Chat échaudé craint l’eau chaude.

Ou froide. Ça n’avait pas d’importance, puisqu’elle n’était pas un chat, mais une martre. Présentement occupée à observer son environnement en essayant de ne pas retomber dans la même situation que la dernière fois où elle s’était retrouvée stupidement chassée par un félin chétif mais déterminé. Ou plutôt, Cassiopeia se trouvait à nouveau dans sa forme animale précisément pour parer à toutes éventualités et faire en sorte de ne plus jamais paniquer de la sorte si elle était pourchassée par une bestiole la prenant pour son goûter. Depuis toute petite, toutes ses erreurs avaient été accumulées, notées, disséquées, analysées avant qu’elle ne soit forcée à répéter les mêmes gestes encore et encore jusqu’à ce que le résultat soit satisfaisant. Elle n’avait pas le droit d’échouer, surtout pas quand sa survie pouvait potentiellement en dépendre. Son père avait été strict là-dessus. L’erreur n’était pas possible, puisque tant qu’elle était encore en vie, elle pouvait s’améliorer et réussir.

Pour ce faire, la jeune femme avait choisi un arbre un peu isolé des autres avant de se transformer en martre, grinçant des dents contre la douleur qui agitait déjà ses muscles. Sa nature timide et renfermée ne signifiait en aucun cas qu’elle manquait de détermination, au contraire. C’est pourquoi elle allait passer la plus grande partie de son après-midi à grimper au même arbre, encore et encore et encore, jusqu’à ce qu’elle réussisse à atteindre la première branche la plus haute et stable. Elle comprenait bien que ses griffes étaient faites pour ça, qu’elle pouvait s’accrocher à l’écorce dure et pliante sous ses pattes, mais il y avait toujours quelque chose qui venait gâcher son ascension: un bond trop court, un temps d’arrêt trop long, une trajectoire mal contrôlée.

Lorsqu’elle franchit enfin le cap et se percha sur sa branche, le soleil commençait tout doucement à baisser à l’horizon. Si elle avait été sous sa forme humaine, elle aurait poussé un cri de joie sans nom, quoi qu’un peu haletant du fait de sa respiration saccadée et de l’effort qu’elle avait fournit. La brise sur sa fourrure n’était pas désagréable, les odeurs de pin et de feuilles, de la résine et le bruissement des branches presque apaisant… Jusqu’à ce que ses yeux se dirigent vers le sol pour réaliser à quel point la terre est basse lorsqu’on est aussi petit que la martre qu’elle était.

C’est à ce moment-là que Cassiopeia réalisa qu’elle avait le vertige, chose qu’elle n’avait jamais pu tester ou expérimenter auparavant.

Et que le vertige provoquait un sacré tournis. Et que le sol se rapprochait dangereusement maintenant qu’elle avait glissé de sa branche, même si tout était trop flou pour voir quelque chose. Et qu’elle allait probablement s’écraser comme une crêpe en tournoyant de la sorte. Elle ferma les yeux, priant pour mourir rapidement sans se briser tout un tas de petits os, ce qui serait fâcheux, douloureux et absolument idiot, avant de pousser un ‘humpf’ alors que sa forme animale rebondit sur une surface plus molle et non-terreuse, le léger impact provoquant la transformation de la jeune femme en humaine.

Humaine qui s’était donc écroulée sur quelqu’un et les avait envoyé tous les deux au sol.

C’est une de ces soirées où il se prend la tête. Une de ces soirées pleines de « si » qui ne servent à rien de plus qu’à se torturer. Alors il se torture, un moment, un long moment, puis abandonne et sort. L’air frais de la fin de journée, lui fait du bien, calle un peu ses réflexions. Il n’y pense pas trop, mais fini par se mettre à courir, trop vite au début, avant de rajuster son rythme, de calmer sa respiration pour tenir sur le temps.

Les endorphines finissent de l’apaiser, ses foulées le mènent jusqu’à la forêt, une difficulté de plus alors qu’il faut surveiller où l’on met les pieds pour s’éviter une chute douloureuse, pire, une blessure. Ça serait vraiment bête de se blesser, mais Arcturus a l’habitude de courir en forêt. Il ralentit un peu l’allure, attentif aux obstacles, autant au sol que dans les airs, puis fini par s’arrêter, le souffle court, quand il remarque son lacet détaché.

