Vendredi 1er novembre

La journée avait filé avec une lenteur déconcertante. Asphodèle eut beau essayer de se concentrer du mieux qu’il le put, il n’avait pas réussi à retenir un seul mot de ce qu’on lui avait dit. De plus, le temps, dehors, était si gris et désolant qu’il ne parvenait même plus à rassembler assez d’énergie et de bonne volonté pour faire semblant d’être concentré.  

Le soir, il avait observé la nuit tomber et dévoiler de manière assez surprenante toutes les étoiles dans le ciel. Alors, il n’avait pas pu résister. Il avait ensorcelé un objet pour diffuser de la musique (il n’avait pas eu envie d’emprunter le tourne-disque de Sycomore) et envoûté quelques bougies flottantes pour lui servir d’éclairage.

Puis, il s’était lancé. Saut de chat, pointe, batterie, ballonné, cabriole, demi-plié, saut de chat à nouveau ! Il fusait, volait, laissait son corps parler pour lui et évoquer toute la lassitude de la journée, toute la fatigue accumulée. Un saut, les jambes qui se croisent, son corps tourna. Ses cheveux flottaient tout autour de son corps, comme s’ils déviaient la gravité. Il laissa le rythme de la musique prendre le dessus, contrôler son corps et ne respecta bientôt même plus la chorégraphie initiale pour laisser ses pieds agir à leur guise, créer leur propre danse.

Sa respiration, plus profonde, expira toute la frustration de sa journée. La douleur de ses pieds trop sollicités ces derniers jours lui rappela qu’il était vivant. Et lorsque la musique cessa enfin, il se permit même une révérence amusée devant son seul spectateur, le lac à l’eau noire.

…Son seul spectateur, pensa-t-il, jusqu’à ce qu’une rose flotta jusqu’à lui et se posa à ses pieds. La saisissant avec précaution, Asphodèle en inspira le parfum avant de relever le nez. Qui était donc à l’origine de ce présent ? Il battit des cils avec stupeur en reconnaissant Sitelle. Que faisait-il ici ? Comme s’il n’avait rien vu ? Et il ne venait pas le saluer ? Il ne faisait aucune remarque ?

Asphodèle l’observa grimper sur une barque. Ou plutôt déformer la barque pour qu’elle s’adapte à son fauteuil. Le demi-Vélane fit alors disparaître la flamme des bougies, éteignit l’objet magique qui diffusait la musique imaginée par son esprit et rejoignit Sitelle en lui souriant, respirant toujours le parfum délicat de la rose.

- Merci.

Et il observa la barque.

- Promenade solitaire ?

Il rajouta aussitôt :

- Envie de compagnie ?

On ne savait jamais, peut-être qu’il avait envie de réfléchir ou de se changer les idées tout seul.
Observant les îles au loin, Asphodèle lâcha :

- J’ai toujours voulu savoir ce qu’il y avait là-bas, mais je n’ai jamais osé m’y rendre seul…

Sitelle avait fini les cours à 16h. Il s’était rendu à la bibliothèque où il n’avait pas manqué de lire l’ardoise pour voir si d’autres informations venaient à apparaitre. Puis il avait étudié au cours des deux heures suivantes puisqu’il avait estimé que les 2h de cours d’étiquette lui avait fait perdre une partie de sa journée.

Lorsque 20h arriva, il emporta dans son sac de quoi manger et boire et accrocha le sac derrière son fauteuil et se dirigea vers le lac. De tous les endroits du domaine, il y en avait certains qu’il voulait plus que d’autres visiter, pour ces créatures et son calme. La forêt était une bonne option, mais la nuit, il n’aimait pas déranger les créatures. Aussi, il avait dévolu son choix sur le lac et ces îles au loin. Il allait éviter la zone marécageuse et se rendre directement aux barques. Il allait aller vers ces îles, y piqueniquer si possible, sinon les observer de loin et profiter du calme, du silence et de peut être observer quelques créatures un peu moins communes que celles des bords de lacs. Pat acquis de conscience, il avait demandé à un elfe de maison des bougies magique auxquelles il y avait gravé une rune pour qu’elles soient hydrophobes, un carnet supplémentaire pour noter ce qu’il y verrait ou les dessiner magiquement, et bien sûr, des cookies.

