La nuit ne tardera plus. D'épais nuages d'orage se meuvent avec rage au-dessus de nos têtes. Les oiseaux hurlent dans les cieux et sur les branches, s'organisant avant la tempête qui ne devrait plus tarder. Le vent, violent, semble déjà vouloir tout souffler sur son passage. Je presse le pas, Ignas le corbeau volant devant moi pour m'ouvrir la voie. Je l'ai vu. Je l'ai vu tomber de là où j'étais, plus loin dans la prairie. Une énorme créature volante - un oiseau ou peut-être un hippogriffe. Ma mauvaise vue, le temps coléreux et la précipitation ne m'ont pas permis d'en savoir plus. Je sais juste que tombé de cette hauteur, il a du se faire très mal - s'il a survécu à la chute. Pourvu qu'il est survécu à la chute.

Je suis donc presque en train de courir, prête à dispenser les premiers soins à ce pauvre petit. Et s'il est trop tard pour le soigner, je pourrais au moins faire en sorte d'abréger ses souffrances. Plusieurs oiseaux me sifflent que la forêt est une très mauvaise idée par ce temps. Je les remercie en leur disant d'aller se mettre à l'abri, et je presse encore le pas, essoufflée par cette course inhabituelle. J'ai abandonné mes chaussures à talons haut plus loin, et mes pieds nus foulent le sol forestier. Je suis obligée de lancer un lumos pour pouvoir y voir quelque chose. Et les premières gouttes commencent à tomber.

- Tiens bon, j'arrive...

Je n'ai jamais été bonne pour m'orienter, mais heureusement, les oiseaux sont là pour me guider. Ignas s'y emploie avec beaucoup de soin. Certains autres m'offrent de précieux renseignement sur le chemin, mais la plupart sont trop occupés par le mauvais temps pour réellement s'intéresser à moi et à notre ami qui a chuté. Il n'était pas bien loin de l'orée de la forêt, et pourtant, j'ai la plus grande des difficultés à le trouver. Bon sang, ou est-ce qu'il peut bien être ?

Le galop se transforme en trot, puis en un pas hésitant alors qu'il atteignait l'orée de la forêt. Les arbres bloquaient son passage, l'empêchant de filer à sa guise vers la créature qui était tombée du ciel.
Alors que le vent soufflait de plus belle, charriant des nuées de feuilles dans sa direction, le cheval à l'allure robuste et à la longue crinière blanche se transforma en un homme aux longs cheveux noirs. Les brindilles et les feuilles qui s'étaient accrochées à sa crinière restaient suspendues dans ses cheveux, et les saletés que ses sabots avaient amassées encrassaient maintenant ses chaussures et ses mains.

Cormoran chancela en avant, peinant comme toujours à retrouver son équilibre en changeant de forme. La transition entre la quadrupédie et la bipédie demandait toujours quelques secondes d'adaptation. Il essuya ses mains sur son pantalon, fit quelques pas les bras étendus comme un funambule afin de s'assurer que son corps s'était réadapté à sa forme d'origine, et reprit sa course dans la forêt.
Des corbeaux croassaient. C'était mauvais signe. Ces oiseaux mangeaient des cadavres, et ils étaient largement assez malins pour repérer les êtres qui avaient de fortes chances de se changer en carcasse dans un futur proche. La créature devait être grièvement blessée. Cormoran n'avait pas pu distinguer grand chose, juste qu'il s'agissait d'une créature ailée et qu'elle était tombée aussi brutalement que si on avait fait disparaître ses ailes. Mais il avait repéré son point de chute. Enfin, il l'espérait. Ses yeux équins ne voyaient pas aussi loin que ses yeux humains. Et maintenant, il courait dans cette direction.

Lumos

Ce n'était pas de trop, dans cette forêt sombre. Il serait idiot de se prendre un arbre dans la figure faute d'y voir quelque chose. Sa respiration se faisait un peu plus bruyante à mesure qu'il s'approchait de sa destination. Il dut quitter le sentier dans lequel il s'était engagé pour poursuivre sa route, et les buissons d'herbes folles et le terrain inégal le forcèrent à ralentir sa course. Il perçut d'autres cris d'oiseaux, et une voix humaine. Pensant d'abord à un corbeau qui imitait la voix de quelqu'un, il n'y prêta pas attention. Puis il distingua une personne, qui semblait perdue. Et aussi un corbeau. La pluie commençait à tomber. Tous ces oiseaux allaient vite finir cloués au sol, leurs ailes lestées de gouttes d'eau...

