Cela allait bientôt faire une semaine qu'Écume était arrivé au Domaine. Elle commençait à se faire à la vie d'ici, à l'environnement, au rythme, au cours. Aux enrôlés ? Ça c'était encore une autre affaire ! Elle n'avait parlé à presque personne et n'engageait jamais la conversation. De toutes façons, il y avait trop à faire ici avec les classes qui s'enchaînaient, les devoirs à rendre, les informations à retenir et puis tout ce monde ! Autant de personnes dont elle ne connaissait rien et dont il lui fallait se méfier, par précaution, sans rien laisser paraître, le temps de les avoir suffisamment observées pour commencer à les cerner et savoir comment les prendre.

Non, elle n'avait parlé à presque personne et cela lui allait très bien comme cela ! Elle avait ainsi plus de temps pour digérer les miliers  de détails que ses sens captaient tout autour d'elle. De l'odeur de la prairie à celle de la salle commune, du bruit des plumes contre le parchemin à celui des insectes qui bourdonnent, de la couleur du ciel à celles des sorts lancés pendant les exercices et de la fraîcheur de l'eau de la fontaine à la chaleur des repas. Tout ici, à peu de choses près, tout lui semblait nouveau. Elle était en sécurité au Domaine, protégée des menaces extérieures, mais c'était au prix l'ensemble de ses repères. Néanmoins, Écume faisait bonne figure. Elle tentait de ne pas se montrer déstabilisée et se terrait dans le silence et l'observation, en dehors des sourires enjôleurs et des regards minaudeurs qu'elle distribuait sans avarice.

En ce vendredi matin, la voilà qui participait à son premier cours de Magie Offensive, avec l'ensemble de l'Intelligence et de l'Infanterie de Rementor. Écume découvrait cette matière avec intérêt et était restée concentrée les deux heures durant, dévorant Nyamata des yeux et négligeant ses camarades. Cependant, elle n'avait pris aucune note. Elle n'avait d'ailleurs pas apporté d'Afrique le matériel nécessaire. Car, en réalité, le jeune femme n'avait jamais eu a écrire quoi que ce soit en cours. Elle n'avait d'ailleurs jamais non plus connu de classe en salle, avec des chaises, et des tables, où l'on restait assis pendant des heures, où l'on écoutait le professeur sans silence. Elle n'avait pas connu d'emploi du temps fixe et prédéfini, ni de journée, encore moins de semaines, dédiée à son enseignement. Et, plus surprenant encore, elle n'avait que peu pratiquer le lancé de sort. Cette leçon était donc, pour elle en tous cas, une initiation et elle buvait les paroles de son instructrice, passionnée par tout ce qu'elle découvrait.

A 10h30, quand leur professeur les eut autorisés à se lever, Écume obéit. Elle était toute endolrie de s'être tenue ainsi, statique, si longtemps et commença par étirer ses longues jambes nues. Elle portait au pied des sandales souples, lacées de ruban blanc le long de ses mollets, un short en toile blanc un peu large pour elle, qui reposait contre les os saillant de son bassin et marquait le galbe de son postérieur. Au-dessus, elle portait un débardeur aux teintes orangées, peu décolleté par rapport à la plupart de ceux qu'elle possédait et un pendentif en ivoire au bout d'un collier de fil blanc. Elle étira ensuite ses bras fins, allongeant son buste, se penchant sur sa gauche puis sa droite. Une fois levée, elle prit le temps de remercier l'instructrice et sorti de la salle. Elle avait 30 min avant son prochain cours et aucun projet précis pour les occuper.

Les cours de magie offensive étaient intéressants lorsqu'ils étaient suivis par des travaux pratiques. Des duels, des stratégies de combat, des moyens de tester ce que l'on venait d'apprendre afin de mieux le retenir et surtout de voir par soi-même les effets. Cette leçon-là n'était pas réservée à l'infanterie mais était commune à d'autres spécialités. Visiblement, Nyamata avait jugé qu'il valait mieux éviter d'exposer l'intelligence à l'entraînement plus poussé de l'infanterie et avait donc préféré garder le cours strictement théorique. Mais à quoi bon enseigner de la magie offensive s'il n'était pas possible de la mettre en pratique? C'est en se mesurant aux autres que l'on apprend. Et de la même manière qu'il avait appris des choses au contact des enrôlés d'autres spécialités, il aurait pu à son tour aider ceux de l'intelligence à se défendre.

Il avait revêtu sa tenue de duel et attaché ses cheveux en un catogan approximatif à l'aide d'un lacet pour rien. Au moins il n'avait pas les cheveux dans les yeux lorsqu'il se penchait sur ses notes. Discrètement, il chercha du regard les enrôlés qu'il connaissait. Sans surprise, ceux de l'infanterie semblaient s'ennuyer autant que lui. Les autres paraissaient plus partagés. Et il y avait cette femme qui ne prenait aucune note. Faisait-elle partie de ces gens doués d'une mémoire éidétique? Ou se fichait-elle purement et simplement du cours?  Si tel était le cas, alors Nyamata aurait agi en conséquence. Mieux encore: elle aurait refusé de prendre le portoloin menant au Domaine et ne serait purement et simplement pas présente à ce cours.

Mais il y avait autre chose. Les enrôlés murmuraient des choses à son sujet. Les enrôlés masculins, plus précisément, et ils murmuraient des choses qui leur aurait valu des coups de batte de la part de Cormoran dans la figure si elles avaient été dites à l'attention d'une de ses sœurs. Un second regard discret à la jeune femme aux tresses lui fit comprendre pourquoi. Elle était très jolie, avec ses taches de rousseur et son petit anneau! Avec quelques tatouages supplémentaires, elle serait tout à fait son genre de femme. Contrairement à ceux qu'il avait entendus parler, il s'abstint de tout commentaire. Il n'avait pas coutume de parler ainsi des gens derrière leur dos, et encore moins des femmes qui lui plaisaient. De plus, elle était sans doute la sœur de quelqu'un, il ne fallait pas l'oublier.

