J'ai mis quelques bois sur l'établi, des bois secrets et réconfortants, des bois chauds et farouches. J'ai pris des ingrédients qui résonnent bien, taiseux et protecteurs, solides et fiables, le genre à ne pas faire confiance à n'importe qui.

On devrait bien s'entendre, ce petit monde et moi.

C'est mon premier vrai test d'artefact. J'ai pris quelque chose de simple, comme m'sieur Odysseus a dit. Quelque chose qui me parle bien, qui pourra me servir aussi.

Quelque chose d'un peu plus gros que la petite fleur que m'sieur Odysseus a faite pour moi, aussi. Pas tellement. Un peu quand même.

Et quelque chose de peut-être un peu trop complexe parce que j'ai deux caractéristiques à y intégrer, mais j'ai eu du mal à trouver plus simple.

J'ai réfléchi, j'ai fait des plans, j'ai pensé à des combinaisons. Mais j'ai encore besoin de passer mes options en revue, de les sentir sous mes doigts. J'arrive pas encore à tout imaginer derrière ma feuille.

Face à mes échantillons, je prends le temps de les soupeser un par un, de les sentir sous mes doigts. Le chêne me parle bien. C'est un bois solide et puissant, un protecteur dont on fait des boucliers, des baguettes robustes, des meubles qui durent pour des siècles. Un bois de mystère aussi, sage et vieux comme le monde, aux pouvoirs occultes connus même des Moldus.

Mais pour ce que je voudrais faire ? Trop puissant. Beaucoup trop puissant. On n'utilise pas de la dynamite pour creuser le sable.

Thuya peut-être ? La racine a une belle symbolique, des souvenirs, des choses précieuses et anciennes... la source de la vie. Le passé qui permet d'avancer. C'est très solide aussi, mais peut-être un bois trop puissant comme le chêne, trop lourd de sens pour...

Olivier alors ? Le bois paisible et résistant, le bois qui rappelle un soleil inconnu que peut-être je trouverais trop tiède ou trop brûlant. Le bois de la paix.

Je le dépose à l'écart.

Une autre fois pour l'olivier. Je t'oublie pas.

Reste donc le charme. Le bois le plus personnel, le plus intime pour les baguettes. Je pense que ce sera le plus facile à accorder sur une seule onde.

C'est lui que je vais prendre.

Je ramène les autres bois à leur place. Quel ingrédient je vais pouvoir intégrer au charme, solide et fidèle ? Il a déjà tout. Peut-être que je pourrais... non, du crin de licorne serait trop puissant... oh ou alors... oui... oui, je vais prendre une coquille-joyau. Un coquillage aux reflets bleus, qui ressemble à un ormeau mais qui est plus connu pour la résistance de sa coquille. Les coquillages sont bons pour les secrets. Ils sont solides aussi, ça apportera une protection supplémentaire au charme. Et puis cette coquille est magnifique avec ses reflets irisés qui tirent vers le vert et le rose, mais ça à la limite on s'en fiche. On verra plus tard pour l'aspect esthétique.

Il faudra trouver comment les intégrer au bois... physiquement et magiquement. J'ai deux ou trois pistes, je verrai comment se présente le bois après travail.

Commençons donc par le commencement : découper mon cube en deux morceaux. Je pose des repères, un sort de protection autour du visage, et en avant Choupette.

Quand on passe trop de temps le soir à travailler sur un principe de brouillage de communications pouvant être appliqué à un patronus contrôlé à distance par son invocateur, l'on se réveille trop tard avec les yeux aussi cernés que son propre patronus. Ce principe se révèle particulièrement vrai lorsque l'on a pour nom de code Soumaworo et pour patronus une genette aux yeux cerclés de noir. Heureusement pour lui, c'était dimanche, journée libre pour tous. Il avait donc prolongé son sommeil suffisamment longtemps pour qu'aucune trace de son excès de travail ne puisse être visible sur son visage, qu'il aurait pu de toute façon modifier à sa guise. C'est donc frais et dispos qu'il attaqua cette journée de liberté.Entre deux visites à la salle commune du bâtiment Snidget, il se souvint qu'il avait gardé un petit coffret de matériel de test dans sa chambre: des pierres semi-précieuses, qu'il avait tenté de faire entrer en résonance par différents moyens qui n'avaient guère porté leurs fruits. Excepté, peut-être, si l'on considérait qu'une onde sonore faisant bourdonner toutes les vitres du bâtiment étaient fructueuse. D'une certaine manière, elle l'avait été. Elle n'aidait en rien ses recherches, mais il avait méticuleusement noté ce qu'il avait fait pour y parvenir et pensait en parler à Pombero lorsqu'il le croiserait, si ce dernier n'était pas trop occupé à chercher ses précieux cigares. En attendant, les gemmes n'avaient rien à faire dans sa chambre qu'il voulait garder aussi ordonnée que possible. Alors il décida qu'il irait les ranger dans l'atelier, plus tard dans la journée.

Lorsqu'il s'y rendit, il y reconnut Pivoine, la demi-vélane de la brigade Selkie. Elle semblait occupée avec des échantillons de bois qu'elle examinait, puis rangeait pour n'en garder qu'un. Lorsqu'il arriva à sa hauteur, elle commençait à découper le morceau qu'elle avait choisi. Soumaworo, tout en rangeant ce qu'il avait pris la veille dans l'atelier, voulut saluer la jeune femme mais cette dernière était trop occupée. En la regardant procéder, il reconnut les méthodes d'Odysseus, qui exploitaient beaucoup l'instinct et une sorte de "communion" entre le sorcier et ses matériaux. Lui, de son côté, procédait de manière plus directe et plus méthodique. Il testait, répertoriait, testait encore, tirait des conclusions, appliquait, et testait à nouveau. Ses dispositifs magiques n'étaient jamais achevés, puisqu'il cherchait toujours d'autres moyens de les exploiter et de les briser pour mieux les améliorer. Il aurait fait un piètre baguettier, il s'en doutait. Il aurait été capable de rajouter des gadgets à ses baguettes pour les forcer à s'adapter au sorcier au lieu de laisser les deux parties se choisir!