Il se penche, le refait, jette un regard vers le tronc avant de s’y accoter quelques secondes quand un bruit lui fait froncer les sourcils et qu’il se redresse en faisant un pas, regardant autour, la main non loin de sa baguette… Avant de sursauter quand quelque chose lui tombe dessus. Enfin, au début, c’est quelque chose, après, c’est une fille. Il ne comprend pas sur le coup, mais le poids inattendu le jette au sol, sous la demoiselle qu’il regarde, hébété, se relevant lentement sur ses coudes pour mieux la voir… Avant de regarder en l’air. L’arbre ?!

- … Hey ? Ça va ?

Ouais, bon, il est un peu sonné. Et encore heureux qu’il y ait un chouette tapis d’aiguille et de feuilles mortes par terre.

- Vous arrivez d'où comme ça ?

Oui, parce que quand même, il ne pleut pas des filles du ciel tous les jours !

Ouch, les genoux.
Ouch, les coudes.

Ouch, tous ses muscles qui lui hurlent dessus que se transformer comme ça sans même le planifier, sous la panique, et bien... Ouch. Sa tête tournait un peu et son environnement resta flou pendant quelques secondes alors que la sensation de la transformation éclair s'achevait enfin, le tournis provoqué par son vertige se dissipant finalement. C'était une bonne chose que son esprit se concentrait en priorité sur la douleur et la confusion qu'elle avait ressenti, signifiant qu'elle mit un temps à réaliser qu'on s'adressait à elle et qu'elle était tombée sur quelqu'un.

Plus précisément, un garçon. Plus précisément, un très grand, joli garçon, bien plus grand qu'elle - un peu difficile à voir de sa position actuelle, mais pas si difficile que ça puisque Cassiopeia n'était pas très grande - et... très proche. Assez proche pour qu'elle puisse détailler les traits de son visage et les joues un peu rosies, sans doute par l'effort, de l'inconnu.

Pour les standards de Cassiopeia - et sans doute de beaucoup de monde -, un peu trop proche.

La jeune Selkie se sentit rougir comme une pivoine, se maudissant elle-même du bafouillement qui sortait déjà de sa bouche sans formuler de mots précis alors qu'elle tenta vainement de se relever, grimaça lorsque ses genoux protestèrent à nouveau et se contenta de se rasseoir sans écraser une seconde fois le jeune homme qui s'inquiétait pour elle. Un petit progrès, en somme.

"Je-, suis vraiment, vraiment désolée. Ce n'était pas volontaire, je ne voulais pas... Enfin, bien entendu, je ne voulais pas vous tomber dessus, ce n'était pas planifié. J'étais sans l'arbre." L'éloquence habituelle de la jeune femme entraîna une nouvelle grimace et un sourire désolée envers son interlocuteur devant cette explication si saugrenue. "Enfin, je m'entraînais dans l'arbre et j'ai réalisé que j'avais le vertige et... Je ne vous ai pas fait trop mal, au moins?"

Elle a l’air aussi sonné, voir endolorie. Il y a de l’inconfort sur son visage, puis elle semble réaliser la situation, la proximité qu’elle a avec Arcturus et elle devient… rouge. Très rouge. Et ça pourrait être drôle, voir attendrissant, mais elle grimace trop en essayant de se relever et ça inquiète Arcturus qui se redresse vite pour l’aider à s’asseoir, essayant d’évaluer son état du regard, pendant qu’il l’écoute bafouiller, puis se faire plus compréhensible.

Dans l’arbre donc. À s’entraîner avant de découvrir qu’elle a le vertige.

Son regard se lève part réflexe vers l’arbre alors qu’il s’assoit en tailleur malgré l’humidité du sol. Qui n’est pas bien endommagé, pour qu’une jeune femme en tombe. Son regard revient vers elle, puis un éclair de compréhension se fait dans son regard. Ils ont peut-être un point en commun. Même s’il ne pourrait assurément pas grimper dans un arbre, lui, enfin, pas sous l’autre forme.

- C’est pas grave. Et ça va, rien de cassé.

Il lui offre un sourire réconfortant. Il ne lui en veut pas du tout, il pourrait presque en rire. Bon, il aura probablement des courbatures pendant quelques jours, mais ça ne sera pas la première fois, hein. Il lui a peut-être évité de se casser quelque chose, c’est toujours ça de gagner et moins de boulot pour le médicomage.

- Dis… à quoi est-ce que vous vous entraîniez dans cet arbre ?