Lorsque le cours fut terminé, il la vit remercier Nyamata avant de quitter la salle. Elle montrait donc de l'intérêt pour le cours, malgré ce que son absence de notes laissait croire. Il hésita à lui proposer les siennes. Peut-être n'en avait-elle pas besoin, après tout. Peut-être qu'elle savait déjà tout ce qui avait été expliqué pendant cette session et n'avait donc pas eu besoin de consigner quoi que ce soit. Mais si ce n'était pas le cas? Si elle avait eu un problème l'empêchant de profiter au mieux du cours et que cela lui portait préjudice par la suite? Mieux valait lui poser la question. Dans le pire des cas, elle l'enverrait promener et il serait fixé. Mais s'il ne disait rien, il laissait une enrôlée dans la panade alors qu'il aurait pu l'aider...Il rattrapa la jeune femme aux tresse et la dépassa de quelques pas, juste assez pour se tourner vers elle et lui faire face en continuant de marcher à reculons:

Excuse moi! J'ai vu que t'avais pas pris de notes. Tu veux que je te duplique les miennes?

Alors que la foule se muait comme une masse compacte vers l'extérieur du bâtiment Zouwu et qu'elle allait s'en détacher pour se diriger vers le parc, un homme la dépassa et, contre tout attente, lui adressa la parole. Automatiquement, Écume traça un sourire franc sur son visage. Franc, du moins, dans sa spontanéité et son entièreté. Pour ce qui est de la sincérité, par contre... disons que ce n'était pas vraiment l'objectif recherché. Heureusement, comme toujours, l'apparence masquait l'intention.

"Salut !", répondit-elle avec une pointe de surprise mêlée d'enthousiasme. La jeune femme riva un regard qu'elle saupoudra de désir dans celui de son interlocuteur et en profita pour l'examiner.

Ce n'était pas la première fois qu'elle le voyait. L'enrôlé n'était pas de sa brigade, certe, mais ils avaient déjà eu classe ensemble et elle l'avait également croisé sur le domaine. Il était grand, massif même, imposant sans pour autant l'impressionner. Il se donnait un air gauche avec sa posture timide et sa barbe négligée, mais l'Écume ne s'y laissait pas prendre.

"Tu n'as pas pris de notes", avait-il remarqué. Lui avait-il fait remarquer. Non mais de quoi se mêlait-il ? Non seulement il l'avait épiée, scrutée, mais il venait à présent parader devant elle de toute sa hauteur et lui cracher sa différence au visage. Lui notifier, plus que le fruit de ses observations, le fait même qu'il l'avait étudiée. Comme une menace qu'on fait livrer à sa proie, une sentence dont il n'est alors plus possible d'ignorer la venue mais dont les termes nous sont interdits. Des avertissements que l'ont sème, que l'on martèle de manière régulière pour assurer que le danger reste présent, fermement ancré dans votre esprit et ce nuit et jour. Non. Elle avait connu la terreur et l'avait combattue, réduite au silence dans une geôle au fond de ses tripes, elle avait inversé le rapport de force entre elles deux et, même si elle sentait la peur encore terriblement vivante s'agiter dans son ventre parfois, souvent même lorsque la nuit tombait, qu'elle savait que la prisonnière préparait son évasion et qu'il lui fallait continuer de la surveiller, même sachant tout cela parfaitement, pour le moment c'est encore elle qui avait le dessus et elle ne se laisserait pas envahir.

Pire encore, à supposer que ce soit possible, ce sale petit crotale sournois avait présenté sa tentative d’intimidation sous les traits d'un cadeau, d'un service, afin de ne pas attirer les soupçons. Afin de la rendre absurde si elle venait à le dénoncer, la tourner en ridicule. Afin, peut-être aussi de la tromper elle sur ses intentions à lui. Mais ça, c'était sous-estimer son intelligence ! Ou, peut-être, était-ce pour la confondre ? La pousser à s'emporter afin que lui puisse dévoiler sa véritable nature, la rage, la fureur qui déferlait dans ses veines pour la maintenir en vie et emmurer ses craintes dans le silence ? Quelle crédulité ! Il n'y avait aucune chance qu'elle morde à cet hameçon grotesque ! Non, au lieu de cela, elle ne serait que miel et sable chaud. Telle la Veuve noire, elle tisserait sa toile patiemment attendant qu'il s'englue dans son filet puis, quand elle l'aurait à sa merci, elle n'en ferait qu'une bouchée.

"Tu ferais ça, vraiment ?", ajouta-t-elle, touchée. "Ce serait tellement gentil ! Moi c'est Écume !", conclu la femme en lui tendant une main assurée, ne se défaisant de son sourire que pour mordiller subtilement sa lèvre inférieure, le regard toujours plongé dans celui du français.

Ouf, elle ne semblait pas importunée par sa présence. La façon dont elle le regardait disait même tout le contraire...

Elle le draguait? Ça, c'était inattendu! Les femmes ne le draguaient jamais d'habitude. Il avait toujours du faire le premier pas, sa dernière ex en date étant la seule exception à la règle. Les moldues amatrices de metal ne fonctionnaient de toute façon pas de la même manière que les autres femmes. Et celle qu'il avait en face de lui n'était certainement pas moldue, quant au metal, il ne voyait que celui de l'anneau accroché à son septum, et ce type de métal n'avait aucun lien avec la musique du même nom.

Voilà qu'elle lui tendait la main en se présentant, et en mordillant sa lèvre d'une manière qui désarçonna quelque peu l'Occamy. Un animagus cheval désarçonné, voilà qui était paradoxal. Et le pire, c'est qu'il ne s'en plaignait pas du tout.
Cormoran! dit-il en tendant sa main à son tour. Euh...Occamy, Infanterie.

