19/06/2019 - le soir

Il était las. L'humain aurait dit vanné mais ça manquait clairement de dignité. Et, même si la fatigue alourdissait ses membres et ralentissait son allure, il ne pouvait pas ne pas être digne. Il était un félin. Mieux, un puma. Il pouvait se déplacer souplement, d'un pas élastique qui n'occasionnait pas de fatigue supplémentaire, alors que son bipède, à sa place, se serait traîné sans aucune grâce. Peut-être même se serait-il écroulé sans façon sur son lit au lieu de profiter du meilleur moment de la journée, celui où le soleil fatigué laissait place à la nuit fraîche et où les petites proies quittaient leurs cachettes. Absurde. Tout comme l'agacement et la frustration que ledit bipède ressentait au fond de son esprit parce qu'il avait encore du mal à suivre le rythme des cours de sport et de Sa Sienne. Le félin, lui, était satisfait. Ça ne faisait même pas trente levers de soleil qu'il avait atterri devant la porte et il avait déjà retrouvé une bonne partie de son endurance et de sa force. Elle était meilleure, c'est vrai, mais c'était normal : c'était la Sienne ; Elle était forcément la meilleure.

Il avançait silencieusement dans l'herbe, les sens aux aguets, l'esprit plein de ce qu'ils lui envoyaient. Le sol élastique sous ses coussinets et les graminées qu'il applatissait. Le son de la brise qui ne couvrait pas les milliers de petits bruits des proies et du reste. Les odeurs des herbes, des fleurs, des proies qui se mélangeaient mais se distinguaient tout autant. Les épis qui ondoyaient et dont les vagues n'étaient arrêtées que par des plantes différentes, moins souples, par la progression d'autres animaux – proies ou pas, il était facile de les repérer – ou par une pierre plate, qui dépassait à peine le haut des herbes. Elle n'était pas bien grande mais suffisante pour lui, nota-il en s'y installant d'un bond souple. Et elle conservait encore la chaleur du soleil qui n'allait pas tarder à disparaître à l'horizon. Paaaarfaite pour se reposer. Il s'y coucha donc, les yeux mi-clos, la queue dépassant du bord et le bout s'agitant au rythme des stimuli qui parvenaient à son nez et ses oreilles.

Néanmoins ce ne fut ni son nez ni ses oreilles qui notèrent sa présence en premier. Ce fut une légère irrégularité dans la danse ondoyante des herbes qui attira son regard pourtant peu attentif. Il ne guettait pas les proies, il avait l'estomac plein du dîner copieux. Mais cette proie-là ne faisait pas de bruit autre qu'un très léger froissement d'herbe. Et elle ne sentait rien parce qu'elle se tenait face au vent. Ce n'était pas normal pour une proie. Ce n'était pas une proie malgré sa tooooute petite taille, réalisa-t-il. C'était un chasseur. Un félin, même. Un mini félin. Un chat. Un tout petit chat. Attentif soudain, le puma ouvrit les yeux pour suivre la progression du mini félin de tous ses sens, le bout de sa queue s'agitant au rythme des pas du petit chasseur.

C’était l’heure de la chasse. Tapis dans les hautes herbes, ne faisant plus qu’un avec la nature environnante, le prédateur guettait. Le vent apportait directement toutes les senteurs du crépuscule à lui en faire frémir la moustache tandis que ses oreilles mobiles attrapaient les sons de celle qui serait bientôt prise au piège. Petit à petit, il avançait, piège vivant et inexorable, fixant l’ennemi qui était déjà mort. Il se figea, mu par un instinct plus fort encore que l’impatience. Ses pattes arrière piétinèrent, son cerveau fit les calculs complexes précédent la mise à mort. Il bondit.

« ATTRAPEEEEEEEEEEE ! »