Hé!
Hésitant, il prit appui de sa jambe droite sur un tronc d'arbre effondré, puis bondit de l'autre côté en direction de la femme. Une enrôlée, comme lui, mais il ne la connaissait pas encore.
J'ai vu quelque chose tomber à peu près par là. Une créature volante assez grande, peut être un hippogriffe. Tu l'as croisé?

Je tourne sur moi-même, incertaine, et les oiseaux me préviennent que quelqu'un approche. Dans l'obscurité étrange qui règne autour de nous, je ne le vois pas arrivé, et j'aurais certainement été surprise si les oiseaux ne m'avaient pas prévenue. Je le regarde à peine, toujours occupée à essayer de trouver mon chemin dans l'obscurité. Mais quand il me parle de la même créature que celle que je cherche, toute mon attention se concentre brusquement sur lui.

Je ne le vois pas très bien, et ma vision est toujours aussi mauvaise. Le ciel gronde, mécontent, et je l'observe une seconde avec inquiétude. Je n'ai pas peur d'être sous la tempête, mais beaucoup d'oiseaux ne s'envolent qu'à l'instant pour se mettre à l'abri. J'ai crains qu'ils ne partent trop tard et qu'ils ne parviennent pas à atteindre à temps des endroits où ils pourront demeurer au sec ! Je leur apporterai des graines et je leurs sécherai les ailes lorsque la pauvre créature accidentée sera sortie d'affaire. J'espère qu'elle va bien !

- Je la cherche aussi ! Je l'ai vue tomber, la pauvre créature doit être grièvement blessé... On ne peut pas la laisser dans cet état ! Les oiseaux m'ont guidée jusque là, mais ils doivent aller se mettre à l'abri avant la tempête.

Sur mon épaule, Ignas formule son inquiétude. Je m'adresse à lui.

- Je vais te protéger de la pluie. Sois attentif à ce que les autres disent. Peut-être ont-ils vu ce que nous ne voyons pas.

Joignant le geste à la parole, j'incante pour protéger Ignas contre la pluie en créant une bulle protectrice qui l'entoure et le suit dans le moindre de ses mouvements vifs mais moins agiles qu'à l'habitude. Ignas me répond par l'affirmative, et s'envole en premier, alors que je me tourne en direction de l'homme. Je ne le connais pas. Je ne sais pas qui il est. Mais cela n'a aucune espèce d'importance.

- La tempête approche, et sa colère est sans égale. Elle nous violentera, comme tous ceux qui n'auront pas su lui échapper à temps.

Il s'approche, portant sa baguette et son charme lumineux juste sous son visage, afin de montrer à la femme qu'il n'est pas un rôdeur désireux de profiter de l'obscurité pour se cacher. C'est un de ses nouveaux réflexes d'infanterie: toujours se signaler à ses alliés pour éviter un sort perdu. Mais rapidement, son bon sens lui rappelle que la lumière projetée juste sous un visage donne à n'importe qui l'air d'un Inferi surgi tout droit du monde des morts, et que sur son propre visage l'effet est particulièrement saisissant. Alors il éloigne sa baguette pour s'éclairer par le côté.

La femme commence à émettre des sons étranges, rauques, qu'il reconnaît comme étant le cri d'un corbeau. Cormoran comprend qu'elle est sans aucun doute Avelang. Il avait d'abord pensé à un animagus à forme de corbeau, mais si c'était le cas elle ne se serait pas adressée à lui en émettant ces étranges sons. Elle le protège d'une bulle et il s'envole.

Lorsqu'elle se retourne vers lui, Cormoran remarque alors tous ses tatouages. Elle en est littéralement recouverte, seul son visage en est relativement épargné. Et il s'agit sans doute de la plus belle femme qu'il ait jamais vu. Et de loin! Mais il n'en laisse rien paraître. Ce n'est pas le moment de se préoccuper de ce genre de choses! Ils sont dans la forêt, à chercher une créature blessée, et une tempête violente arrive. Et l'enrôlée semble craindre l'intempérie qui s'annonce.

