Il avait si peu d'occasions de se dégourdir les sabots avant d'arriver à Rementor...

Les moments de liberté comme celui-ci restaient assez rares, entre les cours et les sessions d'entraînement. C'est pour cette raison qu'il en profitait au maximum. Il ne se contentait pas de trotter à travers la prairie, non! Il accélérait, bifurquait au dernier moment autour des arbres, se roulait même dans l'herbe parfois. Lorsqu'il se relevait, des bardanes et des feuilles de chardons constellaient sa crinière. Cormoran ne s'en rendait pas compte. Il pesterait sans doute plus tard, lorsqu'il aurait repris sa forme humaine et qu'il lui faudrait brosser sa longue tignasse pour la débarrasser de ses saletés. Mais pour l'instant, il s'en fichait comme d'une guigne. Et puis, qui sait, il arriverait peut-être à convaincre un humain de lui brosser la crinière? L'étable des hippogriffes regorgeait de brosses, d'étrilles, tout aussi adaptées aux chevaux qu'aux créatures volantes. De toute façon, la rumeur disait déjà qu'il avait été enrôlé pour servir de cheval. Si c'était vrai, alors autant qu'il profite des bons côtés de la situation. Et si d'aventure on s'amusait à tresser n'importe quoi dans sa crinière, eh bien, il aurait quatre sabots pour se défendre.

Lorsqu'il se lassa de courir sans but, il ralentit pour reprendre son souffle. Il marchait au pas, et réfléchit à la possibilité de distancer un hippogriffe à la course. C'était largement possible, il en était certain. Mais il faudrait trouver un moyen de contraindre leurs ailes, qui seraient un avantage certain dans la compétition. En revanche, sa version humaine pourrait peut-être en distancer un en vol, sur un balai...
Alors qu'il songeait à ce défi qu'il tenterait sans doute de relever plus tard, il s'arrêta près d'un arbre et grignota une fleur qui poussait à son pied. C'était un autre des mystères de la dualité entre ses deux formes. Comment sa forme humaine pouvait trouver les fleurs aussi dégoûtantes? Perdu dans ces réflexions, il chercha d'autres fleurs à grignoter...

Je suis sur un arbre. Je suis si grand que je suis presque dans le ciel comme les oiseaux. D’ailleurs c’est eux que je chasse. J’ai compris pour les lapins. Ca a mis du temps mais maintenant je sais presque les attraper. C’était qu’il y avait pas trop de lapins dans mes anciens territoires de chasse. C’étaient des rats et des souris et des pigeons. Qui sont des rats avec des ailes. Même qu’ils sont trop bêtes pour faire leur nid dans les arbres, les pigeons. Ils les font dans des maisons d’humain moches. Dans des pics qui sont là pour leur DIRE de pas faire leur nid là. Vraiment, c’est même pas bon à manger tellement c’est idiot. On devient bête à les chasser. Moi je suis pas bête, alors je préfère les rongeurs. Eux sont intelligents. Sur mon arbre, y a pas de nid non plus. Y a un oiseau mais il s’envole et je me retrouve tout seul. Faut que je descende. Sauf que c’est haut le sol pour sauter quoi. J’ai des griffes mais je regardais tellement l’oiseau, j’ai pas vraiment vu comment je suis monté. Prudemment, je pose mes deux pattes avant sur le tronc. Je sors les griffes. L’écorce est épaisse, je suis pas sûr d’être bien accroché. Je remonte les pattes. Je vais pas miauler pour appeler à l’aide. Ce serait aussi idiot que l’écureuil de terre géant là. La Martre, fait l’humaine. Peu importe. Y a une ombre en dessous. Je regarde. C’est un trop-gros. Il mange de l’herbe donc c’est une proie mais il est trop grand pour que je puisse le chasser. Peut-être aussi grand que les oiseaux-pas-proies de l’Homme bête. Je me demande si lui aussi mange les lapins que j’apporte. Je commence à descendre sans y penser, le yeux rivés sur lui. Je veux monter dessus. Je suis sur que c’est chaud. J’aime le chaud. Et puis j’ai vu des comme lui avec des ailes. Peut-être il les cache. On pourrait chasser des oiseaux-qui-sont-pas-des-pigeons si c’est le cas. La branche sur laquelle je suis arrivée maintenant est assez basse pour…

Sauter. Sur le dos du truc. J’ai sorti les griffes parce que c’est pas très large pour me réceptionner. C’est chaud comme prévu et ça a la texture d’une proie mais en plus grand. C’est trop bien. J’ai presque envie de miauler tellement je suis content. Je suis au milieu de son dos, évidemment. Je n’ai pas visé la nuque, on sait jamais s’il était plus fragile que prévu, je veux pas le tuer, je pourrais jamais le trainer jusqu’à l’étable…

Quelque chose pique son dos, et Cormoran sursaute en se redressant brusquement.
Quatre piqûres, quatre petits faisceaux d'aiguilles qui se sont plantées au milieu de son dos. Comme si on avait joué à épingler la queue du cheval et qu'on avait raté quatre fois en même temps. Aucune guêpe ni aucun autre insecte piquant ne pouvait coordonner ses troupes de cette manière. Quoi que cela puisse bien être, c'était parti...A moins que cette drôle de sensation ne signifie que quelque chose prenait son dos pour un matelas? Il avait l'impression qu'on avait jeté un gant de toilette chauffé au radiateur sur ses vertèbres. Il se retourne, et toise la bête qui l'avait piqué et qui était effectivement toujours sur son dos.

