Le bruit de la pierre à poncer qui venait, et venait, suivant le fil de l’arbre avait quelque chose d’hypnotique. Doucement, entre mes mains, la baguette prenait forme, vie. Elle avait cette ardeur obstinée qui me rappelait certains enrôlés rencontrés plus tôt. Elle serait rétive. Je pouvais presque sentir le pouvoir crépiter contre la pulpe de mes doigts. A l’intérieur, l’essence de Womatou faisait les cents pas, impatient et empli de cette force tranquille qui est la marque du prédateur. Elle se chargeait et explosait. Il lui faudrait une bonne poigne pour la compléter, une bonne dose de souplesse pour contrebalancer sa rigueur. Un esprit déterminé, fort, rapide. Je réfléchis et décidais d’infléchir un peu la courbe. Je repris mon mouvement, mettant plus de force sur le début, relâchant ma paume sur la fin. Je ne savais pas depuis combien de temps j’étais là, concentré sur ce bout de bois comme si c’était la chose la plus importante au monde.

Un léger air de flûte, du Mozart, entra par la fenêtre pour me tirer de mon état second. Inutile de regarder ma montre pour savoir de quoi il s’agissait. L’heure de la réunion. Une fois encore j’avais oublié le repas du soir. Une fois encore, j’irais prendre dans la kitchenette quelques biscuits légers lorsque mon estomac se rappellerait à moi. Je jetais un regard désolé à mon œuvre. Je n’aimais pas abandonner un façonnage mais je devais me rappeler que j’étais là pour servir et que mon temps ne m’appartenait plus. J’étais arrivé au bout du mien. Celui qu’on me donnait était pour d’autres. J’avais signé. J’essuyais mes mains sur mon tablier de cuir avant de l’enlever et de le pendre quelque part dans l’atelier. Vêtu simplement d’une longue robe de sorcier noire, je sortis de l’endroit et prit doucement le chemin de ma brigade. Dehors, le jour brillait toujours de tous ses feux. Mai annonçait l’été. J’espérais qu’il ne serait pas trop chaud. Le monde bruissait de vie, une musique qui m’attirait et m’attristait à la fois. Je ne m’attardais pas, j’entrais.

La salle commune des Snidgets « Vivets dorés » était telle que lors de mon arrivée, les têtes blondes, brunes et rousses en moins. Eux aussi bruissaient de vie. Un papier circula de main en main avant de m’arriver. J’y jetais un coup d’œil, ignorant totalement le bruit de serrure qui se fit alors entendre. Décoration, slogan. Si je pouvais peut-être aider à l’un, je serais totalement inapte à l’autre. Je n’aimais pas les mots et n’avait pas le talent des assembler comme je le faisais des notes. Je posais le papier sur la table, regardais mes deux collègues puis nos ouailles. Une en particulier attira mon attention de par son port altier et une perfection plus qu’humaine qu’elle portait comme un défi. Je la regardais, silencieux, l’invitant à parler d’un haussement de sourcil.

Evidemment, elle était en colère. C'était naturel. Elle avait servi de catalyseur et je savais à quel point ce genre de travaux étaient épuisant pour le coeur en question. Vigne. Je devais me rappeler qu'elle était vigne. Mais le silence semble lui donner raison. S'il suffit de si peu pour réduire l'élite au silence, je pourrais commencer à partager la crainte du Directeur. J'attends cependant. Je n'espère pas, juste, je ne désespère pas non plus. Et, du coin de l'oeil, je vois Arcturus (peuplier et ventricule de dragon - la morale au service de l'action) prendre son siège et faire mur entre la salle et la cheminée. Intelligent. Il tourne le dos à l’autorité, recentre le débat sur eux, exclue la remarque venue de l’extérieur, rebondit sur ma proposition et protège le groupe. D’autres viennent, en soutien moral, se mettre à côté de lui et, petit à petit, un cercle se forme. Pour ma part, je suis toujours debout, toujours à l’arrière. J’ai fermé les yeux. Je réfléchis. Puis, d’un mouvement de poignet, j’invoque au centre du cercle un paravent composé de trois panneaux de tissus tendu par des cadres de bois et reliés par des gonds leurs permettant de s’étirer plus ou moins. Un nouveau sort reproduit des mers d’Hokusaï sur la surface vierge. Je n’ai pas le talent du fou de dessin, un artiste peut facilement repérer les imperfections de ma performance mais, au fond, quelle importance. Je ne suis pas ici pour revendiquer quoi que ce soit. Si les artistes ne sont souvent reconnus qu’après leur mort, je n’ai pas cette prétention.