Comment? C'est un orage, ou un ouragan qui s'annonce?
Il cherche du regard le corbeau dans sa bulle.
J'imagine qu'il faut le suivre? Ça risque d'être difficile, avec tous ces arbres. Je nous ouvre le chemin?
Un "nox" plus tard, et sa baguette est prête à l'aider à retirer les obstacles de leur chemin.

Andromeda perdit quelques précieuses secondes à observer l'homme qui lui faisait face. La lumière offrait à son visage des ombres mouvantes que la jeune femme trouvaient particulièrement intéressantes. Une certaine beauté non conventionnelle s'en dégageait. Elle pourrait aisément le qualifier comme étant "artistiquement intéressant". Mais l'heure n'était certainement pas à l'expression de l'art, aussi, Andromeda se secoua mentalement.

- Je ne sais pas. Les corbeaux n'ont pas un vocabulaire aussi précis. Je sais juste qu'il faut se dépêcher !

L'urgence se faisait sentir dans sa voix, mais malgré tout, elle n'avait pas l'air si inquiète, comme si elle ne doutait pas de ses capacités à retrouver l'animal blessé, et à intervenir avant la tempête qui s'approchait pourtant beaucoup trop rapidement. Elle avait bon espoir que l'homme soit suffisamment fort pour lui apporter une aide précieuse, et elle qui ne croyait pas au hasard, elle savait qu'il n'était pas apparu sur son chemin pour rien. Au contraire, sa présence était le signe qu'elle agissait de la bonne manière.

- Oui, allons dans cette direction ! Mais Ignas ne m'obéit pas. Il ne sera pas capable de m'ouvrir la voie. Seulement de me rapporter par quelques éclats de voix ce qu'il ouït dire par ses congénères. Je vais t'aider, à deux nous serons plus efficaces pour ouvrir un chemin. Je vais au moins éclairer pour que nous puissions voir ce que nous faisons.

Andromeda commença à avancer, en sortant elle aussi sa baguette pour aider l'homme à ouvrir la voie. Oui, peut-être qu'à deux, ils seraient plus efficaces. Ils n'avaient que peu de temps, et elle pensait qu'il avait saisi toute l'urgence de la situation. Elle éclaira donc la scène avec le plus de lumière possible, maintenant sa concentration pour qu'ils puissent avancer tout droit, dans la direction qu'avait suivi Ignas. Le corbeau avait disparu et ne revenait pas, ce qui inquiétait Andromeda. Elle essayait tout de même de se concentrer sur son sort. Une chose à la fois.

Cormoran acquiesce, et scrute la forêt devant lui. Tel le soldat qu'il était devenu depuis son arrivée au domaine, il s'apprête à accomplir sa mission: dégager le chemin, pour atteindre le point de destination en perdant le moins de temps possible. Il lui fallait créer une voie aussi rectiligne que possible. Hors de question d'abattre des arbres. Mais un chemin se dessinait entre les troncs, une ligne en forme de serpentin étiré. Ce n'est pas la ligne droite qu'il recherchait, mais cela ferait l'affaire.

Diffindo

Il passa devant, coupant les branches et les buissons, employant sa baguette comme un moldu aurait utilisé une machette. Le sort coupe doucement, avec précision les obstacles. Mais bientôt, ce sont des branches plus basses, plus épaisses, qui leur barrent la route. Il avance plus vite, dans la direction qu'éclaire le sort de l'enrôlée tatouée. A mesure qu'il avance, ses sorts se font plus brutaux, plus efficaces mais beaucoup moins subtils. Ses vieilles habitudes de "profil bas", qu'il avait adoptées depuis l'apparition de cette aura verte dans le ciel au-delà de la Manche, s'estompent à chacun de ses pas. Les branchages qu'il élimine volent devant lui.

Diffindo. Expulso.

Il presse encore le pas. Les arbres ne les protégeaient que partiellement de la pluie. Mais il ne pense pas à s'en protéger. Ce n'est pas encore nécessaire, il voit suffisamment clair devant lui. Les gouttes de pluie plaquent des mèches de cheveux sur ses tempes. Ses épais sourcils froncés se chargent de perles de pluie.