D'habitude, s'il devait serrer la main d'une femme de son gabarit, il faisait attention à ne pas serrer trop fort. Il savait qu'il avait ce que ses anciens collègues appelaient une "poigne de constrictor", et ne voulait pas surprendre ni faire mal à qui que ce soit. Il ne prenait pas la même précaution avec les hommes car ces derniers avaient tendance à prendre cela comme un affront fait à leur propre force physique et parfois même à leur virilité, il estimait donc que si l'un d'eux se plaignait d'entendre ses os craquer, il pouvait se permettre de les ignorer en affichant un grand sourire. Mais la situation était très différente en ce moment précis. Et pourtant, en proie à la distraction, il serra la main d'Ecume comme il aurait serré la pince de Sycomore ou d'Arcturus.

Et euh...c'est parce que tu as une super mémoire que tu n'as pas pris de notes? Ou c'est parce que tu viens d'arriver et que les elfes ne t'ont pas encore donné de matériel?

Il jeta un regard rapide aux alentours. Si Andromeda le voyait face à Ecume et ses yeux éloquents, elle risquait de changer d'avis et de ne plus vouloir l'accompagner au bal qui se tenait dans quelques jours. Et comme il était déjà miraculeux qu'elle ait accepté son invitation, il jugea qu'il valait mieux rester prudent.

Son numéro semblait opérer au vue de l'attitude de son partenaire qui paraissait troublé. Paraissait seulement. Ce qu'il en était réellement, elle ne se permettrait pas d'en préjuger et continuerait de le soumettre à son charme jusqu'à avoir l'assurance d'y être parfaitement parvenu. C'est satisfaite de cette première emprise qu'elle nota le nom de sa victime - Cormoran - avant de se faire violemment broyer les phalanges. Elle eut un mouvement de recul qu'elle réfréna pour le rendre imperceptible. Elle avait appris à endurer la douleur. Elle inspira pour faire le vide dans son esprit et annihiler les messages de douleur qui lui parvenaient. Dans l'effort se perdirent la à laquelle il était affilié, et sa spécialisation. En fait, elle n'entendit même pas qu'il avait poursuivit son introduction. Il aurait aussi bien pu lui déclamer un amour inconditionnel, la prévenir d'un danger ou dégainer sa baguette qu'elle n'eut pas vu de différence. Bon, peut-être pas pour ce qui est de la baguette cela dit car Écume restait alerte aux mouvements surtout s'ils étaient offensifs.

Elle reprit sa main endoloris et la replia contre son torse avec douceur, répondant d'un sourire poli et silencieux. Un sourire timide, presque peiné. Il lui avait forcément fait mal à dessin et elle devait contrôler ce qu'il percevrait de l'effet qu'avait eu son geste. Elle fint donc d'admirer les formes musculeuses de ses bras.

"Eh bien ! Quelle force Monsieur Cormoran. Je suis impressionnée !", rétorqua-t-elle, appuyant ses propos d'une caresse lente de l'index le long de son biceps. "Il n'y a pas de doute possible sur les qualités qui t'ont fait recruter. Tu ne dois pas trouver beaucoup de résistance avec une telle puissance."

Elle avait choisi de le faire languir avant de lui accorder une réponse et d'amorcer un sujet différent, s'aménageant ainsi une issue en cas de nécessité. Car il revenait sur ses failles. Subtilement à nouveau, l'air de rien. Mais elle l'avait bien noté. Il la mettait même au pied du mur en mentionnant les Elfes. Elle n'avait plus alors aucune excuse pour ne rien noter puisque le matériel était disponible,ce qu'elle ignorait mais n'aurait rien changé, et si elle prétextait une excellente mémoire, il ne manquerait pas de la mettre à l'épreuve. Elle était piégée, qu'allait-elle pouvoir répondre ? Bluffer ? Jouer la coquette ? Il semblait sensible aux flatteries. En même temps... Le bougre n'y était pas forcément accoutumé...

"Oh je suis là depuis une semaine déjà ! Tu n'avais pas remarqué ?" Dit-elle faussement outragée dans un sourire. "Mais dis-moi, je ne suis quand même pas la seule à ne rien écrire !?" Voilà, il fallait faire diversion. "C'est si notable que ça ? Ou juste un prétexte pour me parler ?" Ajoute-t-elle l'air amusé.

Et pas seulement l'air. Si elle méprisait le petit jeu vicieux du français, elle prenait néanmoins un plaisir réel à le démonter pièce par pièce, à s'engager dans ce pas de deux verbal, dans ce duel oratoire subtil.

Elle remarqua qu'il guettait les alentours et resta à l'affût d'une embuscade sans pour autant le lâcher des yeux.

A présent, elle le complimentait sur...sa force? Nouvelle surprise! Cormoran s'était attendu à tout sauf à ça. Elle allait jusqu'à lui faire le coup de la petite caresse du bout de l'index sur le biceps. Il suivit le mouvement du regard, de la même manière qu'il aurait surveillé un insecte inconnu se promenant sur sa peau au cas où il aurait essayé de le piquer. Il avait cru qu'elle le draguait, mais même les sexagénaires du club sportif moldu étaient plus subtiles quand elles complimentaient son physique. Même les minettes décérébrées étaient moins directes quand elles draguaient ses collègues. Cormoran avait la désagréable impression qu’Écume se payait sa tête.

Puis il vit la manière dont elle tenait sa main, celle qu'il avait serrée. Il écarquilla les yeux et posa sa propre main coupable sur son coeur.
Oh merde, je t'ai broyé la main? Je suis franchement désolé! Je fais gaffe d'habitude mais il paraît que j'ai tendance à ...
Il mima le geste de visser quelque chose de récalcitrant, et ajouta une fausse grimace d'effort ainsi qu'une onomatopée pour compléter l'image. Il avait compris qu'effectivement Écume s'était moquée de lui. Mais s'il lui avait effectivement fait mal en serrant sa main, alors il estimait que c'était mérité et l'accepta. Il n'avait jamais été particulièrement susceptible, encore moins lorsqu'il avait sa part de tort dans la situation.

