Le bruissement des feuillages autour d’elle lui était familier, même si les lieux par contre ne l’étaient pas tant que ça. Ses petites pattes couraient aussi vite qu’elle le pouvait, de buissons en buissons, concentrée sur sa trajectoire. À la maison, le jardin avait été pour elle un terrain d’entraînement plus qu’un terrain de jeu. On lui avait appris à se transformer pour une raison précise, celle de savoir s’enfuir, et la vitesse avait bien été son seul atout. D’ailleurs, ses muscles souffraient encore beaucoup lors de ses transformations et elle ressentait la douleur de celle-ci plusieurs heures après s’être changée.

Elle s’était donc mis en tête de s’entraîner plus régulièrement - son père lui avait bien répété que l’entraînement était clé de tout succès - et avait donc choisi de se diriger vers la forêt après le repas pour s’isoler.

Malgré cette volonté qu’elle appliquait à la plupart des tâches qui lui étaient confiées, Cassiopeia se sentait un peu perdue. Elle s’était transformée à l’abri des regards, n’avait pu contenir un petit cri de panique lorsque ses muscles et os s’étaient réarrangés pour tenir dans ce corps plus trapus et proche du sol, mais tout aussi peu musclé que sa propriétaire. Maintenant qu’elle était confinée à sa forme de martre, elle ne savait pas trop quoi faire. Son poil proche de la teinte brune de ses cheveux et un rond crème au centre de son torse représentant la bague qu’elle portait toujours autour de son cou ne se fondait pas tellement avec le décor alentour. Des prédateurs pouvaient s’y cacher, contrairement à la sécurité de son ancien jardin protégé.

Bref, l’aventure qu’elle avait voulu spontanée lui causait plus de soucis que de sensations de liberté.

Elle s’arrêta près de l’orée d’une clairière, l’animal en elle pestant contre le côté exposé de sa position, le côté humain l’ignorant totalement, ses petites oreilles pointues s’agitant en écoutant les bruits environnants. Soudain, une ombre surgit d’un bosquet proche, Cassiopeia poussant un cri (de martre) avant de courir à toute vitesse dans la direction opposée pour éviter que la créature qui l’avait pris en proie ne la chasse.

L'instinct n'avait jamais été son fort. Son père s'en lamentait déjà quand, face à une situation pratique, Cassiopeia prenait bien trop de temps à réfléchir, voulait bien faire. Elle s'était surprise à savoir quoi dire et quoi faire lors de sa capture et les longues semaines qui avaient suivi, réussir à jouer un rôle sans éveiller les soupçons. Mais ce n'était pas si étonnant de ça, lorsqu'elle y réfléchissait bien. Son père l'avait préparé toute sa vie à cette éventualité, à sa fuite, à sa survie. Elle avait répété pour ce passage particulier presque toute son adolescence. Il ne s'agissait donc pas d'instinct, là non plus.

Ici, elle était piégée. Les bosquets bien trop haut lui obstruait la vue et elle manqua de se prendre un arbre en essayant de sauter sur le côté pour éviter les pattes de la créature, qui semblait déterminée à la transformer en dîner. Elle ne pouvait grimper - ou peut-être le pouvait-elle, mais elle n'avait jamais essayé et son cerveau travaillait bien trop à plein régime pour l'envisager. Et puis, les hauteurs n'avaient jamais été quelque chose qu'elle appréciait. Tout allait trop vite et son coeur menaçait de se rompre sous la force de ses battements tant l'animal et l'humaine s'affolaient ensemble de leur situation.

Elle ne voulait pas mourir dévorée par... Quelle que soit cette bestiole au pelage folle, plus fine qu'elle mais bien plus sauvage.

Un trou! Lui dit la bête dans son esprit, la forçant à prendre soudainement le côté droit pour essayer de plonger dans une petite ouverture au sol. Trop petite, son corps y tenant à peine, plaqué contre les parois terreuses, paniquée, apeurée, haletante.