Diffindo. Expulso. Confringo

Le maléfice explosif était destiné à un tronc d'arbre déraciné, couché sur le sol et leur barrant la route. Une portion du tronc explose en une multitude d'éclats projetés en avant. Il se retourne, pour vérifier que l'enrôlée le suit bien. Il cherche aussi l'oiseau, sans le voir. La forêt s'éclaircit, ils se rapprochent de la prairie. Il indique cette direction à la femme qui lui montre le chemin.

Si on continue par-là, on sort de la forêt. On y verra plus clair. Tu as des nouvelles de...du corbeau?
Il avait oublié son nom. Les noms d'oiseaux, cela avait toujours été la spécialité de sa soeur aînée. Lui était plutôt adepte du silence et des répliques élaborées...

L'homme ouvre la voix. Il est efficace, respectueux des arbres autant que faire se peut - étant donné qu'il est tout de même obligé de couper des branches. Andromeda ne s'en formalise pas. Elle pense à l'animal tombé du ciel, qui doit être blessé quelque part, et qui n'attend que de recevoir des soins. Elle continue à se concentrer pour éclairer la scène au mieux, histoire qu'ils ne se perdent pas. Ca n'arrangerait pas leurs affaires, c'est certain.

Quand il lui demande si elle a des nouvelles de son oiseau, elle s'apprête à répondre par la négative lorsqu'elle entend son cri au-dessus d'eux. Un cri qu'elle reconnaîtrait facilement, malgré le peu de temps qui s'est écoulé depuis leur rencontre. A ses oreilles, les cris des corbeaux sonnent comme les voix des humains : chacun est unique et a un timbre particulier qui les rend reconnaissable pour ceux qui y prête attention.

La lumière fournie par Andromeda vacille légèrement alors qu'elle se concentre sur les dires d'Ignas. Soucieuse, elle ralentit son pas alors qu'il se pose sur son bras tendu, toujours à l'abri de la pluie grâce à l'enchantement.

- Tu es sûr ? ... D'accord, merci. Va te mettre à l'abri maintenant, vole !

Et elle accompagne son envol d'un geste du bras, et le regarde disparaître dans l'obscurité avant de se tourner vers l'homme qui la devance.

- Nous ne sommes plus très loin, mais le pauvre blessé est en mauvais état. Ignas m'a dit qu'il avait entendu qu'il ferait un repas appétissant après la tempête. Nous n'avons plus beaucoup de temps, mais nous allons dans la bonne direction ! Il faut continuer tout droit !

Il est d'abord surpris par les cris rauques émis par l'enrôlée. Mais il se rend compte qu'elle parle avec le corbeau. Ce qui sonne comme une conversation normale aux oreilles de ses participants sonne comme des croassements aux siennes.

Ainsi, ils vont dans la bonne direction, mais n'ont plus beaucoup de temps. Le chemin qui reste à parcourir n'a plus besoin d'être dégagé. Certes, il reste quelques buissons, et une souche ou deux qu'il pourrait aplanir à l'aide d'un sort en courant. Il continue d'avancer. La créature blessée, quelle qu'elle soit, n'est toujours pas en vue. Cela signifie qu'ils ont davantage de chemin à parcourir qu'il ne l'avait anticipé. Peut-être qu'ils trouveraient la créature en train de se faire dépecer par les charognards dont le corbeau avait parlé. Peut-être que le phénomène qui avait abattu cet être se reproduirait, et frapperait des humains cette fois. D'ailleurs, il ne savait toujours pas à quelle espèce appartenait le blessé, et n'écartait toujours pas la possibilité qu'il s'agisse d'un humain qui volait sur son balai. Il ne fallait pas traîner.

Il se mit à courir. Mais la marche forcée l'avait déjà quelque peu fatigué. Et il n'était pas seul. La femme tatouée parviendrait-elle à le suivre? Elle paraissait essoufflée, elle aussi. Et elle n'avait pas de chaussures. Lui demander de courir sur ce tapis de feuilles mortes sous lesquelles se cachaient certainement des creux, bosses, cailloux acérés et autres surprises susceptibles d'écorcher ses pieds nus, c'était s'assurer d'avoir un blessé de plus à secourir. Cormoran ne voyait plus qu'une solution pour presser le pas. Il s'arrêta net dans sa course et se retourna vers l'enrôlée.

