La salle est vide d'élèves. Le derniers cours s'est terminé il y a plus de deux heures, et les quelques étudiants qui souhaitaient s'entretenir avec moi pour une raison ou pour une autre ont fini par déserté. Je travaille donc à mon bureau, dans un silence presque total, seulement rompu par les bruissements des papiers et le grattement de ma plume. Je suis détendue et un léger sourire éclaire mon visage. Une grande tasse de thé encore fumante m'accompagne. J'attends l'arrivée d'une enrôlée avec laquelle j'ai rendez-vous. Aubépine. Une jeune femme prometteuse, pleine de talent, qui sera excellente sur le terrain, lorsqu'elle sera parvenue à dompter quelques unes de ses faiblesses.

Je ne dis pas qu'elles sont anormales. Au contraire, je la trouve déjà très résistante. Elle est encore jeune, aussi, ce n'est pas si évident de garder la tête froide face aux tortures qu'elle peut se voir infliger. Elle y parvient pourtant relativement bien. Elle a simplement son esprit encore trop ouvert. Un bon légilimens saura lui arracher n'importe quelle information en très peu de temps. C'est pour cette raison, et parce que je crois sincèrement en ses capacités, que je lui ai proposé de lui dispenser des cours d'occlumencie sur nos heures libres.

J'ai préparé la petite salle étroite attenante à celle dans laquelle je dispense mes cours. Il y a une chaise peu confortable en son centre, et de la pierre humide. Mes placards et autres étagères ont été recouverts de bâches rouges. Un froid mordant règne dans la pièce, encore fermée à clé. Quoi que légère, ma robe a des manches aujourd'hui. Elle est d'un beau noir, cintrée au niveau de la taille avant de redescendre souplement jusqu'au sol. Son col remonte sur mon cou, et ses manches se terminent en V au niveau de mes majeurs. Une jolie pierre rouge habille la naissance de ma poitrine.

La porte de la salle de classe est grande ouverte. Il n'y a pas d'horloge dans ma salle, notamment parce que lorsque l'on est enfermé quelque part, il n'y a jamais l'heure pour nous révéler le temps qui passe au-dehors. Je n'ai de toutes façons pas besoin de ça pour savoir que l'heure approche. Mais je ne suis pas pressée, et je suis prête à accueillir la jeune femme.

Vingt heures sonnent. Tranquille dans l’air du soir, Aubépine termine d’enlever quelques brindilles qui se sont glissées dans sa fourrure. Euh dans sa chevelure. Elle a récupéré sa baguette qu’elle a glissé dans son étui à sa taille. Dans le creux de son décolleté joue le pendentif argenté du chat qui chasse la chouette qu’elle porte toujours et fait une tâche sous sa forme chat très particulière. Grand n’était pas là aujourd’hui, elle s’est donc contentée de quelques mulots et autre musaraignes qu’elle a déposé dans l’écurie pour les hippogryffes. Comme toujours, chasser lui a fait beaucoup de bien et au mental, et au corps et elle se sent détendue, sereine devant le cours qu’elle allait pourtant suivre.

Occlumencie. L’art de protéger ses pensées des intrusions. Ainsi, elle ne serait plus jamais une faiblesse de son frère. Elle ne pourrait pas dévoiler par erreur quoi que ce soit Lui permettant de le retrouver. Un nouveau masque, une nouvelle facette à franchir pour trouver la vraie Aubépine, celle que quasi personne ne voit. C’est bien. Elle est heureuse et fière que Morrigan le lui ai proposé. Malgré le pseudonyme arthurien, elle apprécie en effet l’instructrice dont les cours sont sans sentimentalisme stupide mais dont l’enseignement est doté d’une grande humanité. Sensibilité par ailleurs qu’elle ne partage pas. Souffrir ou faire souffrir n’éveille rien en elle, ce sont des outils pour arriver à une fin, sans plus. Elle a trop vu les dégats des coups et des mots sur les corps et les esprits non préparés. Qu’on les force à affronter ce genre de chose dans un milieu où les erreurs ne sont pas fatales à autrui la rassure. Elle ne veut pas sortir du domaine si cela veut dire mettre en danger la couverture de son frère. Elle l’apprécie trop pour cela.

Vérifiant une nouvelle fois sa tenue, l’impeccabilité de la longue jupe bleu roi, la douceur du chemisier bleu pastel, ses bras, clairs et fin qui sortaient des manches trois-quarts, elle remit en place une lanière de ses tropézienne, joua rapidement avec le bracelet noir et blanc qu’elle portait à la cheville et se redressa. Son sac en bandoulière reprit sa place sur son épaule et c’est d’un pas décidé qu’elle parcouru les quelques mètres la séparant de la salle de cours.

Vingt heures viennent juste de sonner, quand Aubépine, tranquille, frappe deux coup sur le bois de la porte et, à l’invitation de son professeur, pénètre dans l’endroit. Il y fait sombre et, comme d’habitude, il n’y a pas de montre. Ce n’est pas grave. Elle n’a rien de prévu d’autre que le diner et, vu comme elle s’est goinfrée à midi, elle n’a même pas vraiment faim. Peut-être deux feuilles de salade, pour que son frère lui lâche la grappe. Ca suffira bien. Elle ferme la porte, sans force, ni douceur, polie avec le mobilier par habitude maintenant et se tourne vers l’instructrice.