Ce n'était qu'un chat. Un tout petit chat tacheté avec trop peu de viande sur les os. Il a dû rater son saut de la branche de l'arbre en voulant attraper un oiseau ou un écureuil. Le félin reste là, ne semblant absolument pas vouloir descendre de là où il se trouve. Cormoran continue de le toiser par dessous sa crinière blanche qui obscurcit une partie de son champ de vision. Le chat est trop loin pour qu'il puisse le pousser du bout de son museau, pour l'encourager à descendre. Alors il tente une autre approche.

Il secoue la tête, et repart en avant, effectuant une dizaine de pas rapides saccadés. Chacun de ses pas semblait dire: "allez, descends, petit chat! Ce n'est pas stable, ici. Tu vois, ça secoue, tu risques de tomber". Il pensa à trotter un peu, pour faire tomber le chat qui, sans aucun doute, retomberait sur ses pattes. Mais le félin risquait de s'agripper davantage, en utilisant ses griffes. Etait-il donc condamné à devoir se promener avec un chat sur le dos? Certainement pas! On ne grimpait pas comme ça sur ses grands chevaux sans autorisation! Il l'aurait accepté si le chat le lui avait demandé gentiment, par exemple, en faisant un petit miaou assis entre ses sabots avant. Un miaou pour un transport, ce n'était pas trop demander! Au lieu de ça, le petit félin l'avait pris pour un griffoir.

Il fit demi-tour et avança jusqu'à l'ombre de l'arbre duquel était tombé le petit chat. Il leva la tête, et réalisa que le chat était sans doute grimpé dans l'arbre pour ne plus pouvoir en descendre par la suite. C'était typique des chats. Leurs ennemis jurés: les arbres sur lesquels ils peuvent grimper mais pas redescendre, et les portes qui ne sont jamais ouvertes lorsqu'ils veulent les franchir. Il fléchit les pattes et se coucha par terre, abaissant la hauteur de son dos jusqu'à une distance qui permettrait au chat de bondir par terre sans danger. Il attendit que le félin comprenne qu'il n'y avait plus rien à craindre.
Allez, petit chat, tu peux descendre...

Ca saute. Ca bouge. C'est amusant. Je m'agrippe un peu pour pas tomber mais il est large alors ça va et je rentre les griffes. Sa tête se tourne. Il a un nez qu'est plus grand que nous. Je ne le regarde pas, il ne le mérite pas et puis je vois très bien sur les côtés même en faisant mine de rien. Et on part. C'est la première fois que je me fais déplacer par une proie. Ca m'est déjà arrîve que le Grand me déplace dans sa gueule mais ça c'est différent et c'est amusant. L'humaine me donne des conseils, elle sait comment faire pour tenir sur le dos de ces bêtes là. Par exemple quand il commence à secouer elle me donne le rytme pour faire et défaire le gros dos pour ne pas tomber et même pas que je tombe. Pas que je sois habitué à le faire, vous connaissez la chanson. L'animal fit demi-tour et retourna sous l'arbre pour s'allonger.

C'est un animagus comme nous, un cheval sauvage ne réagit pas comme ça, il aurait levé le derrière comme une catapulte, elle fait, l'humaine. Je sais pas ce que c'est qu'une chatte à pulte mais elle me l'explique et ça ressemble pas à un chat. Les humains savent pas miauler comme il faut. N'empêche qu'elle a raison parce que les proies ça réagit pas comme ça quand on les attaque et les prédateurs ça fait pas que sautiller et te regarder sous trop de poils. Là, il s'allonge quoi. On dirait le Grand sauf qu'il est pas digne celui-là. Bon. Il veut quoi ? Qu'on descende ? Certainement pas. T'es à moi Poilu. Et pour te le prouver, je m'assied sur ton derrière et je me lèche consciencieusement le poitrail. Même que si tu te dépêches pas, je continue avec l'anus. Elle aime pas ça mon humaine sauf que c'est IMPORTANT. Je me tords un peu, je me penche, une patte arrière derrière l'oreille et...je mordille un noeud dans le pelage de Poilu avant de le lécher. T'es sale, toi. J'suis sure que tu te laves pas assez souvent....

Allez, descends, petit chat. Descends...

Le petit chat refuse de descendre. Il ne pèse rien, et il semble bien là où il est. Décidément, ce sont vraiment de très mauvaises manières, de bondir comme ça sur le dos d'un cheval qu'il ne connaît pas sans même lui miauler une salutation. L'équidé marque sa désapprobation d'un ébrouement sonore, secouant sa crinière blanche. Il donne un coup de queue en direction du chat, comme pour se débarrasser d'un insecte ennuyeux. Le chat est hors de portée des crins, et il semble de toute façon trop occupé à faire sa toilette pour les remarquer. C'est une chance. Il aurait été fichu de jouer avec ses crins et de rester empêtré dedans...

Et voilà qu'il commence à tirer sur les poils de Cormoran. Ça le fait sursauter, et il se relève. C'est désagréable de se faire tirailler la robe comme ça. Et en plus, c'est insultant. Pour qui se prend ce félin, qui pense savoir mieux que les chevaux et les humains comment faire la toilette d'un cheval? Avec la fichue peur de l'eau typique des chats, il ne comprendrait jamais qu'une vraie toilette, cela se fait en se baignant dans un lac, en s'ébrouant et ensuite en courant partout pour que l'eau sèche plus vite! Et sans pouce opposable, impossible également de lui expliquer la manière humaine, avec les brosses et les étrilles. Comment pourrait-il tenir les outils, avec ses coussinets?