J'ai un moyen d'aller plus vite. Je peux partir devant et attendre que tu me rejoignes, ou alors je te transporte avec moi mais ça risque de secouer. Qu'est-ce que tu préfères?
La forêt n'était plus assez dense pour le gêner, sous cette forme ou l'autre. S'ils prenaient la décision rapidement, ils avaient toutes les chances d'arriver à temps au chevet du blessé.

Le temps lui semble s'accélérer encore, et Andromeda à la terrible sensation d'être lente. Trop lente pour pouvoir agir comme elle le devrait, trop lente pour réussir à accomplir l'unique mission qu'elle s'est fixée : sauver des vies. Elle ne sait que trop bien à quel point le temps est compté dans ces cas-là. Ignas le lui a encore rappelé, et quoi qu'il en soit, elle n'aurait su l'oublier. Alors quand l'enrôlé la met face à un choix, elle n'hésite pas la moindre seconde.

- Je suis magizoologue et médecin. Quelle que soit la nature du blessé, il va avoir besoin de moi.

Il n'y avait pas la moindre trace de vantardise dans la voix d'Andromeda. Elle énonçait les faits tels qu'ils étaient. Elle avait étudié fort et beaucoup, elle avait sacrifié une part d'elle-même, juste dans le but de pouvoir sauver des vies en échange. Et c'était bien ce qu'elle était décidée à faire aujourd'hui. Elle aurait pu continuer à courir sans se soucier de tout ce qui avait déjà pu écorcher ses pieds nus - plus efficaces pour courir que ses talons bien trop hauts - mais si l'autre enrôlé lui proposait un moyen plus rapide, elle n'hésiterait pas une seconde. Peu importe que ça secoue ou que ce soit désagréable pour elle.

Et puis elle réalise finalement ce qu'il vient de lui dire. Comment ça, qu'il la transporte avec lui ? Qu'est-ce que ça voulait dire ? Qu'est-ce qu'il comptait faire ? Elle n'avait pas la moindre idée de ce qu'il avait derrière la tête, et les possibilités étaient beaucoup trop nombreuses pour qu'elle puisse y réfléchir. Alors elle s'approcha de lui, debout, droite, déterminée, et elle ferma les yeux en tendant les bras vers lui. Elle ne savait pas à quoi s'attendre, mais elle était prête et sûre d'elle.

- Je suis prête !

Parfait! Alors, euh...

En la voyant fermer les yeux et lui tendre les bras, il réalisa que l'enrôlée ne savait probablement pas qu'il était animagus. Tout comme elle ne connaissait toujours pas son nom de code, pas plus qu'il ne savait quel était le sien. Elle devait s'imaginer qu'il allait la porter à bras, comme si c'était elle qui était blessée. Il lui fallait trouver un moyen rapide et concis de lui expliquer ce qu'il avait en tête.

Rouvre les yeux! Donne moi juste deux secondes pour me transformer. Tu vas comprendre.

Plus tard, il en était certain, il regretterait d'avoir raté cette occasion de la prendre dans ses bras. Mais il y avait plus urgent. La créature blessée, la pluie, et tous les dégâts qu'elle pouvait lui causer. Ce n'était pas le moment de perdre son sang froid.

Dès que j'ai changé de forme, tu grimpes sur mon dos et tu t'accroches à mes cheveux. Quand t'es prête, tu me dis "go" et je fonce. Bien reçu?

Il se retourna, et dégagea ses cheveux trempés de son visage. Ses bras s'allongèrent, son corps se couvrit de poils noirs. Sa tête s'étira, ses cheveux devinrent blancs. La transformation se finit alors qu'il se tenait toujours debout. Ses sabots avant frappèrent lourdement le sol lorsqu'il bascula en avant, abandonnant la bipédie pour la quadrupédie qui allait lui donner bien plus de vitesse.

Tournant toujours le dos à l'enrôlée, il fléchit ses pattes pour l'aider à prendre place sur son dos. Il regarda derrière lui, peinant à croiser son regard. Il lui fallait encore un peu de temps pour s'habituer à la vision latérale. Au moins, il faisait face à la direction qu'il allait devoir suivre, à toute allure qui plus était. Il fit un geste de la tête pour signifier à la médicomage qu'elle pouvait le rejoindre...