Lorsqu'Aubépine arrive, je relève la tête de mes papiers et l'invite à entrer. Elle ferme la porte derrière elle, et le temps qu'elle avance jusqu'à l'estrade sur laquelle se trouve mon bureau, je termine de noter quelques informations sur mon papier. Puis, désireuse de ne pas la faire trop attendre, je pose ma plume sur son support, avant de repousser ma chaise. Je me frotte les cuisses avant de me lever, offrant un sourire toujours aussi lumineux à la jeune femme qui me fait face.

- Bien, on y va ?

Je n'attends pas de réponses de sa part, me dirigeant vers la petite porte à moitié dissimulée derrière un grand rideau, sur le mur. Je l'ouvre à l'aide d'une grosse clé spéciale, et je m'efface pour la laisser entrer la première.

- Je t'en prie.

Si ma voix est rassurante, la pièce ne l'est en rien. Froide, humide, étroite et austère, l'unique chaise peu confortable trône toujours en son centre. Le reste du mobilier recouvert de draps, donne un aspect fantomatique et vieux à l'espace - qui, bien entendu, est totalement dépourvu de toute autre issue, ou de fenêtre. Lorsque la jeune femme est entrée je referme la porte derrière nous et tourne encore une fois la clé dans la serrure, de sorte à ce que nous soyons enfermées. Cela me sert davantage à ce que nous ne soyons pas dérangées qu'autre chose. La porte étant ensorcelée, elle ne laisse passer que des messages qui pourraient être urgents. Tous les autres sons sont étouffés. Ainsi, c'est un silence total qui règne dans l'endroit. Je me mets debout à côté de la chaise, une main sur le dossier de bois, face à Aubépine.

- Alors. Bienvenue à cette première séance d'occlumencie avec moi. Je te mentirai si je prétendais que ce sera agréable ou facile. Généralement, il faut plusieurs mois à plusieurs années d'entraînement avant de parvenir à réellement fermer son esprit. Nous aurons des séances régulières, jusqu'à ce que j'estime que tu maîtrises suffisamment l'art de l'occlumencie pour te passer de mon aide. Tu es bien entendue libre de revenir sur ta décision à tout instant, et d'abandonner.

Mon sourire devient amusé un instant. Je sais qu'Aubépine n'abandonnera pas. Mais au moins, elle sait qu'elle en a la possibilité ! Mon sourire s'atténue légèrement, et je prends un air plus formel.

- Voici comment la séance va se dérouler. Tu vas te placer sur cette chaise-ci, et je vais te lancer un sort de légilimens. Toi, tu vas devoir imaginer que tu construits des murs tout autour de ton esprit, et que tu repousses mon intrusion, jusqu'à ce qu'il n'y ait plus aucune façon pour moi de rentrer en toi. Cela veut dire que je vais apprendre tes secrets les plus profonds, au-delà même de ce que je pourrais cerner simplement en te parlant. Tes souvenirs, des moments de ton existence, des choses que toi seule - ou presque - sait. Il va de soi que ce qui se passera dans cette pièce y restera à jamais. Je précise afin que tu sois absolument rassurée : jamais je n'ai révélé la moindre bribe d'information, pas même sous le joug des pires tortures. Tes secrets seront donc bien gardés, et je les emporterai avec moi dans la tombe.

Je souris à nouveau.

- Si tu as des questions, je suis toute ouïe ! Sinon, nous pouvons commencer.

Allons-y. Hochant poliment la tête, la jeune femme suit son professeur à travers la porte dérobée, notant au passage où elle se trouve en cas de besoin pour plus tard. Question d’habitude. Il est par ailleurs évident qu’elle transmettra l’information à son frère, au cas où. Le descriptif de la clef rejoint ensuite la porte dans le tiroir de sa mémoire et elle passe le seuil. Il y fait froid, humide comme dans un cachot et la chaise n’a rien de confortable. Je me doute que je devrais m’y asseoir. Ce genre de technique ne m’est pas inconnue. Ainsi, la victime se sent vulnérable, elle n’a aucune protection, le danger peut venir de partout, elle ne voit pas autour mais on ne voit qu’elle. Rien que l’idée la rend nerveuse et elle comprend pourquoi cela marche. Parce que la technique se fiche de savoir ce que vous savez ou non. Elle fait appel à l’instinct. Le chat en elle n’aime pas ça et veut s’enfuir, se cacher. Elle lui intime de se taire et avance. De toute façon, elle a entendu le bruit de la clé dans la serrure et le message que cela veut faire passer. Il n’y a pas de retour en arrière possible. Il faut donc aller de l’avant. Logique. Silencieuse, immobile, droite par habitude et par entraînement mais pas rigide, la jeune femme écoute le discours de son aînée sans moufeter, ne laissant passer dans son regard que son habituelle détermination, qui tranche si fortement avec son air de poupée fragile. Elle n’abandonnera pas. Elle sait que son esprit est un danger pour son frère et préfère laisser passer des informations à une seule personne vaguement de confiance mais surtout ciblée que l’on peut détruire en cas de besoin (difficilement mais rien n’est impossible) plutôt que de les laisser passer à on ne sait qui qui peut les répéter à autant d’autres et laisser fuiter les connaissances alors ramassées. Tant pis si cela fait mal, tant pis si elle doit pour cela sacrifier ses rares loisirs. Voir moins encore son frère ou même annuler ses rendez-vous à l’aube. Elle doit apprendre à tenir avant tout. Elle hoche à nouveau la tête.

