Tick tick...boom! [Mante]

Avoir l'autorisation - le devoir, même! - de créer des fioles d'explosifs avait quelque chose de libérateur pour l'enrôlé qui avait passé tant de temps à essayer de se faire passer pour un moldu. Avant cela, il devait se faire passer pour le sorcier le plus inoffensif qui soit, afin d'éviter d'attirer l'attention sur lui ou sur sa famille. Pour ce que cela avait servi! Il prenait donc un malin plaisir à fabriquer des substances destinées à faire beaucoup de bruit et à causer beaucoup de dégâts. Certes, Pombero leur apprenait aussi à créer des dispositifs plus "discrets", destinés à faire en sorte que l'ennemi ne puisse constater les dégâts que lorsqu'il est bien trop tard pour les limiter. Mais pour Cormoran, cela n'avait pas d'importance. Tant qu'il pouvait demander à son imagination de jouer le concert des explosions dans sa tête, cela lui convenait.

Si l'on voyait l'enrôlé Occamy assis à une table de la bibliothèque, la tête penchée sur un livre, prenant des notes sans un bruit, il était difficile d'imaginer qu'il travaillait sur des explosifs. Mais ceux qui commençaient à le connaître savaient que, derrière cette attitude calme et patiente, n'importe quelle pensée pouvait se cacher. Parfois, il s'agissait de souvenirs tristes concernant sa famille. D'autres fois, il pensait à une quelconque créature magique et à quel point il serait heureux de pouvoir en domestiquer une pour faire la course en balai ou simplement avoir de la compagnie. Aujourd'hui, c'étaient les explosifs. Sur son parchemin, il notait plusieurs idées de combinaisons d'ingrédients et de modes de préparations. Son écriture brouillonne passait pour de la cryptographie, et les taches d'encre en forme d'empreintes digitales dont ses notes étaient recouvertes n'arrangeaient rien. De plus, la pâte de fruits qu'ils avaient tous reçu et qui leur avait donné la capacité de parler un anglais parfait avait eu un effet inattendu sur sa manière de prendre des notes: lui qui auparavant mélangeait français courant et argot vulgaire mélangeait à présent tous les niveaux de langage de l'anglais et du français dans ses notes, créant une sorte de bouillie linguistique n'ayant de sens que pour lui. Pendant un cours sur les moyens de communication, Soumaworo avait cité ses notes comme exemple de "mauvais chiffrement" car "un chiffrement n'est utile que si le destinataire du message peut le comprendre"

Autour de Cormoran, des enrôlés allaient et venaient, aussi silencieux que possible. Il jetait parfois un regard par dessous ses cheveux qui tombaient en rideau de chaque côté de son visage, au cas où une tête connue viendrait dans sa direction. Et il en repéra une qu'il n'avait pas vu depuis si longtemps qu'il en resta interdit.

Oh non c'est pas vrai, pensa-t-il alors que des souvenirs de Beauxbâtons refirent surface. Ils étaient trois frère et soeurs, et avaient été envoyés d'Inde pour étudier en France pour une raison qui lui échappait. Ils passaient leur temps à faire des blagues à tout le monde. Et la benjamine du trio, celle qui s'en sortait toujours en attendrissant tout le monde - comme le faisait également la benjamine de sa propre fratrie - était là, dans la bibliothèque de Rementor. Quelles étaient les chances pour que cela arrive?Il avait dû se tromper, et la confondre avec quelqu'un d'autre. Il la regarda, discrètement, afin de s'en assurer. Au moment où il comprit qu'il ne s'était pas trompé, son regard croisa le sien. Par réflexe, il baissa la tête et se replongea dans son livre.
Merde, elle m'a vu...

Tick tick... boom!

Cormoran

Et au détour d'un lieu que je ne pensais connu de nul autre, j'ai croisé des yeux que j'avais déjà vu chez un autre, des yeux que je ne pensais plus jamais revoir.

Je ne peux nier que cette nouvelle vie, ce nouvel entourage, cette nouvelle mission d'avenir a été la bouffée d'air qu'il me manquait depuis tant d'années. Je n'ai enfin plus à supporter ce gros lourdaud et mon entourage qui l'adulait comme s'il avait inventé la machine à courber les bananes. Au début j'ai beaucoup douté de moi et de ma capacité à faire ce qu'il faudrait sur le terrain pour accomplir mes missions. Être restée si longtemps oisive sans but et sans distraction enfermée dans ma cage dorée m'avait quelque peu ramollie je dois l'admettre. Mais mes quelques réflexes sont revenus assez vite et ma niaque, mon envie de me surpasser ont de nouveau faits parties de moi à par entière.

Ayant gagné en maturité depuis ma scolarité à Beauxbâtons, je n'irais tout de même pas jusqu'à dire que mon envie de faire des farces et bêtises en tout genre ait complètement disparue, mais je me tiens plutôt sage pour l'instant. J'estime ne pas avoir encore suffisamment tissé de liens avec des personnes de confiance pour les embarquer dans mes insubordinations, mais ce n'est pas l'envie qui me manque. Des fois je me demande si je ne devrais pas dire adieu à cet aspect de mon ancienne vie, après tout j'étais tout de même une sacrée petite peste, j'en ai embêté du monde et pas que dans le corps enseignant. Il s'agit d'une quête sérieuse pour la liberté qui se joue ici, dans ce domaine, et peut être que je devrais l'être moi aussi totalement. Mais je ne peux m'empêcher de penser qu'une ou deux incongruités ne feraient pas de mal au moral des troupes, histoire de rire un bon coup tous ensemble... Ou presque.