Lorsque l'autre enrôlé change de forme, Andromeda reste immobile et sûre d'elle. Ce n'est pas la première transformation du genre à laquelle elle assiste. C'était cependant la première fois qu'elle en voyait une aussi impressionnante. Si elle n'avait pas été totalement fixée sur son objectif, probablement aurait-elle pris le temps de s'émerveiller - et peut-être même de trouver son compagnon d'infortune particulièrement incroyable.

- Mais oui, se dit-elle comme si c'était une évidence, un animagus, bien sûr !

Lorsqu'il lui fit signe qu'elle pouvait grimper sur lui pour chevaucher à travers les bois, elle n'attendit pas un instant. Andromeda n'était pas particulièrement bonne dans tout ce qui était physique, mais elle avait déjà eu l'occasion de monter des équidés quelques fois par le passé. Elle glissa néanmoins deux fois, le sol trempé ne facilitant pas la chose, avant de finalement réussir à se hisser sur le dos de l'homme. Comme il le lui avait conseillé, elle agrippa ses cheveux devenus crinière, et aussitôt, elle lui signifia qu'elle était prête.

- Go !

La pluie redoublait d'intensité, la tempête s'approchait de plus en plus et Andromeda commençait à craindre de ne pas arriver à temps auprès de l'être blessé. Mais s'il y avait bien une règle qu'elle continuait de suivre à la lettre, c'était qu'on abandonne jamais un blessé. Alors elle s'agrippait de toutes ses forces à la crinière douce de l'autre enrôlé, fixant l'obscurité comme si elle était capable de réellement déceler quoi que ce soit - surtout à la vitesse à laquelle ils allaient. Les petites branches des arbres l'obligeaient à se coucher de plus en plus sur le dos de l'animagus, parce qu'elles venaient fouetter son visage, animées par le vent.

Elle n'avait pas de plan précis pour le moment. Il était certain qu'elle allait avoir besoin de temps pour soigner la créature, mais elle n'avait pas encore pensé à ça. Ni à comment elle allait se mettre à l'abri avant que le ciel ne leur tombe sur la tête. Elle y penserait plus tard, quand ça arriverait. Ou peut-être que l'autre enrôlé aurait de meilleures idées qu'elle ?

Il avait beau s'accroupir autant que possible, il restait grand, même sous cette forme. Bien moins grand qu'un Abraxan, mais suffisamment grand pour incommoder n'importe quel cavalier novice. Et pour couronner le tout, il pleuvait toujours à verse et il ne portait pas de selle. Une simple paire d'étriers auraient aidé Andromeda à s'installer et lui aurait évité de glisser. Mais il fallait faire avec les moyens du bord, et il ne broncha pas lorsqu'il sentit ses mains agripper sa crinière. Au signal, il fila en avant.

Il résista à son envie de galoper et de bondir par dessus les quelques obstacles qu'il n'avait pas éliminés et commença par un trot simple. Il fallait à tout prix éviter qu'Andromeda chute sur le sol boueux. Mieux valait perdre un peu de temps en accélérant progressivement plutôt que de la blesser. De toute façon, même un petit trot serait plus rapide qu'un pas de course d'humains. A mesure qu'il sentait que la médicomage restait stable sur son dos, Cormoran accéléra. La pluie le gênait moins maintenant que sa crinière absorbait le gros de l'eau qui ruisselait sur sa tête. Attentif à la moindre menace, il fila droit vers leur objectif, droit vers la créature qu'il apercevait à présent. Lorsqu'il arriva à une centaine de mètres de l'animal blessé, il ralentit progressivement. A quelques pas de la créature qu'il ne parvenait pas à identifier avec ses yeux équins, il s'arrêta et s'accroupit à nouveau pour laisser descendre Andromeda.

Puis il se cabra à nouveau et sa crinière devint noire tandis que ses sabots redevenaient des mains et des pieds. Sans sa robe épaisse d'Irish Vanner pour le protéger de la pluie qui se déversait sur son visage, Cormoran eut la sensation que l'on venait de le pousser sous une cascade d'eau fraîche. Il ferma les yeux et passa ses mains sur son visage, autant pour en presser autant de pluie qu'il le pouvait que pour retirer les cheveux collés sur son front.