'Bien joué, Cassie.' Pesta-t-elle contre elle-même, n'osant pas bouger de sa tanière, ses pensées se traduisant en un petit cri. 'Coincée dans un trou, un prédateur aux trousses avec des griffes plus tranchantes que les tiennes, et aucun moyen de te retransformer sans se broyer un os dans ce petit espace. Bravo, vraiment.'

Un trou ! Elle se met dans un trou sur la droite, elle triche. Je feule d’indignation et saute mais trop tard et elle est dans le trou et je la vois et je la sens et elle a peur et c’est bien mais un trou quoi. Je mets ma patte dans le trou sans l’atteindre. Je suis petit, plus petit qu’elle mais mon instinct aime pas le trou. Bon. Je m’allonge devant, tête basse, queue battante dans l’herbe. Je vais attendre. Je suis patience. Chasse.

C’est long.

Ca m’énerve. C’est quoi ce trou. Je saute sur le côté, je fais le tour mais je vois pas d’autre trou de l’autre coté. Je reviens devant. T’es toujours là, la proie ? Elle est toujours là, mon absence n’a pas duré une minute. Je remets un coup de patte pour qu’elle n’oublie pas que je suis là aussi même quand elle me voit pas. Ma langue claque contre mon palais. Mes mâchoires se contractent. J’ai envie de l’attraper. A cause du trou qui me frustre. Je me recule, je prends mon élan, je calcule en mettant le bon angle dans mes pattes arrières. Je bondis, pof, juste à l’entrée du trou. L’humaine dit que c’est pas ça qui la fera sortir mais elle y connait rien, j’écoute pas. Je creuse. Je sens la terre sous mes griffes et tout mais c’est long et c’est sale et ça abîme les griffes et j’abandonne assez vite.

Soit intelligent, qu’elle dit l’humaine. Intelligent,pfeu, c’est pas un truc de chat ça. Intelligent. Cache toi elle ajoute. Je vais pas me cacher moi alors que je suis le prédateur et que c’est l’autre la proie. Cache toi dans les herbes et attend qu’elle sorte, elle sortira pas si elle te voit. Je me lèche le torse. C’est une idée que je comprends, comme se tapir dans les hautes herbes. Elle dit que oui. En face du trou. Elle dit que non, sur le côté. Mais si c’est sur le côté je ne vois plus l’écureuil et il peut partir d’un autre côté de trou comme un lapin. J’aime bien ça les lapins, ça court bien et ça saute et c’est fun à chasser mais dur à attraper. Concentre-toi. J’aime bien penser aux lapins,tu m’embêtes ! Et la proie ? Oui la proie ben la proie elle est dans le trou. On recule sur le côté comme elle veut et je me tapis derrière une petite élévation de terrain. Avec mon pelage je suis invisible. Elle dit non, que le marron et le beige clair et les tâches ça se fond pas sur l’herbe verte et les fleurs violettes. Elle casse tout, j’aime pas les humains.

Son cœur bat si fort qu’elle doit se concentrer pour se calmer par peur de se faire mal, à force. Le petit corps de la bestiole qui est désormais le sien lui semble tellement plus fragile comparé à son ossature d’humaine, déjà pas bien puissante au demeurant. Une patte bondit soudainement et elle doit se terrer au plus profond du trou pour l’éviter. Elle a à peine la place, les griffes frôlant sa fourrure et Cassiopeia laisse passer un autre petit cri qu’elle ne peut contrôler.

Elle veut sortir. Elle a peur. Elle ne veut pas avoir mal.
Elle aimerait éviter de mourir ici, bêtement, si possible.
Elle ne peut pas sortir.

Le temps semble s’écouler de façon lente et douloureuse. Son pouls s’est assez calmé pour que ses pensées ne soient pas aussi paniquées, même si l’instinct prend trop souvent le dessus et Cassiopeia n’arrive pas à maîtriser la martre qui couine et proteste. Elle n’aime pas quand la voix de l’animal se fait trop puissante et prend le dessus sur la sienne, elle craint de perdre le contrôle et de se perdre elle-même.

La terre vibre et Cassio en a assez, elle veut partir le plus vite et le plus loin possible. Puis, silence. Plus un bruit, pas de frottements, pas de sons de prédateur énervés, pas de griffes.