Ma patte en mode velours entoura la queue du gros qui faisait la sieste sur le rocher après un bond suivi d’une galipette du plus bel effet. Pour jouer, je lui entourais l’appendice caudal de mes dents, sans appuyer puisque ce n’était pas vraiment une proie mais un exercice. Je t’ai eu gros chat ! J’sais pas qui tu es, ce que tu fais sur mon territoire, ni pourquoi t’as décidé de faire la sieste au lieu de chasser comme un vrai prédateur mais je m’en fiche. J’suis content, les pupilles dilattées, les poils hérissés de jeu, les oreilles pointées vers l’avant. Souple comme l’ombre et la nuit, je resaute un peu plus loin, en vue de l’autre, gros dos, aucune agressivité, rien que du jeu et du plaisir mais quand même hors de portée de patte. Le temps que Patapouf se lève je serais LOIN !!!! LOIN ! Mais en attendant, je le regarde avec défi. Ma queue s’agite, j’suis super content, de moi d’abord parce que je suis trop doué, j’ai attrapé un gros chat, gros comme celui de l’humain de l’aube et ses herbes bizarre mais pas lui, parce que y a moins de pattes et pas la même odeur. J’pourrais ptet le lancer contre celui de l’humain de l’aube. L’humaine veut pas mais moi je trouve ça super drôle. Vient jouer gros chat. Vient. Comme ça tu seras à moi et je te défendrais le caillou Je m’en fiche moi du caillou, y a pas de proies dedans. Et en échange tu iras me défendre de Six Pattes s’il faut. Parce que bon, je peux me battre contre les autres chats au besoin mais là, il est dans les Tropgrandpourêtremangé. Comme les gros oiseaux.

« JOUER ! »

Lui fais-je comprendre d’un regard, toujours sur mes gardes au cas où il attaquerait sans préavis. Je m’y attends. Un vrai prédateur va pas prévenir ses proies hein. C’est un truc d’humain la prévenance. La pré…vention. Si tu veux humaine, qu’est ce que je m’en fiche, moi, de tes bruits d’oiseau même pas intéressants. Au moins, l’autre et moi on parle le même langage. Le vrai langage. Celui du corps et des yeux.

Il chassait bien, le mini félin. Il se déplaçait souplement et discrètement, et le puma s’amusa à suivre sa progression du regard – et aussi à l’odeur et au bruit, même si ces deux signaux étaient beaucoup plus ténus – sans en avoir l’air. Il était clair qu’il était la cible du petit chat, mais c’était plus amusant qu’autre chose. Il n’était pas une proie et il était curieux de voir ce qu’allait faire le mini chasseur. Et puis, la pierre était chaude et confortable, il n’avait pas envie de bouger. Il ne frémit même pas quand Petit-Chat attrapa enfin sa queue. Il s’y attendait et le mini fauve, bien que vif et joueur, était bien élevé. Ça donnait presqu’envie de jouer avec lui. Mais la pierre était chaude. Mais Petit-Chat sautait et frémissait, plein d’attente. C’était tentant quand même. Ca faisait longtemps qu’il n’avait pas joué. Mais la pierre était chaude. Mais Petit-Chat insistait.

Il se décida. Il releva la tête et bâilla à s’en décrocher la mâchoire, dénudant ses crocs. Puis, il se leva tranquillement, dépliant ses pattes une par une et les étirant consciencieusement. Petit-Chat était pressé mais il y avait des choses avec lesquelles on ne plaisantait pas. Il sentait toujours la fatigue dans ses muscles, mais le court repos et la chaleur de la pierre leur avaient fait du bien. Alors, sans prévenir, il bondit. Le saut était calculé pour l’amener juste derrière le mini félin, en passant par-dessus. Il atterrit souplement et pivota aussitôt sur ses pattes arrières pour faire face au petit chasseur et lui envoyer un léger coup de patte, rapide mais en douceur et griffes rétractées évidemment. Petit-Chat n’était pas une proie. Le but n’était pas de le blesser. Mais il était vraiment vraimentpetit. Pas facile de se mettre à sa hauteur. Ce qui ne l’empêchait pas d’essayer, en s’applatissant de tout son long dans l’herbe, oreilles pointées vers le mini fauve et la queue se balançant d’amusement.