D'ailleurs, les pouces opposables ne seraient-ils pas la solution pour faire descendre le chat? Il n'en avait pas non plus. Juste des sabots et des naseaux. Il voulut pousser doucement le chat du bout du museau, mais jugea trop élevé le risque de récolter des coups de griffe. S'il partait au galop, sans prévenir? Non, il risquait de blesser le chat. Et un chat, même malpoli, cela ne mérite pas d'être blessé.

Bon, il était temps d'employer les grands moyens. La crinière de Cormoran changea de couleur, puis tout son corps rétrécit et ses sabots se changèrent en mains et en pieds. Lorsqu'il acheva de reprendre complètement sa forme originelle, il s'effondra dans l'herbe à plat ventre. Le déséquilibre habituel, avec cette fois-ci la complication liée au chat.
Il se retourna et souleva doucement le félin par la peau du dos, celle que les chats pincent entre leurs mâchoires pour transporter leurs chatons. Il le tint à distance raisonnable, pour éviter un coup de griffe de chat surpris sur son visage.

Hé, petit chat! dit-il doucement, la voix chantonnant comme s'il parlait à un jeune enfant. T'es mignon et t'es rigolo, mais là, je dois aller continuer d'embêter les volants. Et j'ai pas du tout envie que tu te fasses mal ou que tu me griffes l'arrière train!
Il reposa le chat sur le sol, devant lui.

Mais mais mais non ! J’étais tout bien en train de me laver et de laver le trop-gros pour lui donner mon odeur parce qu’il était chaud et confortable et qu’il sentait bon et que c’était ce qu’on faisait quand on aimait bien un truc, et il se met à tricher lui aussi ! Je miaule de frustration en le sentant changer sous moi et se transformer en humain. C’est quoi tous ces trucs qui ont des humains en eux ! Moi aussi, mais quand même. Je triche pas MOI. Je reste chat le plus possible et je fais ce que je dois faire et je prends mes responsabilités et voilà qu’on me prend par la peau du coup comme si j’étais un chaton. Je donne un coup de patte, mais dans le vide alors je me roule le plus possible de la force de mes muscles pour tenter de griffer la main qui me tient mais il est trop haut ou en tout cas j’y arrive pas alors je gronde et je crache un peu et je suis vexé parce que même si je suis un Petit Chat, je ne suis pas un chaton ! Je suis un adulte enfin un jeune et je suis fier et féroce et c’est pas toi qui commande, même si tu as des mains et je m’en fiche que tu embêtes les volants. C’est quoi d’abord un volant. Je demande à l’humaine mais elle sait pas et j’ai tellement envie de bouder que j’ai même plus la foi de chasser et je veux que l’humaine elle revienne pour dire au cheval de se retransformer tout de suite mais elle ne veut pas mais y a pas de raison que y ait que les autres qui trichent et elle dit que c’est de bonne guerre et je dis que la guerre c’est pas un truc de chat et que le bien non plus qu’il fait moins chaud et que je ne suis pas une proie et qu’il doit me lâcher alors elle dit qu’elle veut bien et on se retransforme, la peau de notre cou échappant un peu aux doigts du chevelu là, nos pieds retouchant par terre. Elle est habillée, toujours, avec un pelage bizarre en tissu fleuri qui s’arrête aux milieu des pattes arrière et avant même que c’est stupide parce que c’est ça qui touche le sol et risque le plus d’être griffé par les ronces ou attaqué par les puces. Elle écoute jamais. Au lieu de ça, elle regarde tranquillement l’autre là, et lui fait son sourire poli qui est l’équivalent humain du je me lave le poitrail avec les oreilles légèrement de côté genre je t’écoute pas et j’en ai rien à faire mais en fait si.

« Des volants, Cormoran ? »

Sa voix est douce, légèrement amusée mais sans moquerie, juste faite pour dire des choses sans avoir à s’excuser ou à dire bonjour. Là c’est quelque chose sur lequel je suis d’accord. On s’excuse jamais de ce qu’on fait quand on est chat. Parce qu’on a raison de le faire. On SAIT. Vu qu’on est chat. Logique.

Le petit chat grandit, grandit...

Oh putain merde!

Cormoran recule et tombe en arrière. Il se relève, trébuche et retombe à nouveau. Enfin, il parvient à coordonner ses deux jambes et à se relever, faisant un pas en arrière, et dévisageant la femme qui lui sourit. Ce sourire lui rappelait l'expression d'un chat qui vaque ostensiblement à ses occupations de chat, comme pour signifier à son humain de compagnie - car si Cormoran n'avait pas de chat, il n'était pas dupe et savait que les chats n'avaient pas de maîtres comme les chiens mais des humains de compagnie - qu'il a d'autres choses à faire mais veut bien l'écouter quand même.

C'était Aubépine, d'une autre brigade, la soeur de Sycomore qui lui faisait partie de sa brigade. Elle parlait tellement de langues étrangères qu'elle avait forcément compris ses jurons en français. De toute manière, la plupart des européens non francophones connaissaient au moins le mot "merde". Les anglais, en tout cas, semblaient aimer ce mot.

Ben, euh...les volants, quoi. Les chevaux ailés, là-bas

Il désigne de la main la prairie, et ose à peine regarder Aubépine en face. Il l'a appelée "petit chat". Pire, "petit chat mignon et rigolo" !