Un prétexte, euh...
Visiblement, elle s'imaginait qu'il avait, lui, une idée derrière la tête en lui proposant de l'aide pour le cours de magie offensive. Comment lui faire comprendre que ce n'était pas le cas sans la vexer?
Non, c'est juste que...c'est pas courant, c'est tout. Alors j'ai pensé qu'il y avait peut-être un problème, mais si c'est pas le cas alors tant mieux!
Il sourit, mais son visage restait tendu. Les rides sur son front, celles qui apparaissaient lorsqu'il réfléchissait et lui donnaient l'air plus âgé, trahissaient sa gêne.
Mais dans tous les cas, faut pas hésiter à demander autour de toi! Surtout à l'infanterie pour la magie offensive, on a des entraînements plus poussés. Et en échange on aime bien embêter l'intel pour les trucs comme l'infiltration par exemple. Oh, et les medics pour toutes les blessures qu'on se fait sans arrêt! Surtout moi. J'suis pas super adroit...
Il grimaça de toutes ses dents et resserra le lacet qui attachait ses cheveux ensemble, machinalement.

Attentive aux réactions des autres, à l'effet qu'elle avait sur eux, à leur attitude afin de mieux s'y adapter, l'Écume ne manqua pas de s'apercevoir la méfiance du Cormoran quant à son geste et elle s'en voulu. Les hommes qu'on lui avait amenés venaient chercher quelque chose de précis qui, toujours, se traduisait en une manière de rapiécer leur ego brisé, de le construire ou de le conforter. Mais le jeu était tout autre quand il n'y avait pas d'argent impliqué, qu'on achetait pas ses charmes mais qu'elle mettait ses compétences à son propre service. Il fallait alors trouver la faille de l'autre, ce qui lui plaisait, le charmait, le faisait craquer de manière inconditionnelle. Trouver, ce qui était plus compliqué encore, la faille sous les apparences d'usage.

Manifestement, cette première tentative n'avait pas fonctionné, mais qu'à cela ne tienne ! Elle allait s'adapter, trouver ce qui n'allait pas et s'améliorer. Une possible explication lui vint à l'esprit, lui revint plutôt, comme un parfum qu'on aurait un jour croisé sans le noter mais qui se serait inscrit dans notre mémoire et reviendrait avec la force des souvenirs et de tous les détails associés nous ramenant des années en arrière quand, un jour, on se retrouve à croiser la même odeur par pur hasard.

L'idée que le physique plutôt grossier de l'homme ne l'avait pas forcément habitué aux flatteries lui avait traversé l'esprit tout à l'heure déjà mais elle en avait déduit une opportunité de le déstabiliser par le charme. Or c'est l'inverse qui semblait se produire. Plutôt que de mordre à l'hameçon de l'appel charnel, il affichait ses barrières de défense. Pourquoi ? Elle n'arrivait pas à comprendre. Les possibilités étaient si nombreuses qu'elle n'avait pas la prétention de pouvoir toutes les envisager. Alors elle tenta une technique de repli par mimétisme. Cormoran se montrait timide et serviable ? Peu importe la stratégie que cela cachait, elle allait tenter cette même approche.

A sa question elle tinta son regard de panique et s'empourpra. "Oh heu non, non. Ça va, t'inquiète pas. Enfin si, oui, peut-être un peu mais heu c'est pas grave, vraiment !", bredouilla-t-elle. "C'est moi, je..." Elle détourna alors le regard, comme gênée de ce qu'elle allait dire. "Je suis désolée. Je n'aurai pas dû te... te toucher comme ça. Non, c'était mal. On ne se connait même pas !" Elle fronçait les sourcils, contrariée et soupira. "Je suis désolée.", répéta-t-elle dans un souffle.

Elle le trouvait ridicule avec ses bruitages. Les hommes qui s'expriment par des grognements avaient toujours parus primaires à Écume, plus bête que la moyenne. Elle n'y pouvait rien, c'était comme ça. D'ailleurs, ce n'était même pas réellement une critique car les érudits étaient, de leur côté, les plus grands manipulateurs, les sournois tireurs de ficelles. Elle n'aimait pas mieux cela, loin de là ! En revanche, elle craignait la colère impulsive des imbéciles. Elle ne savait pas à quel moment ils risquaient de se fâcher et d'exploser car sur le plan de la force, elle n'avait jamais l'avantage. Ce n'est pas pour rien qu'elle ne se défaisait jamais de sa dague.

Elle regarda de nouveau son interlocuteur avec un sourire timide en demandant "Tu penses qu'on peut oublier cet incident ?" avant d'ajouter en secouant la tête comme pour en chasser le souvenir gênant. "Vraiment, je n'aurai pas dû. C'était déplacé. Mais c'est moi, je... Je fais n'importe quoi parfois. Et après je m'en veux." Elle semblait sincère, l'air peinée. "Je connais encore peu de monde ici et tu me proposais ton aide. C'est très gentil ! Je ne voulais pas rendre les choses bizarres. Merci. Je...". Elle prit un temps, comme pour se préparer à formuler une confession. "Je ne suis pas très forte avec les sorts. Si tu penses pouvoir m'aider à m'entraîner, je veux bien."

Voilà qui fonctionnerait peut-être. Ainsi, elle en apprendrait plus sur son adversaire, ses forces, ses faiblesses et, au passage, elle aurait la possibilité de s'améliorer elle même dans les domaines où elle pêchait.

La voilà qui perdait ses moyens à présent. Elle s'excusait même de l'avoir touché, alors qu'elle n'avait rien fait d'inapproprié et que, à vrai dire, si Écume avait eu un geste déplacé avec lui il ne lui en aurait absolument pas voulu. Sauf, bien sûr, si cela devait signifier qu'Andromeda déclinait son invitation au bal. La médicomage tatouée n'était pas qu'une simple jolie femme à ses yeux, alors qu'il ne connaissait pas encore suffisamment Écume pour que, la concernant, il puisse en être autrement.

