Les tableaux dans la salle de cours ? La surprise polie et de bon aloi de la jeune femme laissa place à un léger sourire. Evidemment, elle les avait repérés, s'amusant parfois à tenter de les déchiffrer entre deux prises de note lorsque son esprit s'égarait loin du cours. Elle n'allait pas l'admettre devant son professeur cependant. Il n'était pas de bon ton de sous entendre à quelqu'un qu'il pouvait, à l'occasion, être source d'ennui. D'autant plus que ce n'était pas tant sa faute à lui que la sienne à elle. Son éducation ne lui avait jamais laissé aucune chance pour se trouver des raisons ou des excuses. Chaque manquement à une règle plus ou moins obscure était punie avec la dernière des sévérités, souvent sur le dos - au sens propre- des gens qu'elle aimait. A côté de ça, les cours de Durmstrang avaient été une sinécure. Se retrouver avec des longueurs de parchemin à faire ? C'était rien. Elle hocha la tête, montrant qu'elle avait entendu et pris en compte la suggestion. Pas besoin d'abattre des cartes inutiles. Autant les garder pour plus tard, on ne savait jamais.

"En effet." assura-t-elle tout en lui laissant le temps nécessaire pour l'analyse du plateau. Son geste esquissé était intéressant tiens. Celui qu'il avait finalement choisi aussi et elle se laissa un instant aller à une profonde réflexion sur les différents coups possibles, et les anticipations logiques. Sycomore avait le chic pour connaître les statistiques et les chances de déplacement d'un pion par rapport à un autre en fonction d'un tas de données complexes. Seulement...les sorciers n'étaient pas des robots. Ils étaient biaisés et leur logique boiteuse. Les stats aidaient mais ne faisaient pas tout. Elle avait une autre approche. Au fond, elle était d'accord avec son professeur.

"C'est cela. Seulement les erreurs peuvent se provoquer. C'est là que l'intelligence rentre en ligne de compte. Dans un duel en face à face, qu'il soit baguette à la main ou au travers de pions sur un plateau, l'étude de l'adversaire peut mener non seulement à anticiper ses actions mais aussi à les orienter. Ce n'est pas possible via un message codé, même si l'on en connait le rédacteur car lorsqu'on le reçoit, il est déjà rédigé. C'est comme... apparaître au milieu d'une bataille. Le sort est déjà lancé. Les erreurs sont déjà faites ou non."

Elle réfléchit une nouvelle fois et déplaça un pion, toujours en protégeant ses arrières dans une politique de débordement de plus en plus visible, malgré quelques pions encore disparates plus loin sur le plateau.

"Tout comme le rédacteur a le temps de se lire et de se relire pour corriger d'éventuelles failles. L'instantané n'a pas lieu dans les duels de codes... ne pensez-vous pas ?"

Là encore, c'était une vraie question. Elle adorait déchiffrer les codes, jouer avec celui qu'elle avait avec son frère, s'amuser des règles diffuses des différentes langues. Mais jamais elle n'avait jamais été en danger d'être décryptée. IL n'avait pas conscience des messages qui passaient entre ses enfants. IL croyait toujours à la télépathie gémellaire et les deux sang-pur s'étaient bien gardés de le détromper.

Il n'avait désormais plus qu'un seul pion à déplacer avant que la fameuse stratégie qui n'avait pas encore de faille connue ne soit en place. La pauvre Aubépine allait se retrouver sans issue. A moins qu'elle ne trouve la fameuse faille? Plus il l'entendait parler, plus il était convaincu que la jeune femme en était capable. Elle avait l'esprit bien plus affuté que celui de la plupart des enrôlés. Quant aux instructeurs, ils avaient sur elle l'avantage de l'expérience et de la maturité, qui n'était pas si conséquent que cela. Si elle trouvait le moyen de déjouer la "stratégie imbattable" avant lui, il n'aurait certainement pas à en rougir.