Ils veulent pas que je traîne avec eux, poursuit-il, retirant une brindille de ses cheveux pour se donner une contenance. Et puis, ils sont hautains, avec leurs ailes à la noix...

Il les imite en grimaçant, étendant les bras de chaque côté pour mimer des ailes. Sa prestation ne dure que quelques secondes, juste le temps nécessaire à Cormoran pour prendre pleinement conscience de l'air ridicule qu'il est très certainement en train de se donner. Il se racle la gorge et poursuit son explication.

Du coup j'aime bien les embêter un peu pour me venger. Je cours à toute allure en les frôlant à peine, je passe en trombe devant eux quand je sens qu'ils s'apprêtent à décoller...

Cette explication lui semblait plus que légitime lorsqu'il avait ses quatre pattes. Mais à voix haute, sur ses deux jambes, il avait juste l'impression d'être un connard vindicatif. Il se racle la gorge à nouveau, comme pour faire disparaître de sa voix toute trace du connard vindicatif qui était en lui.

Mais qu'est-ce que tu faisais sur mon dos, au fait?

Il ose à nouveau la regarder dans les yeux. Aucune trace de connard vindicatif sur son visage calme, juste interrogateur avec un de ses sourcils relevé.

Jurons en français. C’était une belle langue, en effet, pour s’énerver. Moins efficace que l’arabe dont la rapidité d’élocution faisait de magnifique métaphores toutes plus insultantes les unes que les autres. Debout sur ses deux pieds, regardant le géant sur le sol, Aubépine sourit doucement, son masque bien en place ne laissant passer qu’un amusement poli, sans moquerie ni intérêt particulier. Il se releva et elle leva la tête, suivant son visage des yeux pour ne pas le blesser. Ce qu’ils sont grand, les garçons de sa génération. A croire qu’ils font tous la course à qui atteindra le soleil en premier. Icare semblait oublié, déjà. Le chat boude. C’est dans ses habitudes. Lui, s’en fiche que les autres soient grands tant qu’ils restent animaux quand lui l’est. Souvent, la jeune femme se dit que sa vie serait beaucoup plus heureuse si elle le passait sous sa forme animagus. Et puis, le souvenir du monde extérieur la rattrape et elle se rappelle pourquoi elle est là, sur cette terre.

Toutes ces pensées n’étaient cependant pas parasites au point de l’empêcher d’écouter la justification de son camarade. Enrôlé d’infanterie dans la même brigade que son frère, Cormoran ne lui était pas inconnu. Elle avait même eu vent d’une altercation entre les deux hommes. Elle n’en voulait à aucun des deux. La nuit n’était faite ni pour manger, ni pour cuisiner mais pour chasser, surveiller et boire. Le chat. Elle préférait dormir. Si possible dans les bras de son jumeau. Ainsi, s’Il rentrait, elle ne risquerait rien. Bref. Un rien d’amusement réel passa à travers ses pupilles sombres. Dans l’explication maladroite de l’animagus, elle reconnaissait l’influence de l’animal. Elle aussi était bien en peine d’expliquer ce que le chat en elle lui faisait faire. Elle remit une mèche de cheveux derrière son oreille.

« Je comprends, ils te refusent dans la horde alors tu leur montre tes compétences et ton self contrôle tout en leur imposant ta présence mais sans aller jusqu’à les défier tout à fait. » C’était de bonne guerre, d’un point de vue totalement territorial ou du moins, c’était ce que le chat lui soufflait entre deux bouderie sur les tricheurs et qu’au moins les « volants » n’étaient pas du genre à se transformer en humains et vous prendre par la peau du cou comme un chaton alors qu’on voulait juste dormir sur du poil chaud et qui bouge. Elle haussa les épaules. Pour elle, c’était de bonne guerre. On devait utiliser tous les avantages en sa possession, point. La vie n’était pas juste et il était idiot de croire que ce principe s’étendait au reste du monde.

« Nous nous entraînions à chasser les oiseaux et ta présence a intrigué le chat. Et puis tu avais une bourre sur le bas des reins. » C’était pas propre. Les chats savaient ce qui était propre et ce qui ne l’était pas. Il était important de garder le poil et le sous-poil bien peigné et exempt de saletés pour une hygiène correcte. « Il est parfois plus insouciant que moi et je lui permet quelques folies sans conséquences. » Tu ne me permets rien du tout. fit l’animal, outré, non sans raison d’ailleurs. Mais ça, Aubépine ne l’avouerait jamais. « Tu es animagus depuis longtemps ? »

Il détourna les yeux pour regarder dans le vague, hochant doucement la tête alors qu'il intégrait l'explication d'Aubépine quant à son envie de défier les chevaux ailés. C'était juste, et sensé. Et surtout beaucoup plus clair qu'un simple "ils m'aiment pas alors je me venge en allant les faire tourner en bourrique". Les mots n'avaient jamais été son fort. Et cela ne s'était pas arrangé avec toutes ces années à vivre seul, sans contact avec sa famille et sans réels amis. Les moldus sportifs du dimanche ne comptaient pas. Leur conversation enrichissait autant l'esprit qu'un tabloïd rédigé par des poltergeists dyslexiques.

La manière qu'avait l'enrôlée de parler de sa forme animagus comme d'une autre entité l'intriguait davantage. Il n'avait jamais perçu sa propre forme de cette manière. Humain ou équidé, il restait le même gars, avec les mêmes souvenirs, les mêmes perceptions, juste un corps très différent. Cependant, il devait bien reconnaître que son caractère changeait d'une forme à l'autre. N'avait-il pas eu l'impression, quelques minutes plus tôt, d'être pétri de mesquinerie envers les chevaux ailés ? Sans parler des fleurs dont raffolait sa forme à sabots, de la musique bruyante qui lui redonnait de l'énergie quand il avait deux pattes mais le stressait lorsqu'il en avait quatre,...