Silence. Attente. Dix secondes. Vingt. Trente. Presque une minute. Elle n’en peut plus, elle veut sortir. Ses petites pattes s’activent soudain et la font bondir hors du trou aussi vite qu’elle y est rentrée, les yeux rivés vers la forêt et la clairière toute proche. Son corps essaie de se transformer avant même que l’idée ne lui vienne, sous la panique, beaucoup trop nerveuse.

Il faut qu’elle y arrive, elle tente d’imaginer son corps d’humaine, plus grande, plus forte, elle sent ses pattes s’allonger, sa cage thoracique s’étendre, son visage changer, elle a mal, elle court en même temps…

Et s’écroule au sol dans sa forme humaine, haletante.

Spoiler:

Le vent fait coucher l’herbe au sol, je me couche aussi. Ma bouche à demi ouverte goûte les odeurs apportées par le terrier. Par terre, je sens les tremblements des insectes qui se déplacent autour de moi, je m’en fiche, ils sont trop petits pour faire des proies. J’ai oublié que je boudais. J’attends. Mes muscles bandés, mes pupilles dilatées pour attraper toute la lumière possible. Et, d’un coup, elle est là ! Elle va vite ! Je bondis. Elle est encore plus grosse que dans mes souvenirs, elle court mais moi aussi, elle n’a aucune chance. Je n’écoute pas la voix au fond qui dit que c’est trop grand qu’il y a quelque chose de pas normal. J’oublie de regarder, je saute pour l’attraper à la nuque parce que c’est comme ça que je gagne même si je ne veux pas la tuer, j’ai faim mais pas à ce point là, je veux juste jouer. Et ma gueule se referme sur la chair chaude. Mais ça n’a pas de poil. Mais c’est même pas bon et ça me secoue comme du n’importe quoi et je voooole mais je retombe sur mes pattes et je regarde et ce n’est plus ma proie, c’est une humaine qui se secoue la main et je m’assied parce qu’elle a la même odeur et puis c’était une proie avant et je ne comprends rien et je penche la tête.

J’ai l’air penaud d’un chaton qui vient de se faire éjecter de sa mamelle de lait.

L’humaine me dit que c’est une comme nous. Que c’est une fille-écureuil-géant-dedans. Alors déjà, moi je suis pas une fille-chat-dedans. Je suis un chat-humaine-dedans, nuance. Et puis humaine-dedans d’accord mais les écureuils géant bah, est ce que ça mérite d’avoir des humains-dedans, je ne sais pas. Les chats c’est naturellement mieux. Je me lèche la patte. Non, j’ai pas mal mais je suis pas très contente. Je me sens idiote et en plus j’ai perdu ma proie pour jouer j’ai même pas pu la mordre. Mon cœur bat encore très vite de la chasse. Et…et voilà, l’autre prend la place. Je nous sens nous retransformer, j’ai envie de miauler tellement ce n’est pas juste.

Elle n’est pas essoufflée, juste assise là où le chat se tenait quelque temps auparavant, son pendentif reprenant la tâche caractéristique de son torse. Sa jupe verte couvrant ses jambes jusqu’à ses chevilles est certes un peu terreuse mais cela n’importe peu. Elle essuie ses mains pleine de feuilles, remettant sagement une mèche de cheveux derrière son oreille.

« Hey…tu vas bien ? »

"Non mais AÏE-"

C'était sans doute la première fois que Cassiopeia était aussi vocale depuis son arrivée au Domaine, et que sa voix résonna un petit peu dans la forêt alentour. Elle grimaça en secouant sa main pour que la bestiole - un chat, elle peut le voir maintenant - lui lâche la main. Elle avait déjà vu des chats, contrairement aux créatures magiques des livres de la bibliothèque familiale, même s'ils ne pouvaient rentrer sur la propriété au vu des filtres magiques qui étaient mis en place. Elle en avait caressé certains sur le chemin de l'université, par contre. Et aucun d'entre eux ne ressemblait à ça, ou ne l'avaient mordu de cette façon. Elle se tenait la main comme si frotter sa peau allait changer la blessure qui s'y formait déjà.

