Mon mois de méditation était enfin terminé, et j’étais à nouveau synchronisée avec mon élément. L’eau est un élément capricieux, et se déchaîne parfois sans raison. La plupart du temps, ma personnalité calme et sereine se chargeait  de garder la paix dans mon océan interne. Mais personne ne peut arrêter la tempête occasionnelle, et après avoir quitté pour de bon tous ce qui me rattachait encore à l’Espagne, mon monde avait été un peu secoué. De nature anxieuse et réservée, il est toujours difficile pour moi de m’adapter à un nouvel environnement. Cependant, si les premiers jours avaient été difficiles, je m’étais rapidement habituée à mon nouvel environnement, même si mon élément semblait être en désaccord. J’aime bien cet endroit, et pour la première fois depuis longtemps, j’ai l’impression que ce que je fais de mes journées a une importance. Je ne suis plus obligée de me cacher et de garder la tête baissée. Parfois la solitude me dérange, mais peu. Je n’en veux à personne de ne pas vraiment me porter d’intérêt. Je ne suis pas vraiment intéressante, je parle peu, j’ai souvent le nez dans un bouquin… Contrairement à une jeune femme comme Lion qui parle fort, qui rit, et qui a l’air intéressante, je fais pâle figure. Mais ça ne me dérange pas, je ne cherche pas à faire de nouveaux amis. Les gens qu’on aime ne font que disparaître, et quand ils disparaissent, ils laissent une plaie béante dans l’âme. Mon âme est déjà assez perforée. J’y fais attention maintenant.

En fin d’après-midi, j’avais mit mon veston magique sous clé dans ma chambre, et après ma douche, avait enfilé une longue robe bleue un peu médiévale, dont le tissus se balade librement sur mes jambes. Je n’avais pas prit le temps de me coiffer, comme à mon habitude, et avait laissée ma longue chevelure foncée s’écrouler sur mes épaules laissées nues par le corset de ma robe. J’avais enfilée une paire de bottes et moi voici là - au bord du lac, comme souvent. Je suis assise au bord de l’eau, le tissus de ma robe étalé autours de moi comme une fleur turquoise. Je tends ma main au dessus de l’eau, et l’élément est comme attiré à moi, se redressant de son bassin pour s’enrouler autour de mes doigts, puis de mon poignet. Je souris à la sensation et laisse l’élément s’amuser sur ma peau devenue olive avec les heures passées au soleil. Je mets les pieds dans l’eau et soupire de satisfaction. Le confort total. J’entends un bruit derrière moi, et au coin de l’oeil, aperçoit une silhouette se rapprochant. Comme une bête sauvage effrayée, l’eau perds sa vivacité et retombe dans le bassin avec un doux bruit de gouttes d’eau.

Je rougis un peu quand la femme s'accroupit près de moi, me sentant étrangement flattée qu’elle aie voulu venir me parler. L’instructrice Morrigan, une  femme magnifique, aux yeux perçants et dégagent une douceur et une bonté sans pareil. “Bonsoir. Oui, c’est Pluie.” C’est toujours un peu étrange pour moi que personne ne connaisse mon vrai nom, mais j’aime bien Pluie, c’est un joli pseudonyme. “Je vais bien, me-merci.” Je begaie maintenant. Ses yeux me donnent l’impression d’être nue devant elle, et je n’arrive pas à m’empêcher de la regarder, tant elle est belle. “J’étais juste en train de … Je veux dire…” Je soupire. Super bonne première impression Pluie. “Je jouais avec l’eau.” Je ne trouve que cela à dire, alors qu’à nouveau, l’eau s’enroule autours de moi, sur mes jambes à présent. Mon élément semble être convaincu que Miss Morrigan n’est pas un danger pour nous. C’est rare. “L’eau. C’est mon élément.” Je balbutie. “C’est la seule chose qui ne me quitte jamais.”

Si Morrigan n’avait pas fait l’effort d’arriver en se faisait entendre, j’aurais probablement été surprise, et il ne faisait aucun doute que j’aurais mis la main à la baguette. Mais elle semble bien connaître son travail, et les jeunes gens avec lesquelles elle doit travailler. La plupart d’entre nous avont vécu des traumatismes trop violents à oublier, et je ne fais pas exception à la règle. Cependant, pour moi, ma mémoire s’était pour le moment chargée de les réprimer.