C'est certain! Les analogies ont leurs limites. Un duel de l'esprit et un duel magique sont très différents. Par exemple, je peux en remontrer à plus d'un en duel de l'esprit, cependant...

Il secoua la tête, soupira et avança son dernier pion, celui qui scellait le "piège" attendu.

...je ne me risquerais pas à provoquer quiconque faisant partie de notre infanterie en duel! Mon seul avantage serait de prendre un visage si effrayant qu'ils en tomberaient dans les pommes.

Il n'appuya pas son propos par la transformation qu'il avait en tête. Il était hors de question d'effrayer qui que ce soit, et encore moins dans une bibliothèque pleine de gens qui en recherchaient le calme.

Ou peut-être une apparence inoffensive, pour stimuler une sorte d'instinct de protection chez mon adversaire?

Il feignit de réfléchir, le regard dirigé vers le plafond et les sourcils froncés, tandis que sa peau pâlissait et que ses cheveux se lissaient. En quelques secondes, son visage s'était mué en celui d'une Cassiopeia perdue dans ses réflexions. Il changea légèrement pour prendre les traits de Pluie, puis ceux de Lancelot.

Ou alors, je me fais passer pour celui qu'il faut garder en bonne santé si l'on veut pouvoir être soigné! conclut-il, sans réaliser à quel point le décalage entre sa propre voix et le visage du médicomage pouvaient être mal assorties. Ses cheveux raccourcirent à nouveau et retrouvèrent leurs boucles serrées, et sa peau reprit sa teinte d'origine. Tout était rentré dans l'ordre.

Mais trêve de bêtises! Je crois que c'est à votre tour.

Le piège se referma sur ses pions. En parallèle, elle avait aussi fomenté sa stratégie dans l'espoir de percer une faille dans le bouclier inexorable qui l'entourait. Déborder par la droite, telle était son idée, tout en détournant l'esprit de l'adversaire par un fer de lance pathétique sur la gauche, la tactique habituelle de ceux qui ne savaient pas ce contre quoi ils luttaient. La stratégie était un peu comme la magie moldue. Un art où l'important était de tromper l'adversaire. En parallèle, elle offrit un sourire poliment amusé et parfaitement dosé à son adversaire en réponse à sa plaisanterie sur le visage effrayant pour déstabiliser les collègues d'infanterie. On lui avait appris à rire aux blagues de ses interlocuteurs et elle avait à son actif un véritable arsenal de rires différents mais là, l'idée l'amusait réellement et elle préférait le cacher sous un sourire discret qui s'accentua en voyant Cassiopea puis Pluie apparaître. Elle ne pu cacher sa surprise lorsque Lancelot reprit avec la voix du métamorphomage. Elle baissa les yeux sur son échiquier pour cacher son trouble et remit en place une de ses mèches de cheveux, feignant de réfléchir réellement à la question.

"Utiliser l"apparence de Cassiopea serait prendre le risque de réveiller des instincts protecteurs de la part de plusieurs Selkie parmi les moins prévisibles et même d'autres enrôlés de brigades moins chaotiques." Elle comprise. Elle avait..quelque chose de proche de l'affection pour la brune discrète qui la suivait partout comme un bébé canard. Et puis l'écureuil de terre géant est MA proie ajouta le chat. "Pluie est très belle mais ses affections dédaignant la gent masculine pour le moment, je ne sais pas si ces messieurs se sentiraient concernés."

Il était clair que la snidget n'était pas encore prête à prendre ses responsabilités et à arrêter de jouer en cherchant l'affection chez les autres filles. C'était dommage mais ça la regardait. Si elle ne pensait pas que l'homosexualité soit quelque chose de réel et de sérieux, elle n'avait pas à juger ceux qui se laissaient tromper. Après tout, ça ne la regardait pas. Tant qu'on ne lui faisait pas d'avance malvenues. Quant à Lancelot...

"Et je doute que Messire Lancelot apprécie de se voir reléguer au rang de personne à protéger. Je ne le connais pas tant que cela mais de ce que j'ai vu, il serait plutôt du genre à aller au devant du danger pour prouver qu'il ne le craint pas..."

