La blessure n'était pas belle à voir, même si les blessures magiques l'étaient rarement. Soumaworo avait souvent subi les contrecoups de sorts ratés, particulièrement lorsqu'il était encore étudiant à Ouagadou. Sa peau avait été entaillée, brûlée, attaquée de nombreuses fois par des produits et des sorts, puis réparée sans qu'aucune trace ne subsiste grâce au talent des médicomages. Et bien entendu, il y avait eu la corne du rhinocéros. Mais cette blessure n'était pas magique, même si l'animal qui l'avait causée était un animagus.

Cependant, il n'avait pas eu de plaie aussi laide depuis très longtemps. Sur le dos de sa main, une ouverture en forme de cercle laissait voir des asticots rouge vif qui se tortillaient, leurs mouvements formant une spirale visqueuse. Ces asticots étaient en réalité son sang, qui semblait coaguler en prenant une forme de multitude de larves d'insectes. Une mouche avait dû tomber dans la préparation qui lui avait servi à tracer les motifs complexes au centre duquel il avait posé sa main. A moins qu'il n'ait simplement écrasé l'insecte en posant sa main. Mais sa paume ne renfermait aucun diptère écrasé.

Contrarié par son échec, il usa de sa métamorphomagie pour cacher sa plaie, et se mit en route pour l'infirmerie. Les râleries de Lancelot que son cerveau anticipait déjà faisaient grincer ses dents. L'homme ne manquerait pas de lui faire remarquer qu'une préparation, cela se contrôlait, et qu'une surface sur laquelle on prévoit de tracer des symboles magiques, cela se nettoyait. Il était d'ailleurs certain de l'avoir fait. Et si l'erreur venait d'ailleurs? Tandis qu'il rangeait les matériaux qu'il avait utilisés, il mit à profit le mauvais caractère de Lancelot et se servit de toutes les réflexions qu'il imaginait que le médicomage ferait comme d'une liste de points à vérifier. Ses symboles étaient tracés correctement, sans aucune tache ni aucune ligne de travers. Ses calculs étaient justes. Ou l'étaient-ils? Il lui faudrait les vérifier. Mais comment une erreur de calcul pouvait-elle transformer son sang en asticots?

Il rangea son matériel dans une boîte qu'il scella d'un charme empêchant qu'on l'ouvre, même via un sort. En se retournant pour quitter le bâtiment Snidget, son regard se posa sur l'un des enrôlés de sa brigade. Un jeune homme peu loquace, et à l'expression peu amène. Un médicomage, qui pourrait peut-être l'aider et lui éviter un transplanage vers le bâtiment Zouwu. ll se dirigea vers lui, et le héla d'un geste de la main.

Veuillez m'excuser?

Il montra le dos de sa main, sans révéler la paie tout de suite.

Un de mes sorts ne semble pas avoir fonctionné comme prévu, et j'ai gagné une vilaine blessure, qui semble heureusement superficielle, sur ma main. Vous êtes bien médicomage, si je ne m'abuse? Vous avez l'habitude des blessures peu râgoutantes?

Il sourit à l'enrôlé, espérant amadouer la méfiance apparente du jeune homme.

Regarde tes pieds, marches vite, réponds quand on te salut, tout ira bien.
Supporter ses cinq autres colocataires était un exploit auquel il échouait trop souvent, alors dans les couloirs il ne traînait pas, évitant les regards et les interactions en tout genre. Son éducation lui semblait inscrite sur le front, plus visible que n’importe quelle marque mangemort. Et les regards devenaient des sentences, qu’à défaut de savoir encaisser, il fuyait, se dépêchant de déguerpir des ateliers Snidgets maintenant qu’il avait réussi la potion l’ayant mené ici.

« Veuillez m'excuser? »

Merle se tendit d’un coup. Immobile au milieu du couloir, calculant à grande vitesse s’il était encore acceptable de faire mine de n’avoir rien entendu pour continuer son chemin, il finit par se retourner, la déglutition difficile en reconnaissant l’instructeur à quelques pas de lui. S’il n’aimait pas les figures d’autorités du Domaine, qui en savaient à son goût trop sur lui, il aimait encore moins cette figure-là, aux yeux et à la peau noirs. Le médicomage expira nerveusement, le laissant approcher sans faire un geste vers lui, hostile sans le signifier ouvertement. Fixant le nez de l’instructeur pour donner l’illusion d’un contact visuel qui était devenait impossible et insoutenable pour lui, il hocha la tête et baissa un instant son regard sur ses mains, retenant un froncement de sourcils en n’apercevant rien. Il l’avait caché. Évidemment.
Déjà nerveux à l’idée de possiblement utiliser sa biomagie, Merle hocha la tête en saccade, arrêtant de faire mine de regard Soumaworo.

«D’accord… Venez… »

Il tourna les talons, concentré sur sa marche raide, se dépêchant de mettre entre lui et l’instructeur quelques pas alors qu’il retournait dans la pièce qu’il venait de quitter, déposant sa sacoche en cuir sur une table pour en sortir la baguette en bois noir que lui avait fournit Odysseus. Il n’arrivait pas à la considérer comme la sienne, n’y arriverait sûrement jamais, et ne le souhaitait peut-être tout simplement pas. Le Domaine ne lui apparaissait pas aps comme une nouvelle maison, les instructeurs comme des conseillers et des alliés, et les enrôles comme des sœurs et des frères d’armes, l’une d’eux en particulier. Il parasitait les lieux au mieux. Aussi supposément doué soit-il, au milieu d’autres petits prodiges, il devenait commun, parfois même à l’arrière du peloton. Tout n’était histoire que de mérite. Ses couvertures, sa chambre, son assiette, se méritaient, il avait un tribut à rendre pour les garder, et ce tribut était à l’heure actuelle, la main de Soumaworo.
Merle se retrouva vers lui après une expiration qui affaissa ses épaules, évitant toujours son regard, et lui désigna un tabouret d’un signe de menton, remontant ses manches du même coup.

« Asseyez-vous, et... Enlevez le sort sur votre main. S’il vous plaît. »

Demande rhétorique, puisqu’il était inimaginable de tenter quoi que ce soit à l’aveuglette. Mais Merle préférait s’écraser en politesse, plutôt que de laisser ressortir son arrogance à la vie déjà dure. Certains mauvais traits de caractères mourraient difficilement chez lui, qu’il soit en train de chercher dans sa tête si Soumaworo était un sang-pur ou un sang-mêlé servait  de rappelle suffisant. Il remit son esprit sur les rails en pinçant discrètement l’intérieur de son bras, dans une sorte de réflexe pavlovien qu’il tentait d’entretenir pour définitivement faire fuir des idées qui n’avaient rien à faire ici – au Domaine et dans sa tête. Et il vint s’asseoir face à l’instructeur, la nuque tendue, serrant et desserrant doucement les poings.