Et oui ! Il se lève, je le savais. Allez Grocha. Je te vois. Je sais ce que tu fais. Le bâillement, l’étirement c’est juste pour dire que tu le fais pas pour moi mais moi je sais que tu le fais pour moi parce que tu veux jouer mais moi aussi je suis digne d’abord, regarde je m’assied, je calme mes poils et je me lèche les flancs en mode fait ce que tu veux tu m’intéresse pas alors qu’en vrai mes oreilles sont pointées vers toi et mes moustaches aussi et je te vois du coin de l’œil avec ma pupille toujours dilatée pour attraper le moindre petit bout de lumière d’abord. J’ai gagné c’est tout. Tu peux pas me refuser, t’es à moi, ton caillou est à moi, le monde est à moi. Je sens l’humaine sourire et ça me rend encore plus content parce que même si elle fait tout le temps le langage corporel du sourire moi je sais qu’elle sourit pas. Elle est comme grocha, elle est toujours digne et calme et elle oublie de jouer. Sauf avec l’humain-de-l’aube et Frère. Avec eux elle oublie qu’elle est un chat et elle est juste nous et c’est bien. Je saute de côté et hérisse les poils quand il se réceptionne derrière moi. Il fait trembler tout le sol tellement il est gros. Je suis sur qu’il a fait fuir toutes les proies. Il doit pas être très doué pour attraper les souris et les campagnols avec ses grosses pattes. Et pourtant il est pas maigre. On voit pas ses côtes alors qu’on voit les nôtre mais ça, c’est pas de ma faute, c’est l’humaine qui veut jamais manger. Elle ne comprend pas que c’est important de manger. Grocha, il mange lui. Et il joue. Il me donne un coup de patte, je roule sur le dos et je lui attrape le bout de mes quatre pattes avant de mordiller un bout de griffe qui dépasse, oreilles en arrière. Même pas que tu me fais peur le chat. Je suis plus petit mais plus fort, plus agile. L’humaine me murmure un PLAN à l’oreille du dedans. Je bouge ma queue nerveusement. C’est une super idée. Je me glisse loin de lui et hop, hop, hop, j’suis monté sur son caillou au soleil, et je m’assieds et je me lèche genre c’est le meilleur endroit du monde. Qui va à la chasse Grocha. Je t’attends !

Les moustaches du puma s’agitèrent à la réception de son saut, lorsque le mini félin se décala sur le côté. Il pouvait bouger, s'il voulait, il n’était pas suffisamment rapide pour lui échapper et éviter sa patte. Mais suffisamment doué pour la lui attraper et la mordiller, ce qu’il le laissa faire en agitant les oreilles, amusé. Ça lui faisait une grosse proie, à Petit-Chat. Et, à lui, ça lui faisait un sacrément petit prédateur ! Il fallait s’aplatir pour essayer d’atteindre sa taille et, même ainsi, il le regardait de haut. Mais Petit-Chat n’en profita pas pour l’attaquer à son tour, au contraire, il s’échappa ! Et s’installa sur la pierre. Sa pierre. Ah, il voulait jouer à ça, Petit-Chat ? Il s’installait et faisait sa toilette. Mais c’était sa pierre. Et, même s’il y avait assez de place pour deux dessus, il n’allait certainement pas se laisser faire. La queue du puma s’agita à nouveau tandis qu’il découvrait ses crocs avec un sifflement. Il aurait été l’image du mécontentement, si ses oreilles et ses moustaches n’avaient pas été pointées vers le petit squatteur.

D’aplati dans l’herbe, le félin se ramassa, ramenant ses postérieurs sous lui le temps de calculer son saut. Puis il bondit à nouveau, vers la pierre cette fois. Le calcul était correct, évidemment, et il atterrit sur sa pierre, les deux pattes antérieures de part et d’autre de Petit-Chat. Juste à la bonne place pour n’avoir qu’à baisser la tête pour l’atteindre. Ce qu’il fit, gueule grande ouverte, oreilles en hélicoptère… mais moustaches frémissantes et queue agitée. Il rangea ses dents au moment de toucher le mini félin, du nez, dans l’idée de le faire basculer à nouveau. Puisqu’il tenait tant à faire sa toilette, il fallait être correctement sale, avant ! Et puis, ce n’était pas une pierre à toilette, c’était une pierre à se coucher pour profiter du soleil. Alors, on se couche Petit-Chat !

Le PLAN. J’ai oublié le Plan. C’était un chouette plan, c’était l’humaine qui l’avait eu. Je me lèche quand même, d’abord parce que j’aime bien et puis c’est pas la peine de lui dire a Grocha. Le plan. J’essaie de réfléchir mais y a le soleil, puis l’air sent bon, puis je surveille ma proie pour voir ce qu’elle va faire. Elle va venir je le vois. Je crois que c’était ce qu’il y avait de pré…mais oui tiens, je me souviens maintenant. Le PLAN. Il saute et encore ça bouge sous mes pattes et il me fait de l’ombre, y a plus de soleil. Je me suis remis sur mes quatre pattes pour pas tomber. De toute façon les chats ça tombe pas, c’est bien connu. Ca saute vers le bas. Exprès. Oui oui, même quand on dort au coin du lit et qu’on roule parce qu’on rêve et qu’après on est par terre c’est pas de la chute, c’est du saut vers le bas. En attendant j’feule entre ses pattes. Il a ouvert sa gueule et c’est plus grand que ma tête et c’est chaud et ça sent le prédateur et y a des dents et je m’aplatis quand même parce que bon j’ai pas peur et je pense qu’il joue mais j’ai de l’instinct un peu. Et c’est ce qui fait que j’ai même pas le temps de lui donner un coup de patte sur la truffe que celle-ci me touche et me pousse et je sors les griffes pour m’agripper au rocher mais il est dur et je glisse et même pas je tombe j’ai dit.

