La forêt d'ici, elle pue.

Non sérieux. Elle pue. La résine. Ca pue, la résine. On a pas ça, au pays. Pas celle-là en tout cas, âcre et forte et qui pue comme ça. Pis elle est pas humide comme elle devrait cette forêt, y a des arbres bizarres partout, y a des bestioles bizarres partout aussi mais petites globalement, et moins venimeuses voire pas du tout. Ca j'avoue j'me plains pas. Paraît qu'y a des centaures et des bestioles magiques aussi. Pas impossible, j'ai vu des sabots l'aut'jour par terre dans la boue. J'en ai jamais vu en vrai par contre, et jamais entendu parler d'bestioles magiques (ou pas magiques d'ailleurs) d'Amérique latine.

Et donc qu'est-ce que j'fous là si la forêt elle pue et qu'les bestioles d'dans elles sont chiantes ? J'm'entraîne. J'fais du r'pérage. J'm'habitue aux bruits, aux odeurs qui puent, aux bestioles et aux traces. A pas laisser d'traces, à pas faire d'bruit. Connaître son environnement tout ça. Ca va être utile un jour ou l'aut', j'le sais. Pis ça fait faire du sport en plus d'l'heure obligatoire tous les jours - une heure putain, une pauvre heure d'rien du tout, y en a qui partent d'tell'ment bas. Pis même s'ils puent ça reste des arbres. J'aime bien les arbres en vrai... surtout quand y a pas trop d'bestioles mortelles dedans, ça j'avoue c'est cool. Pis j'le dirai jamais, mais ça rappelle aussi des souv'nirs pas dégueu. D'autres un peu plus, qui puent la fumée et les sorts et la trouille.

J'vais pas trop loin par contre, pas folle. Pas seule, surtout. C'pas parce qu'y a pas d'araignées mortelles ou d'serpents magiques sa race qu'y a pas des trucs plus gros.

...attends j'ai rêvé ou y a un chiard qu'appelle sa mère ? J'm'arrête, j'écoute un peu mieux. Non attends, c'pas un chiard ça.

Pas un chiard humain en tout cas.

J’rampe dans les fourrés, attentif à garder le vent dans le dos pour ne pas être repéré. Il y a un nid de rongeur pas loin. L’humaine dit qu’elle ne sait pas si ce sont des souris, des mulots ou des musaraignes, moi je sais que c’est des choses qui se mangent et que nous avons faim. Je me tasse sur moi-même, les moustaches frémissantes, les oreilles aux aguets. Je sais qu’ils sont là. Je ne sais pas comment, ce n’est pas important, je le sais parce que je suis Prédateur et qu’ils sont proie. Ils vont mourir. Ils s’en doutent déjà. Ils détalent. Je saute et brise une nuque d’un coup de dent. Trois sont partis dans l’autre sens mais un autre adulte n’est pas loin. Il tente d’arriver à un terrier. Je lui coupe la route, il bifurque, je lance un coup de patte, il roule, je re-saute, il est déjà reparti. Il me faut quelques minutes pour réussir à le plaquer au sol et à le terminer. J’ai du sang sur les pattes. Je les nettoie, tire un peu sur mes griffes avec mes dents. Il faut garder ses armes affûtées. Puis, je prends la première proie par la queue, retrouve la seconde, fait de même et me dirige jusqu’à l’antre.

Ca crie. Aigu. Stupides. Je gronde. « Vous voulez attirer les prédateurs c’est ça ? Vous ne valez pas mieux que des proies tellement vous êtes jeunes alors silence ! » Mais les petits ont faim et froid et ne savent pas se taire. On vérifie que l’entrée est bien cachée par un buisson d’épineux et l’on s’avance.

Ils sont trois tout au fond. Deux femelles, un mâle, tous de gouttière, à peine sevrés. J’ai trouvé leur maman décédée il y a quatre jours sous un arbre. Elle devait chasser et je crois qu’elle s’est faite taper par un sanglier. Je crois. On n’est pas très bons en animaux qui ne se mangent pas. On rampe, on s’avance, on pose les proies. Ils arrivent en sautillant. Je les renifle et les reconnait. Bon, ils n’ont pas d’autre odeur, c’est bien. Juste la poussière de l’endroit. J’éternue. Le mâle attaque la queue de la proie morte. Il a un bon instinct, c’est bien. Une des femelles me phéromone, l’autre reste en retrait. Celle-là ne fait confiance à personne.