D'abord Andromeda, et à présent Écume. Décidément, il avait beaucoup de chance avec les femmes! C'était si inhabituel qu'il se demanda si l'un des autres enrôlés n'était pas de mèche avec elle, pour lui faire une blague. Du style "hey, va faire semblant de draguer le grand là-bas avec ses cheveux, tu vas voir il est trop con avec les nanas"...

Hey, t'excuses pas! T'as rien fait de mal du tout, je t'assure!
Il fouilla dans les poches de ses vêtements et en tira un petit pot en verre fumé, juste assez grand pour recouvrir la paume de sa main.
Tiens, si t'as besoin j'ai du baume anti-douleurs. Je l'ai fait moi-même en cours de survie. Et je le prends toujours avec moi pour les cours de Nyamata, vu que c'est quand même une matière à bleus!

Elle lui proposa d' "oublier cet incident" et il acquiesça immédiatement, car pour lui il n'y avait pas d'incident du tout. Il s'en voulait de l'avoir ainsi peinée, et songea d'abord qu'il aurait dû la laisser tranquille au lieu d'aller la voir en supposant qu'elle avait besoin de son aide. Mais elle semblait finalement admettre qu'elle avait des difficultés avec "les sorts", comme elle aurait avoué une lacune honteuse.
Pas de soucis! Et t'en fais pas, c'est pas bizarre du tout! En fait, le seul truc bizarre dans le domaine c'est le mobilier. Et les cheveux d'Ortie
Il ponctua sa blague d'un clin d'oeil. Ortie et ses cheveux verts étaient un mystère pour son confrère de l'infanterie. Car si les yeux multicolores de Soumaworo s'expliquaient par le fait que l'instructeur était métamorphomage, Ortie n'avait pas cette excuse.

Alors, quels sont les sorts qui t'embêtent?

La situation semblait se rétablir mais Écume restait sur ses gardes car l'excès de confiance, l'espoir d'une victoire acquise étaient trop prompts à la trahir. Elle devait, surtout, rester mesurée. Ne pas forcer les traits d'une piste qui paraissait bonne. C'est la simplicité qui fonctionnait, qui assurait sa crédibilité. C'est celle-là qu'elle devrait travailler.

Les baumes et les potions, pour le coup elle maîtrisait. Elle avait appris à observer la flore. Chaque feuille, chaque bulbe, chaque fleurs, fruit, tubercule, écorce et pétale. Elle avait appris à reconnaître leur forme, leur odeur, leur saveur. Les variétés bénéfiques et toxiques. Elle avait appris à les récolter avec respect et les sécher en en conservant toutes les propriétés. Elle avait appris leur mode de cuisson préférentiel, et les associations qui permettait de faire naître la magie. Elle avait appris à les mêler à d'autres ingrédients parfois. Animaliers. Des poudres faites de corne, des venins, mucus et sucs, des plumes et poils de toutes textures et toutes couleurs, des organes, viscères, kystes, kératine, yeux, œufs. Elle avait appris les astuces, aussi, qui subliment les recettes.

Le baume anti-douleur, elle connaissait bien et l'avait réalisé maintes fois. Elle savait même comment contrer la puissante odeur poivrée et celle du romarin qui vous font passer pour un rôti. Sans aucun doute, sa recette serait meilleure que celle du Cormoran. Malheureusement, elle n'en avait pas apporté. Peut-être, cependant trouverait-elle de quoi en faire ici ? Elle irait voir dans le parc si elle trouvait ce dont elle avait besoin. Elle avait déjà remarqué quelques plantes, exotiques pour le lieu, qu'elle n'aurait pas cru disponibles ici. Alors qui sait ? Dans l'attente, elle se contenterait du remède qu'on lui proposait. C'était la meilleure attitude à avoir pour continuer de paraître aimable aux yeux de l'imposant basané. Elle pris donc le bocal et commenta "Merci beaucoup !" dans un sourire qu'elle voulait franc. Elle dévissa le couvercle et en préleva une perle qu'elle appliqua sur sa main meurtrie avant de la masser avec douceur et agilité. Lentement, avec soin.

Elle lui rendit le pot, pris un temps d'hésitation et, après avoir froncé légèrement les sourcils, elle lui demanda : "Tu as dit l'avoir fait toi même ? Tu l'as fait heu... avant de venir... ou ici ?"

Puis, le vide se fit dans son esprit, le vide complet, avant qu'elle ne réponde à sa question. Comment répondre à cela habilement ? "Alors, quels sont les sorts qui t'embêtent ?" avait-il demandé. "Tous", étaient la réponse la plus appropriée mais, bien que court en apparence, ce simple mot contenait en ses quatre lettres l'infinité des possibles. Comme les lumières des étoiles la nuit tombée dont on ne perçoit qu'une partie mais qui masquent en réalité, par leur brillance, quantité de leur congénères, qui elles mêmes en cachent d'autres, moins lumineuses ou plus lointaines.

Car en effet, si Écume avait appris les nombreux secrets de la magie des élixirs, elle n'avait appris celle des sortilèges quasiment qu'en théorie et ne savait donc pas à quel niveau prétendre. La baguette qu'on lui avait remise à son arrivée était la première qu'elle possédait réellement. Un objet enchanté qui l'avait, semble-t-il, choisie elle comme compagne mais dont elle ignorait tout, jusqu'à la manière de l'appréhender, de l'entretenir et, surtout, de l'utiliser pour se battre. Elle ne se voyait pas dévoiler une telle faiblesse au Cormoran qui ne manquerait pas, assurément, de la faire savoir à tous, avant de l'exploiter lui-même. Trop dangereux.

Embourbée dans sa sidération, elle réussit néanmoins à sourire, se rattrapant aux branches de l'arbre sur lequel reposait l'oiseau qui lui faisait face. "Ortie tu dis ? Je ne suis pas sûre de voir de qui il s'agit, désolée. A quoi ressemble-t-elle ?"