La créature blessée était un hippogriffe. Non, elle avait la taille d'un hippogriffe mais n'en était pas un. Ses pattes étaient différentes, et ses couleurs rappelaient celles d'un lion. De quelle créature pouvait-il bien s'agir? Il se précipita près d'elle et chercha son museau caché sous des pattes et des plumes.
Hé, tu vas bien?
Cormoran avait toujours ce réflexe idiot de demander aux animaux s'ils allaient bien, même s'il savait qu'ils ne pouvaient pas lui répondre et ne le comprenaient peut-être pas. C'était quelque chose de naturel pour lui, comme de serrer la main des humains ou de saluer les hippogriffes. Il pensa brièvement au risque de recevoir un coup de griffe de la créature effrayée. Pour évaluer ce risque, il fallait encore savoir de quelle créature il s'agissait. Elle ressemblait à un animal de légende. Un griffon, peut-être un manticore...

C'est pas un hippogriffe ni un cheval ailé, dit-il en se retournant vers Andromeda. T'as une idée de qui ça peut-être?

Des idées, elle en avait plein. Mais là, dans ce chaos d'éléments, là où se mêlaient pluie, vent, obscurité et ombres effrayantes, Andromeda n'avait aucune envie de s’appesantir pendant des heures sur l'origine de cette étrange créature - quoi qu'elle soit. Ce n'était effectivement pas un hippogriffe. Un griffon, ou peut-être un manticore. C'était les options les plus envisageables à première vue, mais pour l'un comme pour l'autre, elle ne mourrait pas d'envie d'aller lui poser plus de questions qu'il n'en fallait. C'est que ni l'un ni l'autre n'était connu pour sa patience légendaire... Alors elle se contenta d'analyser les blessures de la créature, tout en s'adressant à Cormoran d'une voix suffisamment forte pour couvrir le déchaînement du vent et de la pluie.

- Surveille le pour ne pas qu'il m'arrache la tête, s'il te plait. Ce serait très inconfortable pour moi.

Sans rien ajouter d'autre, Andromeda vérifia son matériel et s'agenouilla près de la blessure béante de la créature. Elle avait perdu beaucoup de sang. Si elle n'agissait pas vite, l'être pourrait perdre de sa beauté... Ou pire, mourir ! D'un mouvement de baguette, Andromeda invoqua de quoi les protéger un peu des intempéries - et accessoirement de quoi y voir à peu près quelque chose. Elle n'aurait pas le temps de faire beaucoup, mais si elle pouvait au moins poser un cataplasme et un bandage sur la blessure... Alors peut-être que ce serait suffisant pour le moment !

Au-dessus de leurs têtes, les corbeaux avaient cessé de croître depuis un moment déjà. Ils avaient fui le mauvais temps pour se mettre à l'abri. Certainement que le pauvre blessé en aurait fait de même s'il avait pu. Mais avec une telle blessure... A travers la tempête qui s'en venait, Andromeda commença à chantonner une berceuse à l'être blessé, comme si elle comptait sur ça pour la tenir apaisée. Elle avait tout juste pris le temps de vérifier qu'elle était toujours en vie et qu'elle respirait, mais pas de vérifier si elle était consciente ou non. Elle comptait sur l'enrôlé animagus pour ça.

Dans d'autres circonstances, le mot "inconfortable" employé pour une décapitation l'aurait fait sourire. Mais là, sous la pluie battante et aux côtés d'une créature blessée, Cormoran avait d'autres soucis. Le plus important étant d'assurer la sécurité de la médicomage sans aggraver la blessure de la créature. Profitant des protections invoquées par Andromeda contre la pluie, il examina l'animal blessé.

Il songea à utiliser le sortilège de pétrification. Mais rendre l'animal entièrement rigide risquait de gêner les soins par la suite. De plus, il était de plus en plus certain qu'ils avaient affaire à quelque chose qui résistait à ce type de sorts. Que faire? Il refusa l'idée de simplement se tenir prêt à lancer un protego au moindre mouvement de l'animal. Ses réflexes ne seraient sans doute pas aussi bons que ceux d'une telle créature, et son sort arriverait trop tard. Le sort de ralentissement permettrait de voir venir les coups, mais se dissiperait trop vite. Il lui faudrait donc le renouveler sans cesse. Non, il valait mieux contenir la créature avec des liens. Le risque de ce choix était de serrer trop fort et d'ouvrir une fracture ou de disloquer une articulation. Mais pour l'instant ce risque lui semblait le moindre. Il examina rapidement le corps de la créature dans son ensemble, se fit une image mentale de son squelette, de la manière dont bougeaient ses pattes. Puis il prit sa baguette.