« Je n’ai pas de questions. »

Et sans ajouter quoi que ce soit d’autre, elle prend place sur la chaise, droite sans toucher le dossier, les pieds bien à plat par terre, parallèles, par habitude. Ses poignets sont sur ses genoux, ses mains nouées, paumes ouvertes comme les pages d’un livre. Elle regarde devant elle et imagine des murs. Elle les veut en béton armé, comme les anciens monuments de l’Union Soviétique, moches mais lisses, sans aspérités, hauts, fonctionnels, solides pour repousser le capitalisme américain. Elle les fait monter aussi haut qu’elle le peut, les veut épais, gris, bardés de métal pour tenir quoi qu’il arrive. Derrière cependant, ses pensées vont vers Lancelot, comme souvent. Elle n’a pas envie d’arrêter de lire pour les plantes tandis qu’il travaille à les rempoter ou elle ne sait quoi que font les gens aux plantes. Ce n’est rien de très intéressant, des passages dans différentes langues, des discussions diverses sur des points de culture, des questions détournées pour tenter d’en apprendre plus l’un sur l’autre, des sourires, des regards. Le bracelet qu’il porte et qui n’est autre que le marque page qu’elle lui a offert lors de leur première rencontre quand il lui a dit qu’il n’avait absolument aucun objet personnel et qu’elle a décidé que c’était hors de question qu’il en soit ainsi. Elle apprécie qu’il le porte parce qu’elle y voit un signe d’amitié. Jusqu’ici, elle n’a pas vraiment eu d’amis, pas depuis sa professeur de danse demi-vélane qui a disparu soudainement à l’aube de leurs seize ans, juste après qu’IL ait décidé qu’elle en savait assez. Et son ombre informe qui plane dans un coin de son esprit…

Elle me dit qu'elle est prête. Bien. Elle s'assied, sans poser la moindre question. Je ne suis pas inquiète. Je sais que si elle a des questions qui lui viennent plus tard, elle sera en mesure de me les poser. Je suis là pour l'aider et lui apprendre, comme l'a fait une femme formidable il y a bien des années. Je prends mon temps mais pas trop non plus, la laissant se concentrer et se préparer. La première fois sera peut-être plus terrible que les autres. Lentement et gracieusement, ma baguette glisse jusque dans ma paume. Je conserve un air doux, malgré une certaine détermination. Je sais que je ne suis pas là pour l'épargner, et elle le sait aussi.

Je pointe ma baguette sur elle, et silencieusement, je jette le sort. Je vois les murs, admire leur composition une seconde, avant de passer au travers. Ils explosent, et j'ai accès à tout ce qu'il y a dans sa tête. Je vois des souvenirs, des pensées, des bribes d'émotions. Je n'y reste pas très longtemps. A peine quelques secondes. Et je ressors. Je la regarde comme je la regarde depuis toujours, sans même penser à m'attarder sur ce que j'ai vu. Cela ne m'empêche pas de noter mentalement ces informations, là où personne ne pourra jamais les trouver. Je rabaisse ma baguette un instant.

- Bien. Est-ce que ça va ?

Je lui souris. J'y suis allée fort, et je le sais. Mais je sais aussi que c'est comme ça qu'elle apprendra le mieux.

- C'était très encourageant, pour une première fois ! J'ai vu ton mur. Inspiré de l'architecture soviétique, n'est-ce pas ? C'est ingénieux. Solide, haut, fort. Mais encore trop fragile pour résister longtemps aux assauts violents. Il y a deux règles primordiales lorsque l'on veut devenir occlumens : premièrement, il ne faut jamais oublier qu'un mur, aussi solide et fort soit-il, ne peut pas résister s'il n'est pas constamment maintenu en place. Il faut non seulement que tu le construises, mais aussi que tu le renforces à chaque instant. Deuxièmement, il faut voir l'intrusion de son esprit comme un champ de bataille. Je suis une ennemie qui vient essayer de voler tes terres, de violer ton intimité. Repousse-moi. Attaque-moi. Soit en colère contre moi. Déteste-moi, combat-moi. Ce sont tes souvenirs. Ce sont tes secrets. C'est ton esprit. Entendu ?

Je souris toujours.

- On y retourne dès que tu te sens prête. Prends ton temps.