Je vous remercie. C'est très aimable de votre part

Soumaworo avait beau déployer des décennies d'entraînement à la courtoisie et aux bonnes manière, Merle ne se détendait pas. Ses mouvements lui paraissaient raides, comme si quelque chose l'avait intégralement amidonné. De la peur? De la haine? Ou était-ce simplement la façon d'être de ce curieux jeune homme? Il ne pouvait trouver de réponse à cette question. Il n'était pas legilimens, et n'aurait de toute façon jamais utilisé cette compétence pour forcer les pensées d'un enrôlé par simple curiosité. Afin de percer le mystère de ce curieux jeune médicomage, il lui faudrait donc discuter avec lui, et espérer qu'il veuille bien se révéler de lui-même.

Merle lui désigna sèchement un tabouret, et lui ordonna de s'y installer. Le "s'il vous plaît" avait été ajouté après coup, d'une manière qu'il compara mentalement au fait de parfumer à l'eau de rose, dans un élan de remords, une beuglante bien salée.

Je préfère toutefois vous prévenir, c'est...assez inhabituel

A présent, lui aussi parfumait ses paroles à la rose, alors que Merle restait hostile à son attitude bienveillante. Il faisait tout pour que son langage corporel dise "je viens en paix", mais celui de l'enrôlé rétorquait "ne t'approche pas, intrus!". Alors qu'il s'asseyait et tendait sa main, il décida de laisser tomber les attitudes "protocolaires" et se détendit. Face à une attitude hostile, trop d'amabilité devenait vite obséquieuse. Dans ces cas là, la meilleure des diplomaties restait la sobriété et la franchise.

Il retira le contrôle que la métamorphomagie exerçait sur sa plaie et fronça les sourcils de dégoût à la vue de la spirale de sang qui se prenait pour un essaim d'asticots. Il sentit ses yeux devenir dorés, contrecoup du relâchement de l'apparence de sa main. Il les laissa ainsi. Les iris dorés lui allaient bien, et ne le faisaient pas ressembler à un Inferius comme le faisaient des iris bleu clair.

J'étais en train de tester un sortilège de ma fabrication, qui nécessitait une encre spéciale pour tracer des symboles...

Le mot "symboles" lui semblait très réducteur pour parler des figures mêlant géométrie et arithmancie qu'il avait conçues, mais le moment n'était pas à la pinaillerie.

...ainsi qu'une incantation afin d'ouvrir un lien. Mais au lieu d'un lien, j'ai réussi à ouvrir une plaie très bizarre sur le dos de ma main. Et j'avoue ne pas avoir prévu cela.

Il ne ressentait aucune douleur. Simplement une désagréable sensation de mouvement sur son épiderme. Il pinça un des asticots entre son pouce et son index, et tenta de le retirer mais c'était comme s'il essayait d'arracher sa propre peau. Il plissa les yeux et grimaça de douleur avant d'abandonner et de laisser son sang grouiller tranquillement.

Eh bien, on dirait que cela ne me fait mal que si on essaie de retirer ces...
Quel mot employer pour désigner les asticots de sang? Il fronça les sourcils, puis opta pour:
.....trucs

Merle hocha la tête à l’avertissement de l’instructeur, se bornant à éviter son regard pour se concentrer sur la main lui apparaissant complètement noire de Soumaworo. Il présentait déjà qu’il verrait mal la plaie et le sang. C’était le désavantage de sa vision : bien moins de nuances qu’il n’y en avait dans le regard des autres, un rouge sombre et un brun sombre n’avaient à ses yeux aucune différence. La biomagie le sauvait de ce point de vue, lui servant de sens de secoure auquel il pouvait se fier sûrement, aussi douloureuse et dérangeante soit l’expérience.

Malgré les avertissements à la politesse trop appuyés à son goût – il ne savait l’interpréter, tentative de sympathie ? Intrusion ? Façon implicite de lui faire comprendre que son comportement laissé à désirer ? –, il fronça le nez devant le miasme sanglant et mouvant qu’était devenu le dos de sa main. Le regard dardait une seconde de trop sur la blessure, il senti son palais se tapisser de salive et un haut-le-cœur remonter du fond de sa gorge, arrêté par une déglutition discrète. Par réflexe, ses yeux se défirent un instant de l’instructeur, lui offrant quelques secondes de répit avant qu’il ne se rappelle qu’il n’était pas là pour flancher. Il fit à nouveau face à la plaie, inspirant lentement, anticipant instinctivement l’utilisation de la bio-magie.

« D’accord… Quel type d’encre ? Et quel type de symbole ? »

Lâcha-t-il, la voix basse et le ton haché, peu naturel. L’enrôlé se leva rapidement et fouilla dans sa sacoche, jusqu’à trouver un crayon et un carnet, et revient face à Soumaworo, restant debout en tournant les pages de son calepin pour en trouver une encore blanche. Il n’aimait pas l’idée d’être à égalité avec l’instructeur, de devoir le regarder dans les yeux. Plus haut ou plus bas sur une échelle de valeur subjective dépendant de chacun, il s’en moquait, il ne voulait juste pas se retrouver face à lui, préférant continuer à évoluer sur une sorte de plan parallèle au Domaine aussi longtemps que possible. Jusqu’à ce que les obligations le rattrapent.

Merle finit par trouver une page vierge, et tendit le crayon vers la main saine de Soumaworo, tenant le calepin devant lui, les doigts crispés dans un coin de la page, assez repliés pour éviter un contact malencontreux.

« Est-ce que vous pourriez m’en faire une copie rapide ? »

Du coin de l’œil, il observa à nouveau l’essaim mouvant sur la main de l’instructeur, un pli de dégoût s’esquissant un instant au coin de sa bouche. Il s’agissait plus d’un sortilège que d’une réelle blessure. Une fois qu’il saurait ce qui avait déraillé dans les expériences de l’homme face à lui, il pourrait chercher comment le défaire, et sans mauvaise surprise, tout redeviendrait à la normale. Mais encore fallait-il trouver ce qui n’allait pas.

