Sycomore reste ignorant de la colère qui boue en Pivoine. Il n’y avait aucune arrière pensée, il en a rarement, il n’avait pas dans l’idée de truander Pivoine ou quoi que ce soit. Il ne lui aurait pas offert de brioche sinon, sa cuisine est sacrée et ne doit pas être utilisée à mauvais escient. Il ne se doute rien, même si le «On vaut mieux que ça tous les deux» l’intrigue. Après tout, si elle avait trouvé la rébellion excessive qu’il lui avait présenté comme une solution ou une réaction à avoir, elle aurait très bien pu l’avoir. Une petite voix dans le creux de son esprit qu’il ne serait peut être pas bon de réenchainer sur ce sujet là précisément parce que sinon, elle risque vraiment d’envoyer tout valdinguer et que lui était censé développer son peu de sociabilité en ces lieux. Même Aubépine le mentionne, c’est pour dire à quel point cela semble grave, cette histoire. Et on ne se socialise pas en mettant en rogne les deux tiers de la population du Domaine. D’un mouvement, il se lève , pensif, visiblement, c’est à lui de choisir le fond musical. Pas d’opéra , trop bruyant, trop submergeant. Quoi que. Choisir. Soit ça, soit uelque chose de plus doux , de triste. Il trouve, assez rapidement, en murmure les premières notes , une pavane douce qui débute par une mélodie de flûte et de hautbois. Il s’absente quelques instants , remontant l’escalier jusqu’au dortoir, discret, fouillant sa malle pour en revenir avec deux pochette de vinyle. La première est décorée d’un tableau impressionniste , un mer d’huile. Le nom de Fauré s’y détache en lettre d’or pleine de solennité. La second représente une courtisane de la mi XIXème siècle, tout en crinoline et fleurs. Les lettres sur le côté indique que la pièce jouée est de Verdi. Il les pose devant Pivoine , désigne le second et fredonne de sa voix grave .

«Noi siamo zingarelle venute da lontano»

Puis il désigne le second .

«Ou quelque chose sans parole, de plus lent et triste. C’est une Pavane et un Requiem après tout. On y pleure les morts. Maintenant il faut choisir.»

Il se murmure pour lui même les deux airs, cherchant lequel des deux colleraient le mieux à l’ambiance. Puis soudain, il déclare, sorti de nulle part.

« Si le pigeon ne te convient pas, on peut le transformer en chat, le principe est le même.»

Oui, parce qu’une histoire , s’il elle a été amorcée , se doit d’être racontée. Elle ne croyait pas y échapper quand même ? Ses yeux se fond pétillants, comme un môme heureux de son effet. Il ressert son invité en thé et en brioche avant de se rasseoir, observant pensif les deux jaquettes, incapable de se décider.

« Si tu joues aux échecs avec un chat, il va bouger les pièces aléatoirement , finir par les envoyer par terre parce qu’un chat trouve ce genre de chose amusant, surtout si l’humain à côté de lui s’énerve puis finira par se coucher en plein milieu de l’échiquier parce qu’il est quand même censé dormir 18 heures par jour. Après, il pourra fanfaronner en ronronnant partout qu’il a gagné. Par contre, ni toi, ni lui n’avaient joué aux échecs.»

Un silence encore . Il pique un peu de sa brioche pour la goûter, fronce les sourcils , circonspect

«J’aurais du y mettre de la fleur d’oranger ou plus d’amande, pour le goût. Ça aurait été mieux.»

La jeune femme s’insurge , mais un peu moins, avec plus de douceur, l’atmosphère se détend et Sycomore ne sait pas s’il doit remercier la Traviata et Verdi. Ou la Pavane de Fauré dont il met le vinyle dans le tourne disque pour l’écouter, fredonnant encore un peu l’air avec nostalgie. Elle l’aime bien, cette musique , elle est probablement sa première éducatrice en matière de musique classique. Mais ce n’était pas assez sorcier, assez virile d’être danseur ou chanteau d’opéra donc la vocation, l’activité avait été interdite par la volonté paternelle et la contredire aurait signifié bien trop de risque. Adieu chant, la musique était devenu quelque chose qu’on écoute comme un plaisir coupable , caché dans une pièce insonorisé par magie. Une fois parti, la musique avait raisonné invariablement sans protection . Après tout, pourquoi faire, il était libre maintenant. Personne ne lui reprochera rien . Il continue de siroter sa boisson, piquant un peu de brioche, pensif, se laissant porter par l’ambiance. Pivoine relève que c’est étrange d’avoir voulu jouer aux échecs avec un chat

«Je connais un chat qui y joue très bien.»

Une chatte même, qui ne mange pas assez, qui se prend pour une très grande chasseuse sous cette forme, qui phéromone son oreiller en pensant que ça ait un effet quelconque et qui miaule quand elle veut éprouver son mécontentement.

«Quoi qu’il en soit, si tu ne m’apprends pas tes règles et que tu ne te conforme pas à celle que je connais , je suis comme ce chat. Je joue avec les pièces sans savoir quoi faire et je me couche sur le plateau. Et ça t’énerve.»