La douleur explose dans son crâne, pulsant au rythme des battements de son corps jusque dans ses tempes, jusque dans ses orteils. Elle a fermé les yeux en une ultime tentative de défense pour protéger ce qu’elle a de plus précieux. Par habitude, par entraînement, par paranoïa sûrement, d’innombrables images passent dans son esprit, tentant de recouvrir ce qu’elle pensait vraiment. Des scènes du quotidien, il y en a tellement, dans tellement de langues, des images fugaces aussitôt remplacées par d’autres mais elle sait que c’est trop tard, que son professeur est déjà parti, qu’elle a vu ce qu’elle n’avait pas su protéger. Elle inspire. Comme ces presque-noyés avalent soudain l’air qu’on leur donne, avec une avidité. Stupide. Elle halète, elle a attrapé ce qu’elle avait pu de la chaise et serré jusqu’à ce que ses jointures blanchissent. Peut-être a-t-elle crié, elle ne sait pas, elle ne s’est pas entendue si c’est le cas et est incapable de dire si le mal de gorge vient d’un rayonnement de la douleur au crâne ou de cordes vocales trop sollicitées. Sycomore ne doit jamais savoir ça. Imaginer sa sœur souffrir autant le rendrait fou de rage. Elle tente de relever les paupières. Doucement. Sur ses pieds. La pénombre de l’endroit est encore trop lumineuse pour elle. Elle referme. Elle inspire. Elle déteste être en faiblesse comme ça. Elle sait par exemple que si elle cherchait à se relever, ses jambes ne la porteraient plus. La voix, douce pourtant du professeur semble acre à ses oreilles. Elle s’efforce d’écouter les mots, les sens, plutôt que de hurler de se taire. Elle a tellement mal à la tête qu’elle a envie de la frapper par terre juste pour que ça s’arrête. Stupide. Elle ouvre les yeux. Finalement. Il y a des larmes dedans. Et de la douleur. Mais la même détermination. Elle ne sera pas la faiblesse de Sy. Elle continuera à se battre pour lui.

« J’entends. » Elle n’aime pas détester les gens. C’est leur donner trop d’importance, trop d’emprise. La plupart du temps, elle fait simplement ce qu’elle doit faire, avec indifférence. Elle force ses mains à lâcher le siège. Ses muscles à se détendre. Elle essaie d’effacer la douleur mais celle-ci résiste. Tant pis, elle fera avec. Elle s’appuiera dessus. Tu dois protéger notre territoire fait le chat, très sérieux. Oui. Le chat, lui, sait. D’instinct. Elle peut s’appuyer dessus mais lui aussi est une arme qu’elle doit protéger. Pas de Morrigan. Les instructeurs savent surement qui est quoi. Mais elle doit se convaincre qu’elle est en conditions réelles. Doucement, elle balaie les ruines métaphoriques de son ancien mur et en refait un. Aussi haut, aussi grand, aussi large mais plus élastique pour mieux résister aux assauts. Le roseau et le chêne. Elle y ajoute des pièges inspirés du chat. Des retours de bâton si on tente de l’enfoncer, un crachat et des griffes de pensées. C’est mon territoire.

« Je suis prête. » Elle renforce le mur de pensées de murs. Des briques de Dublin aux murs soviétiques en passant par la pierre de taille parisienne, la chaux grecque, le granit des monuments gothiques, derrière, elle s’efforce de penser à l’Irlande. Si elle peut déstabiliser son adversaire c’est toujours ça de pris. Il est tellement difficile de diriger ses pensées mais elle y met toute sa détermination. Une chouette vient se poser sur un des sommets de l’édifice. Elle regarde.

Elle hurle. Elle souffre. Moi, je ne ressens rien. Je n'aime pas faire du mal, mais cela ne signifie pas que je suis désolée de devoir le faire. Parce que oui, c'est bel et bien ça : je dois le faire. Comme elle doit apprendre. Parce qu'on ne sait jamais de quoi demain sera fait, et que tous les secrets qu'elle garde enfoui en elle sont autant d'armes que l'on peut retourner contre elle. Je ne le sais que trop bien, et je n'aurais aucun remords à préparer au mieux tous les jeunes qui me le demanderont.

Je lui laisse le temps. Tout le temps dont elle a besoin, pour se préparer, pour se remettre, pour penser mais pas trop non plus. Je sais bien qu'en condition réelle, personne ne lui aurait laissé ce temps-là. Il viendra un temps où elle ne l'aura plus. Mais aujourd'hui, nous pouvons encore nous le permettre. Elle débute, et si elle n'a pas tout à apprendre, il lui reste beaucoup à voir et à savoir. Nous devons avancer à un bon rythme, mais nous ne sommes pas pressées. J'ai toutes les nuits futures à lui accorder, les soirées et les week-ends, si elle le souhaite. Je sais qu'Aubépine travaille. Et je sais maintenant beaucoup d'autres éléments, qui ne me surprennent pas plus qu'ils ne le devraient.

Lorsqu'elle me dit qu'elle est prête, je n'attends pas. Le sort fuse en sa direction, la frappe de plein fouet. Je ne lui fais pas l'offense de retenir mes coups. Je sais qu'elle n'arrêtera pas avant d'y être parvenue, et je sais qu'elle me fait confiance pour être entraînée correctement. Cela ne m'empêche pas de faire preuve d'empathie et de douceur, dans mon comportement et dans l'attention que je lui porte. Mais le sort, lui, est aussi dur et froid que la pierre. Aussi froid et sec que le plus aride des déserts de glace.