Une encre à base de poudre dissoute dans un peu d'eau. Je n'ai plus tous les ingrédients en tête, mais ils étaient tous végétaux. Il n'y avait nulle trace d'une quelconque créature grouillante dans cette préparation.

Le médicomage allait avoir besoin d'une réponse plus précise. Il pensa à rouvrir le coffret dans lequel il avait scellé son expérience ratée. Il venait de la refermer en prenant des précautions autant pour contenir les éventuels effets de magie résiduels de son sort expérimental que pour empêcher quelqu'un de fouiner dans ses affaires. Pour cela, il hésitait à retirer son charme de protection. Cependant, cela n'était pas la première fois qu'il subissait le contrecoup d'un sort. Lorsqu'il était adolescent, il avait caché une blessure magique qu'il n'avait pas jugé utile de soigner tant elle était minime. Elle l'avait rendu malade pendant quelques jours, et le guérisseur de l'école lui avait longuement expliqué que s'il l'avait soignée tout de suite, il n'aurait presque pas été affecté par la magie. Adulte, il avait donné ce conseil à plusieurs reprises à des plus puissants que lui. Il était peut-être temps qu'il applique ses propres principes.

Quant au symbole, eh bien, il s'agissait d'un ensemble d'étoiles à cinq branches entrelacées selon le théorème onirique de Kai'cul appliqué au corollaire des portails. Est-ce suffisant?

Les ingrédients de l'encre, il était bien incapable de s'en souvenir. Il avait repris la formule conçue par l'auteur d'un des nombreux livres de la bibliothèque du domaine. Cependant, l'arithmancie était un de ses domaines de prédilection. Les symboles, il les avait tous bien en tête. Il s'en souvenait si clairement qu'il aurait pu les reproduire sur sa propre peau via sa métamorphomagie. Il ne choisit cependant pas cette méthode pour décrire les symboles à l'enrôlé. La surface de sa peau visible n'était pas assez grande pour montrer tous les détails. Son dos aurait fait l'affaire, mais il était hors de question qu'il se déshabille devant un inconnu!

Lorsque le jeune médicomage lui tendit le carnet pour qu'il reproduise les symboles, Soumaworo déclina la proposition.

Le plus simple serait que je vous montre les notes que j'ai déjà prises. Si vous voulez bien me suivre...

Et il décida donc de rompre le charme qu'il avait posé sur le coffret contenant son matériel. Tandis qu'il se dirigeait vers l'étagère sur laquelle il avait posé son coffret, il expliqua le but de son expérience.

J'ai voulu essayer de mettre en place un système qui je pense serait utile à l'Intelligence. Un sort qui permet d'enfermer un secret dans le corps de quelqu'un, sans que cette personne ne connaisse elle-même ce secret. Pour pouvoir le restituer, il faudrait appliquer la réciproque de ce sort. Et chaque incantation étant unique grâce à une propriété d'arithmancie, on ne peut pas extraire les secrets au hasard sur les prisonniers. C'est une sorte de Fidelius plus discret...

Il retira le charme de son coffret et l'ouvrit. Tandis qu'il arrangeait ses parchemins couverts de ses notes pour en extraire celui du symbole qu'il avait retenu, il ajouta:

Je suis certain de mes calculs. Mais...oh, voici les ingrédients de l'encre...

Sans regarder l'enrôlé, plongé qu'il était dans cette expérience qui avait eu le culot de le défier, il posa la liste des composants qui avaient servi à faire l'encre sur une table près de lui. Il y étala ensuite le parchemin couvert du symbole qu'il avait tracé. Rapidement, il vérifia ses calculs. Ses yeux couraient frénétiquement sur le parchemin.

...cela devrait fonctionner. Il n'y a aucune raison que ça fasse ce que ça a fait...Qu'est-ce qui a donc bien pu m'échapper?

Sa main non blessée se mit à gratter l'arrière de son crâne tandis que ses yeux plissés continuaient de parcourir les symboles. Dans son esprit, cet échec venait de se transformer en défi...

Note HRP:

Sa main tenant le carnet revint rapidement vers lui à la proposition de Soumaworo, qu'il approuva d'un hochement de tête sec. Il n'aimait pas l'idée de laisser l’auscultation peut-être traîner en longueur, à traîner dans la même pièce que l'instructeur pour déchiffrer des notes faites d'une écriture minuscule, prises à la va-vite, mais il n'avait pas le choix. La méthode de Soumaworo était plus sûre que de reproduire des symboles compliqués sur un petit carnet, et en fin de compte, ils y gagneraient du temps, plutôt que de tâtonner à l'aveuglette pour trouver un problème dans un sort auquel il ne connaissait rien.

Merle suivit son « patient » après avoir reposé son carnet, sans un mot et garder entre eux une distance suffisante pour... Il ne savait quoi au final. Il savait que les contacts avec les inconnus l'avaient toujours rebuté, au Domaine plus qu'ailleurs. Mais à ce point, c'était autre chose, cette espèce de peur de Soumaworo qu'il avait développé les rares fois où il l'avait vu. C'était inexplicable, mais il sentait que Soumaworo ne pouvait que le détester s'il savait quelle histoire et quelle famille il traîner derrière lui.
Cette distance qu'il laissait en était presque symbolique.

Il écouta attentivement les explications de l'instructeur, venant à côté de lui tout en gardant une vingtaine de centimètres entre eux, ses yeux suivant ses gestes pour ouvrir le coffret, puis les lignes des symboles couchés sur un parchemin que sortait Soumaworo. S'il n'appréciait pas l'instructeur, il devait reconnaître qu'il était néanmoins brillant. Logique ou il ne serait pas ici, Merle resta malgré tout un petit moment immobile pour observer tout le travail de l'homme à côté de lui. À un autre endroit et dans d'autres temps, il l'aurait ensevelit sous les questions sans complexe. Maintenant, il restait avec sa curiosité coincée au fond de la gorgée, se rassurant en se disant que le contexte ne se prêtait à un cours improvisé, et que la main de Soumaworo restait prioritaire.

Merle sorti de sa tête en entendant l'instructeur parler de la composition de l'encre, captant immédiatement le bout de parchemin dans sa main noire, qu'il déposa sur la table. L'enrôlé la récupéra rapidement, satisfait de la non-réaction qu'il obtint, Soumaworo déjà plongé en plein règlement de comptes avec son expérience. Il faisait confiance aux compétences du corps enseignant du Domaine, et si l'instructeur disait que l'erreur n'était pas dans ses calculs, Merle se penchait volontiers sur la composition de l'encre.