Cassiopeia s'énervait rarement. Elle n'était même pas vraiment énervée contre le chat, plutôt encore surprise d'avoir été prise pour une proie et apeurée par l'expérience. "Ce n'était vraiment pas très gent-" Murmura-t-elle de son ton le plus réprobateur avant que sa voix ne s'arrête nette devant la transformation, le chat laissant place à une jeune fille.

Oh.

La protestation mourut dans sa gorge, qui se serra tout de même un peu. Si la jeune femme était elle aussi un animagus, l'avait-elle fait exprès? Était-ce de la méchanceté gratuite puisque Cassio ne savait pas encore maîtriser sa forme? Est-ce que ça s'était vue? Elle ne pouvait penser que quelqu'un puisse vouloir lui faire du mal aussi rapidement, mais n'était-ce pas une possibilité sur ce Domaine où elle ne connaissait encore personne, pas vraiment? Les sorciers avaient peut-être des codes différentes. Est-ce qu'elle avait fait quelque chose de mal, alors?

... Elle était encore en train de se faire des films, n'est-ce pas?

"Je-, je crois." Elle répondit après un temps d'hésitation, ouvrant la bouche pour dire quelque chose d'autre, la refermant immédiatement. Ses yeux se tournent vers ses chaussures, de simples petites ballerines vernies, avant de lisser le pantalon noir qu'elle porte du plat de ses mains et d'observer la forme de morsure sur sa main.

Bon. Elle n'aurait pas de réponse si elle ne posait pas la question, n'est-ce pas?

"Est-ce que... Est-ce que c'était fait exprès?"

Oh, ça va râle le chat pas encore très endormi dans le corps de l’humaine. Il n’a pas mordu SI fort que ça d’abord. Il ne voulait pas vraiment blesser. Et puis il a pas à dire ce qu’il voulait faire à une proie, tout ça c’est rien que des pensées et des sentiments d’humain, ça sert à rien, c’est nul et il va dormir puisqu’il n’a rien à faire, voilà, ça leur fera les pieds à tous. Laissant son félin intérieur râler comme il se doit, la jeune femme s’assit à même le sol, regardant sa camarade, comme pour se rappeler de ses traits. A se souvenir, elle était de la brigade des Selkie, et avait un pseudonyme d’étoile. C’était tout ce qu’elle savait sur elle. Et évidemment qu’elle était animagus « écureuil-géant-de-terre », quel que soit le véritable nom de cet animal qu’elle ne connaissait pas. En silence, elle attendit que la conversation se poursuive, ce qu’elle fit, bien évidemment mais dans une direction qui la surprit. Elle ne cacha pas cette émotion sur son visage.

« Exprès de quoi ? » De la rater ? De lui mordre la main ? De la pourchasser ? Oui elle avait fait exprès de pourchasser l’écureuil mais elle n’avait aucun moyen de savoir que c’était un être humain dedans…si ? Bah j’avais jamais vu une proie aussi crétine, répondit le félin avec une nonchalance presque insultante. Il était clairement toujours vexé. Elle sourit doucement, toujours par politesse, décidant que, comme souvent, l’honnêteté partiel était la meilleure politique à adopter. « Je chasse souvent sous ma forme féline, cela me permet de garder de bons réflexes. » Inutile de dire qu’elle donnait les proies aux hippogriffes ni quelle était la fréquence de ses transformations cependant. Et encore moins de parler de cet instinct si fort qu’elle avait du mal à contrôler chez sa forme cœur. Qu’elle pense qu’ils ne faisaient qu’un était nettement plus prudent. Déjà qu’elle savait… mais la jeune femme ne semblait pas du genre à crier sur les toits si on ne l’interrogeait pas de façon un peu musclée et, si cela arrivait, c’était que l’autre se doutait déjà de quelque chose, parce que ce genre de question était tout de même très spécifique. « Mais je ne savais pas que tu n’étais pas une proie, je veux dire que tu étais humaine. Désolée. Pourquoi ne t’es-tu pas retransformée tout de suite au lieu de te terrer dans un trou sans issue de secours où tu n’avais même pas la place de creuser ? »

