Il n'y avait plus assez de sang-dragon pour tout le monde, et la bouteille avait été vidée par les autres groupes passés avant eux. Et parmi ces groupes, il y avait bien entendu les deux demi-vélanes. Inutile donc de se demander qui avait bien pu en chaparder pour sa réserve personnelle, ou réclamer une dose supplémentaire au cas où la préparation serait à refaire. Oh, Murène ne doutait pas que d'autres puissent aussi se montrer malhonnête. La fourberie est présente chez toutes les espèce, en particulièrement l'espèce humaine. Ses propres parents en étaient d'ailleurs la preuve. Cependant, si les enrôlés humains pouvaient tenter des sales coups, les demi-vélanes étaient ceux qui avaient le plus de chance de s'en sortir sans encombre.

Murène avait levé les yeux au ciel en réalisant qu'ils étaient à cours de cette plante nécessaire à la réalisation du poison, mais avait gardé ses soupçons pour lui. De toute façon, il ne pouvait pas lutter contre ces pouvoirs. Pas sans potion d'éloquence pour lui, ou sort de silence pour eux...Il avait donc dû se rendre aux serres avec celle qui préparait le poison avec lui. Il avait mémorisé les autres plantes nécessaires à leur préparation afin d'en prendre également. Si le sang-dragon manquait, alors les autres composants pouvaient manquer aussi. Autant ne faire qu'un seul voyage vers les serres. Heureusement, les autres plantes étaient toutes aussi aisées à récolter. Asclépiade tubéreuse, calice de la mort, alihotsy. Il y avait aussi des graines de tentacula vénéneuse, mais ils pouvaient se dispenser de prendre celles-ci. Le pot en verre dans la salle de cours de poisons et antidotes était encore plein, du moins selon ses souvenirs...

Celle qui l'accompagnait avait pour nom de code Ecume. Un très joli nom de code, bien plus flatteur que "Murène" aux oreilles de bon nombre d'enrôlés. L'écume évoquait la mer, les plages et les tropiques, tandis qu'une murène était avant tout un poisson laid et prédateur. Murène aimait toutefois ce nom de code un peu ingrat. Les murènes sont des prédateurs adeptes de l'embuscade, ce qui signifie que l'on ne risque rien si l'on ne vient pas trop près de leur grotte. Leur ennemis, quant à eux, n'hésitaient pas à ratisser la terre entière pour débusquer des proies sans défense. Il lui semblait plus honorable d'être une murène qu'un mangemort. Il lui semblait même plus honorable d'être un veracrasse qu'un mangemort...

Bon! Eh bien nous y sommes, dit-il en entrant dans la serre.
Il posa ses mains sur ses hanches et, la tête haute, chercha du regard la plante qui leur faisait défaut.
Sang-dragon, sang-dragon...
Il n'en voyait pas près de l'entrée, il allait leur falloir chercher un peu.
Est-ce que tu sais où Lancelot les a rangées, celles-là?

Écume était en plein cours de poison, qu'elle suivait avec grand intérêt, prenant mentalement en note les informations de son instructrice et gribouillant, si nécessaire, les ingrédients sur un parchemin emprunté, lorsqu'ils furent invités à se mettre en binôme pour réaliser un exercice pratique. Le jeune femme n'aimait pas particulièrement travailler en groupe. Elle n'aimait pas cela dans les cours qu'elle maîtrisait car elle n'arrivait pas à imposer aimablement sa vision à ses partenaires. Et elle n'appréciait pas cela non plus dans les matières qui lui posaient plus de difficultés, parce qu'elle avait alors l'impression d'être une empotée et qu'elle devait concentrer toute son énergie à faire bonne figure.

Tout était tellement plus simple en Afrique ! Ses camarades se faisaient confiance et s'écoutaient les unes les autres. C'était comme si chacune lisait dans les pensées de l'autre. Elle se connaissaient toutes si bien qu'il ne leur été pas nécessaire de faire des efforts pour s'entendre. Elles sentaient les émotions des autres et savaient comment y réagir pour que tout se passe bien. Elles se respectaient.

Le brigadiers qui s’appréciaient s'étaient rapidement tournés les uns vers les autres en signe de reconnaissance pour se mettre ensemble. Écume avait observé cette chorégraphie à distance, espérant secrètement pouvoir faire équipe avec Androméda mais celle-ci s'était choisit un autre partenaire. Quand à Pivoine, qu'elle n'appréciait pas outre mesure mais avec qui elle s'entendait suffisamment, c'était exclu car les binôme devait être de spécialité mixte. Faute de liens véritable avec qui que ce soit, l'Africaine sourit à la première âme esseulée qu'elle vit et se retrouva ainsi avec un homme pour le nom duquel elle n'avait eu aucun intérêt jusqu'alors et qui s'introduit sous un nom de poisson. Une créature des immensités obscures marines. Intéressant.

Lorsque les équipes furent formées, tous se dirigèrent vers les étagères afin de récupérer les ingrédients nécessaires à l'exercice, créant ainsi des files d'attente en divers points. Écume s'était mise en ligne, poliment, silencieusement mais toujours avec grâce et affichant un sourire avenant. Elle avait apporté à leur table une partie de ce qu'elle avait sur sa liste mais Murène, lui, était revenu sans sang-dragon car la réserve avait été vidée.