Si j’suis en bas de la pierre c’est parce que c’était le PLAN. Je me lèche et je réfléchis. J’ai de la poussière partout, c’est pas grave, c’est mon amie la poussière puisqu’elle me cache de mes proies. J’ai la queue agacée. J’aime jouer. J’aime pas perdre. Alors on va jouer encore. Je me colle contre la pierre. Il est trop gros, il pourra pas me voir j’suis sûr. Et puis je vais tout doucement, tout silencieux, tout petit faire le tour pour grimper dessus. Par derrière. Je rampe tant que y a des herbes et quand y’en a plus…je saute sur lui pour lui grimper sur le dos ! C’est qui le chef maintenant hein ? Bon j’sors un peu les griffes pour pas tomber mais pas trop, je l’attaque pas, je l’escalade !

L’humain, quelque part au fond de l’esprit du puma, ne put s’empêcher de sourire lorsque le mini chasseur se mit à feuler. Il avait de la voix pour un si petit félin. Mais, malgré tous ses efforts, ce n’était guère impressionnant, et le gros félin ne broncha pas. Il s’amusa de le voir s’aplatir mais rangea évidemment ses dents avant de le toucher – Petit-Chat n’était pas une proie – et... se sentit bête. Surpris, plutôt. Il n’était jamais bête, bien sûr. Ce n’était qu’une expression – très mal tournée par ailleurs – des humains. Ces bipèdes qui n’avaient aucune dignité. Lui, il était simplement surpris, parce qu’il ne s’attendait pas à ce que son mini compagnon bascule au pied du rocher. Il n’avait pas poussé fort pourtant. Mais Petit-Chat n’était pas une proie, c’était presque normal qu’il puisse le surprendre. Ça ne lui enlevait pas de dignité du coup. Et il était solide aussi malgré son aspect fragile puisqu’il se redressait et repartait à l’attaque.

Amusé de voir la première scène se répéter, le puma se recoucha sur la pierre qui, bien qu’ayant perdu un peu de chaleur, était toujours tiède et suivit la progression du mini félin. S’il pensait pouvoir bouger sans se faire repérer et attaquer de nouveau sa queue, il allait être surpris à son tour, Petit-Chat ! L’attente s’ajoutait à l’amusement et agitait la queue du gros félin en rythme avec les pas du petit. Petit qui ne s’intéressa pourtant pas à son appendice caudal ! Surpris – pour la deuxième fois ! – le puma tourna vivement la tête, oreilles aplaties et crocs dénudés, vers sa cuisse qui se faisait agresser par de minis aiguilles. Il s’arrêta néanmoins bien avant de toucher le petit grimpeur quand il compris que celui-ci ne cherchait qu’à l’escalader. En ce cas… il allait voir ! Il reposa sa tête sur le côté le temps que l’ascension se termine et que Petit-Chat atteigne son dos. Une fois les minis griffes rétractées, il se redressa lentement, tout en souplesse et élégance, évidemment, et, une fois assis, entreprit de faire ce que tout félin faisait pour se soulager d’une petite démangeaison sur le dos : tordre son rachis pour se gratter avec ses dents. Sauf que le but n’était pas de couper Petit-Chat en deux. Il fallait adapter… et, par exemple, donner un bon coup de langue au grimpeur. Après tout, quand on a un passager clandestin, on fait sa toilette pour s’en débarrasser.