Ses yeux passaient d'un ingrédient à l'autre, fouillant dans ses souvenirs de ses cours de botaniques, d'ici ou de Beaux-Bâton. Il arrive à la fin de la liste avec un seul composant en tête, presque certain d'avoir trouvé l'origine du problème. L'index posé sur l'ingrédient, Merle inspira et s'approcha de Soumaworo, tendant la liste vers lui.

«  Cette plante-là. Des papillons minuscules viennent souvent pondre leurs œufs sur leurs feuilles. Les larves vont ensuite dans les feuilles et la tige pour faire leur mue. Elles sont difficilement détectables, même en nettoyant bien les feuilles. Est-ce qu'il vous reste des échantillons des ingrédients que vous avez utilisé ?»

Soumaworo attendait patiemment que l'enrôlé examine ses notes, à la recherche de ce qui avait pu provoquer l'excroissance peu ragoûtante sur le dos de sa main. Tandis que son esprit vagabondait entre toutes les étapes de son rituel, à la recherche de ce qu'il aurait pu négliger, ses yeux variaient doucement du doré au vert de gris. Parfois, lorsqu'il était aussi profondément perdu dans ses réflexions, plus spécialement lorsqu'il cherchait une solution comme il chercherait une paire de lunettes égarée dans une pièce mal rangée - il espérait d'ailleurs ne jamais rien perdre dans la salle où travaillait Odysseus - sa métamorphomagie faisait des siennes. Lorsque sa pupille elle-même se déforma, troublant ainsi sa vue, il s'efforça de reprendre le contrôle sur son apparence et laissa tomber ses réflexions.

Cependant, une autre énigme se présenta à lui. Le jeune médicomage qui avait accepté d'examiner sa blessure restait à bonne distance de lui. Cela s'ajoutait à l'attitude peu cordiale qu'il avait d'abord attribuée à un impair de sa part, à son excès de courtoisie qui pouvait parfois paraître surjouée. Cette fois-ci, il avait la certitude que quelque chose clochait. L'enrôlé semblait se méfier de lui. Quelle pouvait en être la raison? Rapidement, oubliant le contrôle qu'il avait repris sur son apparence fluctuante ainsi que la raison pour laquelle il l'avait brièvement perdu, il chercha des explications. Peut-être qu'il n'aimait pas les sang purs? De nombreux enrôlés avaient souffert au nom de cette obsession de la pureté du sang, et si l'instructeur avait voulu garder son arbre généalogique secret, il n'y serait pas parvenu. Rien ne restait secret bien longtemps dans un Domaine dont on ne sortait presque jamais. Il élimina également le simple racisme, ne reconnaissant pas dans l'enrôlé l'attitude habituelle des Blancs affligés de ce défaut, ainsi que la timidité basique car le jeune homme ne semblait pas nerveux, juste ...en retrait. Il y avait autre chose. Mais quoi?

Lorsque le jeune homme lui fit part de son hypothèse quant à la cause de son problème, Soumaworo secoua la tête.
J'ai tout utilisé. Je n'ai pris que ce dont j'avais besoin. Et je n'ai effectivement pas pensé à vérifier les parasites...
C'était une des raisons pour lesquelles il n'avait jamais été très doué pour la magie qui touchait aux organismes vivants. Il y avait toujours un paramètre que l'on ne pouvait contrôler! L'arithmancie, l'astronomie, tout cela était bien plus clair, bien plus contrôlable...
Je n'ai jamais entendu parler de telles réactions avec des insectes aussi minuscules...Mais cela serait effectivement la seule explication possible pour le moment. Me permettrez-vous de vous poser une question cependant?

Il regarda l'enrôlé dans les yeux, en prenant soin de respecter la distance que ce dernier lui avait imposée. S'il se montrait trop pressant, il risquait de le pousser à se braquer et à provoquer une dispute. Après tout, on crevait un abcès avec une fine aiguille, pas avec une charge de bélier.

J'ai remarqué que vous ne sembliez pas très à l'aise. Ai-je fait ou dit quelque chose qui vous a ennuyé? Si c'est le cas, sachez que je le regrette

L'enrôlé  se crispa à la demande de Soumaworo, relevant le nez de la liste des ingrédients dans laquelle il c'était replongé. Il ne répondit même pas à la question. Merle sentait bien, à la façon dont l'instructeur l'épinglait du regard sur place comme un papillon dans un cadre, qu'il n'était plus question de soin. Il commençait déjà à lister dans sa tête ce que l'homme face à lui pouvait avoir à lui reprocher.  Son comportement pendant les cours était décent : s'il n'allait pas vers les autres enrôlés et ne prenait jamais aucune initiative en cour, il réalisait  ses exercices du mieux possible  et ne bronchait jamais. En tant que Snidget, il ne faisait  pas de vague, alors Merle ne voyait pas ce qui pouvait clocher. Peut-être sa déduction sur la raison de la blessure de l'instructeur était-elle étonnée. Pour cela que ce « cependant » sonnant comme une agression à ses oreilles  avait fusé d'entre les lèvres de Soumaworo, et l'enrôlé entendait déjà la longue explication sur l'erreur de diagnostique qu'il avait pu commettre. Mais les instructeurs étaient là pour cela.

Finalement, il aurait préféré la longue tirade explicative.

Merle prit sur lui pour ne pas fuir le regard de Soumaworo. Pas tout de suite du moins. La franchise enrobée de politesse de avec laquelle l'instructeur semblait chercher à crever l’abcès venait d'arrêter net son cerveau en pleine élan, concentré sur le casse-tête que représentait la composition de l'encre. Avec son comportement, il s'attirait finalement plus l'attention de l'instructeur qu'autre chose. Mais il ne pouvait pas non-plus sympathiser subitement n'est-ce pas ? Les  gens  comme Soumaworo et lui ne sympathiser pas vraiment...
Il avait envie de se prendre la tête à deux mains et de serrer à s'en faire craquer la boîte crânienne sous la pression. Peut-être qu'alors, enfin, avec le liquide  cérébraux-spinale,  s'échapperaient ses idées  moisies.  Mais  à la place, il restait à fixer l'instructeur d'un regard vide qu'un peu de peur et de panique devait réussir à traverser. Merle finit par se reprendre dans une déglutition, rabaissant les yeux sur la liste, bafouillant.

