Le baguettier. Je me retournais, un peu surpris par le terme utilisé, plus que par la présence d’une jeune femme voilée dans mon antre. Après tout, c’était le premier jour, celui qui voyait fouler le sol du domaine par les jeunes enrôlés dont les Rêves avaient hanté mes nuits. Je ne pouvais pas me souvenir exactement des noms et des vies de chacun. Ils avaient été trop nombreux. Il y avait eu les portes qui s’étaient révélées décevantes, celles de ceux qui avaient refusé et qu’il avait fallu perdre et, enfin, ceux qui allaient nous rejoindre. Dans ma main baissée, un poinçon. Dans l’autre, le squelette d’une baguette que j’étais en train de terminer sur le comptoir. Aucune des deux n’était levée, je ne voulais pas l’effrayer. Elle n’avait déjà pas l’air sûre d’elle, cette demoiselle qui s’accrochait à son sac. Il n’allait pas lui demander de se dévoiler plus que nécessaire. Pour avoir fait le voyage à ma façon, je savais comme tout ceci pouvait s’avérer perturbant.

« Odysseus. » Je lui fis un signe doux vers un haut tabouret qui trainait dans un coin. Il était couvert d’outils divers. Je posais mon instrument et sortit ma propre baguette de son étui, dans ma manche. D’un geste et d’un informulé, je lui libérais la place. « Bienvenue au Domaine. » Ce n’était pas parce que je parlais peu que j’oubliais aussi facilement la politesse que mes parents m’avaient inculquée. L’assiette de pâte de fruit apparu non loin d’elle, avec un verre d’eau. Personnellement je n’étais pas fan de friandises sucrées. A part les loukoums à la rose, mais il n’y avait absolument rien qui ne pouvait se comparer à de vrais loukoums.

« Ici nous parlons tous la même langue et choisissons notre pseudonyme. Vous trouverez la liste des noms disponibles sur votre droite. Si vous avez faim, servez-vous. Ces pâtes vous permettront comprendre et de communiquer avec tout le monde. L’eau n’est que de l’eau. » c’était un long discours, pour moi. Et je n’avais pas fini. Je soupirais en pensant au nombre de fois que je devrais répéter les mêmes informations avant la fin de la journée. Avant la fin de la semaine.
« Puis vous aurez votre baguette. » Je n’arrivais pas à m’auto-proclamer Baguettier. Cela était trop difficile pour moi. Je ne m’en sentais pas la légitimité. J’avais étudié longuement les artefacts lors de mes études d’histoire magique. J’avais appris la théorie de leur création, j’avais construit et assemblé des dizaines de baguettes, et pourtant, je n’avais pas la précision d’un Ollivanders ni le génie bourru d’un Grégorovitch. Mon style était fondamentalement différent.

Je n’insistais pas. Elle parlait assez bien anglais pour que je puisse la comprendre et l’assiette lui serait représentée par la suite. Il était naturel de ne pas avoir spécialement faim dans de telles circonstances et l’on voyait assez vite ceux qui avaient décidé de faire confiance et ceux qui attendaient toujours de voir si ce serait le cas. Je repoussais donc les friandises, laissant l’eau à disposition, au cas où et me saisis du grimoire pour noter son choix. Comme beaucoup de choses ici, il était plus complexe qu’il n’y paraissait, le nom se rayant de lui-même sur la liste alors que le nom de la jeune femme était remplacé par son pseudonyme sur absolument tous les documents officiels visibles. Seuls les papiers du Directeur n’étaient pas affectés. J’en savais quelque chose, j’avais créé le grimoire et tous ses liens. Je m’approchais d’elle sans la toucher, pris ma baguette et envoyais mon ruban la mesurer dans tous les sens. Elle semblait s’y attendre et il était vrai que les collègues le faisaient. Pourtant, si la longueur de la baguette était en partie liée à la taille de la personne, elle l’était bien plus à l’ouverture d’esprit. Je désignais l’atelier d’un geste de la main alors que le mètre allait se ranger de lui-même, les tailles bien rentrées dans ma base de donnée.

« Si vous voulez, vous pouvez tenter de trouver vous-même la baguette qui vous convient. Ou bien je peux vous fournir des conseils. Pour commencer, je vous propose de tester des instruments de taille moyenne et un peu rigide. » En refusant la nourriture, se présentant voilée et posant peu de questions, elle n’avait pas démontré une grande ouverture d’esprit, imprudence, ni curiosité, toutes ces qualités qu’aimaient les artefacts longs et souples. Cela dit, ce n’était pas une preuve. Parfois, dans un cadre nouveau, l’on s’obligeait à aller contre sa nature. Ce n’était jamais bon, jamais une bonne idée et c’était pour cela que c’était profondément humain. « N’essayez pas de trouver à tout prix, gardez votre esprit ouvert, pensez à votre propre flux magique et à la façon dont il coule dans vos doigts. Si vous avez un bon instinct, il devrait vous guider vers le meilleur endroit. Tentez au maximum de ne pas vouloir retrouver celle que vous avez perdu. Ici, vous êtes une personne nouvelle. C’est une renaissance et il est juste logique que votre instrument d’hier ne soit pas celui d’aujourd’hui. » C’étaient beaucoup de paroles pour mais mais récitées calmement, sans même sa mélancolie habituelle, avec un accent un peu chantant venu droit de la méditerranée. Ce discours, je l’avais écrit, préparé comme un cours. Car ce n’était pas autre chose, au fond.