Mais  alors qu'il se tenait debout sous sa forme dépourvue de sabots, Aubépine lui parlait, sous sa forme dépourvue de griffes, d'une bourre sur son arrière train à lui. Les yeux de l'enrôlé s'écarquillèrent brièvement et il détourna le regard à nouveau. Sous les quelques millimètres de barbes qui recouvraient son visage, la peau prit une coloration assez proche de celle des coquelicots qu'il avait mangés. Une femme qu'il ne connaissait presque pas avait touché à son arrière train. La soeur de Sycomore, en plus! Si ce dernier l'apprenait, ils auraient encore des problèmes. Avec un peu de chance, elle ne lui en dirait rien. Mais c'était sans espoir. Bien sûr, qu'elle lui en parlerait. Ils étaient si proches que des rumeurs glauques circulaient à leur sujet. Ils se racontaient probablement tout.

Euh...sans conséquences? C'est...
Il rit nerveusement. Ces fichus chats et leur perception des conséquences!
Je préfère m'occuper moi-même de ce genre de choses, en fait. Soit je cours dans l'eau, soit j'attends de reprendre cette forme et je m'en occupe
Il joignit le geste à la parole. Sa baguette en main et un récurvite plus tard, la majorité des brins d'herbe, des bardanes et autres saletés coincées dans ses vêtements et dans ses cheveux avaient disparu. Le sortilège ébouriffa brièvement ses cheveux qu'il replaça hâtivement en utilisant ses mains comme des peignes grossiers.

Ca doit faire sept ans, répondit-il à la question d'Aubépine.
Il pouffa de rire, sincèrement cette fois-ci.
Quand je pense que j'ai voulu devenir animagus pour pouvoir me déplacer plus discrètement! Et je me retrouve en canasson - on pourra déjà repasser pour la discrétion - et une race pas commune en plus! T'as eu de la chance, d'être tombée sur une forme de chat.

Sans conséquences, oui. Pourquoi y aurait-il des conséquences à sauter sur un cheval pour lui faire sa toilette ? Que pouvait-il arriver de pire. Tomber ? Un chat ne tombe pas, il saute vers le bas. Et quand bien même, ils étaient souples et solides. Au pire du pire, les fractures ici étaient vite résorbées par des sorts de soin. Il n’y avait donc aucun vrai danger, aucune réelle conséquence. Sycomore aurait grogné que montrer sa nature animale en était une. Lui et sa manie des secrets. Elle préférait en révéler un peu pour que les gens croient tout savoir. Elle se retint de hausser les épaules, gardant son air impassible, poli et légèrement souriant tandis qu’il semblait nerveux. Jusqu’à ce qu’il se mette à rire à son tour et que le sourire de la jeune femme se fasse un rien plus amusé, toujours dans les limites de la politesse.

« Oui beaucoup de chance. J’ai toujours eu une affinité avec les félins. Même si d’un point de vue parfaitement utilitaire, mon chat n’est pas très efficient. Il est petit, a beaucoup de prédateurs naturels. Et lui aussi est une espèce plutôt rare pour ceux qui s’y connaissent. Un jour que je chassais, j’ai failli être ramassée par la fourrière moldue, je ne te raconte pas l’angoisse, d’autant plus qu’il ne m’était pas vraiment possible de me retransformer pour leur expliquer leur méprise. » Elle s’en était tirée grâce à son intelligence humaine, jouant sur les faiblesses de la loi irlandaise. « Mais ta propre forme n’est pas sans avantage. Je ne suis pas très calée en zoologie, cependant les chevaux sont endurants, peuvent porter de lourdes charges, marcher pendant plusieurs heures sans se fatiguer, ils peuvent transporter un camarade blessé… je serais bien ennuyée si Sycomore était blessé avec mes trois kilos et demi sous forme animale. » Nouveau sourire, toujours tranquille. « Et puis au moins, tu as la partie déplacement. Tu aurais eu l’air fin si c’était la discrétion qui l’avait emportée et que tu te sois retrouvé escargot ou plancton. » ou…elle ne savait pas quoi hein. De toute façon, l’animagus était une représentation animale de l’être profond. Elle était « le chat ». Elle le savait. Il exprimait des parties d’elle qu’elle n’assumait pas forcément mais était assez honnête pour reconnaitre qu’au fond, ils ne faisaient qu’un. Avec deux cœurs. Un peu comme son frère et elle. Elle haussa les épaules. Cette fois sans le retenir, devenant soudain plus sérieuse.

« J’ai lu que l’animal représente quelque chose de fondamental dans le sorcier qui l’abrite. Je ne te connais pas du tout assez bien pour en juger, évidemment, mais réfléchis-y. Que représente le cheval pour toi. En quoi il est toi. En quoi il est différent. Il parait par ailleurs que l’animal est également bien souvent proche du patronus que l’on produit. » Ce n’était pas son cas mais les livres étaient formels. Elle se rendit soudain compte qu’elle était (encore) en train de se mettre au-dessus des autres à réciter ses savoirs. Il fallait qu’elle se surveille à ce propos. Tous n’étaient pas aussi conciliants que Cassiopea. Elle remit une mèche de ses cheveux derrière son oreille.