« Mangez » je fais. « Et toi au fond je vais te nettoyer. » Miii fait-elle, protestant faiblement. Je m’en fiche pas mal. En bond je suis sur elle, l’attrape entre mes pattes comme une proie et commence à la toiletter. De gré ou de force elle me fera confiance. Les deux autres galèrent avec la peau du rongeur. C’est la première fois que je le leur ai pas éventré. Il faut bien qu’ils apprennent.

Ouep, vraiment pas un chiard humain. Trop aigu, trop court, trop chat. Ca doit pas être beaucoup plus gros, et c'est pas loin. Des chatons, en pleine forêt, qui chouinent. Y a pas la mère avec eux sûrement, sinon y f'raient pas un raffut pareil qu'même moi j'entends.

J'peux pas partir comme si d'rien était. C'pas marrant d'entendre un gosse chialer après sa mère... même un bébé chat. Pis faudrait pas qu'un truc plus gros les entende et aille s'faire son quatre-heures dessus. J'vais faire ça ouais, j'vais guetter un peu, et d'abord essayer d'les trouver. Ca encore c'est pas dur, y a qu'à suivre les chouinements. Les trouver sans leur faire peur aussi tant qu'à faire ça s'rait cool. Pour une humaine j'suis plutôt discrète, mais pour un chat j'dois encore êt' l'équivalent d'un bulldozer moldu. A peu près.

J'ai pas beaucoup d'expérience avec les mini-félins en vrai, par contre c'que j'suis sûre c'est qu'je risque pas d'les toucher et d'fout' mon odeur d'ssus, la mère va les renier sinon. Mais au moins guetter la mère. Les d'voirs peuvent bien aller s'faire foutre, les chats c'est important bordel. Surtout les bébés.

Ah, ça change. Ca fait moins d'bruit. Pis l'seul chaton qui chouine encore ça ressemble à "arrêêêteuuuh" qu'à "mamaaan". J'me sens sourire, ça arrive pas souvent. C'est bien. Elle a dû rentrer pendant qu'je m'approchais en essayant d'pas faire d'bruit. Du coup j'm'approche pas plus, par contre j'm'accroupis lentement, mains et pieds bien visibles.

"Va falloir changer d'trou."

Et tant pis si j'me fais traiter d'humaine sans cervelle qui connaît rien aux trucs de chats et qu'si j'me casse pas j'vais m'en prendre une hein, enfoncer une porte ouverte ça a toujours moins tué d'gens qu'se prendre une porte fermée dans la gueule.

Y a un gros truc qui approche et fait un bruit de…de…gros. Je m’arrêter de lécher, lève la tête, moustaches au vent mais si le trou est bien profond et bien protégé, il ne porte pas trop les odeurs. La petite tente de s’enfuir, je lui mets un coup de patte entre les oreilles pour qu’elle se calme. L’autre femelle fait le gros dos. Le mâle est à fond sur son rongeur, malgré des oreilles attentives. Je ne sais pas du tout ce que je vais bien pouvoir faire pour que ces chatons survivent. Ils sont nuls. On dirait…ben de chatons quoi.

Et là, je vois des mains. D’humain. Parce qu’on les hume et qu’ils ont des mains, logique remarque l’autre en moi à qui je dis de se taire parce que c’est sérieux. Je les connais les autres. Ils sont idiots et savent rien. Ils vont prendre les bébés et ils ne sauront jamais comment se comporter dignement ou même chasser. Je lâche ma minette, me met devant les trois petits, commence à faire le gros dos et là…ça parle.

« Bavarde ! » je gronde mais sans menace, je ne suis plus inquiet, je suis agacé. C’est le nom de chat de l’humaine. Elle a un nom d’humain qui est un chat. Je les comprendrais jamais. « Parle moins fort tu vas faire venir les autres. » Les humains voyagent en meute. Je le sais. Sauf la mienne qui est en couple avec Frère ou l’Homme de l’Aube mais assez chat pour rester vaguement solitaire. Les petits ont oublié leur peur en m’entendant parler au gros truc et se sont rapprochés, restant par chance toujours derrière moi. « Tu peux pas les toucher, pas les prendre, pas les caresser. » je préviens. « Ils sont pas à toi. » Ils sont même pas à moi. Ils sont à personne jusqu’à ce qu’ils soient à eux.