N'avait-il pas mentionné avoir confectionné le baume en cours de survie? Écume n'avait pas du entendre ce qu'il avait dit, ou elle avait eu un moment d'inattention. Cormoran ne s'en étonna pas: cela pouvait arriver à tout le monde.
Je l'ai fait en travaux pratiques avec Lancelot, expliqua-t-il. Je connaissais déjà la recette mais on a appris à le faire sans matériel, avec des ingrédients non préparés. Comme si on avait été lâchés en pleine nature, en fait!

Elle prétendait ne pas avoir eu mal, et pourtant elle acceptait d'utiliser son baume antidouleur. L'utilisait-elle par politesse, de peur de le froisser si elle refusait? Ou avait-elle déprécié sa douleur pour paraître plus forte? Cormoran avait envie de la pousser à se montrer plus directe, en racontant une blague, en trouvant une occasion d'exprimer lui-même son peu de subtilité. Il n'avait jamais été à l'aise avec ce genre de complications.

Ensuite, Écume éluda sa question sur les sorts et lui demanda à la place qui était Ortie. Cette fois-ci, ce n'était pas une erreur d'inattention. Quelque chose la perturbait. Etait-ce parce qu'elle n'était pas à l'aise avec ceux qu'elle ne connaissait pas? Non, cela lui semblait peu probable. Quelques minutes plus tôt, elle semblait même très à l'aise au point où il avait craint d'en perdre sa "cavalière" pour le bal. Cependant, il avait souvent vu ce genre d'évitement chez les joueurs de quidditch qu'il avait entraînés, souvent lorsqu'ils essayaient de lui cacher qu'ils avaient fait la fête la veille d'un entraînement important. Il décida d'insister une fois en répétant sa question comme si de rien n'était. Si elle l'évitait à nouveau, alors il adopterait une attitude plus "frontale".

Mais d'abord, Ortie.
C'est un gars en fait. Un mec avec des cheveux verts, de l'infanterie. Il était avec nous dans la salle de cours, il me semble. J'aime bien l'embêter au sujet de ses cheveux
Et ensuite:
Sinon, tu avais dit que c'était quels sorts que tu voulais travailler?

Lancelot ? Oh ! C'était cet instructeur torturé auprès de qui elle avait eu cours le lundi. Mais il n'enseignait pas les potions de son souvenir. Ah non, c'était celui qui leur apprenait à survivre en milieu sauvage ! Oh, oui, ça faisait sens, préparer un baume sans aucun matériel. Voilà un exercice qui aurait plu à la jeune femme. Trouver et préparer les ingrédients ne lui poserait pas de difficulté, allumer le feu non plus d'ailleurs, c'était l'affaire d'un simple sort. Il ne lui manquerait plus qu'à trouver de quoi confectioner un récipient mais, là encore, un peu de tressage et de métamorphose devrait suffire. Elle doserait ses ingrédients à l’œil, habituée à ne pas avoir de matériel de pesée précis, puis pilerait et touillerai à l'aide de branches mortes. Oui, l'exercice semblait passionnant et elle avait bien envie de s'y essayer !

"Sans aucun matériel ? C'est intéressant ça", commenta-t-elle. "Le cours t'a plu ? Quelles techniques tu as utilisées en remplacement ?"

Puis, lorsque Cormoran lui décrivit Ortie, elle le visualisa immédiatement. Difficile, en effet, de passer à côté de son excentrique coupe de cheveux. Les hommes et leurs manières on ne peut moins subtiles d'attirer l'attention, c'était affligeant !

"Ah les cheveux verts, oui je vois. Je ne savais pas qu'il s'appelait comme ça. Je n'ai encore jamais eu l'occasion de lui parler."

Elle ne l'avait pas vraiment cherchée non plus d'ailleurs. Écume était encore en phase d'observation et ne se sentait pas encore assez à l'aise pour se confronter aux autres enrôlés. Par ailleurs, son esprit était constamment mobilisé par tout ce que les instructeurs avaient à lui apprendre jour après jour. C'était comme découvrir chaque jour une nouvelle saveur, un parfum encore inconnu, une couleur jamais vue auparavant. Son monde s'en voyait chaque fois enrichie, complété de nouvelles façons de faire, de voir, d'agir, de penser. Elle tisait chaque fois de nouveaux liens entre ses expériences passées et ses futurs potentiels auxquels de nouvelles branches poussaient et dont les branches préexistantes se couvrait de nouvelles feuilles, de formes jusqu'alors inconnues.

Ortie. Elle inscrit donc ce nom dans sa mémoire.

Puis, voilà la question des sorts qui revenait. Roh, comme il était buté cet oiseau ! Comme s'il ne savait pas qu'elle n'avait absolument rien dit encore à ce sujet... Non, manifestement non, sa diversion ne prenait pas et son interlocuteur refusait d'entendre le message. Il avait décidé de savoir, peu importe ce qu'elle voulait elle, il la déshabillerait de ses secrets. Eh bien. S'il fallait en passer par là... Ce n'était pas comme si c'était la première fois pour Écume. Elle se para donc de son plus joli sourire teinté de timidité, les yeux scintillant d'admiration et répondit.

"Oh, les sorts, oui. Pardon. Eh bien peu importe. N'importe lequel, ça me va. C'est déjà très gentil de proposer ton aide ! Ton préféré, par exemple. C'est lequel ?"