« Pardonne moi, je m’emporte. Si ce n’est pas indiscret, en quelle créature aurais-tu aimé te transformer, si tu avais eu le choix ? » Un loup, répondit le chat en elle. Les mâles, ils veulent tous être des loups et en plus ça va loin et discrètement. Abrutis de chiens. Le mépris suintant dans son esprit la fit sourire, encore. Pour de vrai. Pendant une fraction de seconde. Abruti de chat.

Il l'écoutait raconter son affinité avec les félins, et les déboires de sa forme de chat. La fourrière moldue, le plus grand prédateur des animaux des villes. Après les voitures moldues, les animaux domestiques des moldus, les poisons moldus...
Les villes moldues ne sont vraiment pas de bons endroits pour tout ce qui n'est pas humain.

Lui-même n'avait jamais vraiment eu d'affinité avec les équidés. Il n'en avait presque jamais approché. D'ailleurs, il n'avait pas vraiment grandi entouré d'animaux. Il y avait ses parents, ses sœurs, les hiboux et personne d'autre. Ses premières créatures magiques, il les avaient vues à Beauxbâtons. Et effectivement, les créatures en question étaient ces gigantesques chevaux buveurs de whisky...

Aubépine lui dit, avec justesse, qu'il aurait pu finir escargot ou plancton. Il acquiesça, et sourit.
Son sourire se mua en éclat de rire, qu'il tente de contenir. Mais son hilarité, bien décidée à s'exprimer, le fit produire une sorte de grognement, jusqu'à ce qu'il craque et se laisse aller à rire, la tête penchée en avant, ses cheveux masquant son visage. Lorsqu'il se redressa, il fut obligé de replacer à nouveau sa tignasse derrière ses épaules.
Désolé, c'est juste que...
Nouvel éclat de rire, bref et rapidement maîtrisé. Il essuya une larme du bout de l'index, et poursuivit:
...t'as parlé d'escargot, donc j'imaginais une limace avec des cheveux. Des tifs tous collés avec de la bave, et ... Parce que, comme mon autre forme a des cheveux partout, même aux pattes, eh bien...

Laissant sa phrase en suspens, il inspira et continua d'écouter Aubépine. Cela valait mieux que de penser à des mollusques à fourrure. Ses conseils le firent sourire. Il avait étudié le sujet, tout comme elle, car c'était la moindre des choses lorsque l'on se lançait dans un apprentissage tel que l'animagie. Elle ne lui apprenait rien de nouveau. De plus, il avait eu le temps de réfléchir à tout ça.
Si j'avais eu le choix? Eh bien...quelque chose de plus petit.
Parce qu'il avait toujours été grand. Trop grand, même. Il n'aimait pas spécialement se prendre les encadrements de porte dans la figure, ni voir le haut de la tête de tout le monde.
Un chat, un chien, un reptile...Ou un oiseau! On fait ce qu'on veut quand on est un oiseau. On vole partout, un peu comme les frimeurs là-bas
Il désigna à nouveau les chevaux ailés.
Mais je me souviens avoir aimé le bruit des sabots tout de suite. Et courir, bondir par dessus des rochers ou des creux, la vitesse aussi...
Son visage se fit plus sombre lorsque la conclusion de toutes ses réflexions lui vint à l'esprit. Celle qu'il avait fini par admettre juste avant sa décision de rejoindre Rementor.
En fait, j'en ai marre de faire profil bas. La discrétion, c'est plus pour moi.
Il chassa de son esprit Anne, Chloé qui dénonce Anne, les nouveaux amis de Chloé qui posent tout un tas de questions indiscrètes.
Et toi, tu aurais préféré quoi? Un tigre? Un lynx? Un ocelot?
Un tigre aurait probablement essayé de le dévorer. Il avait de la chance de n'avoir croisé qu'un petit chat.

Les rires sont souvent communicatifs, c’est bien connu. Un comportement social fait pour désamorcer les conflits par le mimétisme lui avait-on enseigné en psycho-sociologie. Son sourire à elle, en réponse, se fit donc plus authentique, avec de vraies lueur d’amusement brillant dans son regard sombre. L’image en effet avait de quoi prêter à rire. La limace à perruque serait une petite icône parfaite pour représenter l’occamy. A réutiliser si un jour elle avait besoin de lui faire parvenir un message discret. Il comprendrait. Il était peu probable qu’aucun des deux n’oublie une pareille image.

« Trop d’information, jeune homme », fit-elle avec toujours son visage amusé, presque espiègle, « je n’ai pas envie d’imaginer où vous pouvez bien avoir des poils sur votre corps naturel. »

Elle savait parfaitement qu’il ne pensait pas à ça, bien sûr, mais ce genre de blague étonnait toujours, venant d’elle, et balaierait les prémisses d’une gêne ou d’excuses superficielles. Il n’y avait pas besoin de se justifier. Après tout, ils étaient deux enrôlés et pouvaient bien plaisanter un peu. Que pensaient-ils donc qu’elle était pour s’excuser d’un fou-rire ? Une petite poupée parfaite, sûrement. C’était ce qu’elle se donnait tant de mal à paraître, finalement. Ils reprirent leur discussion en cours et elle hocha la tête. Un oiseau c’était bien. C’était beau. Sycomore était une chouette, oiseau de nuit, symbole de sagesse. Rêveuse, elle se laissa aller aux chasses nocturnes avec son jumeau avant leur arrivée sur le Domaine et l’arrêt total de transformation de ce dernier. Et puis, d’un coup, elle remarqua que son interlocuteur s’était assombri. Pourtant, il parlait de course et de saut juste avant et… et probablement que la discrétion lui avait coûté beaucoup et qu’il s’était rappelé d’une des raisons de son engagement. Elle savait faire pareil à chaque fois qu’elle pensait à Lui et à ce qui était permis ou interdit. Comme rire par exemple. Rire était bruyant, pouvait Le déranger. Il ne fallait pas rire et elle ne riait jamais. Ou si peu.