...bah tiens, si j'm'attendais. Inéluctable au fond d'un trou avec des chatons. J'vois rien mais y a la voix, pis surtout y a bien qu'lui qui m'appelle Bavarde. C'est bizarre les Animagi, ou alors c'est juste lui.

Pis là j'entends ses bêtises et j'me marre. Pas un vrai rire encore, mais j'me force pas. J'sais encore rigoler pour d'vrai, faut pas croire les conneries qu'on raconte sur la joie qui s'envole avec la mort tout ça. Si on rigole pas c'est nous qu'on est morts. Juste des fois c'est dur d'avoir une vraie raison.

"Eh bah bravo à toi et au papa, j'le connais ?"

Parce qu'il a beau parler au masculin, Inéluctable, en tout cas c'est c'que j'comprends, il a toujours un cul à deux croix. J'crois pas qu'y soient vraiment à lui, en vrai, mais comme j'ai pas plus d'infos ça coûte rien d'titiller un peu.

"Les aut' ils ont pas b'soin d'moi pour v'nir, si même moi j'ai entendu les nains chouiner tous les r'nards et les furets d'la forêt ils ont entendu aussi. Et eux y vont pas s'emmerder à papoter." J'm'assois l'cul par terre pour bien montrer que j'suis pas une menace, mais qu'j'ai pas non plus l'intention d'bouger. "Tant qu'j'suis là y viendront pas, toi c'est d'jà moins sûr qu'y tentent pas leur chance vu ton gabarit, pis après ? Sont seuls combien d'heures par jour les p'tits, vingt-trois et d'mi ?"

J'reste sage, j'envoie pas la main au fond du trou, même pas j'me penche à ras du sol pour essayer d'voir. M'en fous à qui y sont, j'vais pas mettre mon odeur d'ssus même si un chaton c'est tellement mignon.

J’m’assied et je me lèche la patte, rien que pour signifier tout le dédain que m’apporte cette affirmation ridicule en plus d’être fausse. Etre outré serait lui accorder trop d’importance. Les humains et leur…humour. Comme si dire ce qui n’était pas était amusant. Ils ne comprennent rien. Chasser est amusant. Grimper aux arbres. Nager. Courir. Ramper pour ne pas être vu. Et sauter sur sa proie qui ne s’y attend pas, même si ce n’est pas une proie qui se mange et qu’on sait bien que l’humain ne la lance que pour nous aider. Dire des choses idiotes, non. C’est faire du bruit pour rien. C’est pour ça qu’elle est bavarde.

« On allait bouger après le repas mais faut qu’ils apprennent à se taire avant. » J’arrête de me lécher, je baille et m’étire pour exprimer que j’ai rien contre le fait qu’elle s’asseye tant qu’elle les touche pas. « Leur mère s’est faite taper par un sanglier. » Je ne déguise même pas mon mépris. C’est pas un prédateur, c’est une proie-trop-grosse et bruyante en plus. Fallait qu’elle soit pas à ce qu’elle faisait pour se laisser surprendre et ça, quand on a des chatons, c’est criminel. J’vais donc pas la plaindre, si elle avait été moins conne, elle serait toujours en vie. Quant aux petits, la chance fait partie de la sélection naturelle hein. Sans moi ils seraient morts de faim mais s’ils se font chopper pour pas m’avoir écoutés quand je suis pas là, ça m’empêchera pas de dormir. L’humaine ptet mais moi non. C’est trop important, de dormir, attend. Je regarde les petits qui s’approchent, comprenant que si je parle au gros machin, c’est qu’il est pas dangereux. Je rattrape le plus proche par la peau du cou. J’peux rien faire pour les deux autres. J’pose la petite.

« C’est un humain. Les humains on sait jamais si c’est bien ou pas. Cette humaine là, ça va mais ne la touchez pas sinon vous pourrez plus jamais chasser » que je leur dis, indifférent au fait que Bavarde me comprend très bien. Sauf que les petits, là, ils m’écoutent PAS.

L'est marrant Inéluctable avec ses airs dignes et nobles et ses façons d'dire "ranafoute" sans rien dire. Des fois j'me d'mande si j'devrais pas quand même y dire qu'des fois c'est un vrai livre ouvert, ou y laisser ses illusions d'mystère et d'Grandeur Sauvage.

