La journée était belle pour un mois de septembre, la faute au réchauffement climatique pensait le jeune Suisse. Pour peu, le mauvais temps lui manquais... Mais bon, cela n'avait pas vraiment d'importance et il le savait. Et c'était justement parce que comparé à son grand objectif, ces petites choses n'avaient aucune importance qu'il fallait s'y accrocher encore plus. C’était bien ce que tout le monde faisait à Rementor, non ? Vivre leur petite vie du mieux qu'ils le pouvaient, faisant presque comme si de rien n'était... Et pourtant...

Un soupir s'échappa de la bouche du jeune homme qui était seul dans la réserve en pensant à ça et surtout au coup de pied dans la fourmilière qu'avait été le bal. Il prit une grande inspiration alors que son sourire se marquait un peu plus dans sa chaire et qu'il parcourait les étagères du regard. Lynx, dans son amour de la pâtisserie et son envie de se changer les idées avait trouvé que ce temps doux de septembre était parfait pour faire une tarte au citron meringuée, le problème, c'est que ça demandait toujours beaucoup d'œufs, plus que le nombre qu'il y avait dans les frigos... Enfin, c'était seulement en partie vrai... Car le frigo se remplissait toujours de lui-même avec un peu de temps... Mais d'une part le garçon n'avait pas envie d'attendre pour avoir plus d'œufs et surtout, il aimait bien faire son petit inventaire mental des réserves. Pour quelqu'un avec une obsession de la préparation comme la sienne, c'était important de voir ce qui était là, ce qui manquait, d'estimer à quelle vitesse les choses réapparaissaient ou disparaissaient.
C'était très apprécié par ses supérieurs quand il travaillait encore dans un magasin moldu nommé FNAC, il arrivait toujours à estimer quand il fallait refaire des commandes et avait appris la vitesse de livraison de chaque fournisseur, permettant un miracle de synchronisation évitant toujours la rupture de stock... Mais quelque chose lui disait que ce genre de compétence serait bien plus utile pour la logistique militaire contre le Seigneur des Ténèbres qu'il appelait toujours de son petit surnom personnel "Lord Vomidemort" qui lui avait trouvé étant enfant et n'a pas jugé bon d'y renoncer.

Bref, le jeune homme était là, a priori seul, avec ses cheveux en bataille et une chemise bleue claire sur le dos, il parcourait les étagères, même s'il savait pertinemment où se trouvait ce dont il avait besoin quand, il entendit quelque chose. Il ne dégaina pas sa baguette, mais gardait sa main juste à côté de cette dernière, d'une voix calme et amicale, il demanda :

Bonjour !? Il y a quelqu'un ?

Il avait un sourire doux et amical, car si c'était une autre recrue ou un elfe, il n'y avait pas de raison qu'il en soit ainsi et si c'était un ennemi qui s'était infiltré, au fond de lui, il aimait l'idée de le massacrer avec un air bienveillant.

A l'heure du déjeuner, quand tous les ventres avaient commencé à se diriger vers la salle de réception pour une pitance bien méritée, Écume avait attendu que le chahut des pas se calme et avait pris résolument la direction opposée. Elle avait marché un moment dans la prairie puis au travers des hautes herbes et s'y était allongée, après avoir pris soin de vérifier qu'il n'y avait pas de faune qui en serait dérangée. Elle s'était repassé plusieurs de ses cours de la semaine, les plus importants, du moins à ses yeux - ce qui ne coordonnait pas forcément avec sa spécialité. Elle faisait défilé devant ses yeux les longues heures d'instructions et les exercices qu'ils avaient réalisés en classe, elle repensait aux conseils et détails que les professeurs leur avaient donnés, pour s'assurer de les intégrer.

Quelques heures s'étaient écoulées alors que le soleil de septembre, rasant mais encore bien chaud, atteignant son zénith, embrasait la peau brune de l'africaine. Ce contact puissant et absent à la fois l'apaisait. Il lui rappelait son village, avant qu'elle soit privée des bienfaits de l'astre diurne. Elle aimait cette sensation, telle une créature au sang figé par le froid qui, lentement, se liquéfiait de nouveau pour éveiller ses membres engourdis. Elle pouvait rester ainsi indéfiniment. Elle le serait s'il n'avait été son estomac pour la presser de rentrer. L'étendue des qualités de Phébus était vaste mais, bien qu'il nourrit les cœurs, il ne comptait pas parmi ses talents celui de sustenter les corps.