Oui, parce que c’est quand même phoquement curieux. Et qu’il se doute qu’elle était sous une forme animale, mais du coup… Ou était l’intérêt ? Si elle était un écureuil ou un truc du genre, elle devrait être plutôt douée pour crapahuter d’une branche à l’autre.

- Ah ! J’oubliais ! Je m’appelle Arcturus. Et toi ? Enfin, vous. Mais on pourrait se tutoyer, non ?

Oui, bon, vu qu’elle lui est quand même tombé dessus. Mais qu’il l’aime bien quand même.

Elle savait très bien que ses mots n'avaient pas beaucoup de sens. Il regarda d'ailleurs l'arbre d'un air un peu surpris, et Cassiopeia s'en sentit mortifiée, mais elle avait un peu l'habitude. C'était le problème lorsqu'il lui était difficile d'aligner plus de trois mois sans considérer qu'elle en avait déjà trop dit, que personne ne voulait écouter ses bêtises de toutes façons, et que ses explications étaient sans-dessus-dessous quoi qu'il arrive. Elle rangea une mèche de ses cheveux derrière son oreille par habitude, regardant le sol pendant un moment avant de se forcer à relever la tête pour observer son interlocuteur, les joues toujours un peu rosies.

"C'est... C'est un peu idiot." Quatre mots. Cinq, si on comptait la contraction. Un léger secouement de tête alors que la jeune femme se mordit la langue. "Je me suis faites attaquer par un chat. Enfin-, ce n'était pas vraiment un chat, mais elle m'a attaquée quand même, et je me suis rendue compte que j'étais bien incapable de maîtriser quoi que ce soit, et la forêt me semblait le lieu parfait pour m'entraîner sans faire de mal à personne..." L'explication devenait longue, empêtrée, et la belle rougissait de plus belle.

Elle réussit à rire doucement de sa propre maladresse, un rire léger, avant de prendre une profonde inspiration. Moins vite, plus posément, tu peux le faire. Ses yeux trouvaient souvent le moyen de ne pas rester trop concentré sur Arcturus, comme s'il l'intimidait, ce qui était le cas. Une petite voix lui disait que tout déballer au premier sourire qui passait n'était pas très intelligent. Un très joli sourire, fit remarquer une autre voix qu'elle n'écoute pas sous peine de rougir encore plus, la vile. Mais elle restait bien assez sur ses gardes au quotidien pour se permettre ce petit aveu-là. Quelqu'un d'autre le savait déjà, de toutes façons. "Je peux me transformer. En martre. Mais... Je suis apparemment la seule martre qui ne sait pas encore grimper aux arbres... Et qui a le vertige, en plus."

Elle sourit alors qu'il lui offrait son nom, une autre étoile. "Oh-, oui, le tu semble plus... Enfin, je préfère ça. Et c'est Cassiopeia." Et cette fois-ci, sans déballer la première lettre de l'autre prénom qu'il ne fallait pas prononcer. Victoire, Cassio, victoire. Comme lui serrer la main semblait déplacé s'ils se tutoyaient, mais qu'elle avait trop l'habitude, sa main amorça le geste avant de se transformer en une sorte de petit salut... Et la jeune femme secoua à nouveau la tête, résistant l'envie de cacher son visage entre ses mains. "Ou Catastrophe. Catastrophe aurait été plus adéquat."

Arcturus écoute son histoire, intrigué. Comment ça, « attaqué par un chat » ? La jeune femme semble se perdre dans ses propres mots, s’en rendre parfaitement compte, d’autant plus embarrassé. Elle cafouille, mais le norvégien n’est pas du genre à s’impatienter, l’observant calmement, le regard à la fois curieux et perplexe. Enfin, elle reprend ses explications et il comprend beaucoup mieux les raisons qui auraient pu pousser un « chat » à l’attaquer. Une martre. De quoi attiser l’instinct de chasseur de plus d’un animal, au grand damne de la jeune femme. Déjà, l’officier comprenait beaucoup mieux les démarches de sa collègue, quand bien même ce n’était pas très probant pour le moment, surtout si elle avait le vertige. Probablement qu’avec le temps… Et sans grimper directement tout en haut, elle parviendrait à venir à bout de ses soucis.

Sa démarche est déjà un premier pas dans la bonne direction, même si ça a eu le mérite de les faire se rencontrer de façon… assez brusque. Le sourire du blond s’agrandit un peu.