Elle connaissait de mieux en mieux l'instructeur de botanique et avait observé un certain dédain pour sa propre sécurité assortie d'une fierté masculine très affirmée. Syco était pareil. Fichus mâles, pensa-t-elle avec un sourire en déplaçant son pion vers le fer de Lance qui était sa diversion.

"Si j'étais vous, je tenterais plutôt l'apparence du jeune chiot. Personne ne peut faire de mal à un chiot." Elle ne connaissait pas assez la métamorphomagie pour savoir s'il était ou non possible de se transformer en animal. Elle savait par contre que le chat en elle crachait rien qu'à penser à tricherie des bébés chiens.

Soumaworo sentit qu'il avait touché un point sensible avec l'une de ses transformations. Il n'avait rien dit lorsqu'il avait pris le visage des deux jeunes femmes. Mais il avait parlé lorsqu'il avait le visage de Lancelot. C'était sans doute la cause de sa surprise. S'il avait donné de sa voix grave alors que son visage était celui de Cassiopeia, la surprise de l'enrôlée aurait sans doute été plus grande encore. Mais il pressentait qu'il y avait autre chose...

Il sourit cependant lorsqu'Aubépine qualifia la brigade Selkie de "chaotique". Selkie comprenait Moineau et Ortie, après tout. Mais Zouwu comprenait aussi Jaguar, après tout. Cela suffisait sans doute à en faire une brigade "chaotique" elle aussi. Et du côté de Snidget, il y avait Lion et...lui-même. Le chaos était très présent dans cette brigade également. Occamy, de son côté, avait Turaco et Cloporte. Chaque brigade avait son élément de chaos, mais savoir laquelle possédait le plus important d'entre eux était un tout autre débat...

C'est justement le but! Pousser les autres à me protéger si j'en suis incapable moi-même.

Quant à la remarque d'Aubépine au sujet de Pluie...Était ce là tout ce que l'enrôlée pensait des hommes? Qu'ils ne viendraient au secours d'une femme que s'ils pouvaient obtenir quelque chose ? Mais il dut admettre que cela était vrai pour une certaine catégorie d'hommes, et que l'intérêt de Pluie pour la gent féminine, loin de les repousser, les attirerait encore davantage. Il n'avait jamais compris cet intérêt qui paraissait pourtant commun à de nombreux hommes, et s'était souvent demandé s'il n'y avait pas quelque chose qui clochait chez lui quand il était plus jeune. Il avait finalement mis ça sur le compte de sa métamorphomagie qui lui causait tant de problèmes qu'elle occupait toutes les ressources de son esprit.

Lorsqu' Aubépine mentionna Lancelot partant au devant du danger, Soumaworo baissa les yeux et, secouant doucement la tête, émit un léger "tssk tssk" désapprobateur.
Mauvaise stratégie! Tout le monde sait qu'il faut garder les soigneurs en vie si l'on veut que les fantassins puissent s'en sortir! Il devrait causer un peu avec Musashi, ou peut-être Kerana, sur l'utilité d'un guérisseur en vie...

Sa suggestion de se changer en chiot lui fit lever un sourcil. Comment le ferait-il? En demandant à quelqu'un de le métamorphoser? En étant animagus puis en prenant une potion le faisant rajeunir?

Malheureusement, je n'ai pas ce pouvoir! L'animagie est une toute autre science à laquelle je ne me suis pas frotté. J'ai déjà bien assez de travail à maîtriser ceci!
Il pointa du doigt son oeil qui vira au doré puis au vert puis au rouge et enfin au noir.
Boudica l'a fait, et...j'avoue admirer sa maîtrise! Mais ce n'est pas pour moi...