À cette heure-là, le risque de rencontre était minimisé, ses camarades devant être retournés à leurs travaux. Leur réflexions suite au bal aussi, peut-être. Voire leur consternation. Elle avait eu le plaisir de rencontrer Aubépine le matin même et, bien que le moment fut agréable, il avait suffit à satisfaire largement ses besoins sociaux et elle ne tenait pas à devoir discuter de nouveau.

Ainsi, elle était rentrée seule au bâtiment principal et avait pris le chemin de la réserve pour s'y constituer un repas frugal mais plus consistant que les baies et fruits de la forêt. Surtout, elle évitait ainsi la foule du déjeuner. Cependant, lorsqu'elle poussa la porte pour entrer, qu'elle ne fut pas sa surprise de voir que la pièce était occupée ! Elle fit un pas en arrière, et se plaqua contre les pierres froides du couloir pour échapper à la vue de l'intrus, les sourcils froncés de contrariété.

Le temps d'inspirer, profondément, pour reprendre ses esprits, retrouver une contenance et se constituer un masque aimable, elle entendit la voix douce et grave qui appelait. Elle expira et passa l'ouverture, un sourire calme aux lèvres. Salut, dit-elle sobrement. Je ne voulais pas te déranger, désolée. Je ne fais que passer. Elle avança ensuite dans la pièce, silencieuse, longeant les étagères, son visage se levant suivant son regard qui parcourait les victuailles.

Puis, lentement, elle se tourna pour lui faire face et braqua ses yeux sombre sur l'Officier, sans agressivité. Reposée sur sa hanche gauche, les mains jointes dans son dos, elle laissait volontairement à son interlocuteur le plaisir de la détailler. Ses pieds nus étaient chaussés de simples sandales tressées blanches. Un drap de lin clair, décoré de motifs artisanaux et noué à sa taille lui servait de jupe. Il tombait jusqu'au haut de ses mollets, découvrant sa cuisse par l’entrebâillement du tissu. Clairement, Écume n'avait pas coutume de se couvrir. Un pull aux manches longues et bouffantes, confectionné de mailles épaisses de couleur framboise, cachait tout juste son nombril. Des herbes sèches s'y entremêlaient encore, reliquat de sa promenade. La femme avait lassé son cou d'une lanière de cuir noire et ses longues tresses cascadaient sur ses épaules.

L'interrogation venait à peine de s'échapper des lèvres du jeune homme et la seconde précédent la réponse fut interminable... Mais elle finit par arriver. C'était la voix d'une jeune femme avec laquelle il n'était pas encore très familier... Cela suffisait à le calmer, son sourire amical se renforça encore un peu alors qu'il chassait l'Expelliarmus qui emplissait son esprit la seconde d'avant.

La demoiselle à la peau sombre s'avançait tranquillement et s'excusa du dérangement. Lynx de son côté eux un infime haussement d'épaules répondant d'une voix joyeuse :

Pas de problème, faites seulement.

Puis tous deux se rendirent à leurs étagères. Lui, essayait de se souvenir d'elle, il savait qu'elle était nouvelle... Enfin, encore plus que lui. Ses yeux se plissaient doucement sous la réflexion, quand d'un coup, il claqua des doigts par réflexe pour marquer le fait que son cerveau pensait avoir retrouvé l'information cherchée. Il demanda alors, avant même de se tourner :

Écume c'est bien ça ? Ravi de vous rencontrer, moi c'est Lynx !

Sur ces derniers mots, il se tournait vers la demoiselle pour voir qu'elle le fixait déjà. La silhouette générale semblait fine, avec une espèce de jupe longue blanche et un pull en haut, cependant, le jeune homme trouvait particulièrement impolie d'observer les gens de pieds et caps, d'autant plus quand ils ne se connaissaient pas. Il se contentait donc, simplement de regarder son interlocutrice dans les yeux avec un doux sourire amical, n’ayant que les détails que sa vision périphérique lui laissait. Dans la même logique de politesse et de respect, il appliquait le vouvoiement à tout le monde, jusqu'à ce que la personne l'en dispense.

