Le comportement de Soumaworo avait quelque chose de communicatif.  Il devait le reconnaître, en le voyant sourire, en entendant un rire dans sa voix, Merle avait l'impression de légèrement baisser sa garde. Pour un peu, il aurait même eu une fausset au coin des lèvres. Mais l'enrôlé gardait sa réserve, et même s'il ne sentait aucune agressivité ou moquerie de sa part, il se referma un peu plus en sachant que c'était sa réaction qui avait modifié celle de Soumaworo.
Du coin de l’œil, il regarde l'instructeur et tenta un sourire maladroit, commençant à marcher sans vraiment l'attendre.

« D'accord. Merci. »

Il retint un soupire – plus angoissé qu'agacé – à la remarque de l'instructeur, replaçant derrière son oreille une bouclette tombant contre sa joue.

« C'est vrai. Excusez-moi. »

Ses mains vinrent frotter l'une contre l'autre, pas moites, mais les occuper le rassurait. Paume contre paume, puis phalanges contre phalanges, jusqu'à ne plus sentir que le bout de ses doigts froids, les replier les uns sur les autres pour les réchauffer, puis glisser une de ses mains sur le dos de l'autre, revenir paume contre paume, et recommencer. Ainsi il oubliait – en partie – le reste de ses gestes, comme sa marche.

« J'ai interpréter le règlement comme ça. Qu'il y avait une certaine hiérarchie dans le Domaine. J'ai peut-être extrapolé, désolé. »

Soumaworo secoua la tête, baissa les yeux, et émit le "tssk tssk" très connu de tous ceux qui commettaient des erreurs de débutants devant lui. C'était quelque chose qu'il avait toujours trouvé curieux: les gens interprétaient toujours les règlements à leur désavantage, mais rarement à leur avantage. Ils rajoutaient des obligations là où il n'y en avait guère, comme des prisonniers qui rajouteraient des barreaux à leur cage au lieu de trouver un moyen de les scier.
Un petit conseil, dit-il en regardant son interlocuteur du coin de l'oeil. Si vous avez des instructions à suivre, qu'elles viennent d'un règlement ou d'ordres directs, ne faites jamais plus que ce qui vous a été demandé. Pas moins, mais jamais plus!

Il se tourna vers Merle et poursuivit:
Ainsi, si vos supérieurs ne sont pas contents de votre travail, vous n'aurez qu'à répondre que vous avez suivi leurs instructions à la lettre et ils ne pourront vous tenir responsable de quoi que ce soit. Vous serez intouchable, en quelque sorte.

Un sourire satisfait aux lèvres, l'instructeur poursuivit sa marche, tenant cachée entre ses deux mains la boîte contenant les insectes responsables de sa blessure qui n'était plus qu'un mauvais souvenir.

Ah, autre chose, dit-il. Vous n'avez pas besoin de vous excuser, puisque vous n'avez rien fait de mal.

Merle était nerveux et s'excuser de manière compulsive n'était que le reflet de cela. Mais Soumaworo éprouvait quand même le besoin de le rassurer à ce sujet. Avant que l'enrôlé ne puisse répondre, il ajouta:
Et ne vous excusez pas non plus de vous être excusé. Gardez la tête haute, vous êtes dans votre droit!

Il s'attendait presque à entendre Merle lui bredouiller qu'il était désolé. Il s'en voulait un peu de tourmenter ainsi ce pauvre homme qui avait fait un malaise. S'il voyait que ses remarques avait un effet négatif sur le jeune homme, alors il cesserait de parler. Mais en attendant, on lui avait donné le rôle d'un instructeur. Alors, il se devait d'instruire. Il appliquait les consignes qui lui avaient été données. Ni plus, ni moins...

Merle essaye de retenir la crispation dans ses épaules. Vraiment. Mais le léger claquement de langue de Soumaworo avait sonné comme une claque aurait sonné sur sa joue. Il détestait mal faire, et il détestait encore quand il faisait tellement mal qu'on devait lui faire remarquer. Sa main sur la sangle de sa  sacoche se crispa légèrement avant de se détendre à nouveau.

« D'accord... »

Il s'apprêta à glisser un « désolé » pour ponctuer sa phrase mais se tût en voyant l'instructeur se tourner vers lui. Ses yeux repartaient déjà fixer le sol pour éviter ceux de Soumaworo, mais il prit sur lui pour les relever, même s'il regardait le métamorphose comme un oiseau regarderait les fards d'une voiture.
Le « désolé » fut ravaler dans une déglutissions un peu gêné, alors que Merle hochait la tête. Puis il ressurgit d'un coup entre ses lèvres, d'instinct.