Mais prendre l'apparence de la jeune femme était à double tranchant. Autant cela signifiait protection tant que l'on ne s'en rendait pas compte, autant, si la supercherie était révélée, cela pouvait être dangereux. Et s'il parlait avec cette voix, cela ne pourrait durer longtemps. La constellation avait beau être timide, personne n'était réellement muet sur une longue période, à moins d'avoir un empêchement physique. Communiquer était l'une des fonctionnalités les plus importante des êtres humains et ils se basaient surtout sur la communication orale. C'était stupide, pensait la femme-chat, car le langage corporel est plein de nuances et de finesses que l'on ne sait pas assez bien utiliser. Du moins en temps normal. Pour sa part, elle travaillait ses différents sourires depuis l'enfance et savait presque avant de marcher comment mettre un sentiment réel dans une révérence formelle. L'instructeur devait le savoir comme elle et elle ne jugea pas utile de le relever à voix haute. Seul, une rapide lumière dans son regard grave indiqua qu'elle n'était ni dupe, ni totalement convaincue.

"Vous prêchez une convertie." approuva Aubépine. "L'époque de la chevalerie qui voulait que les plus nobles et les plus instruits se trouvent au premier rang est heureusement révolue. Former un officier ou un médic est long et onéreux, ils sont trop précieux pour être sacrifiés comme de simple pions." Elle se mettait dans les rangs de ces derniers, tant que son frère pouvait rester à l'arrière et survivre. "Les instructeurs sont-ils destinés à venir avec nous en mission ou bien êtes-vous considérés comme des ressources trop importantes ?" continua-t-elle à interroger, curieuse de l'organisation du Domaine, sans jugement ni emphase, relançant simplement une conversation qu'elle n'avait pas envie de voir s'éteindre trop vite. Elle nota cependant l'admiration sur Boudica. Elle connaissait peu la métamorphomagie, qu'IL considérait comme impure car les vrais êtres humains n'avaient qu'une figure et du polynectar pour s'en fabriquer d'autres. Elle haussa mentalement les épaules. Soumaworo lui-même n'aurait pas trouvé grâce à Ses yeux. Il avait la peau trop sombre pour son Russe Blanc de géniteur.

"Je trouve cette capacité fascinante. Je me demande à quel point il est difficile de se forger une identité alors que l'on grandit dans un physique aussi mobile. Sans capacité à avoir un corps, changeant certes mais toujours là, toujours 'soi", qui fait barrière entre ce qui est nous et ce qui ne l'est pas, comment arrive-t-on à se construire ? Est-ce que vous pouvez dire "mes cheveux sont de telle couleur" parce que vous connaissez leur...je ne vais pas dire couleur naturelle, ce que vous faites est naturel je crois, mais disons neutre ? Au repos ? Ou bien est-ce que vous choisissez un physique qui deviendra "votre" apparence, celle que vous souhaitez en général, pour lorsque vous ne vous transformez pas ?" Rien à dire sur l'animagie. Elle ignorait si Soumaworo connaissait sa forme autre, s'il était réellement en train de penser à l'instructrice-oiseau ou s'il tentait de sonder le terrain. Quand tu n'as rien à dire, tais-toi, lui avait-on appris. C'est encore le meilleur moyen de ne pas faire de bêtise. Aubépine était sage. Toujours.

Aubépine tombait donc d'accord avec lui sur la nécessité de protéger les medics en combat. Cependant, elle employait des arguments bien plus...capitalistes que les siens. Des arguments qui rappelaient ceux qu'il avait lui-même entendus, et crus, au long de sa carrière. La guerre pousse à faire des choix, parfois. L'on peut se retrouver à choisir qui va vivre ou mourir lorsque l'on occupe un de ces postes "précieux", et il faut le faire de manière pragmatique. C'est une des horreurs avec lesquelles l'on se doit de vivre en temps de guerre. Et cependant, le fait de voir cette jeune femme évoquer cela avec un tel aplomb le dérangeait quelque peu. Etait-elle déjà endurcie par les manœuvres politiques et martiales qu'elle n'en était déjà plus émue? Ou pensait-elle réellement que les vies humaines pouvaient se classer par ordre d'importance? Cette seconde option serait de mauvais augure quant à la personnalité de la jeune femme. Ce principe était, après tout, à la base de ce qui régissait les méfaits de leur ennemi...