Encore une diversion, ou un réel intérêt pour le cours de survie? Cormoran pourrait aisément le comprendre: lui aussi aimait l'idée de pouvoir faire tout ce qu'il faisait dans les salles remplies de matériel et d'ingrédients, mais seul dans un milieu hostile et en cherchant ses composants lui-même. Il avait étudié la botanique et les créatures magiques, ce n'était pas pour dépendre toute sa vie des apothicaires! Et il y avait la perspective des missions futures, où il serait hors de question de venir tranquillement chez un apothicaire en lui disant "bonjour à vous! Auriez-vous de quoi me fabriquer un explosif? J'ai besoin de euh....faire exploser des trucs, mais c'est pas pour un attentat contre les bouffeurs de leurs morts, hein! C'est juste que je suis pyromane"

En fait, j'ai utilisé un sort de coupe sur certains des composants pour en extraire les graines. Pour tout réduire en pulpe, j'y suis allé au galet. Par contre, pour obtenir de quoi faire le bol pour chauffer la mixture, j'ai fait exploser un rocher pour utiliser le point d'impact comme chaudron. Je me suis fait engueuler comme quoi c'est pas discret.

Il souriait comme un gamin qui serait très fier de sa dernière bêtise. Une des raisons qui l'avaient poussé à écouter le songe qui l'avait envoyé au Domaine était la volonté de ne plus faire "profil bas" comme son père le lui avait demandé depuis que l'Angleterre s'était retrouvée prisonnière d'une aura glauque. Il comprenait que certaines situations exigeaient subtilité et discrétion, mais il peinait à s'y plier pour la simple raison qu'il n'en avait vraiment pas envie.

Et Écume répondait enfin à la question sur les sorts, mais sa réponse n'avait pas vraiment de sens. N'importe lequel? Qu'il commence par son préféré? J'ai pas vraiment de préférence, tout dépend de la situation.Cette fois-ci, c'est sa réponse à lui qui ne semblait pas avoir de sens. Il n'y aurait pas fait attention dans d'autres circonstances, mais Écume lui souriait et cela faisait briller ses yeux. Cormoran n'aimait pas avoir l'air d'un grand benêt devant les jolies femmes aux yeux qui brillent. Alors il chercha une idée, vite.

Ah tiens, tu veux que je te montre comment on fait un cratère dans un rocher comme pour le cours de survie? Ou tu sais déjà faire?

C'était la pire idée qu'il puisse avoir, et Cormoran regretta de l'avoir formulée au moment précis où ces mots franchirent ses lèvres. A présent, c'était son regard à lui qui se faisait timide, semblant supplier Écume de trouver une autre idée, mais aussi de ne pas le prendre pour un abruti...

Un sort de coupe ? C'était encore le plus simple, en effet, et les pierres faisaient bien l'affaire pour broyer les ingrédients, bien qu'un peu grossier comme méthode. Ce qui intéressait surtout Écume c'était le chaudron. Une personne normale se serait également interrogée sur les alternatives pour le dosage des composants, mais pas elle puisqu'elle n'y avait jamais vraiment été habituée. Un rire cristallin lui échappa avant qu'elle n'ait pu le retenir au récit de l'explosion. Comment n'avait-elle pu y penser plus tôt ? Cette solution était tellement caricatural de l'idée qu'elle se faisait de la masse primaire qui se tenait face à elle ! Pour autant, son rire n'avait rien de cinglant ni de mauvais, car la vision de l'explosion l'avait réellement amusée, de même que ce choix des moins subtils. L'air de fier polisson qu'affichait Cormoran parachevait son allégresse. En revanche, elle se retint de secouer la tête légèrement pour montrer aucun signe de désapprobation qui aurait pu offusquer le soldat et la priver de son cours particulier.

"J'imagine le raffut que ça a dû faire", commente-t-elle, les yeux rieurs. "Les autres enrôlés ont sûrement sursautés, non ? Mais bon, si ça a marché, c'est ce qui compte, après tout !", ajoute la jeune femme pour rassurer son interlocuteur. "Sinon tu peux fabriquer un moule, je pense, genre en terre, et le durcir par magie ou utiliser un sort de métamorphose pour transformer n'importe quel objet environnant, non ? Tu penses que ça aurait marché ?" Visiblement cet exercice passionnait l'africaine qui ne cachait pas sa curiosité de savoir comment elle s'en serait tirée. Elle avait hâte d'avoir à son tour des travaux pratique de cet ordre. Peut-être lundi prochain, qui sait ? Elle pourrait même demander à l'instructeur un devoir supplémentaire sur le sujet, ainsi elle serait fixée sur son niveau et obtiendrait même quelques conseils pour s'améliorer. Oui, voilà ce qu'elle ferait ! Oh comme cette idée l'enthousiasmait ! Les yeux pétillants, elle adressa un nouveau sourire au Cormoran grace à qui l'idée avait pu lui venir. Comme quoi, il avait son utilité, malgré lui.

Naturellement, elle fût tout autant amusée par la proposition qu'il lui fit de s'entraîner à ce fameux sort. Elle ne le connaissait pas encore, comme la plupart des autres sorts qui auraient semblé communs à un sorcier sortant de l'école et n'allait donc pas manquer l'occasion de l'apprendre ! Bien entendu, elle ne comptait pas s'en servir pour faire des chaudrons en pleine nature... Non. Si elle devait s'en prendre aux rochers, ce serait pour s'entraîner, ou signaler sa position - puisque le sort semblait bien utile pour cela. Autrement, une formule d'explosion capable de creuser la pierre trouverait forcément un usage un jour où l'autre, ne serait-ce que pour se frayer un tunnel afin de se rendre discrètement d'un lieu à un autre, pour s'aménager un espace abrité où dormir ou pour repousser des adversaires.

"Je veux bien, oui. Volontiers !", répondit-elle donc avec envie, jetant un œil autour d'elle, dans la cours qui avait fini par se vider de la foule et n'était plus occupée que par quelques enrôlés et instructeurs qui profitaient de leur pause. "Tu crois que tu aurais le temps de me montrer avant le prochain cours ?"

Ah ça, pour sursauter, ils ont sursauté! Mais le vrai problème avait été les fragments de rocher qui ont volé tout autour. Si c'était à refaire, il s'y prendrait autrement. Ou, au moins, il lancerait un "attention ça va voltiger!" à la cantonade avant de creuser son cratère.