La vague frappe à nouveau. Elle comprend, imagine des contreforts pour se renforcer, pour rompre l’assaut magique. Cela ne suffit pas, c’est évident. Rien ne suffira, elle n’a pas la prétention de croire y arriver dès le premier jour mais si elle pouvait trouver la technique. Le mur tremble, vacille. Elle y remet ses pensées, sa volonté, sa détermination.

Laisse-moi faire.

Je m’avance et je prends la place dans la tête. Je vois bien qu’elle a monté son mur alors je saute dessus. Quand je suis pas en corps, je peux sauter jusqu’au étoiles. Et mes pattes deviennent le mur et on fait le gros dos, et on se hérisse, et on se glonfle pour faire peur. Je suis plus grand, plus fort, je suis dominant, je vais te manger. La vague est toujours là, je lui crache dessus. C’est elle qui nous fait mal. Je veux la frapper, l’attraper et la tuer. Sauf qu’elle n’est pas comme une proie normale. Elles ont des nuques à briser. Là c’est comme quand je tente d’attraper le vent, ça marchera pas. Et l’eau. Mais je suis pas comme tous les chats. J’aime l’eau, moi. Je suis un vrai félin pas une bêtise domestique. Et l’eau tu peux l’enlever avec des coups de pattes. J’avance celle de devant qu’est le plus vers la vague. Je sors des griffes d’acier, je suis de pierre, je suis le mur, je suis INELUCTABLE ! Mes mâchoires claquent et mes pupilles ont presque mangé toutes mes iris. Elles ont fait pareil sur le visage de mon humaine. On est pas encore assez…grands pour le cacher dans ces moments. Ma patte va vite, elle va fort, ellle va vers le loin derrière. Pour griffer ou jeter loin, ce qui marche, je sais pas. Mais même si ça a marché (ou pas, je sais pas), le mur il tremble et il cède, et je saute en bas, et je suis redevenu moi et je peux rien faire alors je la laisse aller devant parce qu’avoir mal j’aime pas. Et on pense à rien, on pense à Dublin, on pense à l’Irlande, on pense aux copains d’université, on pense a ce type au journal qui nous draguait et que Sycomore détestait parce qu’il nous regardait. On pense à la chasse aux rats dans les ruelles. On ne pense pas à l’Ombre qui nous surplombe. On ne veut pas la voir, même si elle est toujours toujours là. On ne l’oublie jamais celui dont la voix dit des bêtises mais qu’elle écoute.

Aubépine a le visage en sueur, et ses mains tiennent le fauteuil comme si elle avait peur qu’il disparaisse. Sa bouche ouverte laisse échapper un cri muet tandis que ses yeux, écarquillés, ont quelque chose de félin. Elle a mal. Elle s’en fiche. Elle veut comprendre. Elle a pourtant tenté de mettre de l’élasticité dans son mur. Et de repousser l’attaque mais elle ne doit pas avoir la bonne technique. Ce n’est pas grave. Il y aura sûrement des livres sur la question à la bibliothèque. Elle tente d’inspirer. Elle pourra supporter encore deux assauts ce soir. Ensuite, elle aura besoin de repos. Et d’un nouvel essai le lendemain si possible. Et le suivant. Jusqu’à ce que le pouvoir fonctionne. Il est hors de question d’abandonner.

Je pénètre en elle. J'observe le mur, ses fondations, ces techniques et sa résistance. J'observe la lutte contre mon infiltration dans son esprit. J'observe et je suis contente de ce que je vois. Ce n'est pas encore bon, mais ce n'est pas grave. Rome ne s'est pas faite en un jour. Personne ne peut prétendre maîtriser ce genre d'art en si peu de temps. Mais c'est déjà mieux que la fois précédente. Et je sais qu'elle va pouvoir continuer à s'améliorer, encore et encore, jusqu'à ce que ses fondations tiennent bon. Jusqu'à ce qu'elle acquière la bonne technique. Jusqu'à ce que même moi je ne puisse plus pénétrer dans aucune de ses failles. Ce ne sont pas encore elles que je cherche. Je cherche à faire s'effondrer son mur. Je cherche à ce qu'il soit indestructible.

Elle résiste plus longtemps que la fois précédente. Et comme une vague immense et puissante, je m'engouffre en elle et fait s'effondrer ses barrières. Je ne reste pas longtemps dans son esprit. Ca ne m'intéresse pas, et ce n'est pas pour cette raison que nous faisons cet exercice ensemble. Alors je me replis, et je sors. Je la regarde avec un petit sourire fier, et je lui laisse le temps de reprendre ses esprits. Je fais apparaître un verre rempli d'eau et je le lui tends. Il faut qu'elle reprenne des forces.

- C'était mieux ! Tu apprends vite.

Elle le sait. Elle a dû le sentir. Et je sais qu'elle a travaillé dur pour atteindre le niveau qu'elle a aujourd'hui, dans toutes les disciplines qu'elle pratique. Elle sait comment travailler. Elle sait comment progresser. Elle écoute ce que je lui dis, et elle tente de l'appliquer. Et maintenant, je pense qu'elle a pu effectuer un premier pas dans les mécanismes complexes de la lecture d'esprit.