Il ne laissa rien voir de son inquiétude, excepté peut-être un mouvement de ses sourcils presque aussi expressifs que ses yeux à la couleur changeante. Il esquissa un sourire et répondit à Aubépine:

Je pense que, dans l'intérêt des enrôlés, les bons instructeurs resteront au Domaine tandis que les mauvais pourront être envoyés en mission. En cas d'accident, le Directeur aura une excuse toute trouvée pour les remplacer.
Il sourit et ajouta:
Si l'on m'envoie en mission, je serai fixé quant à mes qualités d'enseignant!
Il plaisantait à ce sujet, mais son inquiétude quant à sa légitimité en tant qu'instructeur était réelle et ne le quittait pas depuis son arrivée. Elle ne le quitterait sans doute jamais, alors il faisait avec. De toute façon, il n'avait pas le choix: il avait littéralement signé un pacte de son sang. Il devait bien cela à ceux qui l'avaient tiré d'une mort en bouillie, ainsi qu'à ceux qui allaient risquer un sort semblable.

Les questions que lui posa ensuite Aubépine l'intriguèrent, car il ne s'attendait pas à ce que quelqu'un d'aussi instruit ne connaisse pas cet aspect de la magie. Il tenta cependant de lui répondre de son mieux.

En réalité, nous avons une apparence, disons, "au repos" comme vous dites. Mais si j'en crois ce que m'a dit mon professeur à l'école, les métamorphomages ont en général une partie de leur corps qui change d'apparence plus facilement que les autres, parfois de manière non contrôlée. Pour moi, ce sont les yeux.

Il désigna son œil droit de son index, et colora son iris en rose vif avant de lui faire reprendre sa teinte dorée

Pour d'autres, ce sera plutôt les cheveux ou encore des marques sur la peau. Mais hormis mes yeux, les autres transformations me demandent un effort conscient. Disons que...
Ses yeux basculèrent vers le haut, le temps qu'il trouve une manière élégante de décrire ce qu'il voulait exprimer.
...lorsque j'ai fait quelque chose à mon apparence, je le ressens physiquement. Comme si je portais un vêtement auquel je ne suis pas habitué. Je sais que ce n'est pas vraiment "moi". Je pense que c'est un peu comme quand une femme porte du maquillage. Ou un homme, d'ailleurs. Je ne devrais pas oublier Brume!

L'instructeur portait un masque plus opaque encore que le sien aussi le froncement de sourcil, émotion laissée passée, probablement sciemment, du moins le pensait la jeune femme, ne fut pas perdue. Elle l'avait choquée par ses propos. Elle s'en doutait. Dans la rébellion, il n'était pas bien vu de parler aussi calmement des réalités de la guerre. Elle-même ne comprenait pas comment les autres enrôlés pouvaient se montrer aussi naïfs, aussi ouvertement séduits par l'image d'Epinal qu'était le Domaine. Elle n'oubliait pas l'extérieur. Les tortures subies par sa mère depuis des années pour les avoir aidé à s'échapper. Peut-être même était-elle déjà morte. Ils n'avaient aucun moyen de le savoir. Toute tentative de communication pouvait Lui donner la Preuve qu'il attendait pour se séparer d'elle, la remplacer par une plus jeune. Une plus docile. Elle ferma les yeux, tentant de chasser la culpabilité. C'était pour elle qu'ils avaient pris tant de risques. Parce qu'on lui avait réservé un époux, à dix-huit ans à peine et que mère ne voulait pas de cette horreur pour elle. Bref. Elle sourit à la tentative d'humour du sang-pur. C'était affreux, quand on y pensait. Cependant, elle était sensible à l'effort...et pas contre un peu d'humour noir parfois.

"Intéressant. Je crois que, pour les enrôlés, c'est l'inverse. Les missions seront réservées à une élite tandis que les mauvais resteront à l'arrière. L'équilibre cosmique est donc préservé."