« J-heu, je... »

Il inspira  en mordant l'intérieur de sa lèvre, et secoua nerveusement .

« Non il n'y a rien. »

Merle se savait peu convaincant, mais il ne cherchait pas à l'être. Ils savaient tous les deux qu'il y avait quelque chose, mais Soumawro ignorait quoi. Et le fait qu'il cherche à comprendre le malaise entre eux, montrait qu'il ignorait  le passif de l'enrôlé, ou qu'il s'en moquait. Ou peut-être n'était-il pas sincère, mais Merle ne voyait pas  où était le piège. Soumaworo ne lui demandait même pas de raison, de justification. Il s'excusait simplement pour une possible maladresse.  Le médico-mage releva la tête avec un sourire artificiel et maladroit, mais néanmoins là.
Prends sur toi bon sang. Ce sont juste quelques muscles à tendre.

« Vous n'avez rien fait. »

Et il replongea dans sa liste en perdant immédiatement son sourire, enchaînant rapidement, pour empêcher cette conversion  de durer :

« Je pense avoir une explication sur votre accident. Si ces larves étaient bien présentes dans l'encre, il se peut que ce soit elles qui aient été traités comme le secret à enfermer dans votre... votre corps.  Puisqu'elles sont techniquement étrangères à votre sort. Et comme ce sont des organismes et pas une information , le... »

Il désigna d'un mouvement retenu et timide la main de Soumaworo, détachant un instant ses yeux du papier. 

« Le résultat est déroutant. En utilisant la réciproque de votre sort, les larves devraient être expulsées... Je pense. Mais je ne sais pas si la plaie se refermera automatiquement.  Un sort devrait suffire mais la manipulation risque d'être désagréable. Qu'est-ce que... Vous en pensez?»

Il releva légèrement les yeux vers Soumaworo, restant au maximum caché derrière ses bouclettes.

"Il n'y a rien", "vous n'avez rien fait". Ces deux affirmations sonnaient comme des fins de non recevoir. Soumaworo comprit vite qu'il y avait effectivement quelque chose, contrairement à ce que l'enrôlé affirmait. Et ce "quelque chose" le braquait, le fermait comme un coffre piégé. Quant au "vous n'avez rien fait", il était un peu plus énigmatique. Si l'emphase était sur le "vous", alors cela signifiait que quelqu'un d'autre avait fait quelque chose à ce garçon. Mais si elle était sur le "fait", alors c'est qu'il avait dit quelque chose, ou que ce qu'il était offensait Merle. Mais l'instructeur comprit que s'il insistait, l'enrôlé ne se fermerait que davantage à toute conversation. Il se contenta donc d'écouter ses explications quant à sa blessure. Après tout, c'est pour cela qu'il était venu le voir. Pour le reste, il verrait plus tard.

Ainsi, il avait enfermé des larves dans sa peau. Cela expliquait l'apparence grouillante de sa plaie. Et c'était cohérent. Cependant, il ne pensait pas que les larves en tant que telles aient été emprisonnées en lui. Sa théorie était que le sort avait encodé la forme et le comportement des larves comme il aurait transformé n'importe quel secret en information pure, mais que les larves étaient trop complexes pour se contenter d'être cachées par le sort. Il acquiesça à l'explication du médicomage.

Effectivement, cela vaut le coup d'essayer. J'avoue que je serais curieux de voir comment ces créatures réapparaissent de l'autre côté du processus! Allez, je vais prendre le risque du désagrément que cette extraction peut apporter.

Il réinstalla son matériel sur la table de l'atelier. Finalement, il semblait qu'il allait pouvoir mener son expérience jusqu'au bout! Et qui sait, peut-être cet imprévu se révèlerait riche en informations? S'il parvenait à emprisonner les informations concernant un être vivant ou même une potion dans un support, humain ou non, cela serait très utile aux spécialistes des poisons et des créatures afin de trouver des antidotes, par exemple.

De toute façon, poursuivit-il en disposant ses outils sur la table, je connaissais le risques en tentant cette expérience. Si cela ne me plaît pas, je ne m'en prendrai qu'à moi-même!

Il sourit, concentré sur sa tâche. Tout était à présent installé, il ne restait plus qu'à tracer les symboles pour l'extraction du secret. Tandis qu'il relisait les ingrédients de l'encre utilisée pour le sort réciproque, il s'adressa une nouvelle fois à Merle:
Puis-je vous demander de rester pendant que je procède à l'extraction, au cas où cela aggraverait ma blessure? Ne vous sentez pas obligé d'accepter! Je peux aussi m'occuper de cela à l'infirmerie, si nécessaire

L'enrôlé se prépara aussi de son côté et retourna à sa sacoche, voyant que Soumaworo ne pas rechigner à prendre le risque d'une nouvelle expérience. Il hésita une seconde à lui proposer d'aller chercher un médico-mage plus compétant, peut-être même Lancelot. Si l'instructeur lui-même ne semblait pas savoir quel résultat ils obtiendraient, Merle n'était pas sûr de pouvoir en gérer les conséquences. Si les os de l'enseignant étaient atteints, si l’entièreté de sa main était gravement touchée, il savait qu'il y avait peu de chance pour qu'il sache gérer la situation. Évidemment que sur le terrain, il ne pourrait pas aller demander de l'aide quand une blessure le dépasserait. Mais le terrain était le terrain, le Domaine était le Domaine, et s'il était au Domaine et pas sur le terrain, c'est qu'il n'était pas prêt.

Les gestes mécaniques et le visage inexpressif, Merle sorti sa baguette et quelques compresses de sa sacoche, continuant de fouiller dans les poches en cuir, comme si quelque chose d'utile à la situation avait pu s'y cacher.

Il tourna la tête vers le métamorphomage en l'entendant lui parler, et hocha la tête avec une déglutition crispée, les traits du visage toujours aussi figés.

« C'était prévu. »

Empoignant les trois compresses qu'il avait sorti de sa sacoche, le Snidget revint à côté de Soumaworo, l'observant tracer le cercle de la réciproque comme en plein cours. Il arrivait à déchiffrer certains signes, mais la plupart d'entre eux lui passaient au-dessus de la tête sans qu'il puisse prendre le temps de les comprendre, les yeux rivés sur la main de Soumaworo pour tenter de suivre la façon dont il construisait son cercle. Inconsciemment, sa nervosité refoula doucement, son esprit occupé, et il ne releva la tête qu'en voyant l'instructeur termina le cercle.