La surprise sur le visage de l'inconnue semblait authentique, honnête. Elle ne s'était pas attendue à la question, et les doutes de Cassiopeia s'évanouirent presque immédiatement. Ils s'étaient formés sous le coup d'une méfiance qu'elle ne possédait pas vraiment, qui était apprise plus qu'acquise, qu'on lui avait assez souvent répété pour qu'elle prenne le dessus dans une situation comme celle-ci. Mais comme un château de cartes, il ne fallait pas grand chose pour que cette méfiance s'écroule. Au moins, Cassiopeia passait assez de temps silencieuse pour se savoir habile à déterminer des expressions fausses de celles que les gens autour d'elle ne pouvait masquer. Pas assez habile encore pour parfaitement maîtriser les siennes, par contrant, montrant presque toujours une certaine inquiétude, comme un petit animal prêt à bondir hors de portée si on s'en approchait trop.

Elle lissa une mèche de ses cheveux derrière son oreille, geste qu'elle avait presque toujours lorsqu'elle ne savait pas quoi dire ou quoi faire. Ne comprenant pas entièrement ce que la jeune femme entendait pas 'chasser sous sa forme féline', elle qui n'entendait que très rarement les inflexions de son propre animal totem tant elle ne savait pas l'écouter, mais comprenant le fait de devoir s'entraîner. Ça, c'était une notion qu'elle connaissait. Elle hocha la tête, se mordant la langue alors qu'une question lui était retournée, cherchant ses mots. "Je... Je n'y ai pas pensé." Elle admit, un peu gênée. "Enfin-, si, j'y ai pensé, mais je ne suis pas encore... Je n'ai pas eu à me transformer beaucoup, avant. Et jamais avec quelqu'un d'autre. J'ai paniquée de me retrouver poursuivie et j'ai juste-, essayé de courir, je suppose." Elle secoue à nouveau la tête, essaye de sourire, se forçant à inspirer profondément. "Ça fait longtemps que tu-, enfin, que tu es comme ça? Une animagus, je veux dire?"

« Un moment », confirma la jeune femme qui n’avait pas envie de s’étendre davantage sur une période précise ou le pourquoi de cet apprentissage somme toute pas très utile par rapport aux autres pouvoirs qu’elle aurait pu acquérir. Ils étaient jeunes, acculés, ils n’avaient pas eu d’autres choix. Et puis c’était un ordre de Mère. Les jumeaux ne lui avaient jamais désobéit. Elle se demanda alors où en était la matriarche et si elle était toujours vivante puis chassa l’idée d’un haussement d’épaule. Impossible de savoir donc inutile de demander. « Tu dois avoir confiance en ton animal, il fait partie de toi, il est toi. Ce n’est pas juste un animal totem comme dans les tests idiots des magazines féminins. C’est ta partie animale et instinctive. Elle est toujours là, même quand tu es sous forme humaine. Rappelle-toi, pendant le rituel, au début, c’était comme un cœur qui battait en même temps que le tien. Ce cœur est en toi, et ton animal aussi. Et c’est comme tout, si tu veux apprendre à trouver ton potentiel, tu dois apprendre à te connaître. Et donc à connaître ton animal. Tu es en intelligence c’est ça ? » Les cours commençant le lendemain, elle s’était renseignée sur les gens de sa brigade et de sa spécialité. Par contre, son nom ne lui revenait toujours pas.

« De mon expérience, ce qui révèle le plus un animagus c’est un comportement trop humain. Pour reprendre mon exemple, si je restais assise sous ma forme chat immobile et attentive à une conversation, je me ferais repérer tout de suite alors que si nous nous roulons en boule et que nous faisons semblant de dormir ou bien d’être absorbé par notre toilette, l’ennemi ne nous jettera pas plus d’un regard. Pour ça, tu dois étudier ton animal, ses forces et ses faiblesses, à quoi il sert, pourquoi il est là, ce qu’il mange aussi, pour savoir où il se place dans la chaîne alimentaire. »

C’est un écureuil géant de terre, c’est une proie, il se place nulle part, il sert juste à jouer. Remarqua Aubécha, vaguement attentif mais toujours aussi vexé. Mauvais caractère l’animal. Elle haussa les épaules. « Enfin je suis pas prof hein, je te dis juste mon expérience. D’ailleurs c’est un peu ridicule puisque je n’avais pas remarqué que tu étais humaine. » C’est parce que l’humaine aussi elle se comporte comme une proie à hésiter et tout. T’as pas envie de la manger toi ? Un peu, s’avoua Aubépine.