L’éclat de rire, s’il me surprit, ne m’offensa pas. Il n’y avait pas de malveillance dans cette explosion d’hilarité et, avec la nervosité engrangée par les changements soudain de l’arrivée au domaine, il n’était pas incongru d’évacuer le stress de cette façon. Je la laissais donc aller jusqu’au bout et exprimer ce qu’elle voulait. Courte et rigide, c’était certain, ne lui conviendrait pas. D’abord d’un point de vue purement physique. Elle était plutôt grande pour une femme et n’avait pas besoin d’un accessoire court et explosif. Enfin, elle s’excusa, explicitant sa réaction. Je retins un soupir. On ne donnait pas des baguettes comme ça au petit bonheur la chance. C’était un manque de respect flagrant pour le sorcier, pour l’artefact et pour le baguettier qui l’avait créée. Même lorsque j’en fournissait à la résistance et aux nés de moldu, je donnais toujours un éventail de choix. Seule, ma toute première avait été limitée par les ingrédients que j’avais pu me procurer. Mais elle m’avait appelée et elle était pour une personne chère à mon cœur et pour cela, elles avaient été parfaitement accordées. Jusqu’à la fin.

« Ne vous en faites pas pour elle. » Ma voix douce indiquait qu’il ne lui arriverait rien qu’une retraite dorée. En réalité, je n’en savais rien, personne ne m’avait dit où allait les baguettes et je n’avais pas posé de question. Sans rien ajouter, je la regardais choisir ses baguettes, autant avec ses yeux qu’avec son flux magique. C’était déjà ça, elle avait l’humilité de ne pas vouloir et de se laisser guider. Elle fut attirée par une claire en chêne blanc qu’elle prit, reposa, reprit. Je hochais la tête avec douceur. « Il n’est pas question de vous laisser repartir avec une baguette qui ne serait que partiellement accordée. Si vous ne trouvez pas parmi celles ici, j’en referais d’autres qui vous seront présentées jusqu’à ce que vous vous trouviez mutuellement. » C’était un manque de respect envers les baguettes que de leur imposer un sorcier qui ne leur convenait pas et l’on voulait que les jeunes reviennent de la guerre et des combats, pas qu’ils se fassent capturer à cause d’un conflit magique entre eux et leur arme. Je comprenais que la résistance puisse n’avoir qu’un stock limité et faisait avec les moyens du bord, mais ici, comme Corneille s’en apercevrait bien vite, il y avait des moyens incommensurables mis en œuvre. Je sortis la mienne, en orme, et, d’un coup de poignet et d’un informulé, appelait la première touchée sur le comptoir. Il arrivait que l’on trouve tout de suite, mais que l’appel soit assourdi par la certitude que la première n’était jamais la bonne. Elle serait retestée par la suite. Nous avions du temps.

Après le rire, l’étonnement. Avec une once d’admiration ? Je comprenais qu’un fabriquant de baguette soit relativement rare, quoi que cette spécialité, si elle demandait une bonne sensibilité, ne soit pas parmi les plus dure. C’était un artisanat, voie dépréciée par la mode actuelle qui voulait que l’intellectualisation soit la seule voie qui comptait, dans les mondes moldus comme sorcier. On était Auror, Commercial, des métiers qui demandaient de diriger des gens en méprisant ceux qui faisaient quelque chose de leurs mains. Et pourtant, il était bien plus difficile de se faire comprendre d’un élément magique récalcitrant que d’une personne dont on pouvait parler la langue. Je me contentais de hocher la tête. « La Direction n’a reculé devant aucune dépense pour l’établissement du Domaine. » Clairement. Les infrastructures seules étaient impressionnantes, sans parler de la richesse des ingrédients que l’on mettait à ma disposition. Personnellement, j’avais du mal à croire que le projet soit porté par le Directeur seul. Je pensais qu’il n’était que la partie immergée – visible – d’une organisation secrète. Laquelle, évidemment, je l’ignorais mais tant que leur but serait la déchéance du Mage Noir et une politique d’égalité entre les êtres, je n’avais rien contre aider autant que possible.

Entre-temps la jeune femme avait pris une baguette de vigne. Des objectifs élevés et une vision hors du commun ? Vraiment ? Mais il était vrai que ce bois avait pour habitude de voir au-delà des apparences dans des profondeurs cachées. Le nerf de dragon, a contrario était plus logique, donnant une dimension concrète et violente à l’artefact, en écho avec le torrent d’émotions contraires qu’elle déversait dans l’atelier. De taille moyenne, comme prévu. Souple avec son caractère. Bien. D’un geste de ma baguette d’orme, je transformais les plumes de corneille émises en grains de poussières qui tombèrent au sol puis attrapais mon grimoire pour noter l’accord qui venait de se conclure. Je n’avais pas vu sa larme mais ressenti sa détresse. Je la lui laissais. Je n’aimais pas m’investir dans les émotions des autres, j’avais assez à faire avec mon propre désespoir. Je veillais simplement à déplacer une boite de mouchoirs à sa portée si elle le désirait.

« Bienvenue au Domaine, Corneille. »