J’grimpe. D’un coup, Grocha semble énervé pour de vrai. Les oreilles et les crocs et tout mais j’ai pas peur, non non. Et si mes poils se dressent c’est juste parce que son souffle est chaud c’est tout. J’marche en crabe. Pour pas tomber pis une fois en haut, je range les griffes, j’veux pas lui faire mal avec mes armes. J’pourrais l’égorger je sais alors je fais attention ! Il a l’air de comprendre que son sort est inéluctable (un mot que l’humaine aime bien. Moi j’aime bien ce qu’il veut dire. Je suis Inéluctable. C’est mon nom de chat !) et se laisse faire. J’arrive sur son épaule, et y a un creux et j’ai du soleil et il est plus chaud que la pierre et je suis bien mieux et en plus je suis AU DESSUS de lui et ça, tout chat vous dira que c’est toujours mieux d’être plus haut que l’autre. J’vais pour m’allonger en boule dans le creux de l’épaule donc qui fait juste le lit dont j’ai besoin quand il se redresse et je dois sauter ailleurs pour ne pas tomber mais je resterais dessus, et s’il insiste, je ressors les griffes ! A nouveau, sa gueule me frôle et je piétine pour éviter les crocs qui grattent jusqu’à ce que…COUP DE LANGUE ! TRAHISON ! J’éternue, j’ai plein de bave pas à moi sur le poil et j’suis un peu abasourdi par la duplicité du Grocha. Je secoue la tête, je le fixe, j’ai son odeur partout sur moi comme si j’étais à lui mais je suis pas à lui, je suis à personne, je suis un chat. Je ne peux pas m’en sortir juste en le phéromonant en plus. Ou alors la langue mais j’ai pas eu le temps. Je ronronne, ça me fait gagner du temps et puis ça me rassure. Inconfortable, j’entreprend donc de me lécher, toujours au même endroit, bien campé sur mes pattes. Quand j’aurais plus son odeur, je serais plus à lui. Il pourra être à moi. Et je pourrais reprendre le plan. Mais là, là c’est pas possible. L’humaine rit, elle devrait faire plus attention, elle ne comprend pas ce que moi je sais. Mais ses idées sont bonnes. Bon. Allez. Je suis toujours n train de me lécher mais on réfléchit, on calcule et d’un coup je monte SUR SA TETE ! Et je mordille son oreille en mettant ma truffe froide et humide juste derrière, là où l’odeur est la plus forte. Si je suis à toi, je serais ton PIRE CAUCHEMAR GROS CHAT ! Et tu me rendras à moi et alors je pourrais faire que tu sois à moi. Je m’amuse bien. Je crois que j’ai oublié d’arrêter de ronronner.

Il était assis sur la pierre, à présent, bien droit, bien digne, telle la statue du félin idéal. Même avec un petit passager clandestin sur le dos. Les statues ne perdaient pas leur dignité par la faute d’éventuels grimpeurs. Mais ce n’était pas une raison pour les laisser faire sans riposter. Et le digne félin était très fier de sa revanche. Petit-Chat avait des aptitudes indéniables de chasseur et de grimpeur mais lui était un puma ; il était autant – voire plus – capable de surprendre son entourage et surtout, surtout, il n’appartenait et n’appartiendrait jamais à personne ! Pas même à un mini félin, tout doué qu’il fût. Satisfait – qui portait l’odeur de l’autre, maintenant ? – et immobile, il guettait donc avec amusement et tous les sens en éveil la réaction de son hôte. Il ne pouvait pas bien le voir, évidemment, mais il sentait chaque mouvement de Petit-Chat… et entendit sans mal les premières vibrations du ronronnement. L’humain aurait souri, à la fois amusé et attendri par les efforts de toilette et de ronron, mais les fauves ne s’attendrissaient pas. Ils restaient dignes. Il se retint donc de ronronner en écho et attendit…

… Et ne fut pas déçu. Petit-Chat avait de la suite dans les idées, même s’il portait son odeur. Il avait atteint sa tête, le point le plus haut. Décidé à rester immobile, le puma ne put s’empêcher d’agiter les oreilles en sentant de petites dents s’y attaquer. Et – Fourberie ! – un nez froid ! Cette fois, un grondement sourd lui échappa, qui se transforma presqu’aussitôt en ronronnement. Il savait quoi faire. Il avait commencé sa toilette, après tout, il allait la terminer. Il leva donc son antérieur pour lécher consciencieusement chacun de ses doigts, avant de la passer derrière l’oreille fautive. Et, ceci fait, il s’abaissa pour se retrouver couché sur la pierre – c’était à ça qu’elle servait, de toute façon, à se coucher dessus – tout en gardant sa tête bien droite. Et ce n’était évidemment pas pour que Petit-Chat reste stable, noooon ; c’était juste que c’était comme ça que ça se faisait. Puis, sans cesser de ronronner, il étendit ses pattes devant lui… et repassa un coup derrière son oreille. Il n’était plus si haut, maintenant, Petit-Chat !