Elle parlait et Cassiopeia l’écouta, sans rien dire, de grands yeux noisettes attentifs fixés sur la jeune femme. C’était souvent de cette façon qu’elle préférait les interactions qu’elle avait avec les autres, qu’ils cherchent à lui apprendre quelque chose, la réprimande ou s’emballent dans des discours passionnés. Ça n’avait pas d’importance du moment qu’ils parlaient, et qu’elle restait silencieuse. L’ont avait attendu d’elle pendant bien longtemps qu’elle s’en tienne à cette exercice, emmagasiner les bonnes informations pour pouvoir les abattre au bon moment, plus tard. Non pas qu’elle cherche à dévoiler le portrait de celle qui lui faisait face et qui, somme toute, ne livrait rien de plus que ce que Cassie aurait pu apprendre d’un animagus confirmé. Elle ne cherchait pas à mettre ses camarades enrôlés dans des petites cases, des profiles; elle devrait sans doute, elle le savait, le faisait parfois presque naturellement, mais ce n’était pas son intention première lorsqu’elle les rencontrait.

C’était plus sûr, aussi. Lorsque les gens parlaient, elle n’avait pas à se concentrer sur le ton de sa voix, sur les mots parfois tremblants ou épars qui sortaient de sa bouche, sur l’apparence qu’elle renvoyait, sur toutes ces petites choses qu’elle ne réussissait que rarement.

Elle hocha la tête alors qu’on lui demandait sa spécialité - ‘o-oui, intelligence’ formulé sur ses lèvres, pas bien fort, continuant d’être silencieuse alors que la jeune femme continuait de parler. Trop vite à son goût, le silence s’installa, Cassiopeia à nouveau hésitante, ouvrant la bouche pour formuler quelque chose, la refermant pour se mordre la lèvre, fronçant les sourcils. “Je ne pense pas avoir la même facilité que toi pour agir de manière aussi… désinvolte sous ma forme animale.” Elle avoua, doucement, même si les bruissements de la nature autour d’elles faisaient qu’elle ne devait pas parler bien fort pour se faire entendre. “Je ne sens pas de différence quand je suis… Sous cette forme là, en martre, ou comme je suis maintenant. Est-ce juste une question de--, d’apprendre à faire semblant, alors?”

Apprendre à faire semblant lui était accessible. Elle avait fait du théâtre, des livres sur les animaux moldus devaient bien exister dans la bibliothèque du Domaine. Un accès à internet aurait été plus utile, vraiment, mais elle pouvait faire sans. Elle doutait cependant que ça puisse être aussi simple; l’autre jeune fille avait été un trop bon chat pour qu’elle pense qu’il ne s’agisse que de cela. Et comme elle lui avait dit, le chat avait voulu chasser, il y avait donc autre chose. Les questions mesurées et timides de Cassiopeia résonnait là comme une soif de connaissances qu’elle ne possédait pas encore.

« Non…pas vraiment. » Mais pourquoi était-elle devenue animagus si elle s’y connaissait si peu ? N’avait-elle pas eu quelqu’un pour lui apprendre ? Il y avait certes des livres qui expliquaient le rituel car ce n’était pas le pouvoir le plus inaccessible et d’ailleurs les jumeaux étaient passés par là – inutile de mettre quelqu’un dans la confidence/en danger, mais quand même, ils avaient fait leurs recherches. Ils avaient lu des essais. Ils savaient ce que l’on attendrait d’eux par la suite. Elle remit une mèche de cheveux derrière son oreille et réfléchit à comment exprimer ce qu’elle ressentait d’instinct. Une part d’elle nota toutefois qu’elle avait enfin le nom de l’animal.

Ecureuil de terre géant.