Merle lui adressa un signe de tête et un sourire qu'il espérait le moins nerveux possible, et se reconcentra sur la main blessée de l'instructeur, que celui-ci posa au centre du cercle.

La réaction du sort fut à peine visible, une simple et faible lumière qui fit rapidement le tour avant de disparaître sous la main de Soumaworo. Le mouvement circulaire des larves diminua lentement, comme si elles s'enfonçaient un peu plus dans la chaire à vif de Soumaworo. Il était obligé de plisser les yeux pour les apercevoir, la teinte plus sombre du sang se détachant à peine sur la peau de l'instructeur, et quand enfin les larves disparurent, ne resta plus que la plaie béante, qui d'un coup se gorgea de noir jusqu'à déborder. Le sang de Soumaworo avait retrouvé ses propriétés habituelles, et l'étrange anesthésie dans laquelle sa main était prise devait avoir cessé elle aussi.

La première goûte de sang avait à peine touché le cercle que Merle avait glissé sa main sous celle blessée de l'instructeur pour la ramène vers lui fermement mais sans violence ni panique, et l'éponger d'une compresse. Sourcils froncés, ses yeux étaient attachés à la plaie, plus intensément qu'un regard ordinaire, alors que l'enrôlé bataillait avec son achromatie pour distinguer la teinte de la chaire, du sang, ou simplement de la peau. Dés que la plaie lui apparut plus nettement, déchirure absolument noire sur la peau au reflet parfois gris de Soumaworo, il ferma les yeux et alla inspecter chaque cellule de peau, avec au fond du ventre et dans la tête cette sensation de panique, de ne plus vraiment être dans son propre corps, d'être dans un corps blessé et traumatisé, que lui laissait la biomagie.

Merle ressorti juste assez de sa magie pour pointer sa baguette vers le dos de la main de Soumaworo et chuchoter plus qu'il articulation :

« Vulnera Sanentur... »

Il répéta l'opération au moins 5 fois, complètement aveugle et sourd au reste, laissant de côté le temps, et même Soumaworo lui-même, au point de parfois oublier que la main qu'il soignait n'était pas celle d'un macchabée. À chaque sort de guérison, il utilisait sa biomagie pour guider plus que pour soigner, et vérifier que tout était intact, chaque nerf, chaque tendon.

Il arrêta enfin de balancer dans son état de semi-conscience, et interrompit sa biomagie, peut-être trop violemment..

Une nausée lui remonta du fond de la gorge, en même temps qu'il sentit le sol pencher sous ses pieds, et l'enrôlé posa rapidement une main sur le plan de travail à côté d'eux pour se stabiliser, d'un coup légèrement pâle.

«...V... T-tout va bien ? »

Merle tourna la tête vers l'instructeur, toujours un peu perdu.

« Pas de... Douleurs particulière, quelque chose de bizarre ? »

La réciproque du sort n'était pas plus complexe que le sort qui l'avait mené à cette situation. Cependant, elle ne l'était pas moins pour autant. Soumaworo traça les symboles avec précaution, car le moment n'était pas venu de commettre une autre erreur. De plus, Merle l'observait, prêt à agir. De quoi aurait-il l'air s'il se trompait devant un des enrôlés de sa brigade?

Tandis qu'il posait sa main au centre du système de symboles, le jeune médicomage lui fit signe de procéder à l'extraction des informations. Soumaworo lui répondit d'un signe de tête similaire. L'enrôlé restait là, et s'efforçait d'avoir l'air aimable. Quel que soit le problème qui l'avait mis sur la défensive, l'instructeur n'en était visiblement pas responsable. Si c'était le cas, Merle aurait pu trouver une myriade de raisons pour le planter là, et il ne l'avait pas fait. De toute façon, si le jeune homme se débinait au dernier moment, Soumaworo n'aurait qu'à improviser un bandage avec le tissu de ses vêtements et courir à l'infirmerie. Ce n'était qu'une plaie à la main, après tout. Une bête écorchure superficielle, qui ne laisserait même pas de cicatrice. A moins d'un énorme imprévu, les probabilités qu'il soit grièvement blessé étaient quasi nulles.

Il procéda donc à l'extraction. Serrant les dents, il se prépara à sentir les excroissances s'arracher de sa main. Mais elles n'en firent rien, et disparurent simplement, se fondant dans son propre sang qui commença à couler. Tandis que Merle procédait à ses soins, Soumaworo saisit sa baguette dans sa main libre et examina, de loin, le cercle où il avait extrait ce qui avait été incrusté dans sa main. Il n'y avait rien, pas de sang, pas de tracés apparus près des siens, rien du tout. Il aurait dû y avoir quelque chose. Il devait examiner le cercle, mais ne pouvait s'en approcher. Alors il tenta quelque chose.
Engorgio
Il avait dosé son sort pour une légère augmentation de taille de sa cible, car s'il n'y avait vraiment rien sur la table, alors ce serait la table qui grandirait. Garder le contrôle sur cette métamorphose, c'était s'assurer de ne pas se retrouver coincé derrière une table géante dans l'atelier avec sa main sanguinolente. Mais la table ne grandit pas. En revanche, quelque chose était devenu visible, de petits grains de poussière remuants là où il avait posé sa main.

Il avait réussi! Son sort fonctionnerait avec de l'information, il en était certain. Il faillit lever un poing triomphant et pousser un cri de triomphe en malinké. Mais Merle n'allait pas bien du tout. Soumaworo perdit instantanément le sourire qui venait d'apparaître sur son visage.
Si je vais bien? Mais c'est à moi de vous poser la question! Vous avez la tête de quelqu'un qui a perdu du sang, alors que c'est moi qui ai eu ce problème!
Il leva son index et le fit bouger de gauche à droite devant les yeux de Merle, afin de voir s'il suivait son doigt du regard. Il ignorait ce que cela signifiait en termes de santé, mais avait souvent vu des guérisseurs procéder à cet examen. S'il devait emmener Merle à l'infirmerie, au moins il pourrait donner cette information aux guérisseurs.

Il posa ses mains sur les épaules du jeune homme, comme pour le secouer. Ce qu'il ne fit pas, mais se préparait à faire si Merle menaçait de s'évanouir.
Avez vous besoin que je vous emmène voir vos collègues?