Il s’enfonce un peu dans son fauteuil, la fatigue commence à se faire ressentir. Ce n’est pas dommage à quatre heure du matin, il ne faut se lever après que dans … trois heures. Il tente réfléchir encore un peu, bercé par la musique lancinante du morceau. Il réfléchit cuisine, après tout, c’est le sujet actuel de la conversation.

«Il faudrait quand même que je fasse des essais . Mais avant , je vais faire des muffins aux amandes et au miel . Une autre fournée à la banane et aux pépites de chocolats, j’en ai vu dans la réserve. Il va falloir que je duplique magiquement mes moules , je n’en aurait pas assez et les elfes de maisons ne sont pas très cupcakes . Tu n’auras qu’à revenir les goûter. Je n’irai probablement pas chez les Selkies, je n’y ai pas très bonne réputations. Je n’ai pas très bonne réputation partout mais ici, je suis chez moi donc on ne peut pas me mettre dehors. Ça m’est égal . Un peu . Mais je ne veux pas que ça rejaillisse sur Aubépine. Peut être essayer de trouver de quoi faire une pavlova. Les gens connaissent mais en mange peu. C’est bourré de crème, Aubépine va tiré une tête de six pieds de longs. Tu la mangeras , toi, si je fais une pavlova ? Je ne veux que ça pourrisse dans un frigo. Ce serait trop triste.»

La fatigue le fait parler paradoxalement, ses yeux clignent un peu mais il resiste, ce serait terriblement impoli.

Il sent son corps s’engourdir petit à petit. Visiblement, la transformation et la discussion ont terminés d’user son énergie de nuit. Pas de cuisine de plat salé , ce soir , Aubépine sera heureuse de se contenter d’une brioche au beurre pour demain. Ou alors, il trouvera le temps de cuisiner un truc sur le pouce , rapidement sur les pauses. Il y a peu de chance que quelqu’un se balade ici à la pause déjeuner et puis qu’il cuisine sur le pouce ne sera pas trahir son secret de polichinelle après tout. Tous le monde cuisine sur le pouce, plus ou moins bien d’ailleurs. Sinon, cette cuisinière et ce frigo serait proprement et simplement inutile. Il peut dormir ici, après tout, il est en sécurité toute relative , plus que n’importe où ailleurs. Il est caché du monstre qui ne le trouvera pas à moins d’une double trahison, celle du domaine et celle de sa véritable identité aux sorciers russes. Mais cela fait beaucoup de facteur à entrechoquer, donc les statistiques pour que cela arrive vraiment sont assez faibles. Elles existent, parce qu’il y a toujours une chance infime que ça arrive. Mais elles sont faibles.

Il a un sourire amusé lorsqu’il voit hésiter , pécher entre gourmandise et méfiance. La pavlova est donc est une bonne idée, surtout s’il utilise un de ses vieux livres de recettes en russe, presque aussi ancien que les chandeliers de sa grand mère qu’il conserve bien soigneusement dans la malle. Finalement, cette salle commune est finalement chez lui. Le premier chez lui qu’il n’a pas vraiment à partager avec son double d’âme gémellaire alors pourquoi aller ailleurs. Ailleurs il n’y aura pas sa cuisinière, sa malle sans fond à l’étage et son tourne disque . Pas ses disques pour crachoter leur musique rassurante et lui tenir compagnie dans la solitude de la nuit du Domaine. C’est qu’il est tellement rare de croiser quelqu’un d’autre avec qui on peut discuter à paroles ouvertes la nuit. En même, c’est normal. Les gens dorment la nuit, ils n’ont pas tous de soeur fachée avec la nourriture à nourrir en douce et de peur enfantine de croque mitaine qui pourrait surgir à tout moment s’ils baissent la garde. Quoi que le croque mitaine est universelle, c’est un moteur assez fantastique et motivant pour agir contre un pouvoir puissant. Fuir pour mieux avancer et se battre, pour mieux riposter et vaincre. Espérer faire la différence, vivre en accord avec ses pensées et ses valeurs. Et puis, à défaut d’avoir la haine de Père, il aura la fierté de Mère sur lui, sur eux deux. Une preuve que les femmes de ce milieu ne sont pas de simple reproductrice et potiche à exposer mais bien des êtres avec une éducation à transmettre. Pavlova.

«J’en ferais une pour toi, une vrai traditionnelle. Tu sais que c’est en fait originaire d’Australie ? Ou de Nouvelle Zélande. Ils se battent pour sa paternité. C’est un dessert de noël, comme l’hiver austral correspond à l’été européen. Le nom russe est trompeur. Ça été nommé en l’honneur d’une ballerine russe. Pavlova. Fille de Pavlov. Je vais trouver des fruits rouges, je m’arrangerais. C’est meilleurs avec les fruits rouges.»

Ses yeux se ferment , il garde un sourire au coin des lèvres , ajoute d’une voix endormie.

«J’en ferrais une deuxième pour Aubépine. Tu n’as pas l’air de l’apprécier et la connaissant , ce doit être réciproque. Heureusement pour toi, les jumeaux hétérozygotes ne partagent pas le même cerveau. Si j’en fais deux, vous ne serez pas tentée d’empoisonner celle de l’autre, de peur de vous tromper.»

Sa respiration s’apaise doucement , le bras du tourne disque termine de lire le vinyle et toque mécaniquement. Plus rien ne bouge. Sycomore s’est endormi.