Incarcerous

Les cordes qui s'enroulèrent autour de la créature formèrent une sorte de harnais, un filet qui reliait les pattes ensemble et empêchait également la queue de bouger. Si la créature se réveillait, elle pourrait tout juste gigoter comme un veracrasse mais elle ne pourrait pas les attaquer. Voilà, plus de risque de décapitation, dit-il en se dirigeant vers la tête de la créature. Dans l'obscurité, il ne la voyait toujours pas. Il ne l'éclaira pas, de peur de la réveiller, et ne la fit pas bouger avec ses mains de peur de la blesser encore plus.

Désolé, beau gosse, vraiment désolé. Mais si tu nous prend pour des prédateurs, tu vas nous attaquer et on pourra pas te soigner!

Sa main caressait les plumes de l'animal, à un endroit où il n'y avait pas de rectrices ou de rémiges, simplement du duvet et de simples plumes souples. La pluie les avaient rendues collantes. Elles n'étaient pas imperméabilisées, contrairement aux plumes d'un canard. La pluie avait dû alourdir son vol avant qu'il ne tombe.

Andromeda chantait une sorte de berceuse à la créature. La contention réussie de l'animal non identifié avait libéré suffisamment d'attention pour qu'il s'en rende compte. Cette fois-ci, il sourit. Il n'avait jamais chanté pour une créature car il savait trop bien que sa voix n'était pas faite pour les belles mélodies. En revanche, il leur parlait souvent. On s'était souvent moqué de lui pour ça, mais il n'en avait jamais rien eu à faire. Les gens qui traitent les animaux comme des objets ne sont pas dignes de respect. Ceux qui les traitent avec affection ont une place spéciale dans son estime. Et ce que faisait Andromeda, en ce moment précis, était aussi mignon qu'un bébé croup ou qu'un bébé hippogriffe avec ses plumes ébouriffées.

Andromeda ne connaissait pas encore l'autre enrôlé, mais elle lui faisait entièrement confiance - avait-elle vraiment le choix ? C'était une confiance de circonstance davantage qu'une confiance mûrement réfléchie, mais elle aurait tout le temps de revenir sur sa décision plus tard s'il le fallait. En attendant, cette mission avait quelque chose de vivifiant. Elle en oubliait le goût de ses larmes qui se mêlaient pourtant encore aux gouttes de pluie qui avait eu le temps de couler sur son visage avant qu'elle ne s'en protège. Elle n'y prêta pas attention, concentrée sur sa berceuse et sur les blessures de la créature.

La suite fut plus instinctive qu'autre chose. Des herbes et onguents, des sorts qu'elle prononçait sur l'air de sa berceuse, ses mains et ses bras recouverts de sang sans que cela ne semble l'affecter. En quelques minutes, elle eut terminé le plus gros. La créature n'était pas sortie d'affaire, mais elle pouvait désormais espérer qu'elle survivrait à la tempête. Elle se tourna en direction de l'autre enrôlé.

- Gronde la tempête, gronde la tempête, il faut vite sur nos têtes, un abri ou maisonnette !

Il y avait un sentiment d'urgence dans sa voix. Elle n'était pas certaine qu'ils auraient le temps de retourner jusqu'au Domaine, surtout avec la créature. Et elle ne voulait pas abandonner l'être ainsi ! Il leur fallait une solution rapide et urgente s'ils voulaient avoir une chance de s'en sortir. A mesure que les minutes passaient, le vent soufflait plus fort encore, le tonnerre martelait avec davantage de férocité, et son sort pour les protéger de la pluie faiblissait. De ses mains couvertes de sang, elle pointa le ciel enragé, espérant que l'enrôlé aurait une solution à lui proposer au plus vite. Elle se sentait trop désorientée pour être efficace dans autre chose que veiller sur son patient.