Merle tenta maladroitement de suivre du regard l'index de l'instructeur avec attention, associant la présence de Soumaworo aux cours et aux exercices, faisant par extension de son mieux. Mais le résultat ne fût que l'intensification de son envie de vomir, qui manqua lui faire ruiner les chaussures de l'enseignant avant qu'il ne ferme les yeux et prenne le temps d'inspirer à fond. Pas réflexe, il hocha la tête, comme pour répondre à la question sous-jacente « Ça va ? » qui n'avait pas était posée.

L'enrôlé maîtrisa comme il pu un sursaut en sentant deux mains se poser sur ses épaules, et rouvrit les yeux d'un coup, fixant une seconde Soumaworo  avec une lueur offusquée derrière le noir de ses iris. Il venait de ces familles où les démonstrations d'affections ne se faisaient qu'en privée, où le tactile était considéré avec un mépris certain, tout comme les effusions de sentiments et la familiarité. Les contacts ne lui venaient pas naturellement. Et même s'il y avait eu un semblant d'amélioration à l'adolescent – sûrement sous l'impulsion des hormones –,depuis  sa fugue, il semblait que les principes de sa famille, maintenant qu'il cherchait à s'en débarrassé, ne c'étaient jamais autant rappelés à lui.  Au Domaine, il avait doucement apprit à aller au-delà de ses réflexes dans son rôle de médico-mage, mais si les contact vers les autres lui venait plus naturellement, accepter ceux envers lui restait un gros blocage.
Soumaworo l'avait fait redescendre en quelques secondes sans le savoir.

« Non ça ira... Merci... De proposer. »

Il prit quelques secondes encore pour respirer, puis adressa à l'instructeur un sourire pincé et gêné, rabaissant immédiatement les yeux pour éviter une collision involontaire et certainement pas désirée avec le regard de Soumaworo. Sans esquisser un mouvement pour se dégager, il resta statique entre les mains de l'enseignant, attendant qu'il les retire de lui-même. Parce qu'il finirait par les retirer, évidemment, avant que le geste ne devienne réellement gênant. Du moins c'est ce que le reste de son comportement aujourd'hui laissait suposer. Finalement l'instructeur avait réellement réussit à faire évoluer la situation. Merle ne se félicitait pas pour ça, mais il envisageait la possibilité de faire retomber sa méfiance envers Soumaworo au même seuil que celle qu'il entretenait pour le reste du Domaine. Il n'irait certainement pas vers lui – même si c'était une possibilité tentante, surtout aux vues des connaissances qu'avait l'enseignant –, mais n'aurait peut-être plus cette certitude née de rien que Soumaworo ne pouvait par définition que le détester.

Du coin de l’œil, il  regarda de nouveau la main anciennement blessée de Soumaworo, tentait de vérifier une fois de plus qu'il n'y avait rien d'anormale.

« Donc... Rien d'étrange ? Vous pourriez... Faire quelques mouvements ? Serrer, désserer le poing, étirer vos doigts... »

Merle disait aller bien, mais Soumaworo avait suffisamment vu de gens prétendre que tout était pour le mieux alors que le monde autour d'eux était en proie aux flammes pour reconnaître que quelque chose n'allait pas bien. Il écarta doucement ses mains de ses épaules, les laissant en "barrières" un court instant pour pouvoir rattraper l'enrôlé au cas où il perdait connaissance. Qu'avait-il donc fait pour s'épuiser ainsi? Sa blessure n'était pourtant pas si sérieuse, une fois le sort inversé. Il ne s'agissait que d'une plaie superficielle. Mais ses connaissances en magie médicale ne lui permettaient pas de savoir si ce type de soins était aussi bénin pour le guérisseur que pour le patient. Il avait déjà eu affaire à des biomages et connaissait, dans les grandes lignes, les limites de cette pratique. Merle avait dû trop présumer de ses forces. Et pourtant il s'obstinait à ne pas vouloir être emmené à l'infirmerie.

Soumaworo recula de quelques pas, laissant de l'espace à l'enrôlé pour respirer. Il hésita à insister. Merle était-il en train de se montrer déraisonnable en minimisant un problème de santé, ou allait-il vraiment mieux? Le médicomage, c'était lui, après tout. Il était qualifié pour juger de son propre état de santé. L'instructeur décida de lui faire confiance, mais garda un oeil sur lui. Il n'aimait pas la manière hésitante dont il s'était soudain mis à parler...

Hé bien, les quelques mouvements que j'ai faits m'ont semblé naturels, répondit-il à Merle. Mais voyons cela de manière plus détaillée...

Il ouvrit et referma sa main, plusieurs fois de suite en crispant de plus en plus les muscles de ses doigts. Il fit tourner sa main sur son poignet, pianota dans l'air en imitant le mouvement des pattes d'une araignée qui se déplace, assouplit les articulations de chacun de ses doigts tour à tour. Tout semblait normal. La peau reconstituée à l'endroit où s'était trouvée sa plaie ne donnait aucune sensation de tiraillement, à la manière du tissu cicatriciel qui a besoin de s'assouplir. Mieux encore: il n'y avait aucune trace de blessure, aucune cicatrice ni même aucune décoloration. C'était comme si rien n'était arrivé.

Tout semble normal.

Il appela à lui un petit bocal vide qu'il nettoya rapidement à l'aide d'un sort, avant d'y déposer les "grains de poussière remuants" qui avaient transformé sa main en berceau pour asticots. Il jeta un regard rapide à celui qui l'avait soigné. Il semblait aller mieux, mais la manière dont il avait semblé défaillir ne lui plaisait toujours pas. Et s'il perdait connaissance seul dans l'atelier? Non, il valait mieux qu'il aille consulter les autres medics. Le risque de les déranger pour rien n'était rien face au risque de laisser un mal s'aggraver.

Je vais amener ces insectes à Lancelot pour plus d'informations, dit-il. Et vous, vous venez avec moi pour que les préposés à l'infirmerie vous examinent.

Avant que l'enrôlé ne puisse protester, il trancha ses remarques d'un geste de la main.

Je sais que vous m'avez dit que "cela irait". Mais en laissant un enrôlé malade sans surveillance je faillirais à mon devoir d'instructeur. Si vous pouvez marcher, je vous invite à passer devant, que je puisse vous empêcher de tomber si vous perdiez connaissance.

