tenta de se remémorer ses recherches, déplorant par avance le fait qu'elles soient si minces: la médicomagie appliquée aux sorciers avait souffert du temps de guerre, ne permettant pas à la recherche de développer beaucoup de pistes de traitement pour les patients alternatifs tels que les hybrides. "En haut du dossier, à côté des informations concernant ta brigade et ta spécialité." Il indiqua, afin qu'elle soit visible pour ceux qui devraient éventuellement reprendre ses dossiers s'il se trouvait en incapacité de le faire.

"Si tu as déjà connaissance de particularités liées à ta spécificité, tu peux les noter dans les remarques. Je ferais mes propres recherches afin d'être sûr de pouvoir te soigner et d'adapter tes traitements en cas de besoin."

Compréhension et... soulagement ? Tiens. Il doit être content d'avoir compris pourquoi il bavait à moitié en me regardant et que ça soit pas un sort de charme ou un philtre d'amour. Ca semble logique, en tout cas de là où je suis. En tout cas je suis contente qu'il me regarde pas comme une espèce de monstre ambulant, ça va beauuucoup faciliter nos relations. J'indique donc "Demi-Vélane" en grosses majuscules rondes à l'endroit indiqué, et je vais dans les remarques.

"Je sais pas ce qui est spécifiquement lié à ça et ce qui est..." Normal ? Humain ? Mh. "...qui aurait d'autres causes."

Dans le doute, je mets tout ce que j'ai qui me semble différent de la majorité de mon entourage - et que j'ai observé chez maman aussi.

Sensibilité aux maladies, faiblesse physique, très peu d'endurance, ça je suis presque sûre que c'est parce que je suis la fille de maman. Elle non plus elle était pas du genre à pousser des meubles tous les jours. Mais est-ce que c'est lié au fait que c'était une Vélane ou juste qu'elle avait une constitution en carton... Je mets aussi une note concernant mes demi-transformations moches en espèce de harpie avortée en cas de grosse colères, transformations auxquelles j'ai échappé jusqu'à présent au Domaine. J'espère que ça va durer, mais je sais que tôt ou tard ça va popper. La colère ça s'évite pas éternellement. Comme tout le reste.

Je regarde les autres cases à remplir. Y a des choses que je sais pas. Je mets "inconnu" partout où je sais pas. Genre mon groupe sanguin. Je sais même pas si j'ai un groupe sanguin humain. J'ai pas la moindre idée de qui est mon père, encore moins sa famille, du côté de ma mère je connais qu'elle, et peu importe où je regarde j'ai pas la moindre idée de si quelqu'un a eu des maladies dans mon arbre généalogique. Je le vis bien, mais j'imagine que pour un doc ça doit être un peu plus embêtant.

"Je crois que c'est bon." je commente après une rapide relecture point à point, et je tends la feuille à Lancelot pour qu'il la récupère.