- Bien. Prends ton temps pour reprendre tes esprits. On va changer d'exercice pour le prochain coup. Lorsque tu te sentiras de venir à ma place, nous échangerons, et tu imagineras que tu veux rentrer en moi avant de lancer le sort. Tu n'y parviendras pas, mais tu verras à quoi ça peut ressembler, de l'autre côté. Entendu ? Je serai prête quand tu le seras.

Ca craque. C’est tout ce qu’elle sent et même le chat ne peut rien contre ce souffle qui s’infiltre partout et emporte tout sur son passage. Je ne suis pas assez grand pour aller a autant d’endroit, fait le chat, vexé. Et on ne peut pas griffer de l’air. Elle le rassure. Ce n’est pas de sa faute. Ils ont tenu plus longtemps, pense-t-elle. La pénétration fait toujours aussi mal. Elle qui pensait que ce n’était que la première fois. Ce genre de digression la fit rougir un peu. Par chance, c’est à ce moment que le verre d’eau apparaît et elle le boit sans difficulté. Oui. Cela pourrait être une potion quelconque. Pour lui faire avouer quelque chose, peut-être. Ou un poison pour éliminer un témoin gênant. Elle aurait pu voir dans son esprit quelque chose qui ne lui aurait pas plus. Elle aurait pu vouloir prendre la « justice » dans ses propres mains. Et, évidemment, le cours d’occlumencie aurait pu être une excuse pour fouiller son esprit, pour la faire accepter la légilimencie sans broncher. Elle a déjà pensé à tout ça. Elle a décidé de faire confiance. Et si elle meurt. Et bien mieux vaut elle que Sycomore. C’est lui l’espoir de la famille. Lui qu’elle doit faire grandir pour qu’il développe son plein potentiel. Elle, elle est celle de l’ombre. Qui se cache en pleine lumière. Elle lui apporte la stabilité et elle se met en danger pour lui. Parce qu’elle l’aime et qu’elle a décidé qu’il serait l’homme de sa vie. Elle lui doit bien ça. Elle qui lui a volé de l’espace vital dans l’utérus maternel, elle qui l’a privé de tous les nutriments qu’il aurait dû avoir. Mangeant trop, bougeant trop. C’était de sa faute s’il était plus élancé que musclé, plus fin que viril, plus intellectuel que sportif. Elle était l’anomalie. Elle n’aurait pas dû exister. Elle était l’autre jumelle.

SA voix retentissait plus fort dans son esprit après les trois exercices et elle n’arrivait pas à LE faire taire. Cela ne faisait même pas cracher le chat en elle. Quand IL parlait, le chat disparaissait sous un meuble et se faisait oublier. Il avait peur. C’était normal. IL faisait peur. Elle s’obligea à relever la tête, à sourire. Masque en place. Fissuré. De sa voix rauque d’avoir crié (‘et pas du tout d’angoisse) elle répondit poliment.

« Merci, Madame. »

Elle n’y croit pas encore. Elle a besoin de ranger la voix dans le coin de son esprit où elle ne va jamais avant de pouvoir accepter le sentiment. Elle sait par contre qu’elle n’est pas en état de le comprendre et ne le rejette pas complètement. Et puis c’est toujours agréable d’être complimenté. Enfant, elle aurait fait n’importe quoi pour qu’IL le fasse. Maintenant, elle avait renoncé à l’idée.

« C’est entendu mais… je ne connais pas bien le sort. J’ai la formule, évidemment, tout le monde la connait. Et le geste. Je vous ai vue le faire trois fois devant moi mais l’état d’esprit… vous souhaitez que j’improvise c’est cela ? »

Elle n’était pas certaine d’en être capable tout de suite. Enfin tout de suite, il fallait d’abord qu’elle soit capable de se lever ce qui, après trois sorts n’était pas gagné. Ses jambes tremblaient encore trop.

Je la vois incertaine, et je ne pourrais pas le lui reprocher. Je ne me souviens plus de l'état dans lequel j'étais après mes premières séances pour apprendre l'occlumencie. En réalité, je ne m'en souviens pas parce que je suis restée inconsciente un moment, et que les jours qui ont suivi, je les ai vécus dans le brouillard. Je n'aurais pu rêver d'une meilleure professeure à cette période de ma vie. Je lui dois beaucoup. Elle était dure comme de l'acier, et c'était ce dont j'avais besoin pour apprendre et progresser rapidement.

Mais mes méthodes ne sont pas les mêmes. Si l'occlumencie est une part importante de l'apprentissage d'Aubépine, elle ne dispose certainement pas d'autant de temps que moi pour apprendre tout ce qu'elle doit savoir. Elle ne doit pas être incapable de se lever demain. Elle ne doit pas être incapable de se souvenir de ce qu'elle fait. Je pense qu'elle détesterait ça.