La Selkie adressa un regard compatissant vers son instructrice dont la charge de travail était telle qu'elle n'avait pas été en mesure de préparer son TP de manière à éviter une telle pénurie. Peut-être serait-il convenable qu'elle lui offre son assistance pour le prochain cours ? Quoi qu'il en soit, Murène s'était proposé d'en rapporter de la serre. En bon binôme, et puisqu'il lui était impossible de commencer leur préparation sans le précieux végétal, Écume l'avait accompagné. Contrariée de manquer une partie du cours pendant laquelle, Zhurong prodiguerait peut-être quelques précieux conseils sur la manière de percer les œufs de Strangulot, de dénerver le foie de Womatou ou d'infuser l'alihotsy.

Pour autant, elle s'estimait heureuse car si cela avait été un cours de Lancelot, il leur aurait fallu faire bouturer les plantes restantes, faire germer les boutures, déterminer le meilleur environnement pour les planter, les cultiver, les récolter à la meilleure saison pour ensuite en extraire l'essence. Et encore ! S'il s'était agit de sang de dragon, c'est tout un périple qu'il leur aurait fallu accomplir pour obtenir l'ingrédient manquant.

Écume aimait bien Lancelot, du moins, elle aimait bien ses cours et sa manière radicale de les instruire en les préparant à ce qu'ils devraient affronter. Bien entendu, l'instructeur restait un homme, arrogant et méprisable qu'elle détestait voir prendre plaisir à les torturer. Mais le cours était intéressant et ne les ménageait pas.

A ce moment-là, la belle fut tirée de ses pensées par Murène qui évoquait ledit instructeur. Elle regarda son interlocuteur avec surprise, se demandant s'il était en mesure de deviner le sujet de son discours interne. Lance... lot, bredouilla-t-elle, un instant confuse. Je ne sais pas où il est, non. Enfin heu où il range son... ses... Elle fronça les sourcils, déçue de se voir ainsi décontenancée et se racla la gorge pour revenir à elle. Le sang-dragon, pardon. Non, je ne sais pas où il le range, désolée. En général, elle faisait faire ce type de tâches ingrate par un malheureux ingénu qui passait. De son côté, elle préférait chercher ses plantes au sein même de la forêt nourricière. C'est la première fois que tu viens à la serre ? rebondit-elle, étonnée, cherchant à faire oublier son égarement et lançant ainsi une conversation badine alors qu'elle s'affairait à chercher un pot dont le contenu évoquerait l'aspect spécifique du sang-dragon.

Murène haussa les sourcils et un petit rire s'échappa de ses lèvres étirées en un sourire. Qu'avait bien pu faire Lancelot pour la troubler ainsi? Il ne lui avait quand même pas tapé dans l'oeil?

Hey, n'aies pas peur! lui dit-il. Tout va bien, il n'est pas là pour nous dire qu'on fait tout de travers!

Le regard qu'il adressait à sa partenaire de poisons n'était en rien moqueur ou méprisant, mais plutôt compatissant, presque complice. C'était le regard de quelqu'un qui parlait en connaissance de cause. Murène se considérait comme un médicomage accompli, qui certes n'avait pas l'expérience de leur instructeur en survie mais n'était pas sans compétences. Et il détestait plus que tout qu'on lui dise que ce qu'il faisait était mal fait. Il avait déjà fait ses preuves auprès des guérisseurs de son pays, et surtout auprès des nombreuses personnes auxquelles il était venu en aide. Il était hors de question qu'on lui demande de le refaire à chaque fois.

Du coup, cherchons ce sang-dragon!

Il faisait chaud dans cette maudite serre. L'humidité avait déjà commencé à coller les cheveux de Murène sur son crâne. Il avait la désagréable impression qu'on lui avait façonné un bonnet dans un tissu chaud et poisseux et qu'on le lui avait enfoncé sur la tête. S'ils restaient trop longtemps, les cheveux de sa frange allaient coller sur son front et faire couler des gouttes de sueur dans ses yeux. Et il n'avait pas hâte non plus de voir les auréoles sur sa chemise.

Oh non, ce n'est pas la première fois que je viens ici! dit-il sans se retourner vers celle qui lui avait posé la question. Il cherchait la plante tout en conversant. Plus précisément, il cherchait les plantes de la même catégorie, espérant que le rangement des plantes vénéneuses était semblable à celui des plantes médicinales.

Je viens souvent chercher de quoi faire les remèdes à l'infirmerie.

Cette fois-ci, il s'était retourné vers Ecume. Il poursuivait son cheminement dans la serre, à reculons.

J'aime pas quand le boulot est fait de travers, donc j'en fais un maximum tout seul. Comme ça si c'est mal fait...

Il se retourna pour marcher à nouveau dans le bon sens.

...je ne peux m'en prendre qu'à moi-même

Il s'approcha d'une des plantes, qui n'était pas du sang-dragon mais se trouvait néanmoins sur leur liste d'ingrédients.
Asclépiade tubéreuse! déclara-t-il fièrement. On devrait en prendre, pour éviter à Zhurong de tomber à cours de ça aussi. Qu'est-ce que tu en dis?