Pis j'dis rien parce qu'en vrai il est trop marrant.

"Z'ont pas fini d'apprendre grand-chose, les nains, et ça s'ra pas fini d'ici dix minutes." j'commente sans broncher. "Mais c'bien d'y avoir pensé."

Comme tous les chats, Inéluctable sait surtout avoir raison.

"Ish. Pauvre bête." j'grimace quand y m'dit pour la mère.

Y a pas grand-chose à dire ou à faire d'autre. A part s'occuper des merdeux.

"J'peux lancer un sort ou deux autour du prochain nid, si y faut."

J'propose pas d'les prendre dans l'dortoir, ou même dans un bâtiment, où à part des rats et ptet des serpents y aurait pas grand-chose qui pourrait les emmerder. Pas qu'ça m'déplairait d'avoir un nid d'boules de poils trop mimi à côté d'mon lit, mais j'sais pas pourquoi j'le sens pas. Alors même si j'en ai ranafoute des conn'ries d'Inéluctable sur l'Odeur et la Sauvagitude et Tout Ca, j'suis d'accord sur l'idée qu'y vaut mieux les laisser dans la nature.

Et oh ? Oh. Un p'tit nez ! C'est adorable ! C'est trop mimi, c'est un bébé chat qui sort moustaches tendues et qui est trop. TROP. Mignon. Si on était dans un dessin animé moldu j'aurais des coeurs dans les yeux et qui volent tout partout autour de moi. Avec des paillettes.

"Coucou toi." j'murmure.

Oh et deux. Et trois ! Ils sont a. Do. Rables. Trop mimis. Trop beaux. Avec des grands yeux bleus immenses et curieux et tellement choux. Si j'pouvais ronronner putain. J'ronronne avec la bouche, tout doucement, mais j'arrête net à la dernière conn'rie du Bengal et j'y fais mes yeux pas contents.

"Lulu, j'suis sûre qu'si y z'avaient l'âge y t'expliqu'raient à quel point tu pues l'humain." j'grince. "Qu'tu veuilles les protéger c'est un compte, mais aucun chiard mérite qu'on y raconte des cracks."

J’la fixe. C’est pas une chose de chat. On ne fixe que les gens en qui on a confiance, sinon, on risque de ne pas voir un danger qui vient d’ailleurs mais parfois il faut faire des trucs d’humains pour être compris par les humains, même les humains qui comprennent les chats. Pis, parmi les humains, on lui fait vaguement confiance à celle-là. J’aimerais qu’elle détourne le regard. Pas sûr qu’elle le fasse. Et, doucement, je cligne des yeux. C’pas que je cède hein, c’est pour dire que bon, je veux bien lui donner le bénéfice du doute. Même si elle a dit que je disais des choses fausses devant les petits. Ce qui est faux.

« Je sens l’humain mais je sais chasser. Eux, s’ils sentent l’humain maintenant, ils ne sauront jamais. D’abord parce que les proies vont les sentir et ils ne pourront pas s’entraîner. Ensuite parce que je connais les humains, et si vous leur donnez à manger facilement pourquoi ils chasseraient ? Pourquoi ils apprendraient ? On peut choisir d’aimer les humains plus tard. Quand on est grand et qu’on sait ce qu’on fait. Il y a des humains fréquentables et ils ont des doigts qui grattent bien sous les dents et derrière les oreilles. Mais quand on est grand. Les petits doivent d’abord être chats. Sinon, je dirais à l’humaine de les prendre. Elle le ferait. »

L’humaine en moi est dubitative. Je crois que c’est son nom de chat, à moins qu’elle soit Inéluctable comme moi puisqu’elle est moi, en humaine. Elle se fait pas confiance avec d’autres êtres vivants. Et elle rappelle qu’on est solitaires et que s’attacher fait mal et détourne du Devoir. C’est un mot qu’elle aime bien. Sauf que moi je sais qu’elle s’attache et pas que à Frère puis de toute façon, quand je dis, elle fait. Parfois. Je me lève, je regarde les petits.

« Vous pouvez la renifler. Si vous êtes sages. » C’est pas parce que j’ai raison que je vois pas qu’elle en meurt d’envie, de les toucher. Au final, qu’est ce qu’on risque à part un bon bain. Et moi je m’en fiche, j’aime bien l’eau. Les petits hésitent. Y en a un qui s’approche jusqu’à la frôler des moustaches. Je me couche un peu plus loin, le bout de mes pattes sous mon torse, façon détendue. Zont oublié leur proie. Devaient pas avoir si faim.