- Oui, c'est ça. Tu n'as pas besoin de maîtriser le sortilège. Il est difficile et aussi complexe à maîtriser que l'occlumencie. Ce n'est pas notre objectif ici. En revanche, même un sort de légilimencie lancé sans savoir te permettra d'entrevoir ce qu'il y a à l'intérieur. Je veux que tu vois. Je veux que tu explores. Je veux que tu apprennes.

Je ne suis pas pressée, et il n'y a pas l'ombre d'une urgence dans ma voix. Au contraire, elle est toujours aussi calme et posée, et je prends le temps d'articuler chacun de mes mots. Par-dessus tout, je prends le temps d'attendre. D'attendre qu'elle se sente suffisamment stable pour se relever, suffisamment forte pour pouvoir lancer un sort difficile dont elle ne connait que ce que l'on a bien voulu lui apprendre. Je crois pouvoir dire avec mon expérience que l'on ne sait rien de ce genre de chose avant d'en vivre les moindres détails.

Lancer un sort qu’elle ne connait pas, ce n’est pas ce que préfère la jeune sang-pur. Habituée à l’excellence et au travail, même si elle sait qu’elle doit apprendre, elle préfère de loin avoir des bases, étudier ne serait-ce que la théorie…là, tout ce qu’elle sait, c’est ce qu’elle a vécu. A l’instant même. Sans recul. Doucement, elle se lève. Ses jambes tremblent un peu, c’est comme si l’on n’avait pas pénétré que son esprit. Elle serre sa main autour de sa baguette, doucement, et fait quelque pas, attendant que son instructrice s’asseye. La formule est simple. Elle vient de voir le geste. Mais l’intention, elle..

Préparer son esprit comme un sabre et attaquer l’autre, par surprise, tel la foudre s’abat sur l’arbre. « Je sais faire. » fanfaronne le chat en elle alors qu’elle se rappelle que la foudre monte, elle ne descend pas. « On s’en fiche, faut sauter dessus c’est tout et mordre. » Oui il y a de ça. Impossible de faire comprendre au chat que c’est métaphorique, il semble surexcité. Elle presque le sentir battre la queue dans son esprit. Elle se concentre. Vouloir entrer. Aiguiser son esprit. Faire exploser les barrières en face. « Il faut prendre de l’élan et se mettre en hauteur » fait le chat qui aime beaucoup cette idée de chasser des pensées, même si elles ne se mangent pas. « Si je suis pensées et la proie aussi alors je peux la manger et tu peux pas m’interdire » explique-t-il tout fier. Elle tend la main, prend de l’élan en hauteur. Une pointe. Elle ne doit pas avoir peur de faire souffrir. Curieusement, ça, ce n’est pas le plus difficile. Pas par vengeance mais parce qu’elle sait, depuis toujours, que la fin vaut toujours les moyens.

« Lé-gi-li-mens ! »

Le mouvement de baguette n’est pas parfait. Elle s’en fiche. Ce qui compte là, c’est la détermination. Elle ne peut pas se permettre d’hésiter, de se reprendre. Elle assume son mouvement, envoie son esprit en forme de chat comme un bélier le long de la ligne imaginaire entre la baguette et l’irlandaise…

Je suis prête. Je l'ai toujours été. Depuis que je suis une occlumens, tout du moins. Le travail a été long et pénible, et j'ai encore en moi le souvenir vif de chacune de mes séances de tortures. Puisque c'est bel et bien de ça, qu'il s'agit. Je ne m'appesantis aucunement là-dessus - pas davantage que j'ai pu le faire autrefois, lorsque j'étais en apprentissage, ni plus tard, lorsque les conditions étaient réelles, et que la vie de centaines d'innocents reposaient uniquement sur mon silence. C'était souvent ce qui m'aidait à tenir, plus encore que les souvenirs et mes capacités.

Je suis tranquille. Paisible. Mon sourire ne quitte pas mes lèvres, presque comme une invitation. Un encouragement pour mon élève. Ce n'est pas comme si c'était la première fois. Mes barrières ne connaissent jamais de répit. Je les ai fondées au fil du temps, des années, des expériences, aussi. A chaque fois, je les renforce un peu davantage. Parce que songer que l'on a plus aucune faille, c'est se mettre inutilement en péril. Et je n'ai définitivement pas besoin de ça pour me rendre la tâche plus compliquée encore. Alors quand elle lance le sort, comme toujours, je suis prête.

Aujourd'hui, je n'ai pas beaucoup d'efforts à faire. J'imagine que la douleur est toujours la même, malgré les années d'expérience. Mais elle ne me parait pas grand chose face à celle que j'ai déjà connu. C'est comme si certaines de mes terminaisons nerveuses avaient perdu de leur réactivité avec le temps. C'est comme si j'étais trop habituée à souffrir pour que mon esprit ne laisse de la place à cette sensation. Je serre les dents, mais mon sourire reste en place.

Mes murs sont davantage que des murs. Ils sont comme un dôme qui, en plus d'empêcher l'intrusion, ne laisse pas la moindre ouverture. Un dôme derrière un voile d'illusion. Un dôme qui irradie tellement que rares sont ceux qui arrivent ne serait-ce à s'en approcher. Mais aujourd'hui, ma mission n'est pas seulement de repousser son attaque. Lorsque je déciderais qu'elle en a suffisamment vu sur ma structure, alors je la ferais sortir. Pour le moment, je la laisse s'approcher de mon mur à moi. Il faut qu'elle apprenne. Et il n'y a pas de meilleur moyen d'apprendre que d'avoir des idées plus précises de ce que l'on attend de soi, pas vrai ?