Martre. Euh, ça ne lui disait pas grand-chose d’autre, elle n’avait aucune idée de ce que cela pouvait être.

Un écureuil de terre géant je te dis.

Elle sourit, doucement, par politesse mais aussi amusée par l’échange secret avec son animal à elle. La Martre ne s’était clairement pas faite entendre mais si elle avait le même caractère que son humaine, c’était compréhensible, elle non plus ne l’entendait pas.

« Tu ne changes pas, quand tu te transforme. Tu laisses juste se développer une autre facette de toi. Tu sais qu’on a tous plusieurs visages, même les plus honnêtes d’entre nous. On n’est pas tout à fait la même personne avec ses copines par exemple que…disons devant un responsable administratif de mauvaise humeur. » Pure spéculation, elle n’avait jamais vraiment eu de copines et elle préférait de loin un administratif de mauvaise humeur que Lui. « Pourtant, dans les deux cas, c’est toi. C’est moi. Ce n’est pas faire semblant. Et bien ton animal est une facette de toi. Plus primale. Il faut le laisser parler, le laisser prendre la place. Lâcher prise sur son humanité, tenter de penser animal, sans bien ni mal, sans rien de particulier. Tu dois faire en sorte que ta conscience ne soit plus qu’une petite étincelle au fond de son cerveau. Puis, plus tard, quand tu l’auras apprivoisé vous pourrez communiquer, tu pourras prendre plus de place mais au début, surtout, il faut que tu la laisses parler. » Déjà qu’elle se laissait pas parler elle-même…c’était pas gagné. « Il faut lâcher le contrôle, l’emprise et ne pas se juger. Ce que je fais sous forme féline, je ne le ferais jamais sous forme humaine. Courir après des animaux, les chasser… » Marquer son territoire ou vouloir dominer autrui. Elle était possessive, elle le savait. Elle avait besoin de SON espace et elle ne voulait pas le partager certes mais jamais elle n’aurait fait les choses de façon aussi…concrète et visible, si elle n’était pas un chat.

Pourtant j’ai raison, l’Homme aux bêtes nous sera utile. Je sais.

« Je ne connais pas bien les martres » pas du tout aurait été plus exact, elle ne savait même pas dans quel milieu naturel elles se sentaient le plus à l’aise. « Mais si j’étais toi, je commencerais par faire des recherches sur mon animal, ce qu’il aime, ce qu’il déteste, pourquoi et je lui donnerais des objectifs simples pour commencer à communiquer avec lui. Comme attraper une noisette, se faire un terrier, du basic, du primal. Ensuite en fonction de son intelligence, tu pourras adapter. Tu comprends ? » Elle avait eu cette chance d’aimer déjà les chats lorsqu’elle en était devenu un…

Elle comprenait. Les mots faisaient sens, en tous cas, en théorie. Elle avait elle-même constaté qu'elle pouvait avoir plusieurs visages. Qu'il n'était pas très difficile de toutes façons de cacher le sien quand personne ne la remarquait, au besoin. Qu'endosser un rôle lui était possible. Cette théorie là était acquise - peu utilisée selon les angles d'approche, mais acquise.

La méthode était plus obscure cependant et c'était précisement là où Cassiopeia savait qu'elle était perdue. Lâcher prise n'était pas vraiment son fort, loin de là. Accumuler des connaissances, oui, en apprendre le plus possible sur la martre, définitivement. Elle pouvait faire ça. Se taire pour laisser parler son animal? Techniquement possible puisque la jeune femme parlait rarement. Mais justement, c'était là que résidait tout le problème: elle savait que la voix dans sa tête était bien plus forte, prenait bien plus de place, se mélangeait les pinceaux, hésitait, repartait en arrière. Une cacophonie dissonante d'hésitations et de réflexions comparé à ce qui en ressortait en réalité.

Était-ce pour ça qu'elle était une bien piètre animagus? Est-ce que la martre en elle - qu'elle n'avait jamais vraiment considéré comme elle, bien que l'animal soit supposé être un totem - était effrayée par tout ce bruit? Agacée?

Comment était-elle supposée lâcher du lest et lui faire de la place?