« D’abord, leur trouver une unité de thème et de couleurs si l’on doit en mettre à tous les lits ? » Je n’ai pas envie d’un défilé d’images criardes, de pin-up et autres calendriers à la mode et encore moins d’art abstrait. Le modernisme n’est pas à accumuler dans toutes les pièces. Il faut laisser les œuvres respirer, se répondre. Leur laisser leur espace à chacun. Pour que les échos s’épousent sans se contraindre et cohabitent en bonne harmonie. Quitte à revenir plus tard sur les notions plus essentielles de la vie en communauté, une création commune permettrait à tous de s’inscrire dans une appartenance à quelque chose de plus grand qu’eux, comme chaque pièce de puzzle s’emboite vers l’image finale. Cette fois cependant, je ne regarde personne en particulier. J’attends.

Ils étaient sorciers. Certains avaient toujours vécu parmi les moldus certes mais d’autres étaient nés et avaient grandi entourés de magie. Ils avaient fait des études pour contrôler leurs dons. Ils avaient vu des miracles. Et ils se demandaient s’il était possible d’enchanter des paravents pour couper le bruit. Curieux. C’était comme si la magie du domaine leur faisait oublier qu’ils étaient sorciers, eux aussi, acteurs et non pas simplement spectateurs. Adultes qui faisaient, non enfant qui demandaient.

« Possible. » Je regardais les paravents pendant que les derniers discutaient encore de l’intérêt de faire bouger des vifs d’or sur les toiles. « Cela dépend de la taille du paravent. Le sortilège « insonoro » que certains d’entre vous doivent connaître permet d’imperméabiliser un objet au son mais ce dernier aime passer au-dessus, en dessous ou à côté des obstacles. » Or des paravents qui iraient jusqu’au plafond ne seraient pas des plus faciles à transporter. Quant à faire des tentes dans la salle commune, c’était possible mais loufoque.

« Ma salle de classe sera ouverte pour ceux désirant travailler le soir. Je vous invite à voir la salle commune comme un foyer. L’idée des brigades est d’apprendre à se connaître et la première chose que vous faites est de vouloir vous diviser. » Contrairement à Monsieur le Directeur, je ne mettais ni jugement, ni mépris, ni colère dans mes propos, je me contentais de souligner la chose. C’était dommage qu’un projet de groupe parte dans ce sens-là. « Demain vous devrez compter les uns sur les autres voulez-vous vous appuyer sur des inconnus dont vous ne saurez pas les forces et les faiblesses ou bien préférez-vous prendre le risque de vous attacher un peu pour montrer un front uni ? Cet endroit est le vôtre bien sûr, je ne vais pas vous obliger à vous supporter si vous ne le voulez pas mais… vous avez montré une belle unité » je désignais de la main le rang de chaises qui avaient suivi l’exemple d’Arcturus. « donnez-vous au moins une chance, non ? » Je levais les sourcils. S’ils continuaient à demander d’ériger des barrières entre eux, évidemment je les y aiderais mais j’espérais, au moins, que certains réfléchiraient à l’importance du travail en équipe. De se connaitre et de se fréquenter, de se considérer comme un tout, au moins par brigade ou par dortoir. La balle métaphorique était dans leur camp.