Hey ! Mais nan tu descends pas. Je t’ai pas dit de descendre le Chatcaillou ! Déjà que j’ai du éviter la patte pleine de griffes que tu as mise derrière ton oreille. J’suis pas une puce moi, j’suis un chat. Les puces je les MANGE. Je fais de mon mieux pour rester sur la tête, j’y arrive, parce qu’elle est toujours droite parce que l’autre c’est quand même une partie chat alors il sait faire les choses comme il faut mais je veux qu’il remonte maintenant, parce que là, j’suis limite plus bas que le haut de ses fesses et s’il croit que je vais bouger il se TROMPE. Je sais que la tête c’est mieux que les fesses et puis j’suis bien là quand même. Y a du soleil. L’humaine dit que si mordiller une oreille fait descendre, l’autre fait monter ? Je crois qu’elle se moque, parce que les chats, on pense pas comme ça mais j’ai rien à perdre à essayer. De toute façon j’ai pas encore attaqué celle là et je sens toujours son odeur à lui alors… je mordille un peu et je remets mon nez dans le creux et puis je me pousse pour laisser passer la patte si y en a une et je m’en fiche tellement que je ronronne toujours et je me lave aussi, pareil derrière les oreilles. Tu vas voir si je suis à gratter. Tu ne peux pas m’échapper c’est tout. Mais le soleil baisse déjà et il va être l’heure de chasser pour de vrai puis de redevenir humain même si je n’aime pas parce qu’il faut qu’on mange et qu’elle veut pas qu’on mange quand on est chat. Elle veut pas non plus manger quand elle est humaine. Pourtant y a Frère et L’Homme de l’aube qui insistent, elle devrait les écouter, surtout l’homme de l’aube qui est plus âgé. Frère c’est un frère, c’est normal de se battre et de jouer et de voler sa nourriture. C’est à ça que servent les frères, surtout ceux qui ne sont pas des chats. J’aimerais qu’il chasse avec nous. Peut-être que le Grand il voudrait bien chasser ? Je miaule rapidement. Tu veux chasser avec moi, Grand ? Moi je suis petit et rapide et je peux rabattre et toi tu tues avec tes grosses pattes parce que tu as de plus grandes griffes et puis ensuite on donne tout aux oiseaux-trop-grands ou à l’Homme des bêtes qui est à moi.

Imperturbable, ronronnant toujours, le puma continua sa toilette. Petit-Chat n’était pas lourd du tout, il ne lui était pas difficile de tenir sa tête droite et de vaquer à ses occupations comme si de rien n’était. Presque comme si de rien n’était, en réalité, car il ne put s’empêcher d’agiter à nouveau les oreilles quand le mini félin s’attaqua à sa deuxième oreille. Les petites dents pointues et, pire, le petit nez froid étaient quand même très désagréables. Ça méritait bien un deuxième coup de patte derrière l’oreille, tiens. Et puis, ça permettait de remettre son odeur là où Petit-Chat avait mis la sienne. Bon, il portait toujours la sienne, donc en vrai ça faisait un mélange des deux, mais quand même. C’était toujours bien de remettre un peu de son parfum derrière sa tête. Et de se nettoyer en général. Aussi entreprit-il de se lécher consciencieusement la deuxième patte. Ce n’était pas si facile que ça en avait l’air. Il y avait toutes sortes de petits recoins de peau dans une patte, et il fallait veiller à ne pas en laisser un seul. Il convenait de bien sortir les griffes et de tirer un peu dessus pour être sûr de ne pas manquer de retirer un fourreau et pour bien nettoyer la base. Ça demandait une grande habitude, du temps et… Et Petit-Chat s’impatientait déjà.

En réponse au petit miaulement, le félin reposa sa patte en soupirant. Sa queue s’agita brièvement. Il était trop pressé, le mini chasseur. Pas étonnant qu’il soit si petit et si maigre s’il ne prenait jamais la peine de se poser. Une pierre au soleil, en plus, c’était l’endroit idéal pour faire sa sieste ou sa toilette. Enfin. Il bâilla à s’en décrocher la mâchoire puis miaula à son tour. D’accord, Petit-Chat, on va chasser. Mais c’est bien parce que tu es si petit. Il baissa encore un peu la tête, jusqu’à la poser sur la pierre, pour que son passager puisse descendre plus facilement, avant de se lever d’un mouvement fluide et souple. Même fatigué par le sport de l’humain, il restait digne et élégant. Et même le ventre plein du repas des Elfes, il était prêt à chasser.