“Peut-être que lorsque la guerre sera terminée, vous aurez du temps à y consacrer. Je le conseillerai vivement, c’est comme une seconde vie.” Je dis avec un sourire. Sans mon apprentissage de l’élémagie, je serai probablement morte. En partant d’Espagne avec mon sac à dos, j’étais déprimée, triste, plongée dans un désespoir sans fond. Arrivée en Afrique, en fin d’adolescence, j’étais parfaitement consciente que je n’avais que deux options - apprendre l’élémagie, ou mourir en essayant. Je me souviens que lors de ma dernière épreuve de méditation, juste avant le réveil de mon élément, je me sentais mourir, et je n’étais pas triste. J’étais même… Soulagée. Je n’avais jamais parlé de cela à qui que ce soit - personne n’était assez proche de moi pour que je leur confie de toute façon. Lorsque mon élément m’a sauvée la vie, c’était comme une renaissance. Une nouvelle énergie en moi, un nouveau but,  une nouvelle force.

“Non je - je vous en prie.” Je balbutie à nouveau. Je n’y peut rien, elle m’intimide. Et ce n’est pas que sa beauté - aussi grande soit elle - c’est aussi sa présence. Elle impose, mais elle dégage aussi un sentiment de bonté, de sécurité, de puissance. C’est difficile pour moi de mettre le doigt sur mes émotions. Le fait qu’elle s’intéresse à mon bien-être me flatte, et me fait plaisir. “Je dois avoir l’air étrange…” Je commence à dire, alors que mon regard se perd sur l’horizon du lac. “Toujours seule près d’un point d’eau, ou avec un bouquin.” Je baisse le regard à nouveau, regardant l’eau, vivante sur mes jambes. “C’est difficile pour moi… Les relations.”

Je ne sais pas vraiment pourquoi je parle de ça, elle ne m’a rien demandé. Mais j’ai l’impression de pouvoir. Comme si, sans même me toucher, ni me parler, elle me donnait de réconfort. Je n’ai pas peur de lui parler car, pour une raison qui m'échappe, j’ai le sentiment qu’elle pourrait me comprendre. “Désolée, je sais pas ce que je raconte.” Je balbutie, paniquée à l’idée de lui imposer mes émotions, et de lui faire faire demi-tour.

“Oui, c’est très paisible ici, ça change de mon pays.” Je dis, caressant l’eau fraiche de ma main droite. “Je ne sais pas vraiment comment ça se passe en Angleterre, je ne l’ai pas vécu, j’ai toujours habité en Espagne… Mais même chez nous, les partisans du Mage Noire font carnage. Leus seuls amis qui me restaient ont été tués et chassés. Ils m’ont attrapée une fois“-Je m’arrête. Je ne sais pas si je suis prête à parler de ça. J’ai travaillé dur pour le refouler, je n’en ai jamais parlé à personne, et ça a tendance à faire réagire mon élément bizarrement. Rien que d’y penser, l’eau s’agite un peu plus. Je prends une longue inspiration, et je compte jusqu’à dix. L’eau se calme, et moi aussi.

“Ca a toujours été difficile pour moi. Je n’ai jamais vraiment été très entourée. J’ai souvent été seule. Alors quand j’essaie de parler à des gens, on me trouve bizarre, parce que je suis pas sûre de quoi dire, ou comment agir. Même maintenant, je devrai pas raconter tout ça, ça fait généralement fuir les gens, ce genre de conversations.” Je baisse les yeux, et frotte l’os de mon, poignet gauche grace à mon index de la main droite, essayant de me détendre, pour être plus à l’aise. Je parle trop. Ca ne l’intéresse pas. J’ai envie de m’excuser et d’aller m’enfouir dans l’eau, loin des regards. Je me force à rester, malgré le noeud dans mon vendre et dans ma gorge. “Je ne sais pas si je suis spéciale non plus. Je veux dire, je suis une élémage, et il n’y en a plus beaucoup de nos jours, mais je ne sais pas si on peut considerer ça comme étant special. Après tout, tous le monde est capable d’apprendre.” Mais tous le monde n’est pas capable de survivre à l’épreuve, et même si inconsciament je le sais, me l’admettre est une toute autre histoire.