Ecume, en revanche, avait eu la même idée que plusieurs autres enrôlés avaient eue pendant ce travail pratique, qui était de se fabriquer un chaudron improvisé avec les moyens du bord. Il se souvint s'être senti bête de ne pas y avoir pensé, après coup. Mais il avait vu un autre problème à cette méthode, un problème qui avait été fatal à la préparation de plusieurs des adeptes de la poterie de survie.

Ouais, ça a marché pour plusieurs gens dans le cours en tout cas! Mais sur le coup, j'avais peur qu'un truc improvisé avec de la métamorphose ou de la terre ne résiste pas au chauffage. Bon, la métamorphose ça aurait dû passer mais ...disons que je pense jamais à transformer des trucs.

Il baissa les yeux, cette fois-ci un peu honteux de son ânerie. Un animagus qui ne pense pas à utiliser la métamorphose, voilà qui était contre-intuitif! Mais c'était vrai: en situation d'urgence, il pensait toujours aux sorts, aux potions qu'il emmenait "au cas où" mais jamais à transformer. Pourtant, si ce domaine n'était pas son point fort, c'était loin d'être son point faible.

C'est pour ça que j'ai utilisé la pierre: j'ai pas eu besoin d'allumer de feu pour faire chauffer ma mixture, j'ai simplement eu besoin de faire chauffer le rocher creusé et hop! C'était prêt.

Il n'avait pas besoin de se voir pour comprendre qu'il avait l'air d'un idiot, subjugué qu'il était par le regard de la jeune femme. Si Andromeda avait été là, c'est probablement elle qui lui aurait donné l'air benêt. Une question lui traversa brièvement l'esprit: entre les deux jeunes femmes, laquelle des deux avait le regard le plus apte à faire chuter son quotient intellectuel? Si Anne avait pu rejoindre le Domaine, elle aurait à coup sûr eu des mots de choix pour son petit frère, elle qui l'avait souvent utilisé comme exemple pour démontrer que, oui, les hommes minaudaient aussi.

Mais pour l'heure, Ecume voulait voir comment faire exploser des rochers. Et elle voulait, si possible, le voir tout de suite avant le prochain cours. Mais il était hors de question qu'ils fassent voler en éclat des objets quels qu'ils soient dans les couloirs! Il regrettait de plus en plus sa suggestion peu réfléchie.

C'est pas bien compliqué. Tu connais même peut-être déjà, en fait. C'est le sort "bombarda". SI on vise bien, ça crée des impacts dans les matériaux.

Il ne croisa pas les doigts pour qu'Ecume connaisse déjà le sort. Mais le coeur y était.

Toute l'attention d'Écume est dirigée vers le géant chevelu. De son regard qui ne lâche pas les lèvres professorales, sa posture, immobile, qui fait face à son interlocuteur, une jambe légèrement déhanchée, une main sur la taille, l'autre caressant la peau de son ventre pour se rappeler au présent et, bien sûr, son cerveau qui prend en note toutes les informations, anecdotes et astuces. C'est passionnant ! Il faut dire que la jeune femme, longtemps privée de tout, ne se lasse pas d'apprendre. Déjà parce que c'est une denrée pour l'esprit, que ça éclaire des routes nouvelles dans le noir, espoir infime aux portes du néant et, bien entendu, parce que savoir est une arme. Comme elle avait dévoré l'instructrice du regard précédemment, Écume a cette même expression subjuguée, absorbée. En particulier, elle note l'intérêt du contenant en pierre, que l'on peut chauffer directement sans avoir à allumer de feu. Ingénieux ! Elle commente d'un "Oh ! Oui, je vois. C'était bien pensé !" encourageant mais est cependant dubitative quant à la faiblesse du sort de durcissement face au feu. Il faudra qu'elle essaye. Pour ce qui est de la métamorphose, c'est l'alliance parfaite ! "En modifiant ta roche pour la creuser, par métamorphose, pas par explosion", précise-t-elle avec un sourire amusé, "tu as l'avantage de la matière chauffante et de la discrétion. Comme ça, tu es sûr de ne pas te faire repérer, ni par la lumière d'un feu ni par le bruit d'un sort." Voilà qui lui semble la meilleure option après discussion, elle la valide d'ailleurs intérieurement.

Par ailleurs, cette fascination semble faire effet sur le colosse. Elle note ce détail et se satisfait d'avoir réussit à hameçonner la bête de manière suffisamment subtil pour être efficace. Elle se félicite mentalement de ce succès, loin d'être acquis d'avance. Les règles ici sont bien différentes de celles qu'elle a apprises, mais elle réussit à s'y adapter et s'en réjouit.

La belle africaine n'ayant pas été à l'école, à proprement parlé, car instruite secrètement par des femmes volontaires organisées en réseau, son éducation est partielle. Du fait de la clandestinité de son école, il ne leur a pas été possible d'apprendre tout le spectre magique. Il fallait prioriser et faire certains sacrifices. Cela a cependant l'avantage que la magie apprise par Écume est pour le moins discrète ! Rien de grandiloquent, bruyant et encore moins d'explosif ! C'est comme ça qu'elle s'est retrouvée à maîtriser les compétences qui ne demandent pas de grande démonstration, toute la théorie sur les plantes par exemple et également les créatures, la magie liquide des potions, ainsi que la métamorphose. Pour ce qui est des autres sorts, notamment offensifs, elle n'en connaissait au mieux que la théorie - la formule, le geste -, parfois simplement un nom lâché lors d'une leçon-conte, mais le plus souvent rien. Pouvoir à présent rattraper son retard et apprivoiser sa nouvelle alliée de Pin est une aventure qui séduit la jeune femme. Sans surprise, le nom du sort évoqué ne lui rappelle donc rien. Elle secoue humblement la tête. "Non. Non, je connais pas je crois." Est-ce étrange de n'avoir jamais entendu parler du Bombarda ? Impossible pour elle de le deviner. "Tu voudras bien me montrer ?"