Y m'fixe. J'le fixe. Crois pas qu'j'vais baisser les yeux Lulu. J'suis pas une proie, et t'es pas l'chef. Ca dure. J'crois qu'il aim'rait bien qu'je baisse les yeux, mais j'baiss'rai pas. Y s'écrase pas non plus mais y finit par m'faire l'clignement d'zyeux du "bon, ça va, j'passe l'éponge". J'crois. J'ai encore un peu du mal avec la communication non-verbale des chats.

Pis même y m'sort une explication et longue, longue, longue. Plus c'est long plus c'est con, comme on dit. J'retiens surtout qu'les humains ils ont une odeur qu'empêche de chasser mais pas les chats, qu'y dit, c'qu'est complèt'ment con, et qu'c'est mieux qu'ils apprennent à chasser au lieu d'être des gros patapoufs dans l'dortoir, c'qu'est pas faux. Mais sont ultra-choux quand même. Trop mimis. J'aime tellement les chats putain, c'pas sérieux. Mais en même temps eux c'est des chiards, et même les chiards humains ça a une dose de mignonnité, des fois, quand on s'les fade pas 24/7. Alors des bébés chats ! Bon sont pas très causants, doivent pas voir tous les jours des gros trucs comme moi faut dire. D'ailleurs j'crois qu'ils ont jamais vu d'humain, si j'ai bien compris. Quoi que. Ptet qu'ils ont vu Aubépine. J'sais pas. Normal'ment j'devrais m'en batt' les oeufs, mais j'pose quand même la question :

"J'suis la première humaine qu'y voient alors ?"

J'suis assise en tailleur par terre, j'me penche en avant sans bouger les jambes. J'suis souple ouais. Ca m'permet d'avoir l'air moins grande, pis d'approcher un peu plus les nains aussi. Par contre j'suis pas folle, j'fais gaffe à mes yeux, merci. Y m'connaissent pas et moi non plus, après tout.

Han. Y en a un qui r'nifle ma main. C'est trop bien !

"Salut toi. Moi c'est Jaguar. Lui là y m'appelle Bavarde, ça va aussi. J'parle chat mais les autres humains ils comprennent pas, attention si vous en voyez. T'as un nom toi ?"

J'tends mon autre bras vers les deux autres chatons, des fois qu'y veuillent sentir aussi. J'crève d'envie d'les papouiller, odeur ou pas, mais on va les laisser découvrir d'abord avant d'les tripoter, j'veux pas les forcer. Pis là j'capte un truc, j'lève la tête. Putain j'pourrais êt' prof d'yoga avec une posture pareille...

"Mais Lulu. T'vas jamais avoir l'temps d'leur apprendre à chasser tous les jours." Ni d's'en occuper tous les jours d'ailleurs hein, qu'on soit bien clairs. "Tu vas faire comment ?"

« Bah oui. » J’veux dire, pourquoi ils en auraient vu d’autres, des humains ? Enfin ça me parait logique. Ptet que d’autres humains sont passés hein mais j’pense pas, j’aurais senti leur odeur et puis on s’en fiche parce que j’ai pas à répondre à des peut-être ou des et si. Moi j’dis. C’est. Les deux autres restent un peu derrière mais le groupe se rapproche un peu, petit à petit. Le petit qui renifle, c’est le mâle. Il a les yeux de la couleur que les humains disent vert/jade. C’est idiot, les yeux en caillou ça voit pas et celui-là il voit très bien. L’humaine me dit qu’il est couleur pierre en plus. Pfeu. Il a le ventre blanc surtout. Et une chaussette a une patte. C’est pas très discret la nuit. Je vais devoir lui apprendre à ramper.

« Féroce ! » qu’il fait le petit en faisant un pas de côté, en crabe, ses trois poils de dos hérissés pour montrer qu’il est fort et grand et qu’il a pas peur. Il est fier surtout, le petit mais bon, je veux pas non plus leur enlever toute joie dans la vie.