Elle ne prête pas attention à la souffrance qu’elle risque d’infliger. L’instructrice sait ce qu’elle fait et malgré le souvenir cuisant des dernières minutes, Aubépine ne s’attend pas à réussir. C’est surprise, donc, qu’elle se retrouve devant un voile. Une sorte de brume aux images entremêlées. Elle n’arrive pas à voir ce qu’il y a dedans. Elle se demande si elle doit chercher à le percer. Réfléchissant, elle essaie d’invoquer une sorte de petite tornade qui dissiperait la brume. Elle ne sait pas si cela a fonctionné ou si Morrigan l’a simplement laissée passer. Elle avance. Le mur semble…pas un mur. Elle s’élève. Dans ce monde, apprend-elle, les règles de la physique n’existent pas.

C’est un dôme. Evidemment, cela évite de se faire prendre à revers ou par le haut. C’est intelligent. Il y a une brillance qui s’en échappe, chaude comme un soleil qui empêche d’approcher. Elle tente de se couvrir mentalement de glace. C’est moins chaud. Encore une fois, impossible de savoir si c’est ce qu’elle doit faire ou non, si ses méthodes fonctionnent ou si l’instructrice intervient. Elle trouve ça un peu agaçant. Elle n’aime pas ne pas savoir ce qu’elle fait. Ne pas être l’être parfait qu’elle se donne tant de mal pour paraître aux yeux de ses camarades. Ne montrez aucune faille et ils arrêteront d’en chercher, persuadés qu’il n’y en a pas, Peut-être est-ce le cas ici aussi ? Elle fait le tour de la structure. Tout est lisse. Par l’esprit, elle lance une roche. Rien de terriblement menaçant mais c’est pour tester les défenses. La roche va-t-elle se désintégrer ? Rebondir ? Se faire attaquer par les rayons ? Passer par miracle ? Quelle que soit la réaction du mur, elle sera enrichissante. Elle observe. Passe sous forme féline. Il fait toujours chaud mais on crache à la chaleur. C’est nous qui savons. On s’approche le plus près que l’on peut et l’on commence à creuser. Métaphoriquement. En chat, la question de la douleur ne se pose même pas. On veut passer. On peut pas par devant, on peut pas par-dessus, on cherche par-dessous… On pourrait se transformer en taupe ou envoyer autre chose faire le trou mais ce n’est pas pareil de sentir sous ses pattes, ses griffes, ses coussinets. Ici, on sent que c’est pas la peine d’insister. Et trop dur en bas. On se lèche les pattes pour enlever la terre et on recule. On laisse l’humaine ressortir. Il fait toujours chaud. On refait le tour. On ne sait pas comment sortir.

Je suis toujours attentive à ce qu'Aubépine fait. Je surveille le moindre de ses mouvements, le moindre de ses gestes, la moindre de ses tentatives. Tout ce qui pourrait m'en dire davantage sur elle, davantage que ce que je sais déjà, que ce que je connais d'elle à travers sa façon d'être, à travers ses souvenirs. Il y a bien plus que tout ça, bien plus à creuser, bien plus qu'elle m'offre maintenant, et que je lui offre en retour. Rares sont ceux qui ne peuvent même qu'espérer apercevoir le dôme au loin. Encore moins de personnes peuvent prétendre s'en approcher. Mais cette fois-ci, tout est différent. Cette fois-ci, elle doit apprendre, et mes secrets n'ont rien à craindre ; derrière ce dôme qui est en réalité une sphère, d'autres structures ont été érigées avec le temps, masquant les informations si profondément que certaines d'entre elles me semblent presque ne plus exister réellement. Dans l'esprit de ma jeune élève, je fais en sorte qu'elle puisse entendre ma voix.

- Tu es bloquée, désormais. Tu ne peux pas reculer. Alors que fais-tu, Aubépine ?

Oui, que fais-tu, Aubépine ? Derrière elle, mes murs se referment doucement. Rien de douloureux pour elle, ce n'est pas son esprit que l'on tente de violer maintenant. Comment est-ce que l'on perce des défenses ? Comment est-ce que l'on outrepasse un dôme irradiant d'une chaleur qui augmente à mesure que l'on passe du temps à l'intérieur ? Il faut qu'elle fasse vite, et je pense qu'elle l'a déjà compris. Il faut qu'elle comprenne comment elle doit faire, comment elle peut faire. Il faut qu'elle comprenne que ses seules limites sont celles qu'elle s'impose. Je la laisse explorer, je la laisse observer. Et puis quand je décide qu'il en est assez, je l'expulse de mon esprit. D'une force puissante, qui semble pouvoir tout balayer sur son passage, je la repousse jusqu'à ce qu'elle retourne de là où elle vient, et scelle à nouveau mes secrets avec le plus grand des soins.