Elle ne croyait pas à cette notion de karma ou elle ne savait quoi. Dans la religion hindoue, c'était sur plusieurs génération, plusieurs incarnations. L'univers se fichait bien de qui faisait quoi, pourquoi, et dans quel équilibre. Si cela avait été le cas, la magie noire ne serait pas maîtresse actuellement. Elle reprit son sérieux et reporta son attention sur les explications quant à la métamorphomagie. Elle n'aurait jamais ce pouvoir, c'était certain, mais elle pouvait être amenée à en croiser. Voire à en défaire. Et tout indice était bon à prendre. Elle hocha la tête.

"Et qu'est ce qui pourrait vous pousser à un changement non contrôlé ? Une émotion forte je suppose ?" En tant qu'animagus, elle savait que la robe de sa forme-chat changeait parfois en fonction des accessoires qu'elle portait. Son pendentif formait une spirale blanche sur son poitrail et le pic à chignon qu'elle arborait depuis peu avait modifié une tâche derrière sa nuque. Mais ce qui était inné, comme les premières manifestations de magie d'ailleurs, était souvent lié à des sentiments. Il faudrait qu'elle fasse des tests. Sur Turaco...probablement. A l'occasion. Elle n'appréciait pas plus l'occamy que cela. Peut-être Sycomore pourrait-il s'en charger. Ils étaient de la même brigade.

Tout en poursuivant ses réflexions, elle offrit un nouveau sourire à la plaisanterie de son ainé, continuant à tenter de déborder le piège mais voyant bien que sa stratégie était vouée à l'échec.

"Brume serait très blessé s'il se savait oublié, en effet." Autant elle n'était ni pour ni contre le bruyant Turaco, autant l'anti-conformisme de Brume l'attirait et la repoussait en même temps. L'idée qu'elle puisse lui être confiée un jour qu'elle serait blessée ne la rassurait pas du tout. Il faisait un bon couple avec Scorpion. Pauvre Lancelot qui devait s'arracher les cheveux sur les médics de sa brigade. Même Murène - avec lequel pourtant elle aimait converser - avait des principes qui ne correspondaient pas au médicomage en chef. Chacun sa croix, pensa-t-elle avec un nouveau sourire teinté de tendresse qu'elle fit rapidement disparaitre. Elle hocha la tête ne sachant vraiment comment relancer la conversation en dehors des platitudes.

"Je vous remercie pour ces réponses, elles ont été très instructives." Elle jeta ostensiblement un coup d'oeil au go-ban. "Et pour cette partie qui confirme ma défaite. Je reviendrais vers vous, si vous me le permettez, lorsque j'aurais une autre théorie sur le problème qui nous occupe." Il allait vraiment falloir qu'elle mette son jumeau sur le coup. Elle n'aimait pas échouer. Elle ne savait que trop bien ce que cela pouvait signifier, de l'autre côté.

"Un autre café vous serait-il agréable ?" il était impensable pour une hôtesse de décider d'elle-même de la fin d'un entretien alors qu'un homme était présent. Et Soumaworo réveillait définitivement ses instincts d'épouse (presque) modèle.[/color]

L'équilibre cosmique était préservé. Cette expression fit sourire l'instructeur. Effectivement, la gestion des troupes mettait en oeuvre une certaine notion d'équilibre. Une forme d'entropie où chaque décès serait compensé par un nouveau recrutement ou un remaniement des effectifs restants. Le jeu de go ne permettait pas cela, puisque le nombre de pierres était limité, bien qu'important.

Il réfléchit à toutes les fois où ses métamorphoses avaient échappé à son contrôle. Il y avait les innombrables modifications de ses yeux lorsqu'il apprenait encore à gérer ce pouvoir, bien entendu. Il y avait eu l'accident lié au parfum aphrodisiaque raté de Yeni, les colères qu'il contenait face à certains de ses professeurs mais qui se traduisaient par ses iris qui prenaient la couleur du métal fondu et ses cheveux qui se dressaient en épis grotesques autour de son crâne. Il y avait eu son premier rendez-vous avec Seyna, où ses yeux avaient changé cinq fois de couleur. Et, bien des années plus tard, ses cheveux qui se tressaient tous seuls quand il pensait à elle...