« Déso-... »

L'enrôle s'arrêta, et ferma les yeux en soupirant lourdement, laissant Soumaworo prendre quelques pas d'avance, pour pouvoir marmonner librement.

« C'est un réflexe... »

Il continua de suivre Soumaworo, s'écartant plus ou moins discrètement de Soumaworo pour esquisser quelques pas du côté du couloir où se trouvait l'infirmerie au fur et à mesure qu'ils y arrivaient. Réflexe d'une éducation légèrement dépassé à la politesse exagérée. En posant sa main sur la poignée de la porte de l'infirmerie, il se retourna un instant vers Soumaworo, un mot au bout des lèvres, fixant quelques secondes le professeur sans arriver à se décider à parler. Pas plus que ce qu'on te demande, Merle. L'enrôlé détourna rapidement le regarde, esquissant un geste vague de la main.

« Non rien... »

Il ouvrit la porte à Soumaworo, le laissant passer en premier, avant de le rejoindre en refermant la porte derrière lui. L'infirmerie était presque vide, avec seulement le bruit calme et apaisant d'une respiration endormis et les rideaux fermer autour d'un lit pour signaler la présence de quelqu'un. Par réflexe, Merle se mit à faire attention à tout ses gestes, marchand en silence pour s'y asseoir, enlevant sa sacoche pour la poser à côté de lui. C'était plus un geste de bonne fois envers Soumaworo qu'une réelle nécessité. Il était fatigué, mais préféré toujours l'intimité – certes illusoire – des dortoirs Snidget à l'infirmerie. Du coin de l’œil, il observa le professeur, prêt à se fendre d'un sourire un peu fané quand il regarderait dans sa direction.

« Je... Vais me reposer un peu, ça ira.  Allez chercher Lancelot si vous voulez... »

Comme il s'y était attendu, l'enrôlé s'excusait d'avoir pensé à s'excuser de s'être excusé. Soumaworo appelait cela la "chaîne des excuses". La compulsion de s'excuser au moindre reproche était si forte que le rationnel ne pouvait prendre le dessus. Lui-même s'était laissé avoir plus d'une fois au cours de sa vie. D'ailleurs, c'était sans doute le cas de tout le monde. Seul un ego de la taille d'une constellation pouvait résister à ce réflexe lorsqu'il se déclenchait.

Je sais, le rassura-t-il. C'est moi qui devrais m'excuser de vous avoir poussé de cette manière. Quoique d'une certaine manière, si cela aide votre esprit à enregistrer ce principe, alors cela en valait peut-être la peine

Même si le règlement du Domaine n'interdisait pas aux instructeurs d'infliger des mauvais traitements aux enrôlés, Soumaworo n'aurait jamais eu recours à des moyens susceptibles de nuire à la santé mentale ou physique des enrôlés, même si on lui affirmait qu'ils étaient efficaces. Il n'avait rien d'un sadique. Mais cette taquinerie lui paraissait sans danger. Dans le pire des cas, Merle en serait quitte pour piquer un fard les prochaines fois qu'ils se croiseraient, puis cette réaction s'estomperait avec le temps.

Merle voulut lui dire quelque chose, mais finalement ne dit rien. Soumaworo douta alors du caractère inoffensif de sa "pique". L'enrôlé voulait peut-être lui dire qu'il avait été trop loin, avant de changer d'avis au dernier moment. Devait-il insister pour que Merle lui dise finalement ce qu'il avait sur le coeur? Non, il risquait de le faire se refermer encore plus sur lui-même, un peu comme un hérisson en boule que l'on pousse avec un bâton. Il allait devoir jouer le jeu et faire semblant que tout allait bien. Il entra à son tour dans l'infirmerie, et vit qu'elle était occupée par un patient. Pas de trace de Lancelot ni d'un quelconque médicomage à l'exception de celui qu'il avait accompagné jusqu'ici. Etait-il normal de laisser ainsi un malade ou un blessé sans surveillance? Devait-il laisser Merle seul à l'infirmerie? En quoi serait-ce différent de le laisser seul dans le bâtiment Snidget?

Je vais signaler notre présence, cela vaudra mieux.

Soumaworo chercha une sonnette, une cloche, un quelconque moyen pour un arrivant de s'annoncer. N'en trouvant guère, il décida d'en improviser un. Il sortit sa baguette et l'utilisa pour produire le son d'une clochette, qu'il espérait suffisamment fort pour attirer l'attention mais pas assez pour réveiller le malade derrière ses rideaux