C'est très sérieusement que je décide ce matin de me rendre à la bibliothèque pour me renseigner sur certains sorts que je ne maîtrise pas encore tout à fait, du moins pas suffisamment à mon goût. Etudier n'a jamais vraiment été mon fort je dois l'avouer, mais j'ai pris une résolution en arrivant au domaine, celle de me donner à fond dans ce que je ferais, et aujourd'hui cela consistait en quelques recherches dans la bibliothèque, ce lieu que je fuyais allègrement lors de ma scolarité, si ce n'est pour y faire quelques crasses à mes camarades. Après une pause de midi bien méritée, je me remets au travail, du moins c'est ce que j'avais l'intention de faire en entrant dans ce temple de la connaissance. C'était sans compter ce visage, aperçu au détour d'une étagère. Un homme, plutôt imposant, à la longue chevelure rabattue de part et d'autre de ses yeux, gribouille sur un carnet encadré de plusieurs livres.

Nos regards se croisent juste au moment où je me dis *tiens, sa tête me dit quelque chose à celui-là* et c'est à ce moment que cela fait tilt dans ma tête, comme si deux sors venaient d'entrer en contact. Sauf que lorsque le souvenir de ce jeune homme, un peu plus âgé que moi, subissant nos railleries et entourloupes à mon frère ma sœur et moi, me revient en mémoire, d'un coup l'expression presque heureuse de voir un visage connu sur ma propre face vire à la gêne et à un certain inconfort immédiat. Je ne pensais pas qu'un jour j'en viendrais à recroiser des camarades de Beauxbâtons et encore moins que mes méfaits dont j'étais si fière finiraient par me mettre mal à l'aise. C'est donc ça l'âge adulte et la sagesse qui est censée nous tomber dessus avec, j'ai du mal à me faire à l'idée, là tout de suite, surtout qu'il m'a vu, il a vu que je l'ai vu *et là tu fais quoi hein grosse andouille ? Oh tu fais moins la maligne ça c'est sur !*.

Un sourire toujours aussi gêné accroché au visage *ouh que t'es pas belle* je me rapproche de lui, mes livres fraîchement trouvés dans les bras. " Euh, excuse-moi, mais tu ne serais pas un ancien élève de Beauxbâtons par hasard ? " *Oooh, mais oui bien-sûr, feindre l'ignorance, c'est certain que c'était le meilleur moyen de briser la glace et de retrouver une relation sainement détendue après toutes ces années ! Non mais franchement des fois je te jure tu m'exaspères* Un psy digne de ce nom aurait surement dit que je souffre d'un certain manque de confiance en moi qui fait que souvent je m'auto-réprimande comme ça, ou encore que mes larcins passés n'étaient que le moyen de crier au monde que j'existe et de demander une attention que je jugeais ne pas recevoir ... Mais bien-sûr, j'étais surtout très contente de pouvoir effacer cette image de la petite fille parfaite une fois la maison loin derrière moi.

Made by Neon Demon

Elle l'a vu. Elle s'approche avec sa pile de livres. Cormoran feint de ne pas la voir. Mais il ne peut pas s'empêcher de se demander pourquoi il le fait. Elle a certainement changé depuis l'époque de Beauxbâtons. Lui-même a changé. Il n'a plus toute cette acné juvénile sur le visage, il a abandonné son vieux rêve d'aller étudier les dragons, il a même abandonné le quidditch. Il n'a pas changé en bien, il le sait. Les années passées à tenter de vivre comme un moldu lui ont retiré tout ce qu'il aurait pu devenir. Et si elle était passée par une période similaire? Elle aurait aussi pu simplement avoir mûri. Mais, étrangement, il avait du mal à imaginer que cela puisse être possible.

Elle avait rejoint sa table et s'était adressée à lui, lui demandant simplement s'il n'était pas un ancien de Beauxbâtons. Tandis qu'il s'ordonnait mentalement de ne pas se comporter comme un con, il releva la tête vers la nouvelle.
Euh, si. Toi aussi, à moins que je me trompe?
Il ne savait pas s'il devait lui sourire ou se montrer surpris, voire méfiant. Il venait d'admettre qu'il l'avait au moins partiellement reconnue, mais ne voulait pas montrer à quel point. Prisonnier entre tous ces choix possibles, son visage affichait un mélange de tout cela: un sourire en coin, un sourcil froncé et l'autre relevé, les yeux un tantinet trop ouverts. Heureusement il s'aperçut de la probabilité qu'il ait l'air d'avoir avalé par accident un des explosifs sur lesquels il travaillait. Alors il secoua la tête comme pour éjecter son expression et se leva pour faire face à la nouvelle.
Par contre, ici on ne dit pas nos vrais noms. Du coup si tu t'en souviens, ça serait....disons, sympa de l'oublier?
Il sourit. Secrètement, il espérait entendre à nouveau le diminutif de son véritable prénom. Cela signifierait qu'il n'avait vraiment plus à se cacher du monde. Et tant pis si le diminutif en question était ridicule et sonnait comme le prénom de la poupée à rubans d'une petite fille particulièrement niaise. Cela vaudrait le coup.
Moi c'est V...Cormoran
Son prénom avait failli s'incruster dans ses mots, comme s'il luttait pour ne pas se faire oublier.
Cormoran, comme le piaf qui vit sur les plages. Et toi?

Il réalisa alors qu'il ne se souvenait plus du prénom de celle dont il se rappelait pourtant les exploits. Il n'était même pas certain de se souvenir de celui de son frère qui était plus proche de lui en âge et qu'il avait davantage côtoyé. C'était très bien, il lui suffisait donc de continuer de l'ignorer.