Lorsqu’il arriva, il entendit en premier la musique. Il n’eut pas longtemps à chercher la provenance et resta à quelques mètres pour admirer l’homme qui dansait. La nostalgie s’empara de lui. Il se revoyait, avec ses grands-parents à l’opéra Garnier, assister au spectacle d’As…d’Asphodèle comme il s’appelait ici. Toujours la même grâce, toujours la même ivresse et toujours la même beauté. S’il avait compris maintenant que c’était son côté Vélane qui attirait tout le monde. Mais l’attirance ne faisait pas tout et Sitelle savait faire la part des choses. Asphodèle était doué. Très doué. Aussi, à la fin de sa performance, il fit apparaitre une rose qu’il fit voler à ses pieds. C’était un geste d’admiration. Même s’il était moralisateur, il avait du talent et, pour Sitelle, une personne ou une créature n’est pas un tout. C’est un ensemble de facettes, et on n’est pas forcé de les apprécier toutes.
Une fois la rose envoyée, Sitelle reprit donc la direction de la barque pour y monter.
Entendant le remerciement, il fit un signe de sa main ganté, avant de tirer un peu sur sa chemise en flanelle, un peu plus épaisse et qui le gardait au chaud avec une petite rune dans son dos.

La question suivante, il n’y répondit pas, c’était plus rhétorique qu’autre chose. Mais à la question qui suivi, Sitelle observa le danseur. Il allait attraper froid si il restait ainsi… et puis, il l’admirait et il pourrait peut être enfin faire un peu plus connaissance…

- C’est ma destination, alors je t’en prie. Ca me ferai plaisir. Nous n'avons pas encore eu le temps de faire un peu plus connaissance.

Il décida de le tutoyer et sourit, proposant de la main la place en face de lui dans la barque, ayant mis son sac à ses pieds.

- Tu as envie d’y aller depuis longtemps ? C’est-à-dire que tu es ici depuis un certain temps alors ?

Il était curieux de savoir depuis quand, ce qu’il faisait ici, et s’il avait déjà fait des missions…

D’un coup de baguette, la barque glissa doucement sans à-coup sur l’eau. Sitelle mis les bougies tout autour d’eux à flotter pour éclairer leurs chemins. Il sorti un cookie pour le grignotter et un autre qu'il lui tendit

- cookie ?

C’était inespéré et aussi peut-être une manière de se rabibocher avec Sitelle. Asphodèle n’en était pas sûr, mais il avait l’impression que leur rencontre dans les couloirs avait été plutôt catastrophique. Il fallait dire que Sitelle était difficile à comprendre et que le demi-Vélane n’était pas très doué avec les êtres humains de manière générale…

Alors, bien évidemment, il sauta sur l’occasion et le rejoignit en grandes enjambées jusqu’à la barque. Il y jeta un petit coup d’œil, puis observa Sitelle et regarda à nouveau la barque. Comment était-il monté avec son fauteuil ? Déjà qu’avec deux jambes valides, il avait du mal à monter sur cette surface peu stable, alors avec un fauteuil ?
Saisissant sa main avec reconnaissance, il posa maladroitement un pied sur la barque, puis reprit comme il le put son équilibre dans une sorte de pirouette étrangement gracieuse. Il ne perdit pas de temps pour poser ses fesses sur la place libre et poussa un petit soupir de soulagement. Bon sang que c’était effrayant ! Il avait cru passer par-dessus bord et flirter avec les sirènes !

- Merci.

Il releva les yeux vers lui et répondit à sa question :

- Je suis là depuis septembre, mais j’ai pris un bon moment pour prendre mes marques. J’ai un sens de l’orientation assez désastreux.

Il avait avoué ce détail d’un air piteux, puis sourit maladroitement :

- C’est pour t’éviter des heures d’errance que j’ai voulu t’aider lors de ton arrivée.

Il se retint d’ajouter qu’il n’avait pas été très doué dans cette tâche puisqu’il avait sans doute dû lui faire prendre des chemins détournés plutôt inutiles… Il s’en était rendu compte la fois suivante lorsqu’il avait voulu rendre visite à Sycomore.

- Oh, merci !