Oui, en effet. Des émotions fortes peuvent provoquer quelques changements. Et à l'inverse, une grande tristesse empêche les métamorphoses. Je n'ai pas été capable de changer d'apparence pendant les mois qui ont suivi le décès de mon épouse, par exemple. Et...oh, regardez! Voilà que mes cheveux reproduisent sa coiffure, encore!

Mi amusé, mi gêné, il plaqua ses mains sur ses tresses, le temps qu'elles disparaissent et que ses cheveux reprennent leur coupe courte aux boucles serrées, sans fantaisie.

Aubépine semblait prendre congé de lui. Il accueillit ses remerciement d'un sourire et d'un hochement de tête.
Oui, n'hésitez surtout pas! lui répondit-il, enthousiaste. J'adorerais enfin trouver comment se défaire de cette stratégie. Plus nous seront à y réfléchir, meilleure sera la solution!

Mais la voilà qui lui proposait encore du café. Il sourit, mais soupira en secouant doucement la tête.

C'est très gentil à vous, mais voilà que vous vous comportez encore comme un elfe de maison! Faites attention, c'est une faille que d'autres pourraient vouloir exploiter!

Tout avait une faille, les stratégies comme les gens. Lui-même ne faisait pas exception à la règle et en avait dévoilé plusieurs...

"Il est parfois difficile de se défaire de certaines habitudes. Je vous remercie." répondit-elle simplement, tentant au mieux de cacher l'éclair de colère que la remarque avait fait naître en elle; Une impression sombre, froide, gelée, au fond de ses iris bruns. Les elfes de maison, chez elle, étaient des êtres que l'on pouvait certes prendre en pitié mais qui n'étaient en aucun cas digne de confiance. Liés à leurs maîtres, on lui avait enseigné à considérer que tout ce qui pouvait être dit à portée d'oreille de ces créatures serait répété à ses maîtres. Ainsi, même chez elle, elle avait très tôt appris à garder pour elle ses pensées à et veiller à la présence ou l'absence des petits êtres. Elle n'était pas du genre à répéter, merci bien. Et, pourtant, elle savait bien que l'instructeur ne pensait pas à mal, au contraire.

Elle battit des paupières et la glace marron disparu de ses yeux, remplacé par l'habituelle détermination. Elle ne fit pas de remarque supplémentaire. N'offrit pas de condoléances pour l'épouse décédée dont il gardait visiblement toujours le deuil, même s'il tentait de le cacher sous de l'humour. A moins qu'il ne l'affiche que pour donner à l'ennemi une faiblesse visible qui dispenserai d'en chercher d'autres ? Possible. La mort, de toute façon, n'avait jamais été très éloignée de la vie de la sang-pur qui avait l'habitude de considérer ceux qu'elle appréciait - son frère excepté - comme étant en sursit. Comme sa nourrice, comme son amie vélane, tout un chacun pouvait disparaitre d'un coup et ne plus jamais donner de nouvelles. Plus que la mort, c'était à la négation de l'existence des être aimés qu'elle avait été confrontée. Au moins la mort laisse un souvenir.

"Vous devriez porter cette coiffure en permanence. Ainsi, personne ne pourrait savoir si elle est due à vos souvenirs ou non."

Elle s'inclina doucement.

"Bonne journée, Sire Soumaworo."

Et elle s'éloigna avant qu'ils ne se retrouvent pris dans une nouvelle conversation. Elle appréciait cet homme. Un peu trop. Ca aussi c'était une faiblesse que l'on pourrait exploiter. Comme son amour pour Lancelot. Elle se concentra sur le go. Syneska saurait trouver une solution. Il détestait absolument les absolus.