Mais la jeune femme fabriquait-elle seulement une baguette? A ce stade, il était difficile de le dire. Soumaworo s'approcha de l'établi où travaillait Pivoine, en prenant soin de faire sonner le bruit de ses pas afin de ne pas la surprendre. Avant de lui adresser la parole, il entra dans son champ de vision, pour la même raison. Plusieurs précautions valaient mieux qu'une lorsque quelqu'un découpait du bois par magie.

Quelle surprise! dit-il avec un sourire. Je ne m'attendais pas à trouver quelqu'un en plein travail un dimanche dans les ateliers!

Le bois se coupe, lentement - droit. Je crois. J'espère. Droit. Oui, droit. Je le veux droit, je regarde plus loin que le sort de découpe. J'ai vite deux morceaux de bois, une future boîte et son futur couvercle. Un ébéniste moldu devrait prendre d'autres mesures, comme j'ai fait moi, comme peut-être je devrais faire, mais je me sens aventureuse. J'ai envie de sentir le bois. Il y avait quelque chose de faux quand j'ai coupé - et pourtant j'ai suivi le trait de coupe. Mes blocs sont bien rectangulaires, enfin je sais pas comment on dit exactement pour les volumes - on fait pas beaucoup de géométrie en école sorcière et j'ai pas assez retenu les mathématiques moldues pour en avoir gardé ce nom - mais bref, mes blocs sont bien mais je les sens pas vivre et ça me perturbe. Je veux pas un artefact inerte - quand bien même le gros de sa fonction serait, précisément, de rester inerte. Je veux qu'il me parle, qu'il ait le souffle discret de la vie immobile.

Et ça bouge pas loin, ça fait du bruit, ça parle même. Je pose Choupette, je lève les yeux et la tête. C'est m'sieur Soumaworo. Je sais pas trop quoi en penser de lui exactement. Bon gré mal gré, son cours, on en a besoin, vraiment besoin, désespérément besoin - et j'ai pas les bases de mathématiques moldues pour la moitié des codes qu'on est censés maîtriser. Passons. Ca au moins, c'est pas sa faute.

"Oh, bonjour m'sieur Soumaworo." je dis avec mon joli sourire. "Vous aussi vous avez fait une croix sur votre grasse matinée ?"

Visiblement, même si l'aube est passée depuis un moment. Je dis pas que le dimanche matin c'est un des rares moments de la semaine où j'espérais pouvoir être tranquille sans personne dans les pattes pour me parler et me distraire de quelque chose que je sais déjà pas faire quand je suis seule face au quelque chose en question, et j'essaie de pas le penser trop fort. Si on veut être tranquille de toute façon, il faut vivre entre deux et quatre heures du matin.

"Enfin c'est pas comme si on avait le temps de la faire, en réalité." je plaisante en dissipant le sort de protection sur mes yeux. "Je peux faire quelque chose pour vous ?"

Parce que je sais pas exactement ce qu'il fait là, et j'ai aucune idée de pourquoi il me parle, en fait. Peut-être juste pour être poli ? Ou il veut quelque chose ? Vérifier que je fabrique pas d'appeau à nargoles peut-être ?

Comme si je m'appelais Moinortie...

Son visage feignait une expression d'incompréhension parfaitement exagérée tandis qu'il disait à la demi-vélane:
Une croix sur ma grasse matinée? Je ne vois pas ce qui vous fait dire ça. Je suis parfaitement réveillé, frais et dispos! Mes yeux n'ont jamais été aussi grands ouverts

Il fit cligner ses paupières rapidement tandis que ses cernes se creusaient davantage et que le blanc de ses yeux prenait une teinte rosée. Son teint vira légèrement au gris et quelques boucles hirsutes sortirent de la masse de ses cheveux courts, comme des pousses fraîchement sorties de leurs graines. Bien qu'il arbore un sourire presque triomphant, il avait l'air de quelqu'un qui n'a pas dormi pendant au moins une semaine.

Avant d'effrayer l'enrôlée avec ses pitreries, il reprit son visage normal, celui qui n'avait que de légères cernes.
Il est vrai que le sommeil est une denrée rare pour les habitants du Domaine. Et pourtant c'est essentiel.

Il remarqua alors le sort de protection que Pivoine avait appliqué à ses yeux. Il espérait que le sort protégeait aussi le reste de son visage et surtout ses longs cheveux blancs. Un accident était si vite arrivé sur de longs cheveux lisses comme les siens! Les cheveux Africains étaient peut-être impossibles à peigner, au moins ils ne traînaient pas de la sorte sans avoir été tressés pour cela. Et dans ce cas, il était aisé de les retenir en arrière, en nouant une tresse autour des autres.

Oh, ne vous dérangez surtout pas pour moi! Je suis simplement venu ranger des gemmes. A moins qu'elles ne puissent vous être utile?

Il présenta la boîte de gemmes ouverte à Pivoine. Si l'enrôlée avait besoin d'une de ces pierres semi-précieuses, il serait mal élevé de sa part de les ranger et de lui laisser le désagrément de devoir aller les chercher par la suite...