« Sauvage » fait la petite, plus fluette à l’arrière, celle qui voulait pas que je la lave. Elle, elle est tigrée avec du noir autour de ses grands yeux d’or, et une base sable. En Automne personne ne la verra. Bientôt. C’est bien. Elle sera la chasseuse de la bande. Les femelles c’est toujours mieux de toute façon.

Celle du milieu ne répond pas. On lui parle pas à elle et elle a sa dignité. Faudrait que je la présente à Digne d’ailleurs. Même s’il est un peu grand, Digne. Moi, je dis rien. Révéler son nom de chat, c’est intime. Je l’ai fait à Bavarde parce que je l’aime bien malgré tout. Eux font ce qu’ils veulent. Je remue les oreilles.

« Comme je peux. » C’est tout ce que je peux faire, comme je peux, alors c’est ce que je fais. Pour le reste, on verra bien. Les chats se posent pas tant de question. Ils ont à manger, non ? J’ai le temps de chasser le soir, non ? Alors ils peuvent bien me suivre un peu et s’entrainer seuls sur des papillons comme tout le monde. Ils ont un instinct. « Je connais pas d’autres chats sur ce territoire. Digne est trop gros, il leur ferait mal. »

Mais ils sont tellement trop choupis ces chatons ! Mini-boules de poils pleines de sovajitude et de mignonnité... p'tain j'sais pas c'que j'ai avec les chats. 'fin si j'sais très bien, en vrai. J'sais très bien. C'est comme une gamine qu'aurait attendu toute sa vie d'pouvoir utiliser la magie chez elle, et qui lancerait des sorts au moindre prétexte tout l'reste d'son existence. J'crois qu'on appelle ça la frustration.

Bah t'sais quoi, la frustration c'est d’la merde.

Féroce est trop mignon à faire le Grand Chat... bah Féroce, tiens. L'Terrible Prédateur et tout ça. J'rigole.

"Ca t'va bien ouais. Tu chasses déjà ?"

La bonne blague c’est qu’ça m’intéresse, en plus. Y en a une autre qui s'présente. Sauvage. C'est le p'tit truc qui reste dans les pattes à Lulu et qu'j'y j'ai pas parlé pour pas y faire peur. Bah comme quoi l’est pas si sauvage hein la miss...

"Surtout reste comme ça alors."

Ca la décrit pas vraiment, j'aurais dit Timide moi, mais bon en deux minutes on peut pas vraiment s'faire une idée d'la nature profonde d'un bébé chat juste assez fini pour dire son nom. Pis l'troisième y dit rien. J'penche la tête pour imiter l'chat curieux, même si j'ai pas les oreilles qui bougent.

"Et toi ? Tu veux m'dire ?" Ou pas, hein. J'y tends mon aut'main, doucement, pour qu'il sente. Ou elle j'en sais rien j'ai pas vu les croix au cul. "Tu veux qu'j'essaie d'deviner ptet ?"

J'suis pas sûre qu'ça soit vraiment marrant pour un chaton, c'est super, super chiant avec un mini-humain, mais l'morveux au moins ça l'éclate. J'risque pas grand-chose à part vexer le p'tit truc mignon dans son digne orgueil félin d'mes deux. J’reviens à Lulu.

"Tu veux qu'on s'relaie ? Un soir chaque ? J'peux essayer d'leur enchanter un truc à chasser dans l'nouveau nid aussi stu veux. Selon comment il est. Genre pas d'papillon dans un arbre ou c'genre d'conn'rie."

Quoi surveiller son langage quand y a des chiards ? 'quoi faire ? C'est l'premier truc qu'on apprend y paraît les gros mots, autant qu'y s'habituent tout d'suite.

« Oui, regarde ! » Et Féroce qui saute sur le rat mort, lui attrape la queue, lui griffe le dos, resaute pour chopper la gorge cette fois et laboure le ventre avec les pattes arrières. Tant est si bien qu’il finit par l’éventrer. Je savais bien moi qu’ils y arriveraient hein. Les deux autres, attirées par l’odeur et la chaleur se rapprochent, commencent à lécher. Féroce est fier mais il sait que s’il veut sa part de bouffe, il faut qu’il s’impose. Il repousse Sauvage à l’arrière et un peu la troisième sur le côté même si elle peut toujours manger. Le silence est uniquement ponctué par les ronronnements des deux mangeurs. Finalement, la femelle s’écarte, rassasiée. Sauvage prend sa place. Il y a bien assez pour trois chatons, je ne suis pas inquiet.

