Je levais la tête sur la silhouette voilée de vigne. Corneille avait-elle choisi, je m’en souvenais. En silence, je la regardais s’adresser à moi. Me donner du Monsieur Odysseus. Poser la main sur son étui à baguettes qui souffrait visiblement d’avoir été agrandi, le pauvre. Sans lui répondre, je me baissais derrière le comptoir, sortant une protection de bois et de feutre enchanté de 35 centimètres de long que je posais sur le plan de travail. Elle ne venait pas pour cela, bien entendu. Ils ne venaient jamais pour ça mais cela ne voulait pas dire qu’ils en avaient besoin. Rapidement, nerveusement, elle m’exposa l’objet de sa visite. Une main non gantée en frottait une autre, protégée celle-là. Etrange. Cela attisait la curiosité et marquer les esprits n’était jamais une bonne chose, même lorsque l’on ne faisait pas partie de l’intelligence. Cependant, il y avait probablement quelque chose de plus profond à ce choix vestimentaire. Je sentais le potentiel dramatique du sujet et décidais de ne pas l’aborder. Au lieu de ça, je lui indiquais le haut tabouret qu’elle avait investi le premier jour, lorsqu’elle avait refusé la pâte de fruit et choisi son surnom.

L’entretien des baguettes était en général assez simple. Un coup de chiffon anti-poussière, un peu de vernis peut-être, des visites régulières tous les cinq ans au baguettier, en fonction de l’utilisation que l’on en faisait. Il n’y avait pas besoin de les stocker à l’abri de la lumière et/ou de l’humidité comme l’on pouvait le croire. Un artefact passablement construit avait cette force qui le maintenait sain, loin des parasites et des dégâts du temps. Il évoluait, évidemment, pouvait se bonifier ou de détériorer, cela dépendait de tellement de choses. Et là encore, au vu du choix des mots, la demande était probablement plus complexe. Je m’assis à mon tour, mes mains posées sur le bois du comptoir, les jambes touchant terre et la tête, pour une fois, raisonnablement loin du plafond. Ma grande taille me jouait souvent des tours. Heureusement l’atelier avait été fait pour moi, semblait-il.

« Je vous écoute. »

Agrandir par magie était une facilité mais qui ne respectait pas l’objet et je pouvais le sentir se rebeller contre cet affront à sa nature. Il était parfaitement normal pour un sorcier de le faire, surtout lorsqu’il n’avait pas d’autre option et je ne le reprochais aucunement à la jeune femme mais cette…dissonance m’était désagréable. Je préférais de loin lui en fournir un plus adéquat que de supporter ce genre de bruit interne. Mais ce n’était pas la raison de notre rencontre, je le savais bien et elle aussi puisqu’elle commença à m’expliquer réellement ce qu’elle voulait de moi. La baguette, sur le comptoir. Je fermais les yeux. Les premières baguettes étaient rarement en Noyer Noir. En réalité, ce n’était pas un arbre apprécié de tous les fabricants, il avait des particularités assez dangereuses à ne pas mettre chez les enfants.

« Une baguette est un artefact magique qui se lie avec un esprit. Lorsque l’on dit que la baguette choisi son sorcier, c’est faux, bien évidemment. Un mage puissant saura toujours imposer sa volonté à un catalyseur. Mais il y a tout de même une dimension de choix mutuel. » J’avais à peine regardé ses blessures. Cela était du domaine de Lancelot, pas du mien. « Seulement les êtres évoluent. Humains, nous sommes moins figés dans le temps que nos objets et il arrive que la comptabilité chute ou se transforme. » J’inspirais. « Le marchand qui a vendu du noyer noir à une petite fille était inconscient ou cupide. » malgré le calme désabusé de ma voix, le choix de mes mots était parfaitement mesuré. « Ce bois demande à son sorcier d’être toujours en accord avec lui-même et perd ses capacités en cas de doute, d’aveuglement ou de conflit interne. Or l’adolescence est un bouillon de conflits, il est impossible de la passer en restant toujours profondément sûr de soi. Ce fut probablement la première fêlure entre vous. Le nerf de dragon, par ailleurs, renforce les capacités naturelles du bois en démultipliant ses effets. Avec cette fissure, il a suffi que vous ayez un moment de conflit intense ou de peur profonde, que l’autre ait utilisé un bois opposé comme le Chêne blanc par exemple, et que le sort en question ait été de nature à détruire et vous avez ce genre de résultat. Surtout avec une baguette longue et souple. L’ouverture d’esprit est souvent en conflit avec la confiance en soi, c’est en découvrant de nouvelles cultures qu’on enrichi son être intérieur mais cela demande d’être capable de surmonter des remous internes. Ce que le noyer noir méprise. » Je haussais les épaules, frôlait mon travail du bout des doigts. « La vigne est moins explosive, même avec du dragon mais attention à rester à la hauteur de ses exigences pour ne pas qu’elle vous fasse faux bond. Si vous sentez un changement profond dans votre façon d’être ou de penser, ne restez pas avec vos doutes. Allez voir le baguettier. »