Il se lave les pattes, alors moi aussi mais mieux évidemment puisque je suis moi et qu’il est lui, cela va sans penser. Comme prévu, il avait donné un autre coup de patte pour remettre son odeur sur l’oreille et, comme je le savais, il avait pas remonté la tête. Tu vois humaine ça pense pas comme ça, les chats. Tu devrais m’écouter plus souvent. Tu devrais m’écouter tout le temps parce que j’ai raison et que les humains ça fait pas bien la toilette des pensées alors y a plein de nœuds dedans et ptet même qu’il y a des puces et ça vraiment ça le fait pas, pour un chat, les puces de pensées. Par contre, Grand, comme tous les Grands, ben il est lent. J’ai nettoyé mes deux pattes et lui il est toujours sur sa grosse griffe moche. C’est ça de les faire sur n’importe quoi. J’ai vu des traces de sa taille sur des arbres quoi. En haut et tout. J’ai levé la truffe pour sentir. N’empêche, il pose sa patte preuve qu’il est à moi puisqu’il m’obéit et que moi je lui obéit PAS donc je suis pas à lui et l’odeur est un mensonge, voilà. Il baille. Ce qu’il est lent. Si être digne, c’est être lent je suis content d’être inéluctable. Mais finalement, il miaule et on st ‘accord. Je saute sur la pierre, debout devant lui, je lui arrive presque en haut de la babine quand il a la tête posée par terre je suis sur.

Un lapin.

J’ai jamais chassé de lapin pour le tuer derrière, juste pour rire parce que y en a qui sont plus grands que moi, presque, et je chasse pas ce que je peux pas transporter pour le donner aux oiseaux ni manger moi en entier même si je ne mange pas mes proies. Et l’homme-bête il m’avait donné un MORCEAU de lapin mais j’ai envie d’un entier pour voir si on fait une bonne équipe le Grand et moi. J’pense que oui s’il oublie d’être lent quoi. Je saute du rocher par terre, c’est haut mais ça va je me rattrape sur mes pattes. Mes oreilles sont pointées vers l’avant, j’ai le bout de la queue qui bat. J’suis excité comme tout. Je claque la langue et les dents. En chasse. Je dois trouver un lapin. Je me souviens du trou de l’écureuil de terre géant de l’autre fois. Y a pas longtemps j’en ai vu un pareil qui sentait les lapins. Peut-être qu’il se cache dedans ? Je fais quelque pas dans les hautes herbes, moitié rampant puis je jette un œil par-dessus mon épaule pour voir ce qu’il fait, l’autre, là, avec sa dignitude.

Il était pressé, Petit-Chat, il était excité. Il sautait à terre – enfin, sur la pierre ; il était si petit qu’il lui fallait deux étapes – dès que sa tête s’abaissa.

Un lapin, confirma donc le puma en se levant.

Un lapin, c’était bien. Pas trop gros pour Petit-Chat – quoique… – et pas trop petit pour lui. Il aurait préféré une chèvre ou un mouton, mais il n’en avait pas encore vus ou sentis dans le coin. Et, de toute façon, ça aurait fait un peu trop volumineux pour le mini chasseur, à attraper aussi bien qu’à manger. Lui-même, après le dîner des Elfes, n’avait pas assez faim pour dévorer un ongulé, même petit. Et les pumas ne chassaient pas pour le plaisir seul de chasser. Ce serait une perte de temps, d’énergie et de ressource. Une proie vivante pouvait se reproduire et donner de nouvelles proies pour quand il ferait faim. Et, en plus, l’humain ne l’aurait pas laissé chasser sans raison. Tuer, oui. Tuer pour tuer, non.

Un lapin, donc. Le puma bondit de sa pierre pour se réceptionner non loin du mini félin. Il était excité, Petit-Chat, et il faisait du bruit. Avec sa langue et avec ses dents. Pas étonnant qu’il soit si petit et si maigre, il ne devait pas attraper grand-chose à manger ! Il fallait du silence et de la patience pour chasser correctement. Et la remarque amusée de l’humain, au fond de son esprit, qui lui signalait que, comme lui, le chat avait sans doute droit aux repas des Elfes n’y changeait rien. En silence donc, le plus grand félin des deux pivota pour se placer sous le vent. L’excitation de la chasse commençait à monter également, mais seul le bout de la queue s’agitait de façon un peu désordonnée. Tous ses autres mouvements étaient parfaitement contrôlés, comme toujours. Il se mit en marche, en indiquant à Petit-Chat la direction à suivre des oreilles et des moustaches. Les lapins ne manquaient pas dans le coin. Mais, pour en attraper un, il fallait qu’il ne les entende pas et qu’il ne les sente pas non plus !

