Il se rappelait une douleur vive, qui s'estompe pour n'être plus qu'un bruit de fond dans un recoin de son esprit. Il se souvenait d'avoir senti son cœur cogner contre ses côtes encore fragiles alors qu'il découvrait la cicatrice sur son torse. Une immense étoile chaotique en tissu cicatriciel, rose sur sa peau brune, qui occupait tout l'espace et venait chatouiller ses flancs de quelques unes de ses branches déformées. Puis un elfe était apparu, et lui avait parlé en anglais. Il comprenait parfaitement cette langue, mais n'avait pas l'habitude de l'entendre.
Excusez moi, comment se fait-il que je n'ai pas explosé?
Ça, c'était sa première phrase prononcée dans le domaine. Ses mots étaient sortis en Wolof. Il avait dû les traduire à nouveau pour la pauvre créature qui s'était occupée de lui. Avec la pâte de fruits, tout allait mieux. Il n'avait plus d'accent lorsqu'il parlait la langue d'Albion. Restaient ses expressions parfois un peu étranges, empruntées à chacune des langues qu'il parlait. C'était le lot de tous les polyglottes. Heureusement, il ne parlait que trois langues. Le mélange était moins indigeste que s'il en avait parlé six.
Il se souvenait du froid, signe qu'il était loin de son Afrique natale. Il s'y habituait bien plus aisément qu'il ne s'habituait à l'autre aspect de sa situation. On l'avait nommé instructeur, pour des enrôlés qu'il ne connaissait guère. Sa première réaction avait été de refuser. Poliment, calmement, mais fermement. Il n'était pas un expert de quoi que ce soit. Il était diplomate, et pas très intègre qui plus était. Qu'avait-il à enseigner à qui que ce soit?
Mais il avait fini par céder. Il allait apprendre à de futurs espions ses vieilles techniques de communication. L'une d'entre elles avait mené à sa mort. Il lui faudrait revoir celle-ci en détail. Le domaine disposait d'une bibliothèque, qui avait été un facteur majeur dans son changement d'avis. Il avait de quoi peaufiner son travail, et il allait désormais travailler directement avec la résistance.
On l'avait amené dans une grande salle ronde, si sombre que sa nouvelle baguette ne pouvait l'éclairer. Ses yeux prirent une couleur bleu clair, comme un défi lancé à l'obscurité. Si quiconque avait pu le voir avancer vers le registre, cette personne aurait cru voir un cadavre aux yeux crevés, tant le contraste entre le bleu presque blanc de ses iris et le brun sombre de sa peau était grand. Il avait avancé, ignorant les tiraillements de ses os fraîchement ressoudés.
Moi, Soumaworo...
Car il lui avait fallu choisir un pseudonyme. Un nom de héros, comme pour tous les instructeurs. Soumaworo Kanté, avec ses totems lui permettant de changer de forme, semblait tout indiqué. Mais il sentait qu'il allait avoir des difficultés à se présenter en tant que "Soumaworo".
...de la brigade Snidget, je mets mon cœur et mon âme au service de Rementor. Je jure de servir la Cause, de ne jamais laisser échapper un mot pouvant la mettre en danger, je promet de me conformer aux règles du Domaine, de respecter ses habitants. Je n'oublierai pas les raisons qui m'ont fait venir ici ni la guerre qui continue à l'extérieur. Je ne faiblirai pas, je ne reculerai pas, j'engage ici ma vie, mon âme et mon pouvoir pour le bien commun.
Voilà qui était fait. Il venait de signer de son sang un pacte le liant à une cause noble. Il chercha les échappatoires, les ambiguïtés dans le texte qui lui permettraient quelques libertés. Elles se trouvaient certainement dans les interprétations de "bien commun" ou de "servir la Cause". Il était hors de question de trahir la résistance, ni les enrôlés ou les instructeurs. Mais il avait un mauvais pressentiment quant au Directeur du Domaine. Tandis qu'il quittait la salle ronde, il se prépara à tous les affrontements possibles avec son nouveau supérieur hiérarchique, retournant les phrases du contrat dans sa tête afin de trouver le moyen d'être un résistant, et non le pantin d'un nouveau Nzinga...