La petite se lèche les moustaches, lave sa tête avec sa patte et, seulement, regarde Bavarde. C’est une bonne chatte. Elle est tigrée comme sa sœur, sur une base grise, comme son frère et ses yeux sont bleus. J’pense qu’ils changeront avec l’âge, on voit déjà un peu de vert dedans. Elle réfléchit, assise sur son derrière, la queue bien rangée autour des pattes. Ce n’est pas une décision facile. Alors je la laisse faire même si Bavarde elle a du mal à rester sur une seule idée. Peut-être qu’elle n’a que quatre semaines, je ne sais pas. Ca fait rire l’humaine. Je continue à me lécher sans répondre. C’est au tour de la petite.

« Mesurée. »

Ouais ça ressemble à Digne. C’est lent quoi. J’vous l’avais dit. Bref. Entre temps j’ai pu réfléchir à la proposition de l’humaine-chat. Mon premier réflexe est de dire que je me débrouille très bien et qu’elle, elle ne va apporter que des soucis mais j’avais pas pensé aux entraînements de fausses proies dans le terrier. Ca c’est bien pour qu’ils apprennent sans risque.

« Pourquoi pas de papillon dans un arbre ? Ils en ont. Et les chats font pas leur nid dans les arbres. Les proies font ça. » Et on est des prédateurs. Ca me ferait soupirer si j’étais pas un chat. Les humains comprennent rien à rien. N’empêche. « T’amènes pas d’autres humains, tu passes pas tout ton temps a mettre ton odeur dessus et tu veilles à ce qu’ils aient à manger quand tu viens ? Tu sais chasser les rongeurs ? » Parce que c’est pas un mensonge-papillon qui va les nourrir les petiots.

Il est trop mignon l'nain à poils ! Même quand il fait son Terrible Prédateur sur le rat, qu'il a évidemment ni chopé ni tué hein j'm'en fais pas pour ça.

"Ouaaaw." j'commente, pas impressionnée du tout - mais pour l'amour des chats et des p'tits trucs mignons, j'fais un effort. "T'as d'l'av'nir, toi."

Pis hop, pause repas pour... pas tout l'monde. C'est des chats. J'm'en mêle pas. J'en profite juste pour vérifier si la p'tite qui reste en arrière est pas vraiment plus p'tite et maigrichonne qu'les deux autres mais ça a l'air d'aller. A surveiller quand même. Y a assez pour trois sur la carcasse t'façon alors pour cette fois ça ira. Pis c'est cool, ça veut dire qu'ils ont assez pas peur d'moi pour bouffer sans m'surveiller et ça c'est super. La princesse elle me snobe complètement m'enfin c'pas grave, quand elle en aura marre elle s'arrêt'ra, pis au pire les deux aut' ont répondu même la p'tite chose timide et ça aussi c'est trop bien. Pas juste les entendre ou même les écouter mais parler et répondre et tout. Ah j'suis gaga ça y est.

Mesurée ? Sérieux ? Ouh la pauvre. C'pas facile à porter ça comme nom. 'fin j'peux parler mais quand même. Pis pour une princesse, ça colle pas mal. C'est juste... ronflant.

"T'as l'air ouais." j'y dis, parce que du coup c'est vrai. "Oublie pas d'apprendre à chasser quand même hein ?"

Nan parce que bon. Pis Lulu qui m'prend pour une courgette. C'est vrai qu'les chats ça niche pas trop dans les arbres m'enfin qu'est-ce que j'en sais moi d'comment y pense çui-là d'chat. Les animagi c'est un peu des humains hein, c'pas pareil qu'un vrai chat. Pas complèt'ment au moins.

"Parce que faire chasser un truc à un chiard en l'air c'est juste bon à c'qu'y s'casse la gueule." j'réponds en m'redressant sur les fesses - j'suis souple mais y a des limites quand même. Tiens j'ai plein d'feuilles et d'terre sur mon T-shirt, l'est pourri. Et j'm'en bats les œufs. "Mais si t'as prévu d'les garder par terre ça m'arrange." Pis j'lève les yeux au ciel de toutes mes forces. "Est-ce que j'ai mis mon odeur dessus encore ?" j'ronchonne. "J'sais garder un s'cret Lulu, t'en fais pas. J'peux mettre une protection autour du nid pour qu'personne puisse rentrer ou sortir, et j'dois pouvoir enchanter une feuille morte ou une conn'rie comme ça pour qu'y s'entraînent à chasser avec. Chasser les rats si y a pas b'soin qu'y soit tué façon chat ça ira. Nan, pas avec du poison, j'suis pas débile."