« J’ai un faible pour les lynx, j’avoue. Ils sont chaud et juste assez grands pour ne rien craindre sans pour autant en imposer trop. Et leurs oreilles sont juste adorables. » Sourire, mèche remise derrière son oreille. « Mais l’ocelot est pas mal aussi. Au final, je suis contente de ma forme ». Lorsqu’ils avaient fait le rituel, ils ne souhaitaient que la discrétion. Pouvoir franchir les frontières sans attirer les soupçons et se laisser glisser loin de Son emprise. Une amie de leur mère les avait menés en cage, profitant de ce qu’ils étaient tous les deux des animaux « domestiques ».

« Et donc tu ne parles pas à ta forme animale toi non-plus ? Je commence à me dire que je suis la seule à faire ça. » Cassiopea n’y avait même pas pensé. Elle baissa la tête, puis reprit confiance et lui retourna son regard. « Tu veux bien garder ça pour toi ? Je n’ai pas envie qu’on se mette à dire que je suis à moitié folle. » Déjà qu’on l’imaginait perverse avec son jumeau.. « on risquerait de m’écarter des missions et je n’imagine rien de pire que de rester derrière alors que vous allez risquer votre vie… »

Il sourit lorsqu'Aubépine mentionne les oreilles adorables des lynx. Certains chats avaient des oreilles semblables. Les chats maine-coon, les plus grands des chats domestiques, à la fourrure longue et épaisse. S'il en jugeait par l'apparence de son alter ego Irish Cob, s'il avait été un chat, il aurait sûrement été un de ces géants poilus.

Ah non, je ne lui parle pas. Mais peut-être que je devrais m'y mettre...

Il ne comptait cependant pas essayer de sitôt. Il avait répondu cela par pure sympathie, juste parce que même si cela lui paraissait étrange, il n'avait aucune raison de mal juger la jeune femme.
Face aux concepts qu'il trouvait bizarres ou ne comprenait pas, Cormoran réservait tout jugement et adoptait une attitude patiente, attendant l'occasion d'apprendre davantage de choses à ce sujet ou de trouver des éléments qui l'aideraient à comprendre. Il appliqua ce principe à la manière qu'avait Aubépine de considérer son autre forme comme une autre entité. Il ne s'agissait peut-être, après tout, que d'une différente manière de vivre l'animagie. Ou d'un effet secondaire du rituel, qui se produisait s'il était exécuté dans un type de lieu précis, ou à une certaine date...
Tant de choses pouvaient entrer en compte lorsqu'il s'agissait de magie, il était d'autant plus nécessaire de garder du recul et de prendre garde aux conclusions hâtives.

Croix de bois, croix de fer, si je mens j'suis un hamster, promit-il, frappant son torse de sa main droite d'une manière théâtrale. De toute façon, il me semble que c'est à l'Infanterie de risquer sa vie, non? Pendant que l'Intelligence reste à l'abri, pour faire la guerre des cerveaux
C'était simpliste, et il le savait. L'Intelligence, c'était aussi l'espionnage, et ce type de mission pouvait se montrer très périlleux.
Mais j'ai aussi un petit truc à te demander
Il baissa le regard, la question qu'il s'apprêtait à poser lui rappelant la remarque concernant son arrière-train.
Je n'ai rien contre promener des gens sur mon dos quand j'ai mes quatre pattes et ma crinière blanche. Et encore moins des petits chats tous légers. Mais je préfère qu'on me demande avant. C'est...
Il sourit, et secoua la tête.
C'est sans doute cette histoire de rumeur, comme quoi je ne suis là que pour me faire...pour avoir une selle sur le dos. J'ai pas envie que les gens s'imaginent qu'ils peuvent tout se permettre avec moi. Donc si tu es en chat....je veux dire, est-ce que tu peux demander au chat de me demander la permission avec un petit miaou avant de me grimper sur le dos s'il te plaît?

Peut-être. Ou pas. Il faisait bien comme il le désirait. Au fond, si elle parlait au chat, c’était qu’il avait une volonté forte, une indépendance certaine et une fierté qui était assez révélatrice de sa race. Les chats du Bengale n’étaient pas tout à fait domestiques. Pas encore. Ils gardaient de leurs racines sauvages, leur force de petit félin qui doit survivre dans la nature hostile. Ils se donnaient mais ne se vendaient pas et se montraient toujours féroce envers ceux qui ne leur revenaient pas. Les plus gros félins étaient plus calmes, plus sûrs d’eux, un peu comme Digne l’était. Petit, le chat devait faire du bruit et s’agiter. Et puis il y avait cette insouciance qu’elle-même enviait et adorait. Enfin. Elle ne rebondit pas sur le sujet, se contentant de lever un sourcil surpris au serment de silence. Ce n’était pas quelque chose qu’elle connaissait ça. Elle sourit.