Bah le Grand il semblait savoir ce qu’il faisait même si tous les lapins de la terre entière devait avoir filé en l’entendant tomber sur ses pattes et faire trembler le sol. C’est ça d’être grand et lourd. On est obligés de se mettre sous le vent et de faire silence et de pas bouger pour pas se faire entendre alors que moi, quand je rampe, je suis léger comme le vent et rien ne craque sous mes coussinets et je me fonds dans le fond des herbes et sous les buissons où je suis sur que tu passes pas le Grand alors tu devrais me laisser faire. Enfin bon, il a l’air de savoir où sont les lapins. Je me calme et je me met dans le même sens que lui, pour ne pas être senti encore, puis je le suis, silencieux, avec juste la base de la queue un peu hérissée parce que je suis content et que je veux le montrer, quoi. C’est bien d’être content. Mon humaine, elle sait pas faire. Elle a toujours ses puces de pensées qui l’embêtent. Elle devrait les manger. La prochaine fois j’essaierais. Peut-être que c’est bon les pensées. J’en ai jamais chassées encore. Mais là, lapins. Justement, j’en vois un sous un buisson, trop bas. Il sent bon la fourrure et le chaud et le vivant et la proie et le rongeur. Je me lèche les babines, tournant la tête vers lui pour le montrer d’une oreille, l’autre tournée vers mon compagnon de chasse.

« Je lui fais peur et tu l’attrapes » que je commande avec mon corps parce que c’est moi le chef et que c’est logique comme ça. Je suis plus petit et plus rapide et plus apte à faire peur alors que le Grand il a de plus grosses griffes et crocs. J’attends qu’il devienne invisible dans un endroit face au vent et me glisse dans les herbes. Le lapin il tourne bien les oreilles vers moi parfois mais je ne dis rien. Je suis devenu le Chasseur. Je suis la Mort qui rôde. Et tu le sais pas encore lapin mais on va te donner aux oiseaux. Je m’aplatis tout bien, je bouge les pattes arrières pour calculer, mes pupilles sont dilatées au point de cacher presque entièrement mes yeux noisettes d’humain presque et je me ramasse sur moi-même et je bondis et j’ai les griffes dehors et je tombe juste là où était le lapin qui a sauté mais je resaute pour lui couper la route et je cours et je le rabat et il m’écoute pas mais je suis plein d’énergie et je joue avec lui comme avec un pompon de laine et il arrive bientôt là où doit être Grand…

Ah ! Petit-Chat semblait enfin décidé à être attentif et silencieux. Peut-être qu’il n’était pas si mauvais chasseur que ça, une fois concentré. On allait voir. Une fois qu’ils auraient trouvé une proie. Aussi, tous les sens en alerte, attentif au moindre son, à la moindre odeur, le puma rampait dans les hautes herbes. Il s’aplatissait le plus possible, mobilisant chaque membre à son tour, presqu’au ralenti et sans un bruit. Il repéra bien vite le lapin sous un buisson non loin et s’immobilisa aussitôt, à peu près au moment où son compagnon de chasse le lui signalait. Seul, il ne se serait sans doute pas arrêté. Le buisson était trop bas pour lui permettre d’attraper la proie. Mais avec Petit-Chat, c’était autre chose. Il avait même de bonnes idées, le mini félin. Il pourrait canaliser son trop plein d’énergie et l’utiliser pour rabattre la proie. Le puma valida donc la proposition de son petit compagnon d’une agitation des moustaches, avant de se remettre en mouvement.

Toujours silencieux comme une ombre, il se glissa de l’autre côté du buisson, en veillant à bien rester sous le vent. Une fois l’endroit idéal trouvé, il se tapit, laissant son pelage fauve se fondre au milieu des graminées. Seul le bout de sa queue et ses moustaches s’agitaient, tandis qu’il guettait à la fois le lapin et son complice. Tout l’intérêt de l’affût, c’était d’être indétectable et de prendre la proie par surprise. Ça demandait du temps et de la patience, mais c’était efficace. Économie de mouvements et d’énergie… Tant de choses que Petit-Chat n’avait pas l’air de comprendre, vu comme il sautait, courait et bondissait. Il allait lui en falloir, du lapin, pour compenser tant d’énergie perdue. Mais il maîtrisait la trajectoire de la proie, c’était le principal. Elle arrivait sur lui et il était prêt. Ses griffes sortaient et se rétractaient d’anticipation. Ses muscles se contractaient. Et ça y était !

Brusquement, ses pattes se détendirent et il bondit au-dessus de l’herbe pour atterrir juste à la distance requise du lapin qui ne pensait qu’à fuir son poursuivant. Il balança son antérieur droit vers sa cible qu’il toucha, évidemment, où il l’avait prévu. En pleine tête. Mais sans les griffes. C’était Petit-Chat qui avait voulu chasser, à lui d’achever sa proie assommée. Il allait pouvoir la manger et récupérer toutes les calories qu’il avait dépensées à sauter partout comme un chaton.