Merle suivit avec toute l'attention que son état lui permettait, les mouvements de la main de Soumaworo, essayant de voir si un angle lui semble lui semblait étrange, si peut-être même, malgré une vision incomplète, il arrivait à deviner une tension étrangement dans un muscle. Mais tout semblait en ordre. Heureusement. L'enrôlé ne retient qu'à moitié le discret soupire de soulagement qu'il eu à la réponse de l'instructeur.

« Parfait alors... »

Voyant Soumaworo absorbé par quelque chose sur l'établi, il en profita pour commencer à ranger ses affaires, pliant la compresse ensanglantée pour la ranger dans une pochette imperméable de sa sacoche, et en prenant une autre pour nettoyer la légère trace grise sur ses doigts. Personne n'avait envie de tomber là-dessus dans une poubelle lambda d'un atelier Snidget : il irait jeter tout cela à l'infirmerie. Merle allait refermer sa sacoche quand il entendit la voix de Soumaworo, tournant instinctivement la tête vers lui, les lèvres d'emblées entrouvertes pour protester. Mais le geste de l'instructeur le coupa net, et il referma la bouche, le regarde sérieusement.
Merle entendait déjà la voix de Lancelot, teinte de reproche dans l'acoustique de l'infirmerie, lui reprocher d'avoir mal utilisé sa biomagie. Ou lui expliquer qu'il aurait dû appeler un médico-mage plus expérimenté a lieu de vouloir jouer les héros. Et le pire serait qu'il n'avait pas complétement tort. L'enrôlé répondit avec un « Bien. » amère, et finit de fermer sa sacoche, ses lèvres légèrement crispées l'une contre l'autre. Il hissa sa sacoche sur son épaule, et sorti de la pièce en tentant de marcher le plus droit et vaillamment possible, comme s'il y avait une chance pour que l'instructeur revoie son jugement.

En passant dans l'embrasure, et en réalisant qu'une part déjà infime de l'attention de Soumaworo était sur lui, il calcula qu'il n'allait pas arriver à l'infirmerie sans un sursaut d'animosité pour l'instructeur. Il détestait se savoir regardé sans pouvoir rendre la pareil, ou juste pouvoir y échapper. Il avait besoin de voir sur le visage des gens ce qu'ils pensaient, ce qu'ils disaient, ce qu'ils faisant en sa présence : réflexe de celui qui c'est foutu des autres dans leur dos, et sait bien qu'ici, l'arroseur arrosé ne tient qu'à un cheveu. Et en même temps, ce serait si mérité.
Merle se décala légèrement sur le côté, attendant que Soumaworo quitte la pièce, pour attirer son attention sans le regarder dans les yeux pour autant.

« Heum... C'est peut-être pas néccesaire de... On p-.... Nous... »

Il soupira, énervé contre lui, et ce « on », ce « nous » qui ne voulait qu'à moitié sortir. Il n'y arrivait pas. Pas encore. Se condenser, un autre humain et lui, dans un même pronom, c'était un exercice auquel il ne s'était plus adonné depuis quelques années maintenant, et qui avec quelqu'un du Domaine, se révélait presque blessant. Il ne voulait pas manquer de respect envers l'instructuer, mais il ne voulait pas non plus se montrer trop cérémonieux – quand bien même il semblait compliqué de paraître cérémonieux au côté de quelqu'un comme le professeur de communication.

« Marcher côte à côte est suffisant. »

Finis par ponctuer Merle. Pas de pronom. Pas d'ensemble. Pas de cohésion.

« Si vraiment ça ne va pas... Je me rattraperais à vous. Et j'aimerais discuter de votre expérience, ça serait plus facile... Côte à côte.»

Il avait tenté d'improviser, cette excuse à moitié fausse comme la façon dont il l'avait formulé, mais avait finit par à nouveau faire attention au moindre choix de mot. Chassé l'artificiel naturel, il revient au galop.

« Je suis désolé, je sais que je ne suis pas sensé discuter les ordres, mais... »

L'enrôlé tenta de finir son argumentation sans rien trouver, fixant le vide en cherchant désespérément une raison. Mais j'ai l'impression d'avoir « mange-mort » écrit partout sur le corps, sur la nuque évidemment, et si vous pouviez éviter, comme tout le reste du Domaine, de le lire, j'aimerais vraiment. Finalement, il laissa retomber la main qu'il avait légèrement levée pour donner du poids à son argument, attendant le verdict de l'instructeur.

Le ressentiment semblait de retour chez l'enrôlé. Soumaworo comprit qu'il l'avait vexé en insistant pour l'emmener à l'infirmerie. Mais s'il détestait l'idée de froisser celui qui l'avait soigné, il détestait davantage l'idée de laisser ce dernier seul en proie à d'autres soucis liés à sa santé. Si Merle était raisonnable, il le comprendrait. A moins qu'il n'y ait autre chose...Merle passa devant et sortit de l'atelier. Soumaworo le suivit.

Puis Merle sembla pris d'une gène qu'il ne comprit pas immédiatement. Il bégayait, esquissa l'expression d'une crainte que l' "on" puisse faire ou dire quelque chose. Lorsqu'enfin Merle finit sa phrase, Soumaworo faillit éclater de rire mais se contenta d'un sourire un peu plus large qu'à l'accoutumée.
Mais bien entendu! Il n'y a aucun problème
Il avait demandé à Merle de sortir en premier uniquement pour s'assurer qu'il était bien capable de marcher et se tenir prêt à le transporter via "locomotor" si nécessaire. Dès qu'il avait jugé tout risque d'évanouissement du médicomage écarté, il n'était plus nécessaire qu'ils marchent en file indienne comme s'il emmenait Merle aux arrêts. Il n'avait pas pensé qu'il puisse mal comprendre ce qu'il avait dit, et il se demanda s'il s'était exprimé de manière trop vague.

Son sourire se figea lorsque Merle s'excusa de "discuter les ordres". De quel ordre parlait-il? L'enrôlé avait visiblement interprété sa "suggestion" comme un ordre strict. C'était là un défaut commun à la plupart des gens: ils ne savaient pas lire entre les lignes. Pour beaucoup, c'était un problème d'éducation qui décourage la réflexion au profit de l'obéissance aveugle.
Aviez-vous reçu un ordre dont je n'ai pas eu la connaissance? Parce que je ne me souviens pas en avoir donné. Pour être franc, je ne suis même pas certain d'être habilité à en donner en dehors des cours.

En marchant il jeta un regard rapide à Merle. Il semblait plus que préoccupé. S'agissait-il de son malaise antérieur qui refaisait surface?