« Il faut bien qu’il y en ait qui se mouillent pour qu’on vous pointe dans la bonne direction. On aurait l’air idiot si vous partiez mourir dans le mauvais sens. » Les taquineries ne la gênaient pas, au contraire et en montrant de l’autodérision, l’occamy venait de monter de quelques crans sur l’échelle de l’estime de la slave. Au diable les gens qui se prenaient trop aux sérieux. C’étaient toujours ceux qui allaient droit dans le mur à répéter toujours les mêmes erreurs. L’humour était une arme. Au même titre qu’une baguette. Parfois même plus efficace encore.

« Dit-moi », reprit-elle, plus sérieusement lorsqu’il baissa la tête. Aussi vite qu’elle s’était détendue, la jeune femme se ferma. Elle n’était pas généreuse. Elle pouvait faire semblant, elle avait bien appris ce qu’il fallait donner et à qui pour garder bonne réputation mais la vie lui avait apprit qu’il fallait se méfier de ceux qui demandaient trop. Elle attendit puis sourit, soulagée. Si ce n’était que ça… je ne demande rien. Je suis un CHAT. C’est chez moi. Ah. Ca allait être plus compliqué que prévu. Elle eut un léger échange mental avec l’animal, tentant de trouver un compromis puis hocha la tête.

« On miaulera. Le chat dit qu’il ne demandera pas, c’est contre ses principes mais il veut bien prévenir et dire bonjour avant de monter, parce qu’il t’aime bien, t’es plus chaud que le caillou au soleil du Grand, explique-t-il. » Et moins digne aussi ajouta le petit animal qui refusait de concevoir que ce mot ne soit pas synonyme de « lent ». «Comme tu disais...croix de bois, croix de fer, si je mens je suis un hamster ?» Elle hésita. Puis reprit.

« Mais tu sais, tu ne devrais pas porter attention à ces rumeurs idiotes. Si on les écoutait, je laisserais la moitié du domaine me passer dessus lors d’orgie tout en ne couchant qu’avec mon frère. » Et c’était vraiment idiot, comme histoire, sérieux. Les bêtises d’Ardoise, Aubépine considérait qu’il y avait, tout au plus, un dixième de vrai dedans. Cela dit, c’était intelligent, pour diriger l’opinion. « Tu es arrivé après nous alors tu n’as pas entendu le discours de Monsieur le Directeur mais, crois-moi, il est beaucoup trop cynique » comprendre connard « pour embaucher des gens dont il n’a pas réellement besoin. Et complètement, pas juste à cause du hasard d’une transformation. S’ils veulent des unités montées, ils ont déjà des hippogryffes, des chevaux, et je parierais même sur des centaures. Je ne te connais pas » je sais juste que tu as attaqué mon frère dans les cuisines, une fois – « mais je suis certaine que tu as bien d’autres forces que ton animagie. » Elle haussa les épaules. « Et dans le cas contraire, c’est toujours plus glorieux que tous ces gens dehors qui subissent le fait accompli quand ils n’en profitent pas. »

Il acquiesça. Aubépine avait bien repris le serment idiot qu'il avait inventé à l'âge de dix ans pour faire rire sa petite sœur. D'ailleurs, cela avait fonctionné. A l'époque, Chloé riait encore de ses bêtises. Maintenant, elle riait des bêtises de gens dangereux, et il en faisait des cauchemars.

Il était sur le point de demander ce que c'était, le caillou au Soleil du Grand. Qui pouvait bien être ce "Grand"? Sans doute le frère jumeau. Les "grands" n'étaient pas si nombreux que ça, à Rementor. Puis Aubépine entreprit de le rassurer au sujet des rumeurs. Il sourit en l'entendant mentionner celles qui la concernaient. Les fameuses "orgies du samedi". Il avait blagué en feignant l'air outré qu'on ne l'ait pas prévenu desdites soirées. Qui était passé dans le couloir au moment où il avait déclamé sa boutade? Il ne s'en souvenait plus. Mais il se rappelait clairement le soupir exaspéré, qu'il avait reçu en guise de réponse et qu'il estimait mérité.

Je sais bien que ce sont des bêtises, se défendit-il. Et l'opinion de Monsieur le Directeur, je ne m'en préoccupe pas tant que ça. Au pire, elle changera quand j'aurai eu l'occasion de prouver ce que je sais faire
Et il ne se faisait aucune illusion: il pourrait détruire à lui seul toute l'armée du Seigneur Sombre et Monsieur le Directeur continuerait de l'appeler "Jean-Mouette". Cela prouvait bien le caractère futile du souci que l'on pouvait se faire au sujet de son opinion.
Ce que je crains, c'est les autres enrôlés, qui pourraient se dire 'oh tiens, c'est une bonne idée ce qu'il y a sur cette ardoise, attendons qu'il se transforme et faisons du rodéo!'. Non pas que je ne saurais pas me défendre, mais bon...
Il faudrait déjà qu'ils arrivent à le rattraper, avant de tenter un rodéo. Si d'aventure quelqu'un y parvenait, un coup de sabot dans le visage règlerait le problème. Et si cela ne suffisait pas, il reprendrait sa forme bipède, lancerait un sort ou deux parmi son répertoire offensif, et n'aurait plus qu'à repartir ensuite.

Il soupira, cherchant ses mots un instant. Il sembla les retrouver alors que son regard se perdait dans les brins d'herbe à ses pieds.
J'ai vécu seul trop longtemps, je crois. Seul à me méfier de tout le monde. Et des fois je suis à cran.
Il secoua la tête, et reprit:
En tout cas, je promets de ne plus t'attraper par la peau du dos. Croix de bois croix de fer, si je mens j'suis une grand-mère