J'vais au grenier des Zouwu, j'balance un truc à bouffer par terre, Stupéfix dans la gueule du premier bestiau qui s'pointe, SBAM la tête par terre, et c'est réglé. Bon aussi pour travailler la visée et la discrétion.

Féroce fait son fier. Il a du sang sur la babine mais ne la lavera pas. Pas tant que Bavarde sera là. Je ne sais pas pourquoi il veut absolument l'impressionner. Parce qu'elle est grande peut-être. Ou parce qu'elle parle beaucoup. Ou parce qu'elle sent bon. Les raisons de Féroce lui appartiennent. Sauvage termine de manger à son tour et je renifle le cadavre pour être sure que tout va bien là dedans. Mon ventre gargouille, l'humaine en moi a un haut le coeur. On recule. A regret pour moi. Ca sent bon. J'ai faim. Je ne comprend pas pourquoi elle nous oblige à avoir faim comme ça. J'ai jamais compris. C'est un de nos rares désaccord.

"Ui" répond juste Mesurée, après avoir réfléchi longtemps à sa réponse, au moins philosophique. "Je chasserai pour elle, mais je mangerai avant" répond Féroce d'un air qu'il espère être impressionnant mais qui arrive juste à lui faire hérisser trois poils à la base de la nuque et de la queue. Stupide. Lui n'en a pas conscience, il marche en crabe comme s'il venait de conquérir le monde. Sauvage, elle, dort. J'espère qu'on n'était pas comme ça, nous quand on était chatons.

On n'était pas comme ça. Il y a de la tristesse et des choses noires dans la tête de l'humaine que je chasse avec mon présent en répondant directement à Bavarde dont je viens d'étudier la proposition au moins tout ça de temps voir plus.

"C'est important de savoir sauter pour attraper les choses en l'air. De savoir grimper aux arbres pour chasser les oiseaux et échapper aux prédateurs qui courent vite. De savoir tomber sur ses pattes. De calculer des sauts. C'est bien les papillons sur les arbres. Même si on y dort pas. Le rat c'est pour manger. Après il faudra leur en apporter des pas tout à fait morts parce que les feuilles mortes tu peux pas les tuer en les mordant." Je penche la tête. Je la fixe. Je la jauge. "D'accord."

Ca veut dire que j'accepte son aide. Pas que j'ai besoin d'aide, attention, c'est pour lui faire plaisir. Je pourrais le faire seul. L'homme aux bêtes sait nourrir les gros oiseaux pas proie sans mon aide alors je peux leur apporter mes chasses. Et je peux le surveiller et leur apprendre des choses. Et s'ils se font attraper entre temps, c'est la loi de la nature. J'ai pas changé d'avis sur tout ce que j'ai dit. Pis je doute qu'elle se retienne longtemps de les caresser avec ses grosses pattes pleines de pas-griffes qui sentent. En même temps est ce que ce serait pire ? L'humaine dit non, seulement l'humaine, elle n'y connait rien. Mais si un autre pas chat les trouve, alors leur sort sera pire. Au moins Bavarde pourra leur apprendre à ne pas oublier d'être chat. De parler chat. De penser chat. De vivre chat.

"Je te les donne. Fait attention à Sauvage. C'est la plus fragile. Mesurée peut parfois dire des choses qui sont pas tout à fait vraies. Féroce est un mâle, il va avoir des instincts. Tu les perds pas. Tu n'en fais pas des coussins idiots. Tu oublies pas que ce sont des chats. Tu leur coupe rien. Tu leur met pas de choses moldues, tu ne fais pas de sorts sur eux pour savoir où ils sont. Je te les donne mais ils sont pas à toi comme à un humain. Ils sont à toi comme à un chat."

Je ferme doucement les yeux en signe de confiance et ronronne un peu. Les petits, curieux, se rapprochent.

"Allez la sentir. C'est Bavarde. Elle fait partie de notre groupe social."

Pour maintenant et pour toujours maintenant. Les petits sont là, contents, phéromonant ce qui dépasse. Elle est à eux.