Elle retint un soupir, replaça à nouveau une mèche de ses cheveux derrière son oreille, consciente qu'il était inutile d'embêter la jeune femme qui lui prodiguait des conseils avec ces préoccupations. Elle pourrait au moins se concentrer sur la partie théorique et trouver la bibliothèque pour faire des recherches. "Je manque de pratique." Elle avoua doucement, consciente de la réponse très brève comparée aux explications de la jeune femme chat, un peu honteuse de son manque de conversation. "Je ne me suis pas transformée beaucoup une fois que j'ai réussi le rituel, sauf par nécessité quelques fois." À nouveau, cette impression d'en dire trop et pas assez à la fois. Trop pour une inconnue, pas assez pour la possibilité que l'inconnue ne le soit plus. Comment faisaient les autres, déjà, pour passer outre ça? "Et j'avoue ne pas connaître tant de choses que ça sur la martre." Elle continua, songeuse à présent. "Je sais qu'elle est carnivore, qu'on la trouve le plus souvent en terrain montagneux et que c'est une cousine de l'hermine, mais... Ça s'arrête là."

Elle se mordit la lèvre avant de secouer la tête, hesitante avant de lui tendre la main. "Oh-, désolée. Je suis-, mon nom est Cassiopeia. J'aurais pu aussi commencer par là."

Avait-elle beaucoup pratiqué ? Plus que ne le pensait Sycomore, c’était certain. Malgré leur plongée dans le monde moldu, elle avait tenu à continuer de faire vivre ce chat en elle qui avait une personnalité si forte et s’était amusée, parfois, à lui faire parcourir le Dublin nocturne, la sortie des pubs, les scandales de boites de nuit, évitant les chiens errants, alors que son frère travaillait encore dans les salles de l’appartement. Transformations complètes, rapides, dans les deux sens. C’était essentiel pour ne pas perdre ses moyens en cas d’urgence, non ? Elle n’avait jamais compris ceux qui possédaient une arme et refusaient de s’en servir.

« Aubépine » répondit tranquillement la jeune femme, un sourire poli mais accueillant sur son masque après avoir écouté la jeune femme sans l’interrompre malgré les silences. Déjà qu’elle ne parlait pas beaucoup, si l’on se mettait à réagir à chaud on risquait de l’effaroucher à jamais. Ne pas faire de bruit et devenir le paysage est la meilleure façon d’attraper sa proie. Le chat en elle continuait de vouloir chasser la martre et ne voulait pas se taire. On lui avait pris son moment, il protestait. Elle le laissait, lui aussi, s’exprimer. « tu as déjà tenté une transformation partielle ? C’est très moche et pas facile mais ça permet aux deux conscience de se frôler un peu, si tu n’as pas l’habitude. » Cela dit, si même en forme de martre elle n’arrivait pas à entendre l’animal… comment une fille aussi inexistante pouvait réduire un animal au silence ? Sa vie intérieure devait être terriblement troublée. La russe avait du mal à concevoir qu’on puisse douter ou hésiter. Elle n’était pas de celles qui pensent avoir toujours raison pourtant et parfois aussi, elle ne savait pas quoi faire ni ce qu’on attendait d’elle mais, au fond, elle restait toujours en parfait accord avec elle-même. Même lorsqu’elle faisait des choses qui ne lui plaisaient pas, même quand elle savait qu’elle se faisait du mal par exemple en croquant une des madeleines de son frère, et bien elle le faisait entièrement, elle embrassait sa décision, l’assumait, refusait de se laisser aller au doute. Et même d’y penser. Elle réfléchit.

« Tu faisais peut-être autre chose mais si tu le souhaites, nous pourrions nous retransformer ? Je pourrais tenter de voir si je peux pousser ta martre à bout pour qu’elle se révèle et te parle maintenant que tu sais que tu dois écouter ? Même si, je t’avoue, ça risque de ne pas te plaire, le chat est vexé qu’on lui ai pris sa proie… » c’est de la TRICHE « et il n’attend que de se remettre en chasse. » elle est A MOI, je l’ai gagnée ! « Mais je te promets qu’on ne te fera pas plus de mal que strictement nécessaire. »