- Enchanté, Cassiopeia. Et je ne pense pas que tu sois une catastrophe. Déjà, tu as la volonté de travailler tes poids faibles, c’est louable.

Arcturus jette un regard vers la cime des arbres.

- Le vertige aussi, tu peux travailler pour passer au travers. Petit à petit. Si c’est ce que tu veux, je doute pas que tu puisses y arriver, l’encourage-t-il avec un sourire. Il hésite quelques secondes, continue. Ça prend toujours un peu d’entraînement pour dealer avec son animal. Je me transforme en phoque et j’ai faillis plus d’une fois finir dans le ventre d’un animal, si c’est pas dans celui d’un chasseur. Après, on se remet en question et on essaie de s’améliorer, ça fini par porter fruit si on s’accroche.

L’homme repense quelques secondes à ces moments où il a failli finir entre les mâchoires d’une orque ou avec une balle dans la peau. C’est passé très près, parfois, surtout au début. Puis il a appris. Pas vraiment le choix de faire autrement quand c’est une question de survie.

Il l’écoute, ne semble pas soupirer ou lever les yeux au ciel alors qu’elle cherche ses mots. C’est déjà plus de patience que beaucoup de personnes lui ont accordé, et la jeune femme se détend quelque peu devant l’absence de moquerie ou d’agacement. Elle ne peut s'empêcher un trait d'humour à sa remarque, le fin sourire sur ses lèvres d’autant plus amusé et doux.

"Il le faut. Sinon, je risque de retomber beaucoup de fois sur d'autres personnes. Ça risquerait d'être lassant pour tous, à la longue. Je ne suis pas certaine qu’ils le prennent aussi bien que toi." Une autre qu'elle aurait peut-être profité de l'occasion pour laisser sous-entendre que tomber sur un joli jeune homme n'était somme toute pas si désagréable, même sans être intéressée. Elle avait déjà vu faire de nombreuses filles de son université, la facilité qu’elles avaient à se faire apprécier de tous, surtout de ceux qui ne les connaissaient pas encore. Elle aurait rougit rien que de penser à dire ces mots, et ils se seraient coincés dans sa gorge de toutes façons si elle avait ne serait-ce qu’essayer de les murmurer.

Pourtant, alors qu'il se découvre en lui avouant que lui aussi peut se transformer, Cassiopeia oublie quelque peu sa timidité au profit de l'étonnement et de la curiosité qui la saisit. "Un phoque?" Les yeux noisettes de la jeune femme brillent alors qu'elle tente d'imaginer la forme de l'animal qu'elle n'a jamais vu que dans des livres ou des documentaires animaliers. “Ça a dû être impressionnant, la première fois que tu t’es transformé. Est-ce que tu étais dans un endroit adapté ou…?” Elle laisse sa question en suspens en espérant qu’il comprenne et qu’il ne trouve pas sa curiosité déplacée.

Arcturus hausse légèrement un sourcil en l’entendant et il lui sourit, amusé, mais pas moqueur. C’est certain que d’autres se seraient probablement fâché qu’on leur tombe dessus, mais ce n’est pas le genre du blond. Pas qu’il tienne à répéter l’expérience plusieurs fois, mais pour le moment, il était simplement heureux de rencontrer la jeune femme.

- Tu y arrives. C’était ton premier jour, là-dessus, non ? Et t’as grimpé tout en haut. Faut juste… Recommencer plus doucement en prenant le temps de t’habituer. On est là pour ça, bosser sur nos points faibles, de toute façon.

L’intérêt que Cassiopeia démontre pour la forme animale d'Arcturus n’a rien de nouveau pour lui. C’est un curieux animal, le phoque, pour ceux qui ne connaissent pas trop. Il hoche du chef quand elle demande confirmation, puis marque un temps d’arrêt quand elle lui parle de sa première transformation. Les souvenirs lui reviennent sans mal… Et il ne peut qu’éclater de rire.

- Je… Ouais. Enfin, j’étais dans une clairière un peu perdue et il y avait une rivière pas loin, alors ça allait. C’est juste que c’est assez déroutant de se retrouver à se déplacer sur le ventre… avec des pattes toutes courtes… Et puis ma baguette… il marque un petit temps d’arrêt secoue la tête avec un sourire en regardant Cassiopeia Elle a fini sous moi au passage et elle n’a pas supporté le poids d’un phoque. Je l’ai retrouvé cassé en deux. Et sur le coup, c’était un peu la cata, mais après coup… c’était juste tellement ridicule.