Maintenant qu’il n’était plus danseur au Bolchoï, il n’était plus contraint à un régime alimentaire strict et il s’avouait plutôt aimer cela. Il pouvait enfin manger comme il le souhaitait.

- Tu les as faits toi-même ?

Il se demandait si tous les Occamy étaient cuisiniers dans l’âme, tiens…

Code:

difficulté 1, niveau 4 : résultat au tirage : 'Destin' : 1 : réussite critique

Sitelle étrangement, nota qu’il n’avait pas été vélanisé dans ce bref échange. Il en déduisit que ce n’était pas forcément du h24, ce qui le rassura un peu. Alors que la barque avançait tranquillement, les bougies flottant autours d’eux, il croqua dans son propre cookie.

- Je dois t’avouer que je ne connais toujours pas tous les chemins. J’ai eu des plans grâce à une des résistantes d’une autre maison, et même mon emploi du temps, mais cet endroit, j’ai l’impression, change parfois juste pour s’amuser à nous perdre…

Il songea d’ailleurs qu’il fallait qu’il repasse vers la bibliothèque pour regarder l’ardoise et voir s’il y avait d’autres inscriptions. Avec tous ces évènements, il en avait oublié d’y retourner.

- Et non, je ne les ai pas faits moi-même. C’est Lynx.

Un sourire s’étira naturellement sur son visage en repensant à ce jeune homme au visage bienveillant pour qui il avait eu un véritable coup de cœur – et non, la pile de cookie n’était pas l’unique raison de ce coup de cœur. -

- Il est un excellent pâtissier et il nourri tout le monde tout le temps. On étudie d’ailleurs ensemble, il a un peu de mal avec ça.

Il s’en voulu de détailler des choses qui ne lui appartenait pas et décida de ne pas s’étendre à son sujet. Il observa par-dessus l’épaule d’Asphodèle.

- Tu voudrais faire quoi comme mission ? Tu as quelque chose de prévu déjà ou tu es comme tout le monde, à attendre que quelque chose se passe ? interrogeât Sitelle, curieux de savoir si lui aussi, était mis au banc…

Sitelle s’intégrait parfaitement, nota Asphodèle avec un petit sourire ravi. Il croqua dans son propre cookie et eut un orgasme culinaire. Ohlala que c’était bon ! Il ferma les yeux pour mieux profiter de la pâte du cookie et des pépites de chocolat qui fondaient dans sa bouche, puis les rouvrit, les pupilles un peu dilatées, en se reprenant. Oups…

Il offrit un petit sourire embarrassé à Sitelle, espérant qu’il n’ait rien vu, puis hocha la tête :

- Lynx… Lynx…

Aucune idée de qui c’était. Enfin bon, il ne pouvait pas connaître tous les enrôlés de Rementor, c’était parfaitement normal.

- Eh bien je suis d’accord avec toi, c’est un excellent pâtissier ! Tu as bien de la chance de pouvoir profiter de ses expérimentations culinaires !

Son sourire s’élargit, puis se figea à la question de Sitelle. Fronçant des sourcils, il prit le temps de réfléchir à ce qu’il lui disait. Un plan ? Comment ça ? S’il avait ses propres objectifs ? Ou une idée de ce qu’il allait faire ? Sitelle avait l’air d’être le genre de garçon qui observait beaucoup et prenait en compte toutes les éventualités, un peu comme un scientifique. Bien évidemment qu’il devait déjà avoir des objectifs.
Asphodèle rougit un peu, ravi que l’obscurité estompe tout cela, et se mordilla la lèvre inférieure. Il devait paraître bien idiot à ne pas avoir de plan précis ou d’objectif. C’était peut-être même un peu immature, non ? Il l’avoua, cependant, du bout des lèvres :

- Non… Pas de plan précis… J’imagine que faire un maximum de dégâts et démanteler ce que je peux démanteler, ce n’est pas vraiment un plan…

Il lâcha un petit soupir et expliqua :

- Je ne suis pas un professionnel de la stratégie. J’imagine qu’il faudrait déjà que je prenne mes marques, mais j’aimerais qu’on agisse un jour ou l’autre. Etudier, c’est bien, mais je ne suis pas venu pour cela.

Après un instant de flottement, il demanda :

- E-et toi ?