Rapidement il repensa au fait qu'il l'avait en effet que très peu croisée, même lors des repas, cela couplé à ses connaissances des stocks et la réaction de la jeune femme quand elle était entrée, il fit rapidement deux et deux. D'une voix sympathique, oscillant entre l'amusement et le conseil, il continua :

Alors, qu'est-ce que vous allez vous prendre de bon à manger aujourd'hui ? Si jamais, j'ai cru voir un nouvel arrivage de pommes fraîches là-bas. Dit-il en pointant une étagère un peu dans un coin... Puis, dans un second temps, il réalisa que cette remarque pouvait donner une mauvaise impression et se rattrapa, non pas avec un air gêné, mais toujours dans un aspect de bonne humeur. C'est pas que je vous espionne, je vous rassure... C'est juste que j'ai pas souvenir de vous avoir déjà vu dans la salle à manger. En plus, quand vous êtes entrée, vous étiez surprise de voir quelqu'un, mais vous n'avez pas sembler hésiter à vous diriger vers les étagères les plus intéressantes. J'en ai déduit que vous veniez souvent prendre à manger directement ici... Peut-être même pour éviter de croiser du monde oserai-je m'avancer ?

Ses analyses et réflexions avaient déjà causé quelque quid pro quo dans sa vie, il préférait donc les désamorcer tout de suite à présent. Et non, il n'arrêterait pas d'en faire, c'était l'un de ses principaux points forts et la raison pour laquelle il pensait avoir davantage sa place en tant qu'Officier qu'en membre de l'Intelligence.

Le jeune homme connaissait déjà son nom, ce qui ne surprit en rien la concernée. Elle s'attendait à être remarquée, non pas par vanité, mais par habitude. Bien qu'au domaine les enrôlés étaient bien plus discrets sur leur intérêt pour elle et leur appétit charnel.

Ravie de l'approche directe de son interlocuteur, qui la mettait à l'aise car elle en était familière, elle étendit son sourire.

- Tout à fait. Il la vouvoyait. De son expérience, deux catégories de personnes la traitaient ainsi : les hommes de pouvoir et de richesse, qu'elle avait croisés aux réceptions, par courtoisie ; et les maladroits qu'elle intimidait. Le fouineur de réserve ne lui semblait pas coutumier des galas et autres cérémonies mondaines. Enchantée Lynx.

Voilà un nom intéressant. Écume trouvait que ces alias en disaient long sur la personnalité des pensionnaires puisqu'ils le choisissaient eux-mêmes. Le lynx évoquait à la jeune femme l'idée d'une créature élégante, majestueuse, imperturbable. Un nom qui lui paraissait présomptueux et qu'elle considéra comme un besoin de compensation.

- Tu es de quelle brigade ?, ajouta-t-elle pour poursuivre les échanges de politesse. En accord avec la catégorie sociale qu'elle avait attribuée à Lynx, elle ne le vouvoya pas en retour.

Le félin se permit d'ailleurs d'insinuer qu'elle chapardait dans la réserve pour ses repas. C'était la vérité mais l'africaine ne souhaitait pas que cela se sache. Déjà parce qu'elle n'était pas sûre que cela soit autorisé, ensuite, elle ne tenait pas à ce qu'un intrus s'invite mais, surtout, elle considérait qu'une telle rumeur nuirait à sa réputation.

- J'ai déjà mangé, merci. Elle n'allait pas pouvoir expliquer qu'il ne l'ait pas croisé à la salle de repas. Il y avait sans doute du monde aux heures de repas mais, s'il l'avait remarquée, il se pouvait tout à fait qu'il ait cherché sa présence. Peut-être même avait-il cherché à l'aborder et s'était retrouvé déçu de ne pas l'apercevoir. Cependant, elle pouvait très bien déjeuner dans le bâtiment de sa brigade, ou même avec les instructeurs. C'est le type de faveur qu'elle se faisait facilement octroyer. Inutile, donc, de se justifier davantage. Il fallait cependant expliquer sa présence ici. J'ai besoin de nourriture pour les créatures du parc. Je suis venu en chercher, dit-elle en se dirigeant vers les fameuses pommes et en en déposant deux dans son pull qu'elle tenait de sa main gauche de manière à former un réceptacle.

- Et toi, que fais-tu ici ? demanda-t-elle en retour sans s'embêter à essayer de deviner, tandis qu'elle se avançait à présent vers les fruits secs avec lenteur. "Que fais-tu ici à l'heure de mon repas ?" se demandait-elle plus exactement, mais elle n'en montra rien car cela n'aurait pas été convenable. De plus, elle espérait évaluer le risque d'une future rencontre avec le Lynx s'il était un habitué de la réserve lui aussi.