“Comment-“ Je commence, puis m’arrête. Je pèse le pour et le contre. La question me brûle les lèvres, mais je ne sais pas s’il est sage pour moi de la poser. Encore une fois, je n’ai pas envie de lui peser en lui posant des questions trop sérieuses, et trop graves. Mais le besoin est trop grand, et si je veux pouvoir un jour m’intégrer ici, j’ai besoin d’une réponse. “Comment on fait pour s’ouvrir aux autres, et nouer des relations, quand tout ce qu’on a connu dans le passé est l’abandon, la perte et la trahison ?”

Non, elle n’a pas l’air prête à fuir, mais cela étant dit, j’ai tendance à ne pas vraiment faire confiance aux impressions que me donnent les gens, car j’ai bien souvent été trompée. Je ne crois que ce que l’on me prouve, et pour le moment, ce qu’il se passait n’était qu’une discussion entre deux personnes. Morrigan avait le droit, et le choix, de quitter cette conversation à tous moment, je ne lui en voudrais pas. Je n’avais pas le droit de lui en vouloir. En revanche, si elle souhaitait rester, cela me ferait plaisir, même si je ne le lui avouerai pas à voix haute.

Je hoche la tête lorsqu’elle me dit de devoir apprendre à ne pas avoir d’attentes. Oui, c’est une idée que j’ai déjà commencé à mettre en pratique. Cependant cela m’a rendue cynique, distante et froide. Je ne vois plus l’intérêt d’essayer de créer des liens lorsqu’au fond j’ai le sentiment constant que ça n’allait pas bien finir, et que j’allais encore une fois avoir fait des efforts pour rien.

Dans ma tête, mes pensées voyagent à toute vitesse, tellement qu’il est difficile pour moi de les expliquer à l’enseignante. Je continue cependant de l’écouter poliment, ne voulant pas l’interrompre. Peut-être pouvait elle me surprendre. « J’ai du mal à voir l’intérêt des relations éphémères. » Je réponds alors, ayant finalement réussit à composer une phrase. « A mes yeux, si ce n’est pas une personne sur laquelle je peux compter, alors je ne vois pas l’intérêt d’essayer. Ça paraît peut-être bête, mais je préfèrerais avoir deux personnes sur qui compter, et en qui je peux avoir confiance, que trente personnes que je connais à peine et que je ne serai jamais sûre de revoir le lendemain. »

Je soupire, embarrassée. Ce que je viens de dire sonne cheesy et cliché, je m’en rends bien compte, cependant secrètement, c’est le type de personne que je suis. Je donne un amour et une amitié sans limité, et je serais prête à affronter la mort pour les quelques personnes qui comptent pour moi. Cependant ces personnes n’existent pas, ou plus, ou que dans ma tête. J’ai le sentiment de ne pas pouvoir être heureuse sans éprouver ces sentiments, et chaque jour que je passe seul, je me demande quel est l’intérêt de faire ce que je fais.

Et puis après, je me rappelle qu’une guerre décime des innocents, dehors. Si tout allait bien, alors je n’aurais pas vraiment de raison d’avancer. Mais tout ne va pas bien, et si je peux aider, alors je vais aider. Je n’apporte pas vraiment de valeur à ma vie, alors si je dois la donner pour une bonne cause, tant mieux. En attendant, ça me donne un objectif ; une raison de rester en vie, et de m’améliorer.

« Honnêtement, je ne sais pas ce que je serais devenue si Le Domaine ne m’avait pas recrutée. Je ne sais pas si j’aurais eu la force de me battre. J’ai souvent du mal à garder espoir, et la tête haute. J’ignore comment aller mieux, comment recommencer à faire confiance, à aller vers les autres. Arrêter d’avoir des attentes m’a rendue cynique et froide… Et personne ne semble s’intéresser assez à moi pour vouloir passer cette barrière. »

Cette conversation n’était pas forcément la meilleure conversation à avoir avec une personne avec laquelle on parlait pour la première fois, mais les émotions et les mots semblaient couler de mes lèvres sans que je ne puisse rien y faire. Sans même m’en rendre compte, des larmes avaient commencer à couler sur mes joues, et au lieu de venir s’écraser sur ma robe et de s’évaporer, elles avaient roulé le long de mon bras pour rejoindre l’eau du lac.

« Désolée… Ça fait longtemps. Ça fait longtemps que personne ne m’avait montré de l’intérêt. »